Epilogue - Sibéal

Epilogue – Sibéal

Sibéal laissait courir ses yeux sur les unes des journaux du kiosque de la place de la Bourse à Tønsberg. Ils rendaient compte des avancées des pourparlers et congrès entre les émissaires du peuple de l'eau et les représentants de la ligue des Archipels. Plus d'un an après la fin d'une malédiction que tous n'étaient pas certain de tenir pour ayant existé, l'apparition du peuple des sirènes était encore un sujet de discussions incessant. Elle ne lisait pas vraiment les gros titres, jouant machinalement avec son téléphone qui lui brûlait les mains depuis de longues minutes.

Les lourdes cloches du beffroi en granit résonnèrent, et une foule de nains et naines émergea de la Bourse aux minerais sculptée d'arabesques et de figures de marchands emblématiques de la ville. Le bâtiment fermait pour la nuit, elle porta un œil sur son téléphone lorsque Nialh déboula du coin de la rue, la mine satisfaite. Elle lui fit un signe pour attirer son attention en se redressant du banc.

« Alors ?

- C'est bon, il a bien voulu signer après tes corrections. On va pouvoir lancer le chargement !

- Ils ont accepté le nouveau tarif ? fit-elle admirative.

- Ils savent que s'ils veulent livrer dans les temps leurs clients faut embaucher le Fafnir., vanta-t-il. »

Ils descendirent dans les ruelles de la rue basse où le quartier des orfèvres faisait état des trésors de l'artisanat nain. Après avoir signé un contrat juteux comme celui-ci, ils s'accordèrent une pause en achetant une douceur à un vendeur ambulant dans une placette ombragée. Les arbres en fleurs faisaient naître une pluie de pétales sous la petite brise tiède de fin d'après-midi.

« ça va être le temps parfait pour le mariage ! s’enthousiasma Sibéal. 

- C'est clair ! Et ils ont choisi un spot parfait pour le printemps.

- Et c'est bon tu as pu récupérer ton costume ?

- Impeccable, je vais surement faire de l'ombre au marié, nargua-t-il narquoisement.

- Vu les photos que Nanak m'a envoyées de Mohvo... tu peux toujours rêver ! »

Il adopta une petite moue dubitative qui lui fait lever les yeux au ciel. 

Elle était impatiente de retrouver Hokianga-nui pour assister au mariage de Mohvo et Cherry. Ils l’avaient quitté une semaine plus tôt,Le Fafnir rayonnait dans un espace comprenant la capitale maorie, Tønsberg et Bleá Cliath et ils n'étaient maintenant que rarement très longtemps loin de leurs amis et famille. Cette spécialisation du coursier avait fait ses preuves en termes de rentabilité et avait conduit Oriag et Murdock à envisager d'étendre la société en achetant un deuxième navire pour la bantou. Si le projet était bien engagé, la recherche de bateau les occupait activement ces dernières semaines. Le capitaine et la navigatrice avaient encore passé une journée au port, épaulés par les employés de l'arsenal à s'interroger sur l'achat d’un navire neuf ou d'un ayant déjà fait ses preuves. Sibéal avait eu dû mal à s'y impliquer, autrement préoccupée. Elle alluma à nouveau son téléphone, aucune notification.

« Au fait faut qu'on achète un cadeau pour l'anniversaire d'Ea, rappela Nialh. »

Il l'entraîna dans une des boutiques d'orfèvre pour qu'ils parcourent les bijoux finement ouvragés. Sibéal trouva les articles proposés un peu trop raffinés pour les goûts simples de leur sœur. Il balaya ses remarques d'un revers de la main. Elle haussa les épaules alors qu'il s'entêta à vouloir négocier avec la naine au comptoir pour une paire de boucles d'oreille en améthyste à coup de remarques mielleuses et de sourires enjôleurs. Si ces manières firent roucouler la jeune naine au comptoir, elles laissèrent une impression tièdement emballée sur le visage de la propriétaire à l'arrière. Amusée par cette scène, Sibéal parcourut les articles en silence. Elle cherchait plutôt un jonc en pierre précieuse, plus discret, lorsqu'elle s'arrêta sur les bracelets de naissance. Murdock et elle en avaient acheté un après l'adoption de Johan, un petit garçon de trois ans, par Eanna et sa femme quelques mois auparavant. Les nains avaient pour tradition d'en offrir à la naissance de chaque bébé du clan pour symboliser son intégration à la communauté. La pierre changeait en fonction de l'année lunaire du calendrier des nains. La symbolique avait bouleversé Eanna, les larmes de bonheur de sa sœur l'avaient ému lorsqu'elle avait serré contre elle son neveu. Murdock avait simplement balancé sa paluche entre les omoplates de sa sœur avec sympathie.

« Hé ! Hiliris ! Ça va mon cœur ?! »

Sibéal releva la tête, son expression s'attendrit de la figure de son frère. Depuis qu'il sortait avec cette jeune mère célibataire de Bleá Cliath, de deux ans son aîné, ce prénom avait acquis le pouvoir de le faire rayonner. Et d'attirer son attention sur autre chose que le contrôle de leur vie... Il n'avait plus que ce mot à la bouche. Anak, Murdock et elle s'en donnaient à cœur joie mais il semblait s'en contreficher, trop heureux de pouvoir leur présenter l’heureuse élue au mariage de Mohvo. 

Nialh sortit précipitamment de la boutique, un sourire au lèvre et son téléphone vissé à l'oreille sous le regard vexé de la vendeuse. Sibéal glissa machinalement un regard à son propre écran. Sa respiration se bloqua. Elle fit vivement glisser la notification pour ouvrir le mail. Elle le parcourut rapidement, ses yeux papillonnant frénétiquement. Ses doigts se crispèrent autour de l'appareil. Un petit rire lui échappa.

« Madame, vous désirez voir un article en particulier ? l'apostropha la vendeuse. »

Désorientée, Sibéal se tourna vers elle un sourire radieux aux lèvres.

« Oui. »

OoOoOo

Installés dans le cockpit extérieur, Oriag et Apollo mettaient le couvert sur la table pliante sous les lampions accrochés aux cordages inamovibles alors que le pilote automatique traçait une courbe d'écume dans la mer sombre. Nialh secondé par Sibéal préparaient le repas dans la kitchenette. Murdock, concentré sur le carnet de bord qu'il remplissait, avait posé ses pieds sur la table du carré. Celui-ci était plus lumineux mais guère plus grand que celui du Modsognir, des jeux avaient été calés derrière la banquette en lin clair tandis que les denrées sèches étaient entassées dessous. Des photos étaient épinglées au-dessus sur le tableau de liège, parmi les listes de courses, tickets de caisses et factures d'essence. 

«Goûte moi ça, lança son frère avec fierté. »

Sibéal goûta avec appréciation plusieurs cuillerées de la mixture tiède alors que Nialh tendit la cuillère à Apollo. Le goût épicé lui fit oublier la sensation nauséeuse après le grain qu'ils venaient d'essuyer en mer. Le grand bantou prit une mine concentrée.

« ça manque peut-être un peu de cumin non ? 

- De cumin ? Non mais de quoi tu parles ? marmonna Nialh vexé. Le jour où tu nous feras la cuisine on en reparlera.

- Il fait des bons petits plats pour Chad, rappela Sibéal narquoisement. 

- Quoi ?! Polochon tu réserves ta cuisine pour ton cher et tendre pendant qu'on se tape la cuisine de Nialh tous les soirs ? S'exclama Murdock sur un ton dramatique théâtral, moi qui croyais que t'avais du cœur...

- Hé oh ! La prochaine fois j'vous laisserai crever la dalle si c'est comme ça ! Bouda Nialh. »

Brandissant ostensiblement sa cuillère en bois en direction de leur capitaine, son frère outrageusement vexé se mit à vociférer des menaces sous les boutades moqueuses de Murdock. Apollo promettait, pour calmer tout le monde, de faire à manger dès demain soir. 

« La ramène pas Polo ! »

Désabusée, Sibéal les laissa à leur chamaillerie pour retrouver Oriag sur le pont. La navigatrice contrôlait les cordages du phoque à l'avant du Fafnir. Elle s'assit près d'elle, les pieds pendant au-dessus des vagues.

« Alors ? Il est comment ce nouveau navire ? »

La mine d'Oriag découpa un sourire d'ivoire dans la pénombre.

« Il est magnifique, avec lui on pourra rallier les Mollusques à Tenochtitlan en un temps record ! 

- C'est super, sourit-elle, J'ai hâte de le voir !

- C'est pour la semaine prochaine, assura-t-elle. Torek nous tient au courant de toute façon.»

Sibéal hocha la tête avec un petit pincement au cœur.

« ça va faire bizarre de ne plus t'avoir à bord avec nous. »

Il y eut un silence, le tissu en wax orangé qui agrémentait la chevelure d’Oriag se souleva sous l'effet d'une bourrasque. La navigatrice s'accroupit à côté d'elle avec un petit sourire mélancolique. 

« On se verra régulièrement.

- C'est vrai, ça ne sera juste plus vraiment pareil, confessa Sibéal, tu vas vivre d'autres aventures.

- On en a vécu plein ensemble, rappela Oriag, et je doute qu’on puisse battre ça !

- C’est pas faux… Et la plupart des gens ne nous croient même pas !

- C'est peut être mieux, quand tu vois toute l'attention qu'ont Valérian et Laureline chez les sirènes... grimaça Oriag. »

Sibéal acquiesça, songeant aux nombreuses délégations auxquelles ils étaient tenus de prendre part avec les ambassadeurs de leur reine. Si la jumelle prenait cette mission à cœur, avec dévouement et discipline, Valérian était moins emballé par ces interminables réunions juridiques sur la création d'un sanctuaire marin servant de royaume à son peuple. Non, elle n'aimerait pas vraiment ça. Elle préférait voguer sur le Fafnir en compagnie de son équipage.

Un bruit de casserole et un cri agacé résonnèrent jusqu'à elle. Sibéal eut une mine aussi dépitée qu'amusée.

« Et tu me laisses avec les mecs... »

Oriag eut un petit rire et l'aida à se relever pour retrouver les trois autres près de la table. Le vent claquait doucement dans la grand-voile tandis que Nialh ordonnait avec autorité à tout le monde de s'asseoir. Un peu barbouillée, Sibéal resta un instant debout à respirer à plein poumon l'air frais tandis que la mer faisait tanguer le voilier sous ses tennis. 

L'instant d'après, elle vomissait tripes et boyaux par-dessus le bastingage.

« Ah ! Qu'est-ce que je disais ! aboya Murdock triomphalement. »

Nialh vociféra à son tour et jura ses grands dieux qu'il n'y avait rien de particulier dans son colombo. Il énumérait les ingrédients avec fermeté. Sibéal, faible, s'appuyait pour rester en équilibre. La tête encore pas dessus bord, l'air marin lui jetant un embrun bienvenu sur le visage. La main de Murdock se posa gentiment dans son dos.

« ça va azgal ? »

Elle accepta avec soulagement la serviette et s'essuya machinalement la bouche. Elle tourna une mine pâle vers lui, il la fixait avec attention caressant gentiment sa joue. Elle secoua la tête, elle n'avait plus envie de manger du tout. 

Une fois certaine de ne plus avoir envie de vomir, elle lui emboita le pas jusqu'au banc du cockpit. Elle s'assit près de Murdock, il lui tendit un verre d'eau. Apollo et Oria, soudainement plus circonspects sur le repas, s'étaient rabattus sur les amuses bouche. Nialh les fusillait du regard en mangeant ostensiblement son plat.

« ça va Sib ? T'as le mal de mer ? demanda Apollo avec diplomatie.

- Oui, ça va mieux...

- Le mal de mer, hein ? fit Murdock sceptique en direction de Nialh, c'est pas bien le genre de Sib. 

- Ça doit être un truc que t'as pas digéré, fit Oriag.

- Oui, sûrement, marmonna-t-elle. »

Son frère darda un regard outré dans leur direction.

« Traitresses ! »

OoOoOo

Apollo et Oriag avaient pris les deux premiers quarts et jouaient aux cartes dans le carré. Nialh avait rejoint ses quartiers et Sibéal, allongée sur la couchette les yeux entrouverts, appréciait l'air marin qui lui balayait le visage depuis le hublot. Murdock interrompit sa somnolence en entrant dans la cabine. Il se frottait le visage de sa serviette de bain qu'il étendit du mieux possible dans le bazar. Il se fraya un chemin parmi le bordel qu'était devenue sa cabine avec l'installation, plus rapide que progressive, de Sibéal. 

Il s'assit sur la couchette et se déchaussa d'un coup de pied avant de s'allonger à côté d’elle. Elle se tourna vers lui, apprécia avec amour les traits de son visage que dessinaient les rayons de lumière tamisée. Elle porta la main à son visage et caressa tendrement sa barbe.

« Oriag a l'air emballé par l'idée de devenir capitaine, souffla-t-elle.

- Tu parles, elle aura plus ton frère sur le dos ! 

- Elle ne devra surtout plus obéir à un capitaine tyrannique surtout, rabroua-t-elle. »

Il eut un petit rire désabusé. Les doigts de Sibéal dessinaient légèrement l'arcade de son sourcil.

« Va falloir trouver une nouvelle navigatrice, tu as déjà quelqu'un en tête ?

- Ya bien une Sioux qui va pas tarder à être esseulée à Hokianga-nui...

- Anak ? Esseulée ? Fit-elle avec une moue désabusée.

- Yakta songe à arrêter, lui apprit-il gravement, son père est de plus en plus malade.

- Oh... Anak ne m'avait pas dit que c'était aussi grave.

- Elle doit pas savoir, Yakta veut amener les choses en douceur. »

Sibéal hocha la tête, songeant au Yak et aux nouvelles responsabilités qui attendaient sa capitaine au sein de sa tribu. Le changement, même s'il était attendu par l'héritière, allait être de taille. Si elle n'avait aucun doute sur sa capacité à être une future cheffe respectée et avisée, elle était tout de même saisie d'une vague de mélancolie pour Anak qui chérissait tant ces équipées avec le Yaktantton. 

« Pas sûr qu'Anak veuille bien être ta navigatrice.

- Elle en meurt d'envie, affirma-t-il narquoisement, je lui ai promis des apéros tous les soirs.

- Elle voudra peut-être rester avec son père, pour l'aider à l'auberge ou avec Valérian.

- L'prince des îles il dépérit à Hokianga-nui, il est pas fait pour la terre ferme.

- Tu comptes le débaucher lui aussi ? Sourit-elle amusée. 

- Il attend que ça !

- Quoi lui aussi ? Mais c'est fou ça dis donc... 

- Que veux-tu, y paraît que le capitaine du Fafnir a une réputation irrésistible... »

Un gloussement lui échappa, brisant la mine ostensiblement sceptique qu'elle lui adressait. Ravi de la voir adhérer à ses projets Murdock se décala et elle pu lover contre lui. Un petit soupir de contentement passa ses lèvres lorsqu'il enroula son bras autour d'elle. Il sentait le savon et une odeur de boiserie.

« Il pourrait nous aider pour le marché des sirènes, expliqua-t-il, et puis faudra bien remplacer Polochon.

- Ah, leva-t-elle les yeux. Il t'a dit à toi aussi... 

- Ouais, mais il a pas tord. On a besoin d'une base... pourquoi pas Hokianga-nui ?

- Oh j'imagine que le choix est pas si anodin, il serait plus proche de Chad... sourit-elle, en fait quel romantique tu es... 

- Tssss, tu vois. Tu finiras par le reconnaître !

- Hum... lâcha-t-elle dubitative avant de songer tristement, Nialh ne sait pas encore. Ça va lui faire un choc.

- Il s'en remettra, t'inquiète. »

Elle avait du mal à discerner les contours de ce futur équipage, si Anak et Valérian en feraient partie ou non et si Oriag et Apollo seraient toujours aussi présents dans sa vie. Après toutes ces années, et tout ce qu'ils avaient enduré ensemble l'année dernière... elle ne pouvait concevoir le contraire. Voguer avec sa meilleure amie à bord était une perspective qui l'enchantait... Mais après tout, elle verrait bien car rien n'était vraiment sûr. Ou presque. 

Elle se laissa bercer par le pouce de Murdock qui naviguait doucement sur l'arc de sa mâchoire. Elle se perdit un instant dans la contemplation des éclats mordorés que la lumière projetait dans ses yeux bruns. 

« ça va mieux ? »

Un sourire naquit sur ses lèvres, impossible à contenir, elle acquiesça. Elle se détacha, se retourna pour glisser sa main dans la petite niche qui lui servait de table de nuit. Elle bouscula ses livres cornés et en dégagea la petite boîte. Murdock se redressa sur son coude, arqua un sourcil intrigué en arborant un sourire moqueur.

« Tu m'fais ta demande Sib ? »

Elle lui donna un petit coup de coude pointu.

« Regarde ou lieu de dire n'importe quoi, le coupa-t-elle avec empressement. »

Intrigué par sa mine, il finit par se mettre en tailleur pour ouvrir la boîte. Il en tira du bout des doigts un fin bracelet de petites pierres en Larimar montées autour d'une minuscule plaque en or. Sibéal s'abreuva de l'expression stupéfaite de Murdock. Lorsqu'il releva son attention sur elle, elle dévora la naissance d'un sourire lumineux sur son visage.

« Sérieux ? »

Elle hocha plusieurs fois la tête, se tripotant les mains devant son visage, incapable de contenir son excitation. Une émotion indescriptible pétillait dans sa poitrine. Ils l’avaient espéré, se l’étaient imaginé.... Il eut un rire avant de l'enfouir dans son étreinte. 

OoOoOo

« C'est magnifique, s’exclama Oriag. »

L'arbre plusieurs fois centenaire trônait au milieu de la prairie, paré de guirlandes en crépon rose tendre et de fleurs. Il surplombait une arche de fleurs rosées et couvrait de son immense ombre les chaises qui avaient été alignées devant le lieu de la cérémonie. Sibéal lissa sa longue robe crème en tulle brodée d'une multitude de fleurs champêtres. Elle glissa un regard appréciateur à Murdock qui lui répondit d'un petit air satisfait en remettant en place son nœud papillon. Il lui dégagea des yeux une mèche de cheveux ondulés pour l'occasion. Ils échangèrent un petit sourire de connivence.

« Oui oui ça va, vous êtes beaux, on a compris, lâcha Nialh en passant devant eux, bon où est Wanda ? »

Il la repéra à l'orée des bois, avec son petit ami, Célestin et fila dans sa direction. Apollo cherchait des yeux Chad parmi les invités. Ils avaient débarqué à Hokianga-nui le matin même et avaient à peine eu le temps de s'habiller pour l'occasion et de héler un taxi pour arriver à l'heure. Sibéal plissa des yeux pour trouver Anak. Des enfants, parmi lesquels ceux de Yakta, couraient au loin autour de l'enclos où broutaient quelques chevaux de la tribu. Nombre d'adultes portaient la tenue traditionnelle sioux, d'autres avaient opté pour une forme plus moderne de tenue. Elle repéra Chumani et Yakta et entraîna Murdock à sa suite. Le père des enfants Freeman était accompagné de Sandy, sa compagne, et avait dû mal à contenir son émotion en appréciant l'espace où son cadet allait épouser Cheryl. Yakta lui décochait de petits coups d'œil attendris.

« Sibéal ! Murdock ! s'exclama-t-il à leur approche, juste à temps !

- Ouais, on a eu un petit contretemps, lâcha le demi-nain avant de souffler à l'adresse de la capitaine du Yak, tu connais les aztèques, ils ont voulu nous la faire à l'envers.

- Pas vraiment étonnant, commenta celle-ci avec un sourire, j'imagine que tu n'as eu aucun mal à t'en départir.

- Effectivement !

- Chumani, cet endroit est magnifique... on ne voulait en aucun cas louper cela ! assura Sibéal. »

Alors que l'aubergiste et les capitaines se lançaient dans une conversation à propos de la réaffectation du port d'Hokianga-nui, rendue possible par l'arrêt de la montée des eaux, Sibéal balaya à nouveau la foule d'inconnus des yeux.

« Anak est dans la tente avec Mohvo. »

Elle les abandonna pour filer en direction des deux petites tentes à côté du chapiteau monté au-dessus du buffet. L'une d'elle était entourée d'une nuée de demoiselles d'honneur en mousseline. Elle souleva précautionneusement le pan de l'autre et tomba sur la fratrie Freeman au complet.

« Sibéal ! »

Anak bondit sur elle, elle l'enlaça avec affection avant de la contempler. Une longue robe verte tendre ondulait autour d'elle avec grâce. Mohvo dans un costume couleur vieux rose la salua tout en s'inspectant dans le miroir. Il était éblouissant et rayonnait.

« La fameuse Hiliris est arrivée ?

- Je crois qu'elle ne devrait pas tarder, assura Sibéal, en tout cas c'est ce que dit Nialh!

- Aaaaah, tant mieux j'ai hâte de voir à quoi elle ressemble en vrai ! S'enthousiasma-t-il.

- Je me demande surtout qui peut le supporter...

- Une sainte ? Proposa Anak avec humour.

- Soit ça, soit elle est sourde, ajouta Sibéal. »

Ils eurent un rire, avant qu'elle ne le complimente sur son mariage. Anak attacha une rose blanche à la boutonnière de son frère avec un sourire fier. Elle se planta à côté de Sibéal. Elles échangèrent un regard d'approbation.

« Superbe ! »

OoOoOo

Tous les invités attendaient la mariée à l'ombre des arbres ou sous le chapiteau. Murdock, Anak et Sibéal ne faisaient pas exception en sirotant un verre de thé glacé. Ils épiaient la jeune femme au bras de son Nialh. Petite et plantureuse, Hiliris avait de longs cheveux châtains et un regard brun brûlant de caractère. Wanda, le bras crânement enroulé autour de son petit ami, semblait en pleine conversation avec Nialh. 

« Combien vous pariez qu'ils font un concours de coq de quel couple est le mieux assorti ? lança Murdock goguenard.

- Oula, je ne parie rien du tout, répondit Sibéal peu dupe.

- Wanda est habillée en blanc, appuya Anak d’un mouvement de la tête décidé. C'est clairement pour être le couple avec le plus d'attention ! J'parie rien non plus ! »

Sibéal observait le plus discrètement possible la nouvelle venue dans sa robe courte jaune. Et plus encore son petit frère qui, s'il bombait le torse avec fierté en direction de Wanda, se pliait également en quatre pour plaire à Hiliris en lui ramenant du thé glacé ou la présentant à ses connaissances. Celle-ci lui souriait avec affection non sans être dupe de ses pirouettes pour attirer son attention. 

Apollo et Chad sous les arbres n'étaient pas plus occupés que le trio à une activité moins puérile que celle de scruter le nouveau couple. Elle les discernait parfaitement l'un à côté de l'autre, Chad commentait la dynamique du nouveau couple à l'oreille d'un Apollo diplomate sirotant sa boisson rafraîchissante. Le meilleur ami d’Anak avait le bras possessivement autour du bantou. Celui-ci était particulièrement époustouflant dans son costume beige. Ce dont s'étaient bien vite rendues compte une nuée de jeunes filles en manque d'amour, nombre d'entre elles faisant d’ailleurs partie de l'escouade de demoiselles d'honneur de Cheryl.

« Anak, ma chérie, tu es magnifique. »

Valérian dans un costume en lin fit son apparition à leur côté, ses cheveux savamment montés en chignon sur son crâne. Un air lumineux naquit sur le visage d'Anak. Elle enroula son bras autour du sien en levant des yeux pétillants de tendresse sur lui. Il lui sourit avec une certaine maladresse. Surprise, Sibéal le trouva étonnamment guindé devant cette marque d'affection pourtant familière. Murdock, s'amusant de la dynamique électrique entre Wanda et Nialh, n'avait rien remarqué.

« Alors, comment avance les pourparlers avec la Ligue ? s'enquit Sibéal.

- Je crains que ça ne s'enlise, surtout du côté des Tuvalu, soupira-t-il, j'ai l'impression de n'en voir jamais le bout...

- J'ai lu que la majorité de la Ligue semblait d'accord pour une réserve naturelle sous votre autorité, non ?

- On pourra dire que c'est une victoire lorsque l'accord sera signé, temporisa-t-il avant de lui sourire, mais en effet nous avons de bons espoirs d'y parvenir. 

- Et Laureline ? Sa photo avec l'ambassadrice celte a été remarquée...

- Son nouveau rôle lui va comme un gant... »

Il tourna son attention sur un groupe d'enfants qui chuchotaient sans discrétion près d'eux. Ils désignaient ouvertement le couple d'Anak et Valérian avec des yeux aussi fascinés qu'un peu effrayés. Des parents les retinrent craintivement d'aller l’aborder. Le triton se détourna, les ignorant ouvertement. Il semblait s'être habitué aux regards curieux ou hostiles sur sa nature de triton. La Sioux adressa un petit regard défensif dans leur direction et se planta ostensiblement plus près de lui comme pour être à la fois son bouclier et sa caution de bonne foi. 

Sibéal et Murdock échangèrent un regard entendu, elle les trouva attendrissant. Chacune de leur faiblesse était délicatement équilibrée par une force de l'autre et l'année qui venait de s'écouler l'avait démontré plus d'une fois... Si Nialh lui avaient demandé son avis, elle aurait dit qu'ils faisaient partie des couples les mieux assortis !

« Booon, maintenant que vous êtes là, on peut parler business ! trancha brusquement Murdock en balança sa main entre les omoplates du triton.

- Business ? Fronça-t-il des sourcils.

- Va y avoir un petit recrutement sur le Fafnir, ménagea-t-il sa proposition.

- Comment ça ? S'étonna Anak.

- Oriag va devenir capitaine, expliqua Sibéal.

- Et je ne connais qu'une navigatrice capable de prendre sa relève, sourit Murdock. »

Valérian eut un petit sourire de fierté tandis qu'Anak, ébahie par la nouvelle, restait couac face au demi-nain. Celui-ci lui tapota l'épaule avec humour.

« Eh oui, eh oui, je sais ! C'est pas tous les jours qu'on te propose le job de tes rêves, gamine.

- Je sais pas quoi dire mais… je suis la seconde de Yakta, souffla-t-elle, tu sais bien...

- Je sais, je sais, appuya-t-il d'un mouvement du menton, m'enfin l'offre est toujours sur la table au besoin. Tu peux emmener ta sardine avec toi si ça te fait plaisir. »

Il dardait un œil pétillant en direction du grand blond. Sibéal dissimula son amusement du mieux possible.

« Bien entendu, soupira Valérian.

- Rah boude pas joli-coeur, tu sais bien que rien m'fait plus plaisir que de t'avoir à bord ! »

Anak et Sibéal eurent un petit rire tandis que Valérian, amusé, haussa les épaules. Murdock trinqua de son thé glacé avec lui. La voix de Chumani les fit se retourner vers lui. Il annonça que la cérémonie allait commencer et enjoignit les invités à rejoindre leur place. Un mouvement de foule se fit sentir alors qu'une nuée couleur pastelle se dirigea vers le grand arbre au milieu de la prairie. Sibéal fit un petit à signe à Anak qui entraîna Valérian à sa suite pour retrouver son petit frère. Elle la retrouverait plus tard.

Murdock et elle trouvèrent leurs chaises et s'assirent dans l’aile attribuée aux invités de Mohvo entre Oriag et une vieille chaman sioux arborant une impressionnante et colorée tenue traditionnelle faite de plumes et de perles. Une légère musique s'éleva et Sibéal se décrocha le cou pour essayer de voir si la mariée ou le marié arrivait sans pour autant apercevoir quoi que ce soit. Elle eut un petit soupir impatient en se calant sur sa chaise dont le dossier servait d'accoudoir à Murdock. 

Elle déposa furtivement un baiser sur sa mâchoire, alors que les doigts du demi-nain s'enroulaient autour des siens. 

« Tu aurais pu attendre avant de proposer à Anak non ? souffla-t-elle. Yakta ne lui a encore rien dit.

- Azgal, ça s'appelle planter une graine, laisse moi faire, tu vas voir...

- Hum... tu l'as déjà planté depuis qu'elle t'a tapé dans l'œil en bravant la tempête.

- Okay, okay, ça s'appelle arroser une graine, corrigea-t-il magnanime.»

Elle eut une petite moue, elle n'était pas sûre qu'Anak accepte de devenir membre de leur équipage. Elle ne songeait peut-être pas à en intégrer un avec la dissolution de celui qui avait été sa famille pendant des années. 

« On verra bien, haussa des épaules Murdock, m'enfin ça s'rait quand même bien pratique pour le babysitting si la marraine de notre fille était sur le Fafnir. »

Leur fille ? Une bouffée de bonheur manqua de l'étouffer. Elle voulut se jeter à son cou et faire pleuvoir ses lèvres sur le moindre centimètres de peau accessible. Le petit regard en biais de Murdock lui laissa supposer qu'il devinait parfaitement le fond de sa pensée. Elle contint l'émotion intense qui la traversait avec un trait d'humour.

« Notre fille ? Et depuis quand les nains sont des marabouts capables de deviner ce genre de choses ?

- Azgal, susurra-t-il narquoisement, j'ai un flair imparable.

- Mais bien sûr... susurra-t-elle en retour.

- Oh mais ça sera bien une petite fille je vous l’assure. »

Surpris, ils se tournèrent vers la vieille sioux en tenue traditionnelle. Elle avait les mains croisées sur ses genoux et le regard un peu hagard.

La mâchoire de Sibéal manqua de se décrocher tandis que Murdock prit un air triomphal. Avant qu'ils n'aient eu le temps de poser la moindre question à la chaman, la musique se fit plus forte et l'assemblée se leva. Ils firent de même sans se lâcher des yeux en partagant un large sourire. Ils savaient quel nom graver sur le petit bracelet.

Aëlis.

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