Chapitre 48 : Arnitan

Par Talharr

Arnitan :

Plus ils avançaient, plus Arnitan sentait une présence, comme un appel invisible. Il en avait parlé à Brelan, Sylros et Calir : tous avaient décidé de suivre son instinct.

Le paysage ne changeait guère, sinon quelques prairies vertes perdues au milieu des terres grises. On était loin des glorieuses cités que Calir leur avait promis. Les bêtes restaient rares ; sans Patan, ils seraient morts de faim. Le chien flairait toujours une piste : une biche, des lièvres, même de gros lézards. Quelques sources les empêchaient de mourir de soif. En évitant les villages, ils se privaient de tout commerce et de tout secours — mais qui viendrait les aider, ici ?

Et puis il y avait Aelia. Depuis la dernière nuit, elle paraissait troublée. Elle lui avait seulement confié avoir revu sa mère, et appris que Dralan avait été évacué sans pertes. Une nouvelle qu’Arnitan avait accueillie avec soulagement : il pouvait encore sauver les siens. Mais il voyait bien qu’elle lui cachait autre chose. Elle riait moins, restait en retrait, fuyait les regards.

    — Tu viens, Patan ? Je crois que quelqu’un a besoin de réconfort.

La langue pendante, la queue battante, le chien bondit à ses côtés. Arnitan passa près d’Arlietta, Lordan et Sairen qui le saluèrent d’un geste, puis rejoignit Aelia. Ses cheveux d’or dansaient au vent, captant la lumière. Il s’arrêta en la fixant. Elle leva les yeux.

    — Qu’est-ce que tu fais ?

    — Oh… rien, répondit-il avec un sourire maladroit.

Arrête, idiot.

Patan vint sautiller près d’elle. En le caressant, elle retrouva un sourire. Arnitan se sentit soulagé.

    — Tu as de la chance d’avoir un ami aussi fidèle, dit-elle.

    — Oui. C’est mon plus vieil ami. Je redoute le jour où nous serons séparés.

Le chien cessa soudain de bondir, comme s’il avait compris. Arnitan détourna les yeux.

    — Alors profitons de chaque instant. Je ne veux plus de regrets.

Il plongea son regard dans celui d’Aelia. Ses joues rosirent.

    — J’ai bien vu que quelque chose n’allait pas. Qu’y a-t-il ? As-tu eu une autre vision ?

Elle hésita, puis sa voix se brisa :

    — Je crois… que j’ai dit adieu à mes parents. J’ai voulu rester encore plus longtemps avec eux, mais je n’ai pas réussi. Je ne suis pas assez forte…

Arnitan se sentit démuni.

    — Je suis sûr que nous les reverrons après notre victoire.

Mais il y croyait à peine.

    — Je ne pense pas que nous en sortirons vainqueurs. Depuis plusieurs jours et surtout après que mes parents m’ont parlé, je sens que quelque chose cloche… mais je ne sais pas quoi.

Si l’Hirondelle doutait, ce n’était pas bon signe.

    — Ma mère a tenté de me dire quelque chose… Le dieu que nous devons vaincre aurait un autre nom.

    — Et l’autre voix dont tu m’avais parlé ? Peut-être une piste ?

    — Elle était glaciale. Comme la mort. Elle a dit que Malkar voulait nous tuer tous, et que la vérité nous attendait au bout du chemin.

    — Peu d’indications, marmonna Arnitan. Tu en as parlé à Sylros ou à Calir ?

    — Pas encore. Je voulais réfléchir avant.

Il posa une main sur son visage brûlant, forçant son regard à croiser le sien.

    — On réussira, Lia. Peu importe comment. Ceux que nous aimons ne souffriront plus.

Les yeux d’Aelia était entré dans une intensité tel qu’il s’y perdit. Sans le remarquer ils s’étaient arrêtés de marcher, ni l’un ni l’autre n’entendait le moindre bruit à part le souffle de l’autre. Une attraction dont il ne pouvait se défaire, malgré son sentiment de trahir. Ils se rapprochaient de plus en plus. Le nez fin de la jeune femme entra en collision avec le sien, leur souffle entrant en contact puis…

     — Eh, vous deux ! On ne traîne pas ! hurla Brelan.

     — Le vieux ronchon a tout gâché, lança Arlietta.

Rouges de honte, ils se séparèrent sous les sourires de la troupe.

Ils se remirent en marche jusqu’à rattraper la bande. Patan, lui, retrouva son entrain, comme s’il partageait leurs sentiments.

Gwenn… ai-je réellement le droit ? Je t’aime… mais mon cœur vacille. Je me sens tellement coupable…

Un léger vent siffla vers son oreille, doux et calme. Comme un : fonce.

Il y eut un long moment de silence où seul les pas et le vent le brisait. Céleste et Arlietta chuchotait entre elles en les regardant les regards brillants.

Elles se sont vraiment bien trouvées toutes les deux, pensa Arnitan.

Plus loin, Arnitan osa reprendre :

    — Il faudra en parler. Peut-être que Sylros ou Calir ont des réponses.

    — Ce soir. Je te promets qu’on leur en parlera à tous.

    — D’accord.

Il s’éloignait quand elle lui attrapa la main.

    — Promets-moi… si quelque chose te menace, tu ne resteras pas seul. Tu fuiras.

    — Fuir ? Nous ne pouvons pas fuir, Lia.

    — Si. Si tu meurs, qui prendra ta place ? Combien d’années avant un nouvel élu ? La Terre de Talharr n’en aura pas le temps.

Elle avait raison. Le rôle d’Hirondelle lui allait mieux qu’à quiconque.

    — Ma mère a dit que si nous échouons, nous devrons survivre, rejoindre Tyril, des alliés, puis l’île de Zyrktos.

    — Quoi ? Personne ne croit en nous ?

    —  Je ne sais pas, Arnitan. Mais s’il te plait fait moi confiance. Je… il y a quelque chose qui cloche. Quoi qu’il arrive nous devons nous rendre à cette tour mais au moindre gros problème il faudra s’enfuir. Promets-le-moi.

Il baissa la tête. Combien de promesses avait-il tenues ? Aucune. Gwenn était morte… Arrivera-t-il à protéger sa famille ?  

    — Je ne peux pas te le promettre.

    — Quoi ?! Mais…

    — J’ai peur que si je le fais, le contraire se produise. Et je ne veux pas tenter le destin.

Ses mains tremblaient. Celles d’Aelia les saisirent doucement. Elle sourit.

    — Alors, merci.

Il hocha la tête.

    — À mon tour : quoi qu’il m’arrive, et même si je ne fais pas ce que tu m’as demandé, tu ne viendras pas à mon secours. Tu partiras avec les autres. Je ne veux pas que tu…

Elle mit un doigt sur sa bouche. Une odeur de pomme verte.

Comment peut-elle encore sentir si bon après autant de jours de marches ?

    — Il ne t’arrivera rien. Je sais me battre. Et je suis magicienne, répondit-elle avec un éclat malicieux.

    — Certes… mais tes sorts n’ont pas l’air très au point, rit-il.

    — C'est pas ma faute si Sylros n’est pas clair dans ses explications !

Leur rire fit tomber la tension. Ils rejoignirent leurs amis. Arnitan subit les taquineries de sa sœur au sujet d’Aelia ; de son côté, Arlietta devait en faire de même.

    — Brelan a vraiment gâché l’instant, mais tu auras une nouvelle chance, j’en suis sûre, glissa Céleste, les yeux brillants.

    — Tu es incorrigible, Cél…

    — Alors tu vas vraiment devenir comte ? demanda Drais.

    — Bien sûr que non.

Céleste allait rétorquer mais Brelan mit fin à leurs bavardages d’un ton sec. D’un geste il demande au groupe de s’allonger, le silence tomba.

L’air devint lourd, presque vénéneux.

    — Qu’est-ce qu’il se passe ? chuchota Gabrielle.

Le regard furibond de Brelan la cloua sur place. Jamais Arnitan n’avait vu la vieille herboriste avoir si peur.

Pendant un court moment il n’y avait plus que leur souffle.

Soudain quelque part autour d’eux des bruits de pas. Pas plus de cinq, se dit Arnitan en écoutant attentivement. Mais les pas ne venaient pas que d’un seul endroit, ils étaient partout.

Les bruits de pas les encerclaient. Pas cinq. Des dizaines. Puis des centaines. La terre vibrait, soulevée par une marche implacable. Une odeur pestilentielle les prit à la gorge.

Allongé, Arnitan serra la main de sa sœur. Des silhouettes se dessinaient dans la nuit, indistinctes. Elles ne venaient pas vers eux, mais avançaient vers la frontière. S’y passait-il quelque chose ?  

Des pas puissants menacèrent de faire flancher les quelques pauvres arbres encore debout qui les protégeaient. Des silhouettes immenses passèrent non loin d’eux. Jamais il n’avait vu d’humains de cette taille.

Son cœur battait la chamade. La peur l’enserrant, comme s'il allait revivre l’attaque de Krieg.

Une ombre passa tout près. Deux yeux jaunes s’accrochèrent aux siens. Arnitan crut voir un sourire. Puis rien. Pas de cris, pas d’acier, pas de sang.

Il inspira enfin, apaisé par la main de Céleste qui le tenait toujours.

Longtemps, ils restèrent immobiles. Enfin, Brelan donna le signal. Les guerriers inspectèrent les abords et annoncèrent que la voie était libre.

    — Qu’est-ce que c’était ? demanda Gabrielle, blême.

    — Aucune idée. Des alliés des mages, peut-être, répondit Brelan.

    — Les créatures de Malkar, dit Sylros. Jadis, elles s’affrontaient sans relâche. Mais on dirait qu’elles ont trouvé un but commun.

Arnitan surprit un sourire sur les lèvres de Calir. Un sourire qui n’aurait pas dû être là. Pourquoi semblait-il heureux ? S’il ne savait pas que c’était Erzic le Serpent, il aurait eu des doutes sur Calir. Pourtant le messager avait prouvé sa valeur. Ses informations avaient été des plus importantes et il s’était proposé pour les conduire jusqu’à leur but. Brelan, Gabrielle, tous lui faisaient confiance. Même Gwenn… Je ne devrais pas douter.

Et pourtant, les paroles d’Aelia revenaient : Il y a quelque chose qui cloche.

Il ne pouvait le nier, à chaque fois qu’il avait parlé ou vu Calir, il se comportait étrangement. D’abord quand il lui avait dit « jeune Loup » puis ses sourires étranges.

Ce soir quand Aelia racontera ce qui lui a été rapporté par sa mère, il le confrontera. Il devait en être sûr.

Est-il vraiment des nôtres ?

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Scribilix
Posté le 22/09/2025
Les doutes sur Calir se confirment, j'espère qu'ils règleront ca le soir avant d'arriver à leur objectif

Un tout petit changement :
- Et puis, il y avait Aelia.
Je continue
Talharr
Posté le 22/09/2025
Il risque de traîner dans les parages aha
Merci pour la suggestion, je modifie ça 😁
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