Comment avait-elle pu l’oublier, lui, l’origine de ses ennuis ? Lui, qui l’avait tant fait souffrir, qu’elle avait tant haï, à qui elle aurait volontiers tranché la tête ?
Elle arracha à un cadavre d’elfe sa chemise pour la déchirer en deux morceaux. Elle les trempa dans l’eau d’un bassin et s’en noua un autour du visage, en se cachant le nez. Alors qu’elle se dirigeait vers l’intérieur, une main puissante la retint.
- C’est trop tard, Myhrru.
- Qu’est-ce que tu en sais, Iwan ? répliqua-t-elle avec véhémence.
- C’est un brasier, tu vas y rester. Tout ça pour un traître...
- C’est à moi de décider. Et je décide qu’il ne mérite pas de crever comme ça. Lâche-moi !
- Je viens avec toi.
- Arrête de jouer les héros, tu me fais perdre du temps !
- Alors laisse-moi t’accompagner, s’écria Elista. Je pourrais t’aider !
- Hors de question de risquer la vie d’une Mystique.
Elle se dégagea brutalement et courut vers le couloir d’où se dégageait une chaleur suffocante. Elle progressa jusqu’à la porte des geôles que les flammes n’avaient pas encore atteinte. Elle se baissa pour échapper à la fumée et ouvrit. Elle descendit l’escalier glissant jusqu’à la seconde porte, verrouillée, évidemment. Elle pesta tout son soûl, et entama de l’ouvrir en se jetant contre avec violence. Alors qu’elle se reprenait, l’épaule en souffrance, elle remarqua un trousseau par terre.
« Quelle idiote ! » Elle se saisit des clés et pénétra enfin dans la pièce où était enfermé Dubhan, mais aussi la troupe du faux Lars. Ils la regardèrent tous avec une grande stupeur dans les yeux. Elle s’approcha de la cage de Dubhan, qui ne bougea pas du fond de sa cellule, totalement décontenancé. Quelques secondes auparavant, il s’était vu mourir, brûlé vif, ou étouffant dans une fumée épaisse, et à présent, la dernière personne au monde à laquelle il aurait pensé était venue à son secours. Il était persuadé qu’elle était là pour l’achever. Elle ouvrit sa porte.
- Dépêche-toi. Mets ça autour de ton cou, couvre ton nez. C’est irrespirable là-haut.
Il s’avança, prit le tissu mouillé et obtempéra, incapable de dire quoi que ce soit. Alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie, le faux Lars apostropha Myhrru.
- Hé ! Tu n’oublierais pas quelque chose ?!
Myhrru se retourna lentement vers lui, ses prunelles étaient devenues aussi noires que la peau de l’elfe. Ce dernier la toisait encore, malgré leur situation. Irrécupérable.
- Quoi ? demanda sèchement la chevaleresse.
- Tu ne vas pas nous laisser crever là quand même ?
- Je ne vais pas vous laisser, non.
Un sourire satisfait se dessina sur le visage méprisant de l’imposteur. Mais il s’effaça aussitôt. Une flèche avait transpercé le front de son comparse à côté de lui.
- Je vais même vous aider, lança Myhrru d’une voix glaciale.
La rage transforma le visage de l’elfe, qui s’agrippa aux barreaux pour cracher toute sa haine. Myhrru ne l’entendait même pas. Elle était concentrée. Une flèche après l’autre, elle gardait la dernière pour cet odieux personnage. Avec précision et rapidité, elle décima le groupe en moins d’une minute. Ne restait plus que la silhouette sombre qui tremblait, criait, secouait les barreaux dans une dernière bataille perdue d’avance. Myhrru saisit du bout des doigts la dernière flèche de son carquois, et lentement, la positionna sur son arc.
- Tu vois, finalement, il n’y aura pas de mariage.
Alors qu’il ouvrait grand sa bouche écumante pour prononcer une ultime insulte, la flèche de Myhrru s’y engouffra et ressortit de l’autre côté pour finir sa course contre la pierre. Elle le regarda s’effondrer, soulagée. Depuis le temps qu’elle rêvait de lui faire fermer sa grande bouche arrogante. Elle pensa à Adelle qui s’en réjouirait certainement.
- Il faut y aller, Myhrru.
Ils remontèrent les escaliers, malheureusement, le feu s’était déjà propagé dans cette partie du couloir. Ils entendaient des grondements, des éboulements. Ils se regardèrent d’un air entendu, et se jetèrent à corps perdus dans les flammes, se baissant le plus possible pour tenter d’échapper aux fumées meurtrières qui leur agressaient les yeux. Ils retinrent leur souffle, car malgré leur protection de fortune, la moindre inhalation leur serait fatale. La chaleur était insupportable. La visibilité nulle. Ils ne pouvaient pas toucher les murs, ardents. Leurs chaussures les protégeaient à peine des brûlures. Leur sortie leur parut interminable. Lorsqu’ils parvinrent dans les jardins, des cris de soulagement et de joie les accueillirent, mais ils n’en profitèrent pas. Ils s’écroulèrent dans le premier bassin qu’ils trouvèrent. Myhrru sentit la fraîcheur de l’eau lui redonner vie. Elle regarda Dubhan qui semblait apprécier tout autant, elle se félicita d’être allé le chercher. Mourir dans de telles circonstances était atroce. Il se releva et lui tendit la main pour l’aider. Il la hissa sans difficulté de sa poigne puissante et planta ses yeux autrefois si durs dans les siens.
- Merci, Myhrru. Je n’ai pas les mots pour exprimer ma gratitude, surtout après tout ce que j’ai fait. Tu es la personne la plus courageuse et la plus honorable que je connaisse. Vraiment, merci.
- N’en fais pas trop, répondit Myhrru un léger sourire aux lèvres. Nous ne sommes pas totalement tirés d’affaire. Kerst reste introuvable.
Il sortit de l’eau et empoigna une épée abandonnée par son propriétaire.
- Qu’il vienne.
- Nous devons partir d’ici, dit Adelle. Nous allons finir encerclés par le feu.
Elle regarda tout autour d’elle, mais il n’y avait plus d’issue. Les entrées du château étaient condamnées, les haies longeant le mur autour des jardins étaient presque toutes atteintes, laissant peu de place et trop peu de temps pour évacuer une centaine d’âmes.
- Venez, je connais une issue.
Adelle suivit Dubhan qui se dirigea vers le fond du parc. Myhrru lui emboîta le pas, ordonnant à tous de les suivre. Elle aussi connaissait ce chemin.
Dubhan s’accroupit vers une plaque d’égout oubliée. Il éclata le verrou pour ouvrir la trappe.
- Après vous, Princesse.
Adelle jeta un regard inquiet vers Myhrru qui hocha la tête. La princesse se glissa alors dans le souterrain, suivie par le reste de la troupe. Dubhan y pénétra le dernier, refermant la trappe après lui.
Ils sortirent dans une rue non loin du château, hors de portée des flammes. Ils marchèrent alors en direction de la place, et eurent la surprise de ne plus y trouver un seul elfe noir debout. Les quelques survivants avaient fui, mais le courage des habitants et des chevaliers avait eu raison des autres. Adelle les félicita chaleureusement. Un silence lourd s’installa, alors que tous levaient les yeux vers le château qui n’était plus qu’un immense brasier qui ne tarderait pas à s’effondrer.
Myhrru s’approcha de son amie et lui prit la main.
- Nous ferions mieux de nous éloigner.
Adelle approuva, un sourire triste sur son visage laiteux. Ils avancèrent vers le sud de la grande place jonchée de cadavres sombres.
Ira s’arrêta subitement et tendit les bras devant eux.
- Ne bougez plus.
Une ombre apparut quelques mètres plus loin. Une silhouette synonyme de terreur et de désespoir. Ira se mit en position de combat. Myhrru arma son arc à côté d’elle. Kerst ne souriait plus. Il avait l’air très contrarié, ce qui n’augurait rien de bon.
Myhrru se demandait par où il était arrivé, il avait l’air d’avoir surgi de nulle part. Quel mauvais tour leur réservait-il encore ?
- Je dois avouer que je suis surpris par votre résistance. Mais ces incapables ont joué leur rôle. Vous êtes à ma merci désormais.
Ses mots résonnèrent dans le vide du silence.
Personne ne parlait.
Personne ne bougeait. Dans l’attente du jugement funeste.