Chapitre 48 - Rien de plus que des souvenirs

Par Keina

— Alors, Tea boy, il vient, ce café ?

En pleine confusion, Ianto, l'ex fantôme, cligna des yeux.

Il ne comprenait rien à ce qui était en train de se passer. Il était toujours dans l'esprit de l'autre Ianto, celui qui était encore vivant – aux dernières nouvelles.

De cela, il était presque sûr.

Il avait tenté de le garder conscient. Il lui avait ouvert les yeux, très brièvement, juste le temps de voir Jack penché au-dessus de lui. « Jack ». C'est ce qu'il avait dit. Et Jack l'avait reconnu, il le savait. Il le sentait. Il avait essayé de dire autre chose, de bouger un membre, de se redresser, peut-être, mais l'autre Ianto était tombé plus profondément encore, et il n'avait rien pu faire.

Il était tombé, lui aussi.

Et quand il s'était réveillé, il se trouvait là. Dans le Hub. À Torchwood 3. Vêtu d'un costume gris anthracite, d'une chemise bordeau et d'une cravate rayée noire et rouge.

Comme avant sa mort.

Comme avant le Jour des Enfants.

Au-dessus de sa tête, Myfanwy avait poussé un cri avant de se replier dans son antre. Il va falloir que je pense à racheter du chocolat, s'était-il dit bêtement, avant de froncer les sourcils. Puis l'alarme se déclencha, la porte blindée s'ouvrit lentement et ils s'introduisirent tous dans le Hub, les uns après les autres.

Gwen d'abord, qui l'avait gratifié d'un clin d'œil.

— Salut, Ianto ! T'es matinal, aujourd'hui !

Puis Tosh était arrivée, avec un sourire lumineux.

— Hey, Ianto, ça s'est bien passé, le raid d'hier ?

Et Owen, à sa suite, la mine toujours renfrognée, comme à son habitude.

— Je vous préviens, j'ai la gueule de bois. Me demandez rien avant mon café du matin. Même si c'est la fin du monde. Surtout si c'est la fin du monde.

Ianto était resté là, tétanisé, pendant que les uns et les autres s'installaient à leur poste de travail.

Alors qu'il s'apprêtait, par réflexe, à accéder à la requête d'Owen, la roue s'ouvrit à nouveau, révélant deux personnes qu'ils ne connaissaient pas.

Ou plutôt, si… Ianto, l'autre Ianto, lui en avait parlé, et il lui suffisait de fermer les yeux pour retrouver dans les souvenirs de son double les visages bien connus.

Une jeune femme brune aux cheveux raides, un visage en cœur et deux yeux noirs scrutateurs, suivie d'un homme blond, un peu BCBG, souriant comme si le monde lui appartenait.

— Salut, salut ! fit-il d'une voix claire, tandis qu'Owen lui renvoyait un grognement tout sauf engageant.

— J'adooore toujours autant ton accueil, Owen. Gueule de bois, toi aussi ? rétorqua sa compagne (Angie, elle s'appelait Angie, se rappela Ianto) avec un sourire narquois.

Elle s'installa sur le poste à côté du médecin comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, et Andrew (ou Andy, c'était bien ça, hein ?) grimpa vers les serres, après avoir saisi un pulvérisateur et un chiffon qui traînaient sur la table basse près du canapé.

— Alors, quoi de neuf, l'équipe ?

— J'attends toujours que le larbin me fasse mon café, répliqua Owen à sa voisine. Aïe ! Angie ! T'es violente !

Angie venait de lui mettre un coup de poing dans l'épaule qu'il se frottait maintenant d'un air souffreteux.

— Je t'ai déjà dit de ne pas parler de Ianto comme ça. Même ce Ianto. Il a quelque chose à accomplir ici, laisse-lui au moins le temps d'assimiler tout ça !

— Oh oui, c'est vrai ! C'est un grand jour pour toi, Ianto ! s'exclama Tosh, son sourire toujours accroché à ses pommettes. Tu penses que tu vas y arriver ?

Ianto l'observa, déconcerté. Seigneur, comme elle lui avait manqué, durant tout ce temps ! Ils lui avaient tous manqués. Combien d'années passées à errer sous les pavés de Cardiff, comme l'âme en peine qu'il était ? Il l'ignorait. L'éternité, lui semblait-il.

Mais même l'éternité n'était pas éternelle, finalement.

— Arriver à faire quoi ?

Il avait posé la question à tout hasard. Tout lui paraissait tellement… irréel. Comme dans un rêve.

Un rêve merveilleux et improbable.

Angie roula des yeux, et Gwen se détourna de son écran pour lui répondre.

— Tu dois l'aider, Ianto, déclara-t-elle d'une voix grave. Tu dois tous nous aider.

— Qui ça ? Jack ? Et qu'est-ce que vous êtes, au juste ?

— Nous ne sommes rien de plus que des souvenirs dans l'esprit de Ianto, déclara Angie un peu tristement, avant d'ajouter : Mon Ianto. Celui que tu dois sauver.

Elle appuya son propos d'un signe de tête vers le haut. Ianto suivit son regard vers le centre du Hub, juste à côté de la tour d'eau.

Là, au cœur d'un halo d'or qui l'englobait tout entier, il y avait… lui. Son autre lui.

Flottant debout au milieu d'une drôle de bulle d'énergie scintillante, entièrement nu, il semblait inconscient, la tête relâchée sur son torse, les bras le long du corps.

Ianto béa.

— Ouais, pas très beau à voir, hein ? fit remarquer Owen en réprimant un bâillement. Va falloir que tu le sortes de là. T'es là pour ça, après tout.

— Jack et les filles ne devraient pas tarder. Ils t'aideront, rajouta Tosh gentiment.

— Je…

Il n'eut pas le temps de continuer. L'alarme retentit, une fois de plus, et la roue dentelée se mit en branle, révélant deux nouveaux venus – non, trois. Derrière deux jeunes femmes (encore des personnes de l'entourage de son double, déduisit Ianto en les détaillant toutes les deux), il y avait Jack.

Jack, son Jack. Pas celui dont il se souvenait, non. Pas le Jack flamboyant qu'il avait fantasmé durant tout ce temps passé dans la non-vie. Ce Jack semblait plus vieux, plus soucieux. De nouvelles rides étaient apparues sur son front et au coin de ses yeux. Son sempiternel manteau bleu de l'armée paraissait plus râpeux, lui aussi.

Poussiéreux. Fatigué.

C'était l'homme qu'il avait entraperçu dans la cave, puis dans l'antre du Collectionneur, juste avant d'atterrir… ici. Où que soit ce « ici ».

Ce Jack-là était réel, bien réel.

Et la façon dont il s'était arrêté à l'entrée du Hub pour l'observer à son tour prouvait qu'il l'avait reconnu, lui aussi.

Qu'il avait compris qui il était.

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