Cattleya partit donc à l’opposé pour rejoindre le bourg et franchir la foule en se dirigeant vers la caserne. L’humaine disparue en bousculant les villageois. Thash soupira. Elaron se dit qu’ils ne pourraient pas s’en aller sans prévenir Lucan. Il espérait que Cattleya soit partie à sa recherche. Thash réfléchit quelques secondes, bien énervée, et à contrecœur s’inclina légèrement avec une grimace qui devait s’apparenter à un sourire.
— Voilà, si vous insistez, jeta-t-elle avec un grognement dans le fond de la gorge. Est-ce que je pourrais vous demander votre aide, afin de résoudre le problème dans la forêt ? La requête vous semble-t-elle mieux ainsi ?
Ymir était heureuse d’entendre enfin de belle parole polie. Elle se satisfaisait également d’avoir fait plier une telle créature.
— J’aime bien lorsque l’on s’incline face à moi, répliqua Ymir avec un air de dédain. J’adore !
Elaron était encore plus inquiet en voyant le sourire forcé du demi-orc. Elle semblait bien plus terrifiante. Il effectua un pas en arrière sans s’en rendre compte. Isil se voulait toujours rassurante et garda le calme. Ymir restait sur ses gardes. Elle ne souhaitait pas relâcher sa vigilance et conserva son épée en main.
— J’escompte toujours que tu nous relates la situation dès maintenant et ici. Je ne désire pas me rendre dans la forêt. Je ne voudrais pas salir mes bottes inutilement.
— Est-ce une urgence ? s’enquit Isil qui était la seule à remarquer l’inquiétude de la demi-orc.
— Oui ! déclara-t-elle soudainement.
Un nouveau silence apparut autour d’eux. Le vent soufflait dans le dos de Thash et tous attendaient plus d’explication de sa part.
— Toute notre guilde de druide est éteinte. Il ne reste que moi et…
— Tu es vraiment une druidesse ? s’étonna Elaron qui repensait à la menace.
Lors de leur expédition dans la forêt, Ymir en était venue à la conclusion que le mal qui rongeait le bois aux lianes était lié à la magie des druides. L’arrivée de cette demi-orc était encore plus mystérieuse et inquiétante pour le groupe. Thash expliqua qu’il ne restait plus que deux ou trois d’entre eux pour protéger leur lieu féérique. Tous les autres avaient été exterminés. Elle précisa que le danger était réel et la fin de la forêt imminente.
— C’est de votre faute si cet élan a été contaminé, affirmait presque Ymir.
— Non, j’ai tenté de l’arrêter ! J’en ai subi les conséquences, répliqua Thash.
Elle montra ses veines qui étaient noircies comme celle de Grivault la veille. Ymir avança pour essayer de l’inspecter.
— J’ai entrepris tout ce que j’ai pu. L’infection est bien trop forte ! reprit Thash.
Les traces d’affliction sous sa peau avaient l’air plus anciennes. Elaron s’approcha à son tour pour regarder et saisit que c’était une cicatrice plutôt qu’une corruption récente comme celle de Grivault. Le demi-elfe en conclut qu’elle n’était pas en danger actuellement, mais sans savoir pourquoi. Les effets avaient été neutralisés.
— Je remarque que vos stigmates sont différents de celles d’un de nos compagnons, annonça Elaron en montrant du doigt les marques. J’aimerais comprendre pourquoi. Pouvez-vous guérir ce poison ou en êtes-vous à l’origine ?
— Bien sûr que non ! grogna Thash qui claqua des dents en faisant reculer Elaron. Mais j’ai réussi à l’arrêter sur moi-même en l’étudiant et en tentant de sauver certains druides. J’ai seulement pu me secourir, moi. Les autres étaient trop atteints.
— Dans ce cas, pourquoi avoir besoin de nous si vous savez désormais soigner cette infection ? demanda Elaron qui avait repris place auprès d’Isil.
— Pour vaincre la source ! annonça Thash en créant une lourde atmosphère autour d’eux. Si vous avez détruit cet élan, ensemble nous pourrons en venir à bout !
— Comment nous en débarrasser ? réclama Elaron.
— Je ne sais pas. La seule fois où nous avons essayé de nous en approcher avec Nuth, des monstres nous ont attaqués. Nous n’avons pas pu aller plus loin. Nous étions bloqués, jusqu’à ce jour. Je ne savais même pas que le village était de nouveau habité. En détruisant l’élan, cela nous a permis de vous rejoindre.
— Et pendant la guerre des mages, dans quel camp étiez-vous ? intervint Ymir intriguée.
— Notre clan a toujours été la forêt et le sera toujours ! Elle a subi bien trop de dégât pour prendre part à ces histoires. Je m’occupe de ce problème, c’est déjà pas mal, répondit Thash agacée par l’interrogation. Et je pense que vous êtes mal placée pour me poser la question !
— Et les gens de votre race ? lança un paysan au loin. Où étaient-ils ?
— Si vous parlez des druides, dans la forêt !
— Non, je parle des orcs !
— Je ne me souviens pas de ma famille, donc je ne pourrais pas vous répondre.
Isil se retourna pour empêcher les villageois, maintenant très proches, de parler de nouveau et de s’avancer. Elle ne voulait pas que l’un d’eux ne crée un conflit inutile.
— Ça me semble être une requête sensée, annonça Elaron convaincu. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
— Nous devrions demander à Lucan, déclara Isil.
— J’aimerais juste savoir où nous allons, exigea Ymir.
— Au cœur de la forêt ! répondit Thash. C’est tout ce que je sais. Cela peut prendre une demi-journée, voir deux jours. Je ne sais pas.
— Très bien, je pars retrouver Lucan et Cattleya, annonça Ymir.
— J’attends votre retour ici, répliqua Thash.
En regardant la foule, Thash ne souhaitait pas rentrer dans le village. Elle resta à la lisière des champs et fut prête à se défendre en cas d’attaque. Isil et Elaron progressèrent près de la demi-orc, comme pour approuver sa venue et dissuader quiconque. Ymir s’élança dans le flot de gens et en profita pour leur demander de se disperser et de regagner leurs tâches et la reconstruction du village.
Cattleya repéra Lucan facilement au-dehors de la caserne. Il se trouvait avec des miliciens et des bâtisseurs. Devant lui étaient disposés des documents, des feuilles de calcul, de nouveaux parchemins tout juste ouverts, ainsi que de récents plans de construction. Il donnait ses nouvelles instructions aux bâtisseurs, tandis que les soldats attendaient les ordres. Lucan commença à commander, mais Cattleya arriva près de lui pendant qu’il harnachait son armure.
— As-tu deux minutes ? demanda Cattleya en déviant de sa trajectoire.
— Cattleya ! appela-t-il en voyant son amie et en s’éloignant de la table. Pardonne-moi, mais non. Je suis occupé.
— Très bien, alors je t’accompagne.
— Raconte quand même, continua-t-il en se dirigeant avec ses miliciens vers la muraille est.
— Une demi-orc vient de débarquer à l’entrée du village, jeta l’occultiste sans préambule.
Lucan s’arrêta immédiatement. Il regarda avec intensité son amie pour s’assurer qu’elle n’essayait pas juste d’attirer son attention. Seulement, elle ne pouvait pas lui mentir. Alors Lucan comprit la gravité de la situation.
— Les épées ! Les épées ! Avec moi !
— C’est une druidesse et elle est seule. Inutile de paniquer, nous pourrions en venir à bout, reprit Cattleya pour l’apaiser. Elle a des soupçons sur la malédiction qui ronge la forêt, mais je ne sais pas si l’on peut lui faire confiance.
Trois soldats de la garde de Lucan avaient dégainé leurs épées et s’étaient précipités vers eux.
— Arrêtez ! Calmez-vous ! s’écria Cattleya. Vous n’avez aucune raison de vous affoler à ce point-là.
— Cattleya a raison ! Les druides étaient nos alliés avant la guerre. Nous devons absolument reprendre contact avec eux, annonça-t-il. Est-elle encore là ?
— Sauf si les autres l’ont suivie dans la forêt, elle doit être à l’entrée sud.
— Emmène-nous la voir !
Lucan et Cattleya rejoignirent la porte accompagnés de toute la milice et ils croisèrent le chemin d’Ymir. Sur la route, Lucan jeta un œil sur son amie et se rappela une chose.
— Cattleya, au cas ou j’aurais oublié de te le dire, bienvenue chez toi !
— Mon nouveau chez-moi me manque, répondit-elle. Je détiens encore une tâche à accomplir avant de m’installer définitivement quelque part.
— Cela aura meilleure mine bientôt, rajouta Lucan pour la convaincre. Nous allons rouvrir la mine dans quelques jours pour extraire des pierres et reconstruire la muraille.
Ils arrivèrent en groupe vers les remparts sud. Une foule de gens s’étaient amassés sur la route principale, empêchant Lucan de distinguer quoi que ce soit. Il tenta de se frayer un chemin parmi son peuple et parvint à l’avant. Il fut interloqué à la vue de la demi-orc. Il n’en avait pas revu depuis la guerre. Il reprit ses esprits en apercevant Ymir et Cattleya à ses côtés. Il demanda aux habitants de se disperser et marcha avec fierté devant cette étrangère. Il voulait montrer sa force et son courage en bombant le torse.
— Bien le bonjour, druidesse ! Je suis Lucan Pierrebière. Je dirige les efforts de reconstruction de Gondalfen.
Thash frappa au sol le manche de sa lance pour l’empêcher d’avancer plus près. Elle grogna sur les villageois trop proches et leur lança un regard de désapprobation. Lucan se retourna et fit un signe très léger à ses gardes. Ces derniers repoussèrent le peuple en les dispersant. Une fois la foule un peu plus éloignée, la demi-orc put s’exprimer.
— Enchantée ! énonça-t-elle avec un raclement de gorge.
— De même. Quelle est la raison de votre venue ? Nous n’avions pas réussi à reprendre contact avec les vôtres depuis notre retour.
— Moi-même, je pensais que le village était toujours détruit et abandonné.
— Il l’était, il l’est… encore. Mais nous sommes revenus voici quelques mois pour tenter de réinvestir notre foyer. Certains de nos cueilleurs et chasseurs avaient remarqué quelques étrangetés dans la forêt, jusqu’à malheureusement hier. Nous avons perdu une membre estimée de notre communauté due à quelques maux mystiques ou magiques, je ne sais rien de ces choses. Avez-vous un moyen de contrer ce mal ?
— J’aimerais y croire, mais je crains que je n’y puisse rien. Pas seul en tout cas. Voilà pourquoi j’ai besoin de ces quatre-là.
Thash lança un hochement de tête en direction des quatre aventuriers pour les désigner. Ymir fut outrée par l’attitude désinvolte de la demi-orc. Cattleya doutait des intentions de cette créature et elle resta proche de Lucan. Isil prit une grande inspiration pour avoir les idées claires et réfléchir. Elaron semblait un peu plus rassuré en voyant le calme de Lucan et savait qu’il prendrait la bonne décision.
— Je ne suis pas leur maître, reprit Lucan. Ils demeurent libres de leurs agissements.
Cattleya attrapa le bras de Lucan pour lui parler sans être entendue par la demi-orc.
— Je te propose une chose simple. Enferme là le temps que nous explorions l’endroit qu’elle nous indiquera. Nous pourrons alors vérifier ses affirmations et éviter de tomber dans une embuscade.
— Si d’autres membres de sa guilde sont encore vivants, je n’aimerais pas avoir à m’expliquer sur notre comportement, répondit-il.
— Emmène-la à l’auberge, si cela te semble plus correct et peut te rassurer.
— Tu penses à Ludwig ? Il ne voudra jamais rien lui servir.
Thash scruta Ymir avec une étrangeté et un regard soutenu. Elle songea que cette tieffeline n’était pas ordinaire, car elle avait choisi un drôle de camp. Elle parcoura avec plus d’attention les broderies sur les vêtements d’Ymir et envisagea quelque chose.
— Druidesse ! appela Lucan à voix haute et forte l’obligeant à quitter ses pensées. Quelles sont vos intentions ?
— Ôter la corruption de la forêt ! répondit Thash d’un ton clair.
— Vous n’avez nul grief envers nos quatre aventuriers ?!
— Sinon je ne serai pas venu leur demander leur aide, lança-t-elle simplement.
— Que faisons-nous ? réclama Elaron à voix basse.
— Avec Arma parti, Grivault diminué et une garde composée de citadins, je ne peux pas me permettre d’envoyer des novices récupérer des vivres dans la forêt. Surtout maintenant que je sais à quel point elle est dangereuse, chuchota-t-il avant de reprendre une voix perceptible. Est-ce que les vôtres nous laisseraient disposer de la forêt à côté du village si nous vous aidions ?
— Pour y accomplir quoi ? grogna encore Thash.
— Exploiter les peaux, le bois, pas plus que nous en avons besoin pour reconstruire le village.
— Tu es sincèrement en train de négocier, demanda Cattleya en se tournant vers son ami.
— Il a raison, avoua Elaron.
— Ça pourrait être une bonne occasion, accentua Isil.
— Nous verrons déjà si nous nous en sortons avec ces quatre-là ! lança Thash.
— Vous semblez un peu trop nous sous-estimer, ma dame, entama Elaron avec noblesse. Il est vrai que nous avons vaincu un élan sauvage.
— Je veux bien donner, intervint Ymir avec une expression de colère et en fixant la demi-orc. Mais vous allez devoir nous rendre en retour !
— J’ai vécu toute ma vie dans la forêt, se confia Thash, et regardez ce qui m’est arrivé !
— Il est difficile de faire face à une menace dont on ignore tout, lança Isil pour réconforter cette druidesse.
— J’envisage d’aider, mais elle doit en faire de même, reprit Ymir avec fermeté. Lucan a présenté une demande raisonnable. C’est tout !
— Alors soit. Tant que cela reste dans le cadre du besoin et non de la surexploitation, accepta Thash avec un visage fermé.
Lucan émit un petit temps d’attente avant de lui répondre.
— Non jamais, répliqua-t-il avec une expression étrange.
Isil fut choquée. Jamais elle n’aurait pensé voir une telle expression sur les traits de son ancien compagnon de guerre. Thash le regarda avec intensité pendant un long moment afin de discerner les véritables intentions de l’homme. Lucan se mit à avoir peur et décida qu’il ne devait pas entamer des négociations avec ce peuple, ainsi.
— Vous avez ma parole, relança-t-il d’un air plus apaisé et sincère.
— De toute façon, si vous manquez à votre parole, alors la nature reprendra ses droits, provoqua Thash.
Un garde arriva près de Lucan et lui murmura un son inaudible à l’oreille. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de l’homme.
— Très bien merci ! Mes amis, avez-vous pris votre matériel ? demanda Lucan, recevant l’approbation de tous, puis en se retournant vers Thash. Cette quête est-elle urgente ?
— Oui, répondit-elle. Nous devrions partir dans la journée, mais je peux attendre encore quelques instants si vous avez besoin de vous préparer.
— Très bien, Cattleya, Ymir, allons voir Gahorn. Il est revenu !
Isil et Elaron échangèrent un regard. Ils songèrent que ce n’était peut-être pas les mieux placés pour discuter avec l’arcaniste. Seulement l’instant d’après, ils étaient déjà en route vers l’échoppe au nord en se précipitant. Isil et Elaron restèrent avec la druidesse pendant que la foule se reformait.