Assise sur son lit, Solola profitait d’une matinée libre de cours pour s’octroyer un moment à elle. La grâce matinée prévue n’ayant pu avoir lieu pour cause de couloirs bruyants, elle avait finalement décidé de se replonger dans ses livres. Depuis son arrivée à la Deter, impossible de terminer le moindre livre. Les premières semaines, elle avait concentré toute son énergie à se sociabiliser (même si son cercle d’amis ne s’étendait qu’à une personne) ainsi qu’à s’adapter à son nouvel environnement. Marcelin avait raison, les emplois du temps étaient plutôt légers et les cours, pour la plupart, intéressants.
Solola avait tout de même dû trouver des parades pour mieux supporter les deux moments hebdomadairement tendus : le coaching et les sessions de réalité virtuelle. Elle s’appliquait désormais à ne regarder Théia Jensen dans les yeux que lorsque la réponse qu’elle souhaitait apporter était parfaitement claire dans sa tête. Elle se concentrait alors pour ne penser qu’à ce qu’elle était en train de dire et à ne surtout pas laisser son regard vagabonder. Lorsque Théia Jensen formulait une nouvelle question, Solola baissait les yeux afin d’éviter toute pensée parasite. Sentant le regard fuyant de l’étudiante, Mme Jensen, qui n’était pas née de la dernière pluie, lui avait signifié qu’elle la trouvait assez dissipée.
Solola s’était préparée à ce genre de remarques et avait avoué se sentir gênée par son intervention orageuse de la semaine précédente. Cette excuse, bien que crédible, n’était pas tout à fait sincère. A défaut de se sentir gênée, Solola regrettait surtout d’avoir éveillé les soupçons de sa coach.
À la suite de cette réflexion, Solola qui se savait démasquée, changea de tactique. Laisser à Théia Jensen libre accès à ses pensées était impensable. Les sessions de réalité virtuelle suivantes auraient été particulièrement éprouvantes et Solola n’avait aucune propension au masochisme. Rien dévoiler, au contraire, pouvait la mettre à risque d’une expulsion pour manque d’implication. Avant chaque coaching, elle préparait donc une supposée vérité à révéler au milieu d’un fleuve de banalités. Elle avoua ne jamais avoir fait le deuil de son chat (mort lorsqu’elle avait 2 ans … mais elle avait vu des photos), être profondément en colère contre ses parents qui ne lui avaient donné ni frère ni sœur, rêver tous les soirs qu’elle se faisait poursuivre par une carotte démoniaque géante etc … Il lui suffisait ensuite d’anticiper les différents scénarios possibles pour la prochaine séance de réalité virtuelle. Contrôler le thème de ces séances lui permettait de réagir avec un peu plus de recul, même si le produit qui lui était injecté lui faisait perdre conscience de la réalité. Théia Jensen était une femme intelligente et elle arrivait tout de même toujours à orienter les séances de réalités virtuelles vers des thèmes qui la touchaient profondément. Les faux indices utilisés par Solola ne faisaient que brouiller les pistes et empêcher toute frappe précise. A défaut de passer un moment agréable en compagnie d’Eustache Nawal, cette tactique lui permettait tout même d’être mieux armée.
En plus de se savoir observée de l’intérieur et analysée, ce qui était déjà en soi une expérience plutôt envahissante, il s’agissait des deux seuls moments où elle se retrouvait seule en tête à tête avec un enseignant. En Classe Elémentaire Solola avait pris pour habitude d’appliquer scrupuleusement l’expression « pour vivre heureux, vivons cachés », ce qui n’était jamais très compliqué car dans chaque classe se trouvait au moins un extraverti qui levait la main plus vite que son ombre.
Pour la première fois cependant, elle avait effectué une erreur de calcul : l’extraverti en chef de la Deter n’était autre que Marcelin. Elle aurait dû s’en douter : quel genre de personne engage la conversation avec une nouvelle arrivante paumée en lui parlant de saule pleureur malheureux, si ce n’est un leveur de bras compulsif ! Impossible donc de passer inaperçue lorsqu’on est « la fille à côté de Marcelin », et ce malgré le peu de cours qu’ils partageaient. Il avait toujours une précision à demander, un avis à donner, une idée à partager.
Ce qui semblait plus étonnant, c’était la capacité de Marcelin à ne pas voir ou, du moins, à ne pas prêter attention aux moqueries qui pouvaient entourer ses interventions. Rien de flagrant, mais tout se jouait dans les regards exaspérés, les coups de coudes et les petits sourires en coin distribués à son passage. Si Solola les voyait, comment pouvait-il ne pas les remarquer ? Et pourtant, Marcelin réagissait toujours avec un flegme à toute épreuve des plus déroutants. Pourquoi Marcelin ne se défendait-il pas ? Si ce n’était pas de la timidité, peut-être était-ce un manque d’amour propre. Dans tous les cas cette situation insupportait de plus en plus Solola et elle se promit d’intervenir lorsqu’elle en aurait l’occasion. Marcelin était peut-être un peu étrange, mais elle ne supportait pas qu’on puisse prendre sa bienveillance pour une naïveté dont on pouvait abuser.
Solola lisait depuis moins d’une demi-heure lorsque son Holopad se mis à vibrer. L’appel provenait de ses parents. Malgré leurs tentatives régulières, elle ne leur avait répondu que peu de fois, prétextant un emploi du temps surchargé. En réalité, et contre toute attente, Solola appréciait cette nouvelle indépendance (toute relative sachant qu’elle se cantonnait la plupart du temps à l’enceinte de la Deter) et elle avait eu à cœur de mettre un peu de distance avec son ancienne vie afin de mieux s’emparer de la nouvelle. A bien des égards, son nouvel environnement lui était plus doux encore que sa vie à Jeridor et elle ressentait le besoin de se concentrer sur elle-même et celle qu’elle voulait devenir, indépendamment des ambitions de sa mère et de la surprotection de son père.
Cette fois-ci, comme elle n’arrivait de toute façon pas à se concentrer sur son livre, elle répondit à l’appel. Tels deux ectoplasmes, Azéline et Firmin se matérialisèrent dans la chambre de Solola.
- Bonjour ma fille ! s’exclama Firmin. Alors comment ça va dans la capitale ? Tu es toujours en pyjama ? Il y a un décalage horaire entre Panoï et Jeridor maintenant ?
- Pas du tout, c’est juste que je n’ai plus aucune affaire propre. Je vous ai envoyé mon linge sale par courrier et en attendant je traîne en pyjama. L’adolescence quoi.
- C’est très drôle ma chérie mais tu n’as plus l’âge d’être une adolescente contrairement à ce que ta chambre a l’air de vouloir nous dire, répliqua Azéline.
En effet, Solola n’était pas particulièrement adepte du rangement, convaincue de retrouver plus facilement ses affaires en les entreposant sur le sol. Azéline se dirigea vers la fenêtre en faisant le geste d’écarter les rideaux, ses mains se refermant dans le vide.
- Oh je me fais toujours avoir … un peu d’aide s’il te plait ? Histoire de mettre un peu de soleil dans cette chambre.
Solola se leva et écarta les rideaux, dévoilant un ciel nuageux mais d’une luminosité aveuglante.
- Bon alors comment ça se passe la Détermination ?
- Ça va, ça se passe bien, les cours sont intéressants mon studio est sympa et on mange bien.
Pour donner suite à ce résumé très succinct et afin d’éviter les questions qui l’engageraient à entrer dans de longues tirades sur le contenu des cours, Solola préféra enchaîner en leur renvoyant la balle.
- Et vous alors comment ça se passe à la maison ?
- Ah si tu savais … ton père nous fait un syndrome du nid vide ! Il disparaît pendant des heures et je le retrouve dans ta chambre à regarder des vieilles photos.
- J’ai surtout trouvé la technique pour que ta mère me laisse un peu tranquille si tu vois ce que je veux dire, rétorqua Firmin en cachant sa bouche de sa main.
Azéline lui donna un léger coup de coude en souriant.
- Tu parles … Il fait le malin mais je me méfie, un de ces jours il va vouloir te faire un petit frère ou une petite sœur. Ce qui n’arrivera pas je te préviens tout de suite !
Firmin ouvrait la bouche pour riposter lorsqu’il fut interrompu par de légers coups à la porte. Quelques secondes plus tard Marcelin entrait en saluant les visiteurs, gêné d’interrompre la conversation. Firmin se retourna vers sa fille avec un large sourire.
- Oh ! Voici « l’emploi du temps surchargé ».
Il saisit sa femme par le bras.
- Aller on y va, au revoir !
Firmin secouait si énergiquement la main en y intercalant, à intervalles réguliers, de si lourds clins d’œil qu’on aurait pu croire à un bug de l’Holopad. L’appel se conclut sur les objections d’Azéline, qui regrettait de ne pas avoir parlé plus en détails de la vie de sa fille, et les protestations de Solola quant à l’attitude très gênante de son père.
- Désolée, marmonna Solola.
- Oh c’est moi qui suis désolé, j’aurais pu repasser plus tard. J’ai l’impression d’avoir un peu coupé court à la conversation.
- Non t’inquiète. Ils étaient … pressés.
- OK … On va manger ? A ce qui parait la cafet est métamorphosée. Ils ont embauché une serveuse hyper douée pour repenser l’espace et tout le concept !
Solola lança un regard circonspect à Marcelin avant de chercher du regard des vêtements rapides à enfiler.
- Repenser le concept de … manger ? Ça promet !
Solola s'affirme davantage, on la sent mûrir au fur et à mesure des chapitres, sans que cela paraisse forcé : elle est obligée de sortir de sa coquille pour son ami, et elle va même devoir affronter les autres pour le défendre... J'ai hâte de voir ça !
Sur la forme :
- la réponse qu’elle souhaitait apporter étaient parfaitement claire => était
- Solola s’était préparée à ce genre de remarque => je mettrais un « s » à remarques
- Les sessions de réalité virtuelle suivantes aurait été particulièrement => auraient
- Elle aurait dû s’en douter : quel genre de personne engage la conversation avec une nouvelle arrivante paumée en lui parlant de saule pleureur malheureux, si ce n’est un leveur de bras compulsif. => j'aurais mis un point d’interrogation en fin de phrase
- elle se promis d’intervenir => se promit
- L’appel se conclu sur les objections d’Azéline, => se conclut
Point bonus pour le père qui apporte toujours sa touche d'humour !
Je suis contente que l'évolution de Solola se ressente sans que ça soit forcé ! Pour Marcelin c'est amusant que les avis soient plus partagés et évoluent d'un chapitre à l'autre, je l'ai voulu "bizarre" donc forcément on est plus ou moins réceptif à son extravagance :)
Merci encore pour tes remarques sur la forme, je vais modifier ça :)
( Firmin te remercie, il est très touché que tu apprécies son humour, ce qui n'est pas le cas de tout le monde *lance un regard en biais à sa femme*)
Merci pour ton commentaire ! C'est amusant car en le relisant cet après-midi j'étais pas du tout convaincue donc je l'ai beaucoup retravaillé :)
Ah je suis contente que le développement de Solola continu à se ressentir ! Dans les prochains chapitres je vais de plus en plus la faire sortir de sa zone de confort pour l'obliger à s'affirmer encore plus ;)
En tout cas merci pour tes retours hyper rapides à chaque fois ! J'espère que la suite sera à la hauteur !