Malgré son scepticisme, en arrivant dans le réfectoire rénové Solola ne put retenir son étonnement. Les murs n’avaient pas bougé, la cafet était toujours au même endroit, et pourtant elle paraissait avoir doublé de volume. Autrefois simple mais sombre, la pièce était à présent baignée de lumière. Les couleurs des murs et du mobilier avaient été choisis avec goût et chaque espace était optimisé. Solola avait mangé à cet endroit même quelques jours auparavant, et pourtant il lui semblait impossible d’imaginer l’endroit autrement que dans son état actuel. Chaque chose avait trouvé sa place et les anciens meubles se mélangeaient aux nouveaux dans une harmonie parfaite.
- Woaw ! souffla Marcelin.
Toute à sa stupéfaction, Solola en avait presque oublié la présence de son ami à ses côtés. Elle se tourna vers lui afin d’abonder dans son sens mais réalisa que, contrairement à ses propres yeux qui papillonnaient de droite à gauche à la recherche de nouveaux repères, ceux de Marcelin étaient parfaitement fixes. L’objet de toute son attention semblait accaparé par un seul et unique point, sur le côté de la pièce, derrière le bar. Solola remarqua alors une jeune femme, qui devait avoir à peu près le même âge qu’eux mais qu’elle n’avait pas le souvenir d’avoir déjà croisé. Elle était aussi éblouissante que la décoration du nouveau réfectoire. Sa silhouette longiligne se terminait par un visage d’une parfaite symétrie, encadré d’une crinière dorée. Chaque geste semblait étudié et mu d’une parfaite douceur. Son métier laissait deviner un talent de Productrice. Cependant, aux vues de son physique irréprochable, Solola pressentait qu’elle devait également avoir obtenu un bon score de Somaster. Au milieu de cette immense pièce ensoleillée, elle semblait rayonner encore d’avantage. Elle ressemblait à un immense tournesol, et Marcelin la regardait comme s’il espérait désespérément être le soleil qui attirerait son regard.
Cette nouvelle arrivée était certes, jolie, mais Solola n’éprouvait pas la même admiration que Marcelin pour cette perfection qu’elle jugeait trop lisse pour être touchante. Devant sa réaction à lui cependant, elle fut presque étonnée de ne pas encore voir de filet de bave couler le long de son menton.
- Ah ba enfin ! enchaina Marcelin, qui semblait être revenu de son absence. Je me demandais quand elle allait arriver. Tu viens, je vais te présenter ?
- Tu la connais ? répondit Solola avec étonnement.
- Bien sûr, c’est la femme de ma vie !
De toutes les réponses possibles et imaginables, Solola ne s’était clairement pas attendue à celle-ci. Marcelin avait l’air très sûr de lui, mais les préjugés qu’elle avait inconsciemment acquis tout au long de sa vie ne lui permettaient pas d’envisager quoi que ce soit entre Marcelin et le Tournesol. Ils étaient l’opposé l’un de l’autre. Et puis si Marcelin avait une copine, il lui en aurait déjà parlé, même s’il est vrai que la question de leur vie sentimentale respective n’avait pas encore été abordée.
- Mais … elle est au courant ?
Marcelin ignora la question ironique de Solola. Lui adressant un large sourire et la prit par la main afin de l’entrainer d’un pas décidé vers le comptoir derrière lequel était planté le Tournesol.
La jeune femme les accueillit avec le même large sourire qu’elle avait adressé à chacun des étudiants mais pour Marcelin, il ne faisait que confirmer la réciprocité de son coup de foudre.
- Bonjour et bienvenus, je m’appelle Palmyre et je suis la nouvelle gérante de l’espace restauration. Vous trouverez les entrées sur votre droite, les plats au centre de la salle et les desserts de l’autre côté. Je vous conseille de vous servir au fur et à mesure du déroulé de votre repas afin de pouvoir adapter au mieux, vos choix en fonction de votre faim. De plus, chaque choix est muni d’un code que vous pouvez scanner avec votre Holopad et ainsi connaitre tous les ingrédients, les allergènes et les calories du plat.
Solola avait à peine écouté ce que le Tournesol racontait. Sa voix était claire et agréable mais sa présentation avait quelque chose de robotique. Sa bouche bougeait très vite contrairement au reste de son corps, et ses yeux allaient de Marcelin à elle en suivant une cadence plus régulière qu’un métronome. Cela faisait certainement plusieurs heures qu’elle répétait ce même laïus et pourtant elle y mettait toujours autant d’énergie. Une énergie douce et puissante à la fois accompagnée d’un large sourire qui ne se relâchait jamais sans toutefois se crisper. Solola se demanda si une paralysie faciale pouvait se déclencher pour cause de sourires trop prolongés.
Il lui était impossible de se souvenir de son prénom. Elle savait pourtant que le Tournesol l’avait mentionné. Ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait et Solola se dit qu’il vaudrait peut-être mieux qu’elle commence à écouter ses interlocuteurs au lieu de les analyser.
Elle n’avait pourtant pas pu s’en empêcher : ce genre de personne fascinait Solola. Elle dégageait une telle aura, elle respirait la confiance en elle. Le Tournesol venait d’arriver et pourtant elle avait l’air d’être ici chez elle, comme si cette pièce lui appartenait. Solola se dit qu’elle aurait pu envier sa beauté et son charisme, mais elle était surtout soulagée de ne pas attirer vers elle tous les regards comme c’était le cas pour le Tournesol.
Marcelin, quant à lui, avait toujours l’air captivé (ou lobotomisé, au choix). Son regard était habité de mille feux d’artifices mais son air hébété fit penser à Solola qu’elle ne devait pas être la seule à n’avoir rien écouté.
- Madame Palmyre, je suis tout à fait d’accord avec tout ce que vous venez de dire, déclara solennellement Marcelin. Je vous propose d’ailleurs que nous approfondissions cette conversation passionnante cet après-midi, lors d’une visite pri-va-tive du fabuleux parc de notre Deter.
Solola observait Marcelin avec curiosité et ne put retenir un petit sourire. Malgré sa propre inattention, elle avait la certitude que le Tournesol n’avait rien dit qui puisse attendre une telle réponse. Marcelin n’avait donc peut-être pas plus écouté qu’elle, mais au moins, il avait retenu son prénom.
Solola n’avait jamais vu son ami dans cet état-là. Elle était aux premières loges d’un spectacle particulièrement intéressant : le crash test d’une nouvelle technique de drague basée sur un savant mélange de vouvoiement et de surprise par l’absurde. C’était quitte ou double : soit le Tournesol, pris au dépourvu, tombait sous le charme insolite de cet être hors du commun, soit c’était le râteau. Solola évalua généreusement les chances de réussite à 20%.
- Je … euh … c’est très gentil mais … je crois qu’il va pleuvoir cet après-midi, répondit Palmyre avec un léger sourire gêné. Et puis on m’a déjà proposé de me faire visiter les lieux, continua-t-elle en désignant de la tête un groupe d’étudiants qui les observaient d’un air moqueur.
- Ma chère Palmyre, ne vous inquiétez pas. Vous n’êtes pas prête pour nous, et je peux le comprendre. Je vous laisserai le temps qu’il faudra, mais sachez que la pluie ne me fait pas peur car à votre contact elle ne pourra que se changer en arc-en-ciel.
Après avoir adressé un dernier sourire à Palmyre, Marcelin releva le menton et se dirigea d’un pas digne et décidé vers le buffet des entrées. Solola remercia intérieurement la présence du bar qui les séparait du Tournesol car il avait certainement empêché Marcelin de terminer sa tirade par un baise-main dans les règles de l’art. Solola suivi Marcelin, les yeux baissés, en réfléchissant à la meilleure réaction à adopter face aux ricanements et aux moqueries qui flottaient sur leur passage. Comme toujours, Marcelin y semblait parfaitement indifférent. Solola, forte de ses dernières résolutions, tentait de maîtriser sa colère afin de placer le curseur au bon endroit sur l’échelle des remontrances qui allait de la simple présentation de son doigt le plus long au lancer de soupe dans la figure.
- Ca va ? demanda Solola, une fois arrivée à proximité de Marcelin.
- Mieux que jamais ! s’exclama-t-il.
En voyant l’inquiétude et l’incompréhension se dessiner sur le visage de Solola, il rit de bon cœur.
- Attend on vient d’assister à la même scène ou quoi ? Après ça, elle va se souvenir de moi c’est sûr ! Alors oui, elle a refusé ma petite balade, mais je viens de rencontrer la plus belle femme de la terre, c’est normal qu’elle ne cède pas du premier coup. Regarde mon plateau repas : protéines, protéines, protéines. Je me prépare à un marathon. Ma pauvre Solola tu n’es tellement pas prête à voir ce que tu vas voir. Tu vas assister à un marathon de la séduction, t’as même pas idée !
Solola regarda Marcelin partir à la recherche d’une table, les yeux pétillants, le dos droit, l’air fier. Il adressait à ceux qui se moquaient des sourires bienveillants, parfois même des clins d’œil. Il avait une telle assurance. Il ne s’excusait pas d’être là. Il ne s’excusait pas d’être lui-même. Pour la première fois, Solola le regarda d’un œil nouveau. Elle eut alors la certitude que Marcelin avait tout à fait conscience des moqueries, mais qu’il y répondait par des sourires indulgents. Des sourires qui voulaient dire « Vous me jugez et vous vous moquez parce qu’au fond, vous ne vous aimez pas. Vous m’en voulez de m’assumer comme je suis parce que vous ne vous autorisez pas à être parfaitement vous-même, à être différent et à vous accepter dans toute votre imperfection. Ne vous inquiétez pas, moi, je ne vous juge pas. Et si cela vous fait du bien de me moquer, si cela vous permet de vous sentir mieux avec vous-même, alors je ne vous en veux pas. J’ai pitié de vous et j’espère qu’un jour vous trouverez la force de sortir du cadre, mais je ne vous en veux pas. ».
Solola fixait ce sourire plein d’indulgence et de compassion, et elle se rendit compte qu’un simple sourire pouvait avoir plus de force que mille insultes et mille doigts tendus. Elle réalisa l’admiration qu’elle portait à Marcelin. Elle était fière de lui, d’être son amie. Elle avait trouvé une sorte de maître Yoda, un être bizarre et biscornu mais qui lui donnait envie de s’affirmer et de devenir meilleure. La tête haute, elle suivi son ami et se promit, à défaut d’y répondre, de ne plus jamais baisser les yeux face aux moqueries.
Franchement, je rejoins tout le monde sur Marcelin. J’adore ce perso, qui est adorable ! C’est vrai qu’il peut parfois être un peu lourd, notamment dans sa façon de draguer. Perso, j’ai plus l’impression qu’il se comporte comme ça pour qu’on le « laisse tranquille » plus que pour la raison que Solola explique. On verra.
Merci beaucoup pour ce commentaire :) Ce que Solola explique n'est bien sûr que le reflet de sa propre interprétation et chacun est libre d'avoir la sienne ;)
J'aime la relation d'amitié que tu construis entre Solola et lui. On sent qu'il a une très bonne influence sur elle.
Côté forme, quelques coquilles :
Sa longue silhouette longiligne => "longue" me paraît redondant avec "longiligne"
La jeune femme les accueilli => accueillit
"de pouvoir vous adapter l’évolution de votre faim" => en fonction de votre faim ?
"Il lui était impossible de se souvenir de son prénom. Elle se souvenait pourtant que le Tournesol l’avait mentionné mais elle était incapable de s’en souvenir. " le "mais elle était incapable de s'en souvenir" est superflu, il crée une répétition
bar qui les séparaient du Tournesol => séparait
Enfin, bravo pour la métaphore du Tournesol et de Marcellin en soleil, j'adore !
Merci encore pour tes conseils sur la forme, j'ai modifié :)
C'est un personnage secondaire important de ton histoire, et je me demande comment il va évoluer. Il ne faudrait pas qu'il se contente de jouer le même role tout au long de l'histoire (mais d'après les tendances ce ne devrait pas être le cas).
C'est une belle histoire que tu nous partages. a bientôt pour la suite
En effet c'est un personnage plein de paradoxes qui va également évolué. J'espère qu'il continuera, quoi qu'il en soit, à provoquer autant de réactions !
Ne t'inquiète pas pour le piédestal, dans beaucoup d'histoires d'amour ou d'amitié il y a une phase, au début, de "lune de miel" où on a l'impression que l'autre est parfait et puis ça évolue avec le temps. Solola est typiquement dans cette phase là. Le narrateur se met la plupart du temps du côté de sa vision à elle, c'est pour ça que la personnalité de Marcelin est assez floue et qu'on la découvre peu à peu. Dans ton précédent commentaire tu me disais que Solola s'affirme de plus en plus, mais en effet pour s'affirmer totalement elle va devoir couper le cordon à un moment et arrêter d'idéaliser ;)
Merci beaucoup pour ton commentaire :D