Chapitre 5

Anastae pensait. 

Elle se rendit compte que cela faisait des années qu’elle n’avait pas réellement réfléchi, avec cette intention profonde de trouver une solution ou du moins une conclusion. Cela lui paraissait étrange, habillée de sa robe de chambre, dans cette grande chambre luxueuse, dans le noir, de songer à ce qu’elle avait toujours réfuté pendant tout ce temps. 

Son comportement d’aujourd’hui passait en boucle devant ses yeux, lui procurait une nausée, mais un frémissement au niveau du cœur. Elle avait eu de nouveau le sentiment d’être vivante, d’être regardée et de se sentir appréciée. 

N’était-ce pas ce que sa mère voulait pour elle ? Comme si elle allait y trouver une réponse, elle leva sa main, la tourna dans l'obscurité et poussa un long soupir. Elle s’enroula dans son drap et attrapa son oreiller pour le plaquer contre sa poitrine. 

Qu'étaient-ce les dernières paroles de sa mère ? Anastae avait du mal à s’en souvenir tant le dernier souvenir de sa mère était précipité, flou, embrouillé par la panique et la peur, l’incompréhension également. Dans l’idée, elle lui avait dit son nouveau prénom, lui avait donné des renseignements, lui avait dit qu’il y avait une belle vie qui l’attendait ici… Le reste était flou et elle avait sans doute oublié ce qui était le plus important, sentimentalement parlant. 

Sa mère voulait qu’elle ait une belle vie… Anastae ne s’était jamais donné les moyens pour l’avoir. Elle s’était de suite isolée à cause de son manque de compréhension. Elle avait trouvé comme figure paternel un monstre qui lui avait toujours dit qu’elle allait mourir de ses propres mains… Sa famille n’en n’était pas vraiment une et elle était une étrangère pour eux. 

La jeune fée n’avait jamais honoré la vie de sa mère… Mais elle avait toujours pensé qu’elle pouvait le faire en repoussant ce monde que sa mère avait fui pour revenir sur Terre, car elle était humaine. Anastae était bloquée entre ces deux mondes. Jamais elle ne trouverait sa place dans l’un d’eux. 

Mais elle pouvait peut-être trouver un moyen de mieux s'acclimater, de vivre sa vie jusqu’au jour de sa mort. Elle pouvait faire cela, retrouver la fille qu’elle aurait été sans tout cela pendant quelques instants. Anastae voulait vivre cette vie de jeune fille au moins pendant quelques mois… 

Elle voulait sentir son coeur battre contre sa poitrine, un sourire chatouiller le début de ses lèvres, un rire faire de même avec sa gorge. Elle voulait pleurer de tout son saoul, crier toute sa colère, se battre contre ceux qui la traitaient différemment alors qu’ils n’avaient même pas idée de ce qu'elle était. 

Mais en était -elle capable ? 

Que des questions sans de réponses claires. 

Anastae fixa le plafond de ses yeux noirs et sourit. 

Elle voulait faire honneur à sa mère, à la jeune fille qu’elle souhaitait qu’elle soit. Elle avait trouvé une amie, Luciana, qui était certes un peu spéciale sur les bords mais qui se rendait facilement appréciable. Un fiancé était à sa portée et bien qu’elle ne l’apprécie pas tellement pour le moment, elle pouvait apprendre à le connaître. Elle ne voulait pas de lui, mais elle pouvait se servir de lui pour s’échapper, le moment venu. Se rapprocher de ses frères lui semblaient être une bonne idée, aller tous les jours à l’Académie semblait enrichissant. 

Sa vie pouvait se façonner si elle en s’en donnait les moyens. 

Les paroles de Luciana résonnèrent dans ses pensées :  Crois en tes rêves.

Il faut certes croire en ses rêves mais se donner les moyens de les réaliser. C’était exactement ce qu’elle allait faire. 













 

Anastae s’assit à sa chaise. Sa décision de cette nuit était encore valable. Le seul souci est qu’elle ne savait pas comment s’y prendre : elle vivait avec des inconnus dans une même maison, il n’était sans doute pas aisé de s’en rapprocher d’un seul coup. 

Elle avait donc jeté son dévolu sur Meludiz, ce dernier était celui qui semblait le plus apte à être sympathique avec elle et qui lui parlait le plus des deux frères. Il était en train de réviser ses cours sur la table de l’immense salle à manger, un verre de jus de nectar devant lui, de la nourriture de fée de l’autre côté, grignotant par petites bouchées. 

Il était encore tôt, les cours ne commençaient pas avant deux heures mais son frère était un lève-tôt, il devait sans doute être levé depuis près de deux heures. Anastae en avait déduit qu’il avait des insomnies mais se demandait toujours d’où elles provenaient : de plus qu’il n’avait jamais l’air épuisé. 

Son frère leva ses yeux vers elle quand elle s’assit sur sa chaise, lui adressa un bref sourire poli et retourna se plonger dans ses cours. Anastae se sentit bien idiote d’un seul coup, son nectar posé devant elle, une jolie robe bleu pâle sur les épaules et une assiette de fruits de lotus devant elle. 

Elle ne venait presque jamais s'asseoir à cette table le matin : en général elle le passait dans son lit, les yeux perdus dans le vague ou au bord du lac, ses pieds dans l’eau, mangeant sa nourriture en observant le paysage. Cependant, Meludiz n’était pas surpris, il continua de faire comme si tout était normal. 

Anastae se morda la lèvre et débuta d’une voix froide : 

- Tu as une épreuve ? 

Son frère releva des yeux, cette fois-ci, surpris vers elle et fronça ses sourcils. Elle ne lui parlait jamais, il ne le faisait que très rarement. Meludiz sembla la regarder pour l’une des premières fois et se racla la gorge, détournant rapidement son regard : 

- Oui, elle est plutôt importante… 

- J’ai entendu père en parler, continua t-elle, les joues légèrement rouges. J’espère que ça va bien se passer. 

Meludiz soupira alors. 

Comme s’il se résignait, il repoussa d’un mouvement de la main ses feuilles. Anastae se mordit l'intérieur de la joue. Trop violemment car cette dernière s’entailla sous ses canines pointues et un goût de sang lui emplit la bouche. Ses doigts s’accrochèrent sur sa robe et ses orteils se contractèrent. 

Elle était mal à l’aise, il l’était également, et elle n’avait qu’une seule envie : partir et rejoindre son petit coin de paradis. Seulement, Meludiz prit la parole avant que cette pensée ne prenne trop d’importance : 

- C’est à cause de Leith, n’est ce pas ? Je n’ai rien à voir avec son intérêt soudain pour toi, si tu veux tout savoir. Je sais juste qu’il a parlé une fois avec père. Il est un peu étrange sur les bords, on ne sait jamais vraiment ce qu’il veut, donc… 

- Je ne suis pas venue te parler pour lui, le coupa-t-elle.

Elle le désigna d’un mouvement de tête : 

- J’étais juste venue voir ce que tu faisais. Tu sais… J’ai beau être ta sœur, je n’ai pas vraiment l’impression qu’on se connaisse vraiment. Je ne dirais pas que c’est dramatique mais c’est… dommage. On pourrait peut-être prendre le temps de… Enfin, tu vois ? 

Son visage se figea. 

Il la détailla comme si c’était la première fois qu’il la voyait et sa bouche s’entrouvrit. Son expression était indéchiffrable et Anastae ne savait pas si cette dernière était positive ou négative. Cette discussion lui faisait peur et elle ne savait pas vraiment où elle mettait les pieds mais elle souhaitait donner une nouvelle chance à cette famille. 

Meludiz se leva d’un seul coup, trop violemment pour qu’il soit calme, ramassa ses feuilles et la fixa avec un pauvre sourire : 

- Navré, j’ai quelque chose d’autre à faire. 

Anastae en resta bouche-bée alors qu’il s’en allait, le pas assuré. Il ne lui avait certes pas clairement dit non mais… Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que ce n’était pas ce qu’il souhaitait. La jeune fée regarda son verre, le but d’une traite, et se leva. 

Elle comprenait que ce soit compliqué, elle s’en était doutée, mais elle avait cru pendant quelques secondes qu’elle pouvait peut-être… Peu importait désormais. Aujourd’hui n’était pas ce jour mais il en fallait sans doute d’autres pour réussir à casser la glace qui s’était installée entre eux pendant des années. 

Pour occuper ses pensées, elle s’installa sur le long canapé du salon et replia ses jambes nues contre elle. Elle saisit d’une main tremblante le livre qu’elle y avait laissé quelques  jours auparavant. Anastae avait deux heures à tuer désormais qu’elle n’avait pas convaincu son frère. 

Ce livre n’était pas spécialement bien, n’égalait pas ceux qui se trouvaient dans le monde humain, mais il occupait et il devait sans doute s’y trouver une certaine morale. Elle n’aimait pas la jeune fille qui était le personnage principal de cette histoire, une fée qui croyait sans cesse que se sacrifier pour les autres ferait d’elle quelqu’un de bien. Elle n'aimait pas cette façon de pensée.  A quoi bon se sacrifier pour donner une bonne image de soi-même ? Anastae préférait être égoïste et garder sa vie plutôt que de la donner pour une personne qu’elle connaissait à peine. 

Elle lut quelques chapitres, arrivant bientôt à la fin, mais s’arrêta en voyant une Pixis se présenter à elle :

- Mademoiselle, excusez-moi de vous déranger, mais quelqu’un souhaite vous voir. 

- Oh, répondit-elle, surprise. Eh bien fais la entrer, merci. 

La servante se plia en deux, beaucoup trop violemment pour que ce soit naturel, et courra presque aller chercher cette personne. 

Anastae soupçonnait que ce soit Luciana, cette dernière voulait sans doute passer plus de temps avec elle désormais qu’elles étaient qualifiées comme amies. Cela ne la dérangeait pas, c’était si agréable de savoir que quelqu’un l’attendait, que cette personne souhaitait passer du temps avec elle et appréciait sa présence. Un peu de chaleur ne faisait jamais de mal, si ? 

Ce fut bien Luciana qui arriva, un petit sourire mystérieux sur les lèvres, et se précipita vers elle pour s'asseoir à ses côtés. Elle étendit ses longues jambes sur le divan et rejeta sa tête en arrière : 

- C’est bon, tu as finis de vouloir garder pour toi ce qui s’est passé hier soir ? 

Anastae n’avait pas voulu lui dire ce qu’il s’était passé avec Leith hier soir. Cette discussion lui avait chamboulé l’esprit et elle avait eu besoin de penser : ce qu’elle avait fait la nuit précédente. Elle n’avait pas voulu que Luciana lui donne son avis et l’influence inconsciemment. Elle sentait que sa nouvelle amie avait un certain don pour cela et elle l’avait bien remarqué tous les midis où elles avaient mangé ensemble et légèrement parlé.

Anastae referma son livre et le posa sur la table : 

- Leith est venu me parler avec l’intention très sincère de vouloir conquérir mon cœur pour me demander la main. 

- Est-il riche, sourit-elle.  

- Moins que mon père mais de peu il semblerait. Seulement, je lui ai dis que je n’étais pas intéressé et sa réponse m’a paru étrange. 

Luciana fronça ses sourcils et lui indiqua d’un geste du menton de continuer : 

- Il m’a annoncé qu’il voulait une personne que tout le monde rejetait pour ensuite la rendre aussi brillante que parfaite. Ensuite il la montre aux autres et les rend ainsi d’une jalousie verte et d’une bêtise infinie. Il veut une belle histoire et il a décidé que, hier soir, il en avait commencé le prologue. 

- Je suppose donc que tu es la première phrase de ce dernier. 

Luciana se redressa, lissa sa robe mauve d’un mouvement de la main. Elle sembla réfléchir, plus rapidement que Anastae l’avait fait la vieille et cette dernière comprit qu’il s’agissait sans doute d’une méthode de fée. De vraie fée. 

Luciana était lucide, avait l’esprit vif et ses yeux étincelaient toujours quand elle trouvait, ce qui fut le cas : 

- Cette histoire pourrait être la plus excitante de toute ta vie. Mais il faut prêter attention à la fin de cette histoire, c’est ce qui est le plus dangereux mais le plus intéressant. Une belle histoire se finit souvent par une fin atroce, ce Leith me semble étrange. Tu as alors deux choix. 

Elle brandit deux doigts : 

- Soit tu te laisses tenter et tu en subis les conséquences, mais tu risques de bien t’amuser pendant quelques mois. Soit tu le repousses de suite, tu choisis la prudence, et tout se finira bien pour toi mais sans aucune saveur. 

Elle gloussa : 

- Personnellement, je choisirais la première option. Mais je ne suis pas vraiment ce qu’on pourrait qualifier de raisonnable. 

Anastae réfléchit à ce qu’elle venait de lui dire. Elles n’avaient sans doute pas la même notion d’amusement toutes les deux… Elle ne voulait pas de ce Leith comme fiancé mais elle pourrait sans doute socialiser avec lui. Pourtant, son frère venait de lui dire qu’il était étrange et qu’elle devait se méfier de lui. 

Elle se mordit l’intérieur de sa joue avec ses canines pointues. 

La jeune fée saisit une mèche de ses cheveux et répondit : 

- J’aviserai le moment venu : pour l’instant j’ai trop peu d'éléments. 

- Comme tu le souhaites… Aujourd’hui, ils veulent nous faire pratiquer nos capacités, je songe à sécher les cours. 

Anastae n’appréciait pas ces cours. Son professeur particulier, car chacun des elfes et des fées présents dans cette classe en avait un pour ce cours, la faisait toujours chanter, parler, crier à tue tête. Selon lui, un don se cachait peut-être derrière cette voix : elle pourrait manipuler les autres par ses chants ou ses cris. Bien entendu, elle savait qu’elle n’en tirerait jamais rien car il ne s’agissait pas de sa vraie capacité mais cela l'embarrassait énormément chaque fois. 

Luciana, elle, avait une bonne capacité : la télékinésie. Mais elle ne se donnait jamais la peine de soulever plus que quelques tasses car, selon elle, cela lui donnait la nausée. Cela avait toujours légèrement irrité Anastae. Elle avait une belle capacité et ne prenait pas le temps de la découvrir complètement : 

- Je pourrais le faire mais toi… Tu as une bonne capacité, ne la gâche pas parce que tu ne veux pas subir quelques nausées. 

- Je déteste me sentir malade, soupira-t-elle. Nous ne sommes pas souvent malades alors… J’ai l’impression d’être faible en ressentant ça. 

Les fées et les elfes tombaient très rarement malades : un autre avantage de leur métabolisme incroyable et n’avaient jamais connu de maladies mortelles. Anastae avait toujours réussi à éviter de tomber malade mais cela était en partie grâce au temps incroyable qui régnait sur ce royaume et les précautions qu’elle prenait. 

Luciana tendit sa main. Le vase posé sur la table devant elles trembla pendant quelques secondes et se souleva lentement mais sûrement. La jeune fille jeta un regard à celle qui provoquait cela et voyait qu’elle pinçait ses lèvres de concentration ou pour retenir ses nausées, elle ne le savait : 

- Regarde un peu, siffla Luciana entre ses lèvres. Avec ça, je pourrais assommer n’importe qui : je n’ai pas besoin de plus de pratique. 

- Tu arrives à peine à le maintenir, rétorqua-t-elle. J’ai déjà vu plus impressionnant.

Elle avait vécu dans une famille avec des pouvoirs hors du commun, ce qui était en grande partie la raison du pourquoi les nobles riaient d’elle et de son “don” minable. Meludiz pouvait se téléporter, Luthias contrôlait la lumière, son père pouvait régénérer des parties de son corps et sa belle-mère avait le pouvoir de guérir les blessures des siens. 

Anastae et sa belle voix faisaient bien pitié comparé à eux. Mais elle n’en n’avait que faire. Sa vraie capacité était trop dangereuse pour elle et elle aimait autant éviter de se mutiler pour la montrer aux autres.

Elle ne pensait pas être autant dans le vrai. 

































 

- Pousse un peu sur ta voix ! 

Anastae jeta un regard glacial à son professeur, Nion, et pinça ses lèvres dans un mouvement qui signifiait qu’elle n’avait aucune envie de continuer. Elle chantait depuis plus d’une heure et ses camarades commençaient à en avoir plus qu’assez, leur agacement était visible et leur concentration diminuait de plus en plus. 

Menfi claqua sa langue de vipère contre son palais et lui fit comprendre d’un mouvement de la tête qu’il n’allait plus tenir très longtemps. Anastae n’aimait pas Menfi et, seulement pour lui compliquer la tâche, elle poussa la chansonnette avec une voix délicieuse. 

Il craqua : 

- Tu peux pas te taire ? Ton don est inutile, ça ne sert à rien de s’entêter comme ça, nous on n’y peut rien !  

- Menfi, aboya son professeur. Ce n’est pas toi qui décide. 

- Peut-être mais je crois que tout le monde commence sérieusement à être lassé d’entendre sa voix pendant deux heures. 

Sur ce coup-ci, il n’avait pas tort. Certains élèves fronçaient des sourcils, chuchotaient quelques mots à voix basse en lui jetant un regard courroucé. La seule qui semblait s’en moquer totalement était Luciana, à deux doigts de vomir en faisant flotter un rocher. Anastae se douta bien qu’elle n’était pas vraiment en état de s’énerver contre elle. 

La jeune fée rejeta sa tête en arrière, pensa pendant un instant, pour finalement se lever. Elle ramassa son cahier qu’elle mit dans son sac et s’expliqua à son professeur : 

- Je vais rejoindre la classe qui s’exerce aux armes sur la colline, je doute qu’on arrive à faire quoi que ce soit aujourd’hui. 

- Tu vois que tu peux…, commença Menfi. 

- Et je ne fais pas cela pour toi, claqua-t-elle plus froidement qu’elle ne le voulait. Je trouve juste cela inutile de continuer à chanter pendant une heure. 

Nion s’apprêta à protester mais n’osa pas. Anastae était la fille de la deuxième famille la plus puissante du royaume, sans le vouloir elle avait donc un certain pouvoir et assurance. Sans doute était-ce pour cela qu’elle pouvait rater autant de jours sans subir aucune exclusion…  

Elle adressa un petit sourire à Luciana qui était aussi pâle qu’elle mais cette dernière ne se renda même pas compte de sa sortie. 

Anastae se retrouva donc seule à arpenter ces chemins pentus pour rejoindre la seconde classe qui devait être en train de s’exercer. Elle ne les avait jamais rejoint auparavant mais elle savait qu’elle le pouvait avec une simple autorisation : leurs cours étaient semblables. Cependant, elle appréhendait son arrivée.

Bientôt, elle arriva en haut de la colline et entendit les bruits d’épées qui se fracassaient entre elles, les flèches qui fusaient dans le vent pour se planter dans leur cible, les bruits de fouets qui claquaient contre la terre. Devant elle se dressa une classe qu’elle n’avait presque jamais côtoyé et leur professeur commun de combat. Ce dernier tourna sa tête vers elle et fronça ses sourcils : 

- Anastae que fais-tu ici ? 

- J’ai eu l’autorisation de venir ici, se contenta d’elle de répondre, ce qui n’était pas complètement faux. 

Leur professeur sembla surpris mais accepta qu’elle se joigne au cours en lui indiquant de prendre ce qui lui plaisait pour commencer. Il ne lui en fallut pas plus pour qu’elle saisisse un arc posé sur un tronc d’arbre et des flèches dans la petite bâtisse qui les abritait. 

Elle n’avait pas sa tenue de combat, ce cours n’était pas prévu aujourd’hui, elle allait donc devoir exercer en robe longue et flottante. Mais désormais qu’elle avait son arc dans une main et ses flèches dans l’autre, elle ne s’en préoccupait que peu. Si l’épée ne remuait que des mauvais souvenirs en elle quand son père la frappait par son incompétence, lui montrait d’une voix froide à quel point elle était faible, l’arc lui donnait ces moments de paix intérieur. 

Anastae tendit sa corde, faufila la flèche entre ses doigts, et prit une grande inspiration. Elle s’efforça de ressentir tout ce qu’il se passait autour d’elle, les mouvements, le sens du vent, la cible marquée d’un point rouge qui lui fallait atteindre. Anastae ouvrit grand ses yeux : elle n’avait plus besoin de fermer un œil pour viser juste, elle avait appris à s’en passer. 

Son pied s’ancra dans la terre, s’enfonça profondément alors qu’elle était toujours pieds nus, son souffle sortit de sa bouche. La flèche partit, fila et, sans aucun souci, se planta dans le point rouge de la cible, exactement au milieu. Elle laissa retomber son arc et tournoya sur elle-même.

Planter une flèche dans sa cible lorsqu’elle était immobile était chose aisée : désormais, elle s’entraînait à pouvoir le faire en mouvement, sans presque aucune seconde de répis. Elle enchaînait les flèches comme elle l’aurait fait dans un vrai combat : pour cause ses pieds commençaient à s’écorcher et à la faire souffrir alors que le bout de ses doigts chauffait de plus en plus. 

Tania allait la tuer pour sa robe tâchée d’herbe sur les doublures. 

Anastae commençait à voir flou alors qu’elle en était à sa dixième flèche tirée et son corps commençait à perdre de son équilibre. Cinq flèches plus tard, elle fut contrainte de s’arrêter en sentant une nausée pointer le début de son nez et elle observa attentivement les flèches plantées : toutes l’étaient en plein milieu des cibles. 

Plusieurs élèves la fixaient, la bouche entrouverte. Un sentiment de satisfaction la saisit et, sans le vouloir, elle repoussa sa chevelure blanche dans un mouvement audacieux, ses yeux entièrement noirs brillant. Anastae releva sa robe pour ne pas marcher sur cette dernière mais, soudainement, une main se posa sur son épaule. 

Elle se tourna sans réfléchir vers son ou sa propriétaire et découvrit un elfe qui lui souriait. Ce dernier avait des cheveux blonds sables, des yeux rouges rubis et des joues parsemées de taches d’or, semblables à celles de Luciana. Anastae ne le connaissait pas mais ses cheveux lui semblaient familiers, sans qu’elle ne puisse dire pourquoi : 

- Oui, demanda-t-elle.

- Tes pas étaient mauvais. 

Anastae fronça ses sourcils. Ce n’était pas tant qu’il tente de lui donner un conseil mais elle n’aimait pas la manière dont il parlait, peut-être trop supérieur à elle, et ses mots résonnaient beaucoup trop mielleusement. Cependant, elle n’avait pas eu le sentiment de rater ses pas, certes ses derniers avaient été trop précipités mais ils restaient tout de même passables. Elle avait conscience de ce défaut et essayait de l’améliorer lorsque son père ne l’accaparait pas avec son épée.   

La jeune fée aux cheveux blancs recula de quelques pas et répondit simplement : 

- Les derniers étaient trop précipités mais… 

- Je ne parlais pas de ceux-là, la coupa-t-il. Ton cinquième ne se pose pas au bon endroit. 

Sans qu’elle ne lui demande quoi que ce soit, il enchaîna les pas un à un, sans aucune difficulté ni aucun défaut. Il semblait flotter sur la terre et aucun bruit n'émanait de ses pieds qui se posaient : il avait l’air d’un fantôme. Lors du cinquième pas, il  posa son pied vers le derrière droit et non vers la diagonale comme elle le faisait. Elle se rendit compte que, effectivement, il était plus rapide et aisé de cette façon de saisir le sixième pas et de continuer les autres. 

Il passa une main dans ses cheveux et lui adressa un petit sourire en coin : 

- Tes pas étaient trop précipités vers la fin parce que tu avais toujours un temps de retard que tu voulais, inconsciemment, rattraper. 

- Merci… Qui que tu sois. 

Il lui adressa un regard mystérieux, rehaussé de son sourire malicieux qui semblait lui coller à la peau. Des murmures retentissaient autour d’eux mais aucun des élèves n’osaient poser un seul regard sur eux.  Anastae ne se posa pas plus de question sur cette raison et se concentra sur le regard de l’elfe devant elle. 

Anastae ramassa son arc qu’elle avait posé sur une pierre. Elle hésita pendant quelques instants avant de le lui tendre. 

Elle ne le connaissait pas mais il semblait spécialiste dans le domaine qu’elle affectionnait tant et dont elle se croyait douée. Il avait sans doute beaucoup de choses à lui apprendre et si elle pouvait pour, une fois, éviter les remontrances de son père qui lui sifflait que l’arc était l’arme des lâches, elle n’allait pas se gêner.  

Il ne semblait pas savoir qui elle était et, à l’évidence, elle n’en savait rien également. Posséder quelque chose de mystérieux comme cela était… attrayant. Anastae pensa aux paroles de Luciana ce matin, avec son regard voilé d’une lueur insatisfaite et qui ne le serait sans doute jamais.

Personnellement, je choisirais la première option. Mais je ne suis pas vraiment ce qu’on pourrait qualifier de raisonnable

- Je suis convaincue que tu pourrais m’apporter beaucoup… Aide moi et je t’en serais redevable. 

Son sourire s’agrandit et dévoila des canines très pointues. Soudainement, il fut animé de cette joie que Anastae appelait féérique et qu’elle considérait comme de la folie. 

Il saisit son arc : 

- Marché conclu. 

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Elly Rose
Posté le 18/11/2022
Et bien je devais écrire ce soir mais je dois bien admettre que je me suis laissée captiver par ton histoire. Plus j'avance et plus j'ai envie de découvrir la suite. J'ai également hâte de voir comment Anastae va évoluer avec ses frères, Luciana, Leith et ce nouvel arrivant!
Marlee2212
Posté le 19/11/2022
Merci beaucoup pour ton intérêt et en espérant que tu ne sois pas déçue par la suite :)
Amberly
Posté le 24/10/2022
Serait-ce un triangle amoureux ? ( je ne vais pas me plaindre, j'adore ça)
Je tiens à préciser de nouveau que j'apprécie beaucoup le fait de retrouver des personnages variés dans ton histoire, qui sortent des clichés habituels.
Je vais de ce pas lire la suite !
Isahorah Torys
Posté le 19/09/2022
OH oh oh ! un deuxième luron entre en scène ! Stp, ne me dis pas que ça sera un triangle amoureux... par pitié... ne me le dis pas... mdr

(bref, j'ai retrouvé les mêmes maladresses que pour les précédents chapitres)

Mais, je trouve que plus on avance et moins ces maladresses sautent aux yeux. On a la sensation de se laisser emporter par l'histoire, ce qui est le plus important pour le lecteur, finalement.
Marlee2212
Posté le 20/09/2022
Eh oui, un deuxième elfe rentre en scène !
Pa
Marlee2212
Posté le 20/09/2022
Pas de triangle amoureux en vu, ce sera un peu plus complexe que ça et, de toute façon, je ne suis pas vraiment fan de tout ça où l'héroïne doit choisir entre deux hommes. Heureuse que l'histoire te semble de plus en plus intéressante, en espérant que ça continue !
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