Anastae était assise sur sa chaise, les jambes croisées, une fourchette dans la main alors que son père parlait de ses prochains projets pour leur famille. Cela ne la concernait que peu, il parlait surtout de ses frères, de Meludiz et de son avenir de général, de Luthias et de son talent dans les études.
Sa belle-mère fixait son père avec un doux sourire. Anastae pensait sincèrement qu’elle était follement amoureuse de son mari et qu’elle ferait tout pour lui, ce qui avait dû faciliter à garder son secret. Il suffisait de regarder ses yeux brillants posés sur lui, ses joues rosées et sa voix qui grimpait dans les aigus quand il lui donnait l’occasion de lui parler. Cela la dégoûtait de savoir qu’un homme comme son père pouvait séduire une femme qui devait, auparavant, être si fragile. Cet homme était un monstre, ce qui ne l’empêchait pas de lui porter de l’attachement, ce qui faisait sans doute d’elle un monstre également. Après tout, elle faisait bien partie de sa lignée.
Anastae pensa un instant à son projet de renouer les liens : elle n’aimait pas sa belle-mère, son père n’était pas ce qui lui était le plus cher, mais si elle tenait à se rapprocher de ses frères, elle fallait qu’elle le fasse avec toute la famille. Elle se pinça la joue et dit la première chose qui lui passait par la tête :
- Je pense que je vais changer mes cours de capacité par ceux de combat dans l’autre classe…
Sa belle-mère rétorqua immédiatement :
- Je refuse que tu rates un cours pour en avoir un autre. Tu continueras tes études normalement.
- Alvina, la coupa son père. Laisse la donc faire, c’est une très bonne initiative. Anastae, je m’étonne de voir que tu as parfois un peu de lucidité dans ce qui te sert de cerveau.
Elle accusa le coup avec difficulté mais ne put s’empêcher de lui lancer un regard glacial. Cependant, la remarque ne fut pas aussi rude pour elle que pour sa belle-mère. Cette dernière avait baissé les yeux, pincé ses lèvres et Anastae savait qu’elle allait se murer dans le silence jusqu’au lendemain.
Elle lui faisait pitié mais elle n’oubliait pas que c’était une femme infecte avec elle. Anastae continua donc la conversation :
- En revanche, il faudra que vous leur envoyiez une autorisation…
- Tu peux le faire toute seule normalement, répondit-il en mâchant sa viande, tâchant ses lèvres de sang.
- J’ai déjà eu quelques soucis par rapport aux cours…
En temps normal, cela ne lui posait aucun problème qu’elle ne soit pas présente pendant quelques jours, une semaine tout au plus à l'Académie. Tant qu’il ne recevait pas de lettre indiquant ses absences, il passait l’éponge sur cela. De plus, l’Académie craignait son père à cause de sa réputation sanglante et faisait donc tout leur possible pour éviter un quelconque échange avec lui.
Cependant, son père posa calmement sa fourchette, lui adressa son fameux sourire de chat ainsi que son regard de vipère. Elle ne savait que trop bien qu’un tel comportement était seulement pour annoncer une colère. La seule chose qui le retenait peut-être était la présence de ses frères :
- Oh vraiment ?
- …
- Réponds Anastae, claqua-t-il froidement.
Son calme froid et détaché qu’elle abordait en toutes circonstances avec lui revint violemment et lui saisit le cœur, comme pour la protéger de ce manque d’amour et de considération. Elle saisit pourtant sa robe à pleines mains, se pinça à l'intérieur de la joue, ce qui montrait son stresse qu’elle s’efforçait de cacher.
Ses canines entaillèrent sa peau et un courant d’air souleva ses cheveux. Ses oreilles peu elfiques fut dévoilées et le regard de son père se figea sur ces dernières :
- Vous savez que je ne suis pas toujours présente à l’Académie, ce n’est pas un secret et cela ne vous avait jamais inquiété auparavant.
- Les choses ont changées, pauvre idiote. Tu vas te marier, si l’on apprend que tu n’es pas la jeune fille serviable que je suis en train de marchander, tu n’auras jamais ce que tu veux.
- Je ne suis pas une chose, marmonna- t-elle. Ce que je veux, vous le connaissez à peine.
Il claqua dans ses mains et fit sursauter tout le monde :
- Cesse donc de marmonner jeune fille ! Si tu veux t’exprimer, fais-le comme une noble !
- Une noble siffla-t-elle entre ses dents. En suis-je seulement une à vos yeux ?
Son père se leva, très silencieusement et se dirigea vers elle alors que sa belle-mère tremblait. Bien que cette dernière soit vicieuse avec elle, Anastae savait qu’elle n’aimait pas la violence. Son père en avait conscience mais il semblait particulièrement irrité ce soir.
La suite des événements fut facilement prévisible.
Son père leva sa main, prit de l’élan et la lui envoya sur sa joue : sa lèvre déjà fendue de deux jours se rouvrit, sa nuque craqua, elle tomba de sa chaise, entraîna en même temps la nappe avec elle et les bruits de verre brisés retentirent avec le même son que quand elle avait quitté sa mère.
La solitude.
Sa joue saignait, sa lèvre également, elle se sentait à bout de nerfs mais elle ne pouvait pas réagir, allongée sur le sol telle une idiote, les yeux écarquillés alors que du sang perlait, encore et encore et que sa nuque souffrait le martyre. Un souffle étranglé passa la barrière de ses lèvres douloureuses. Ses ongles se plantèrent dans le tapis et elle garda le regard figé, comme la faible qu’elle était.
Son père quitta la pièce, suivi de sa belle-mère qui lui disait de revenir ainsi que de se calmer. Anastae se retrouva donc seule, avec ses frères. Luthias se leva, lui lança un petit regard peiné mais tourna le dos sans prendre la peine de s'inquiéter pour elle. Cependant, cela se passait toujours ainsi : pourquoi aujourd’hui serait différent ?
Meludiz quitta sa place, hésita pendant un instant pour finalement lui souffler :
- Cesse de te battre contre lui…
- Je ne suis pas sa chose, siffla-t-elle entre ses dents serrées de douleur. Je mérite du respect.
- Mais tu n’en n’auras jamais, répondit son frère.
Elle daina poser sur lui un regard affligé. Son frère avait beau faire des études de chevalerie, il était aussi faible que l’était sa belle-mère. Rentrer dans les cases, suivre le chemin de son père, son avenir tout tracé, était chose aisée. Il ne savait pas ce qu’elle vivait et même si Anastae voulait retrouver une famille pour la mémoire de sa mère et de ses dernières volontés… Elle le trouvait d’une lâcheté désespérante.
Anastae posa ses mains à terre et se redressa, les yeux toujours fixés dans les siens. Elle espérait qu’il y voyait toute sa douleur, toute sa haine, tout ce dégoût dans ce qu’elle vivait. Elle espérait qu’il y voyait sa vraie vie, ce qu’elle était vraiment… Sa voix laissa alors franchir des mots cinglants :
- En disant cela, tu es bien plus faible que moi, mon frère.
- Tu as changé.
Cette fois-ci, ce fut elle qui se sentit mal à l’aise face à l’expression de son visage.
Elle était terrifiée.
Anastae ne saisissait pas vraiment d’où venait cette peur, ni comment elle était apparue, mais, pendant un instant, elle ne reconnut pas son frère et ce qu’ils représentaient l’un pour l’autre. Elle eut le sentiment que sa part d’humanité ressortait, que ses oreilles devenaient totalement rondes, que sa chevelure se blondissait, que ses yeux laissaient deviner ses pupilles… Bien entendu, il n’en n’était rien :
- Je ne connais pas ton avenir Anastae. Mais si tu continues comme cela, je ne suis pas sûr qu’un jour tu puisses en avoir un. Se battre n’est pas toujours ce qui te donnera du pouvoir.
Sur ces dernières paroles, il se détourna d’elle et quitta la pièce.
Les serviteurs commençaient déjà à ranger la salle à manger et une pixis aux cheveux rouges s’avança vers elle. Sans aucune question, elle l’aida à se relever, lui plaqua une serviette dans les mains et lui conseilla avec un petit sourire d’éponger son sang.
Anastae n’en fit rien et laissa tomber la serviette au sol. Elle hésita pendant un instant mais décida que c’était la meilleure chose et tourna le dos à cette demeure. Ce soir, elle allait fuir, elle allait prendre l’air, s’éloigner de cet environnement qui n’était pas le sien. Elle saisit sa robe, la souleva dans un mouvement brusque :
- Où vous rendez-vous, s’écria la pixis. Mademoiselle ! Vous ne pouvez pas…
- Essaie seulement de m’en empêcher, rétorqua-t-elle en dardant sur elle des yeux terrifiants.
Elle n’avait aucun pouvoir et cette pixis aurait pu l’arrêter sans aucun souci si elle n’appartenait pas à cette famille de privilèges. Tout son pouvoir lui venait de son père, ce même père qu’elle appréciait avec dégoût, et rien n’était à elle : ce pouvoir s'éteindrait dès les premières rides qui apparaîtraient sur son visage.
Anastae ouvrit la grande porte d’un geste puissant.
Elle s’aventura hors de la demeure, marcha pendant un long moment et en abîma la peau délicate de ses pieds nus. Une tempête se préparait : le vent soufflait fort et des nuages grondaient dans le ciel d’encre. Cela n’effrayait pas Anastae : elle avait la tête sur les épaules, un sang froid parfois terrifiant, et elle savait comment réagir si les éléments se déchaînaient trop.
Bientôt, elle parvint au bord de la falaise, cette même qui était la seule frontière entre le monde des humains et des fées. Ce passage était clôturé, formellement interdit et si elle venait à se jeter dans l’eau qui la conduirait à ses terres d’enfances, des sirènes dangereuses viendraient la mutiler jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger. Anastae préférait tout autant éviter cette situation.
Elle s’assit au bord du vide, laissa ses pieds pendre dans ce dernier, et elle observa. Inconsciemment, sa vie avec sa mère lui manquait : elle n’était certes pas parfaite mais elle y avait trouvé une certaine joie de vivre. Elle se souvenait de la saveur des bonbons qu’elle dégustait en cachette, des tables de multiplication qu’elle adorait apprendre, de la chaleur des bras de sa mère qui la consolait après que les enfants aient refusé de jouer avec elle.
Elle n’avait plus rien de sa mère à part quelques souvenirs qui s’estompaient à mesure que les coups de son père les remplaçaient. Anastae trouvait cela triste, oui, d’une tristesse infâme mais elle ne pouvait rien y faire. Sa mère était sans doute morte, assassinée comme une malpropre, et elle n’aurait jamais de réponse sur son meurtre. Bien entendu elle avait songé aux raisons du fait que sa mère soit recherchée pour être tuée, mais cette simple pensée était un mystère à elle toute seule. Tout l'énigme était un véritable casse-tête avec une seule pièce : impossible à résoudre.
La jeune fée enserra ses jambes de ses bras et se balança d’avant en arrière. Le vent soufflait de plus en plus fort mais elle restait, elle demeurait. Elle n’avait aucune envie de rentrer chez son père pour subir sa colère le lendemain. Cet homme était indispensable dans leur famille mais elle ne savait comment recoller les morceaux avec lui.
Il la battait.
L’humiliait.
La prenait pour un objet, un meuble.
Et pourtant, elle lui vouait de l’attachement. Sûrement car c’était lui, malgré tout, qui avait continué à l'élever, à lui apprendre à se battre, ce qu’il fallait qu’elle sache sur ce monde, qui l’avait recueilli contre et malgré tout et qui gardait son secret.
Une nouvelle fois, Anastae pensa. Cela lui prit toute la tempête, légèrement plus, et finalement, ce fut avec la tête pleine de questions, qu’elle s’endormit sur cette falaise.
- Tu as une mauvaise mine, lui fit remarquer Luciana en mangeant son repas.
Anastae leva un sourcil.
La nuit avait été rude et quand elle s’était levée, il était déjà temps de se rendre à l’Académie. Pour ne pas envenimer les choses avec son père, elle s’y était rendue mais avec une boule au ventre : celle de voir son père surgir en plein milieu des cours pour lui demander des explications sur son départ.
Ce qui expliquait le fait qu’elle tournait son assiette sans cesse sous les yeux plein de convoitise de son amie :
- J’ai passé une mauvaise nuit.
- Et une mauvaise soirée, je suppose. C’était facile de deviner vu ta tête.
- Tu lis dans mes pensées, railla-t-elle avec un petit sourire.
Luciana termina son assiette en une bouchée. Anastae avait toujours été étonnée de voir que cette jeune fille si mince pouvait tout engloutir en quelques fourchettes. Un de ses autres dons se plaisait à dire Luciana. Elle n’avait pas tort ; cette capacité était presque effrayante.
Son amie continua :
- Que s’est-il passé dans la demeure de la deuxième famille la plus puissante du royaume ? Une dispute ?
- On peut dire ça.
- Je veux en savoir plus.
Hors de question. Luciana était une vraie fouine et ses yeux brillaient d’une satisfaction et d’une convoitise qu’elle n’appréciait pas. Elle n’allait pas lui confier que son père la haïssait et la battait quand bon lui chantait. Et quand bien même, cela n’était pas étonnant dans ce monde où la violence dominait.
Luciana la regarderait avec un haussement de sourcil et un petit “ c’est tout ?” :
- Tu n’en sauras rien.
- Ne jamais dire ça, sourit-elle. Je suis une vraie fouine. Mais je pense que tu le sais déjà.
Elle haussa ses épaules. Anastae n’avait pas envie de se prendre la tête à répondre aux mots étranges de Luciana. Cette dernière était la spécialiste en parole de fées : toujours très vagues, très changeantes, on pouvait y comprendre ce que l’on souhaitait.
La jeune fée aux cheveux blancs tourna sa tête vers Menfi et ses amis qui la fixaient avec des yeux mauvais. Elle avait le sentiment que depuis qu’elle était amie avec Luciana, ils ne pouvaient plus la voir en peinture. Ce serait-il passé quelque chose entre eux ? Il y aurait t-il de la jalousie derrière cette haine vaguement déguisée ? Anastae aurait pu lui demander mais après qu’elle ait refusé de lui apporter plus d’informations sur sa mauvaise soirée, cela lui semblait injuste.
Luciana étendit ses longues jambes et les croisa. Ses doigts saisirent une mèche de ses cheveux et l’enroulèrent autour d’eux même, lui tirant une petite grimace. Sa langue lécha le miel qui se trouvait encore sur ses lèvres et elle poussa un petit gloussement :
- Une nuit à la belle étoile donc ?
- Cesse donc, claqua-t-elle sèchement. Je n’ai pas envie d’en parler. Et rends moi ma mèche.
Elle soupira et laissa tomber ce qu’elle tenait entre ses doigts. Pour se venger, elle saisit sa tartine de miel et la fourra dans sa bouche : ses yeux laissaient deviner son mécontentement d’être tenue à l’écart de ce qu’il se passait mais Anastae devait-elle lui remémorer qu’elles n’étaient vraiment amies que depuis quelques jours ?
Luciana s’allongea sur ses genoux et lui offrit son sourire malicieux :
- Hier, un joli jeune elfe est venu jusqu' ici pour te voir. Malheureusement, tu étais occupée ailleurs, sur la colline et m’abandonnant seule à mon sort.
- Laisse moi deviner, soupira Anastae. Il se nommait Leith ?
- Qu’il est charmant ! Si tu le délaisses, je me ferai un plaisir d’en faire mon amant. Mais après que je lui ai annoncé que tu n’étais plus là, il est de suite parti.
Anastae roula des yeux et se leva : Luciana tourna sur le côté et lui adressa à nouveau son regard foudroyant. Elle devait rejoindre le jeune elfe de la vieille qui avait accepté de lui donner des conseils durant une heure de la pause de deux heures. Elle n’avait pas encore décidé si elle devait le dire à Luciana ou non mais décida, pour le moment, de garder ce petit secret :
- Je reviens rapidement.
- Va, va, railla-t-elle. Et reviens moi vite.
Anastae trouva étrange qu’elle ne lui demande pas ce qui lui prenait. Mais en lui jetant un petit regard, elle comprit qu’elle n’en n’avait pas besoin : son sourire était lourd de sous-entendu. Si elle ne savait pas précisément ce qu’il se tramait, elle devait en avoir une idée générale assez forte.
Cette fée avait toujours un coup d’avance sur tout le monde : que ce soit amis, connaissances, amants, des ennemis, ou des presque inconnus. Si les humains devaient illustrer ce qu'étaient les fées, Luciana en serait le modèle parfait.
Elle se dirigea vers la rivière et y aperçut le jeune elfe de la veille. De dos, il lui rappelait de nouveau quelqu’un mais impossible de remettre la main dessus… Ce dernier se tourna, lui adressa son petit sourire, et désigna du menton les arcs posés sur l’énorme pierre :
- J’espère que tu es prête.
- Toujours, rétorqua-t-elle en remontant le bas de sa robe. J’espère surtout que tu as vraiment d’autres conseils à me donner.
- Je ne mens pas.
Il saisit son arc, lui lança le second, et elle s’empressa de le plaquer contre sa poitrine, une petite lueur de contentement dans les yeux. Elle ne lui avait toujours pas demandé son prénom mais elle aimait cette ambiance mystérieuse où ils pourraient se quitter quand ils le souhaitaient sans conséquences : elle devinait qu’il pensait la même chose.
L'elfe sautilla sur ses pieds et lui fit signe de regarder :
- Ton enchaînement, en soit, est très bien. Seulement il est réservé à un combat rapide. Si tu venais à te retrouver face à un adversaire qui aime faire durer le plaisir, il faut que tu saches comment, où, et quand attaquer. Imaginons…
Il la saisit par les épaules et la déplaça de quelques centimètres :
- Je suis en face de toi, nous nous combattons du regard, nous avons tous les deux un arc, que fais-tu ?
- Je te tire directement dessus.
- Faux. J’y serais trop préparé.
Il commença à tourner autour d’elle et Anastae fut donc obligée de suivre le mouvement. Elle avait le sentiment qu’ils étaient deux animaux prêts à se sauter dessus pour s’arracher la gorge et sans qu’elle ne puisse rien y faire, ses mains commencèrent à suer et sa respiration à s'accentuer.
Deux minutes passèrent et aucun d’eux deux n’entamaient un mouvement pour tirer sur l’autre. Anastae commença donc à penser à une autre stratégie. Si elle se jetait par terre et qu’elle tirait directement une flèche, cette dernière se figerait dans sa cuisse et l’arrêterait pendant un instant. Mais cela prendra sans doute trop de temps… Dans ce cas, elle pouvait peut-être tourner sur elle-même avant de l’attaquer, il la raterait sûrement…
Une flèche fila à côté de sa joue et une douleur sourde résonna dans cette dernière.
Sans qu’elle ne s’en rende compte, l’elfe venait de lui lancer une flèche et si cela n’avait pas été un entraînement, cette dernière se serait figée dans son visage. Anastae n’avait rien pu faire, autrement que regarder avec des yeux ronds, et elle savait que son manque de réaction correspondait à cette raison.
Le blond secoua sa chevelure et lui expliqua :
- La pression temporelle. A force d’attente, l’esprit commence inconsciemment à divaguer. Je peux deviner que ça commençait à tarauder là-haut. Ce n’est pas de ta faute, cela s'apprend : voilà où se portera ma première leçon.
Anastae plaqua ses doigts sur la longue estafilade que portait désormais sa joue : un elfe ou une fée en guérirait en cinq minutes. Pour elle, cela lui prendrait quelques heures. Elle soupira, déçue de savoir qu’elle allait devoir trouver une excuse pour pouvoir dissimuler cela :
- J’aimerais te dire que je suis navré pour ta joue, sourit-il. Mais je ne me fais pas beaucoup de soucis pour ta blessure.
- Tu es grossier, s'écria-t-elle.
- Réaliste, rétorqua t-il.
Il se positionna et tira une nouvelle flèche sur son arc, l’air de vouloir continuer cette leçon. Anastae ne pouvait pas nier qu’elle appréciait de savoir quels étaient ses défauts : elle n’avait jamais pu les voir car elle avait appris le tir à l’arc seule, recluse dans son coin sans personne.
Mais alors qu’elle allait de nouveau parler, sa blessure commença à la brûler intensément. Pendant un instant, Anastae ne saisit pas et se contenta de plaquer encore plus fort ses doigts. Puis, elle comprit. Il s’agissait tout simplement de son don qui se réveillait : la blessure avait été causée par une flèche. Dans quelques secondes, des flammes allaient jaillir de son sang et…
Anastae recula, lâcha son propre arc et s’étrangla avec son propre souffle. Elle ne regarda même pas l'elfe qui ne comprenait pas ce qu’il se passait et elle se détourna avec précipitation. Sa gorge la brûla quand un mensonge commença à caresser sa langue mais elle se força jusqu’à ce qu’une douleur naissa dans son esprit :
- Navrée, j’avais oublié que je devais rejoindre ma famille pour l'après-midi. Je dois te laisser ici mais… Je reviendrai demain.
Elle avait le sentiment que sa gorge brûlait mais elle lui adressa un petit aurevoir de la main avant de s’éloigner de lui, le plus naturellement possible.
Sous ses doigts, des flammes grimpaient.