Chapitre 5

Par Notsil

La nuit était tombée sur la capitale. Shaniel tournait et se retournait dans le lit qu’elle partageait avec son jumeau. Rayad dormait déjà ; elle lui avait toujours envié cette capacité à s’endormir d’un bloc. Surielle s’était montrée sur ses gardes, mais avait fait un effort pour leur être agréable. Shaniel avait deviné que l’idée de partager son intimité lui déplaisait souverainement.

Néanmoins, ce n’était pas sa chambre, ce n’était pas son lit. Elle n’était pas chez elle. Shaniel se glissa hors des draps avec discrétion. Surielle avait parlé d’une porte dérobée. À tâtons, dans le noir, à la faible lueur de la lune qui perçait derrière les lourds rideaux bordeaux, elle glissa sa main sur la poignée. La porte s’ouvrit, et sur des pieds légers, elle s’avança dans l’autre pièce.

Shaniel devinait une forme sous les draps froissés ; elle s’approcha, posa un genou sur le matelas. Une main se referma sur son poignet, le froid de l’acier toucha sa gorge. Shaniel s’obligea à l’immobilité.

–Me prends-tu pour un assassin ? souffla-t-elle.

–Shani…

La lame rejoignit son fourreau dans un chuintement.

–Que fais-tu là ? murmura Alistair en passant une main sur son front. Tu as de la chance qu’Axel soit dans le salon et m’ait laissé sa chambre.

–Je n’arrive pas à dormir.

Alistair soupira.

–Je suis fatigué.

Shaniel ne répondit pas, se glissa sous les draps à ses côtés. De la main, elle caressa sa joue.

–Ne me désires-tu pas ?

–Tu crois que c’est le moment ? fit Alistair, incrédule. Nous ne sommes plus dans ton Palais, Shani.

–Et ? Qu’est-ce que ça change ?

–Tout ! Tu es une héritière du trône impérial. Tu ne dois pas…

–C’est Rayad l’héritier, coupa Shaniel. Il me laissera faire ce que je veux, sois-en sûr.

–C’est trop risqué.

Shaniel l’embrassa pour couper court à ses protestations, colla son corps contre le sien. Elle avait trop besoin de lui, ce soir, pour lui permettre de s’opposer à elle.

Elle s’écarta légèrement, le souffle court, posa son front contre le sien.

–Alors ?

Pour toute réponse, il l’embrassa de nouveau. Shaniel rit doucement, se débarrassa de sa nuisette, et posa les mains sur le torse musclé de son amant. Avide, elle couvrit son corps de baisers, se délecta de le sentir frémir sous elle. Quand il se crispa, Shaniel s’arrêta, ses doigts suivirent des lignes qu’elle n’avait pas remarquées.

–Tu es blessé, nota-t-elle, soucieuse.

–Ce n’est pas ce qui t’arrête, d’habitude, se moqua Alistair. Ce n’est rien de grave.

Shaniel fronça les sourcils.

–Et ton bras ? dit-elle en dessinant les contours d’un bandage. C’est soigné ?

–Oui. Depuis quand tu t’inquiètes pour moi ?

La jeune femme se mordit les lèvres.

–Je m’inquiète seulement de tes capacités, rétorqua-t-elle.

Alistair étouffa un rire, l’enserra de ses bras, déposa un baiser au creux de son cou. Shaniel soupira d’aise comme les ailes rouges s’élevaient au-dessus d’elle.

Dans ses bras, elle se sentait vivante. Dans son étreinte, elle pouvait enfin oublier les images atroces des dernières heures. Elle avait désespérément besoin de réconfort, de retrouver ses repères. Alistair avait-il deviné son mal-être ? Shaniel savait qu’il était incapable de lui résister. Elle n’éprouvait aucune culpabilité

Ce soir encore, elle avait gain de cause.

*****

Quand Rayad s’éveilla le lendemain matin, il était seul dans le lit. Un instant, il se demanda où il était. Puis la journée catastrophique de la veille lui revint en mémoire.

Où était Shaniel ?

–Tu me cherches ? lança une voix moqueuse.

Enveloppée d’une serviette, sa sœur sortait de la salle de bain.

–Tu as le sommeil bien lourd, mon frère, ajouta-t-elle avec malice.

Rayad croisa les bras.

–Tu devrais laisser Alistair tranquille.

La jeune femme se renfrogna, l’éclat de ses pupilles augmenta.

–Qu’est-ce que tu insinues ?

–Qu’il a besoin de repos. Alistair est mon ami, je refuse que tu le traites comme l’une de tes conquêtes habituelles.

–Qu’y puis-je s’il est fou de moi ? rétorqua la jeune femme.

–Justement. Respecte ses sentiments.

–Tu n’es pas drôle, Rayad. Il n’y a rien de mal à s’amuser un peu. Je le ne force pas, que je sache.

Trois coups furent frappés à la porte.

–Entrez, lança Rayad.

Surielle ouvrit la porte ; Shaniel se demanda à quoi était dû son air songeur.

–Le petit-déjeuner est prêt, si jamais. Les parents sont déjà partis.

–Merci. Nous arrivons.

*****

C’était une bien étrange tablée, dans le salon de la Souveraine. Les trois impériaux conversaient tranquillement ; Surielle restait méfiante. Ses parents leur faisaient confiance aveuglément, mais elle avait été trahie trop souvent pour faire preuve de la même mansuétude. Axel se désintéressait déjà d’eux ; normal, dans moins d’une heure, il serait en route pour Massilia. Lysabel s’inquiétait de se trouver en minorité une fois Axel parti. Elle était trop jeune au milieu d’eux, se faisait l’effet d’une enfant. Elle détestait ça. Il lui tardait que ses parents rentrent.

Surielle voyait les impériaux marmonner entre eux, sans comprendre la moindre bribe. Elle était furieuse. Leur comportement était d’une telle impolitesse ! Et évidemment, il serait impoli de le leur faire remarquer.

Vivement qu’ils partent.

Certes, elle avait été intriguée dans un premier temps par son « cousin », mais il était resté distant, préférant sans nul doute la compagnie de ses amis. Se rendait-il compte de l’honneur qui lui était fait ? Il était le fils du plus grand traitre que la Fédération ait connu, il débarquait comme une fleur, et tout ça sans le moindre remerciement ?

C’était intolérable.

Sans le respect qu’elle portait à ses parents, elle l’aurait déjà défié pour lui demander de répondre de ses actes. Maintenant que son père l’avait désigné comme un invité, ce serait son honneur à elle qui serait terni de bafouer ainsi l’hospitalité.

Surielle retint un soupir. Elle détestait cette situation à laquelle ses parents l’avaient contrainte.

Bientôt, Axel se leva pour prendre congé et Lysabel se jeta dans ses bras.

–Je reviendrai bientôt, sourit Axel. Tu me montreras tes progrès, d’accord ?

Lysabel approuva avec enthousiasme.

–Et tu m’apprendras une nouvelle technique ? Regarde, j’y arrive presque !

La jeune fille ouvrit sa main, se concentra. Une légère flammèche apparut au creux de sa paume, pour s’évanouir presque aussitôt.

–Tu y es presque, en effet, approuva Axel.

–Tu pourrais me remontrer ? S’il te plait !

–D’accord, se résigna le jeune homme. Mais vite fait, sinon je vais être en retard. Papa m’attend.

Il ouvrit la main à son tour, et une flammèche bien plus intense surgit. Axel agita les doigts, la flamme se déplaça sur l’extrémité de ses doigts, légère et impalpable. Quand il ferma le poing, elle  disparut.

–Whaouh ! Je promets de m’entrainer dur.

–Maman t’a interdit de le faire seule, rappela sèchement Surielle.

–Tu es juste jalouse parce que tu n’y arrives pas !

Surielle vit rouge. Ses poings se serrèrent et ses ailes s’écartèrent sous sa fureur.

–Espèce de petite… !

–Suri.

La voix calme se teintait d’une légère réprobation et la jeune femme blêmit.

Leur père était là, Lysabel déjà dans ses bras. Il ne dit rien, mais le regard qu’il posa sur elle était suffisant. Elle sentit le rouge monter à ses joues. Se donner ainsi en spectacle ! C’était une humiliation. Lysabel lui tira la langue ; son regard s’assombrit.

–Laisse ta sœur tranquille, Lys. Je m’absente pour la journée, j’escorte Axel sur Massilia. Ce n’était pas prévu, mais Lysabel nous accompagnera.

Surielle se sentit soulagée.

–Merci, papa.

–Attends. Je compte sur toi pour prendre soin de nos invités.

–Mais, j’avais prévu de retrouver…

–Je me doute que tu avais d’autres projets. Tu feras ce que je te demande.

–Oui, père, marmonna-t-elle, agacée de nouveau.

Encore une journée de perdue ! Elle coula un regard en coin aux « invités ». Tout ça était de leur faute !

–Je vous aurais bien conseillé de rester à l’intérieur, mais… vous êtes jeunes et impatients. S’ils le souhaitent, tu peux leur faire visiter la ville. Évite-leur les endroits trop fréquentés. Par contre, couvrez-vous bien. Surtout toi, ajouta-t-il à l’intention d’Alistair. Tu lui ressembles bien trop.

Le jeune homme se renfrogna.

–Je n’aime pas me cacher. Ce n’est pas honorable.

–Te révéler attirera l’attention sur Rayad et Shaniel. Pourquoi avoir camouflé vos identités, en ce cas ?

Alistair resta silencieux, conscient qu’il n’avait aucun argument à lui opposer.

–Il le fera, intervint Rayad. Merci.

–Satia devrait être occupée toute la journée également. Nous ferons le point sur la situation ce soir. D’ici là, soyez prudents.

Lorsque son père quitta la pièce avec Axel et Lysabel, Surielle se sentit bien seule.

Elle pinça les lèvres en voyant l’attention fixée sur elle. Shaniel battit des mains, ravie.

–Se promener ! Il me faut une robe.

–Une tenue de voyage confortable, rectifia Rayad. Je suis vraiment désolé de perturber tes plans, Surielle.

–J’ai l’habitude, maugréa la jeune femme. Venez.

–Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, intervint Alistair. Il serait plus prudent de rester à l’intérieur.

Shaniel eut une moue contrarié et leva les yeux au ciel.

–Orssanc que tu es pénible avec tes ailes ! Tu crois que ça m’amuse de garder une capuche toute la journée ? Tu crois que c’est un temps à garder ça sur la tête ? Ça va étouffer mes cheveux…

–Reste là si tu préfères, proposa Rayad.

–Et vous laisser seuls ? Hors de question. J’ai promis de veiller sur vous.

–Nous sortons, avec ou sans toi, trancha Surielle. Décide-toi.

Maussade, Alistair s’enveloppa de sa cape avant de les rejoindre. Il détestait cette sensation sur ses ailes, désagréable au possible. En plus le tissu le gênerait pour dégainer en cas d’attaque et il n’aurait aucun moyen de s’envoler rapidement au besoin.

Orssanc qu’il lui tardait que cette corvée se termine.

****

 

 

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