Depuis le vol de son sac, Olivia redoublait de vigilance.
— Tu as surement oublié de fermer ton casier à clef, avait dit Totoche d’un ton désolé.
— C’est malheureux, avait renchéri Gus, il y a déjà eu de la fauche entre saisonniers l’année dernière. Tu avais des choses importantes dans ton balochon ?
Olivia s’était contenté de secouer la tête, trop accablée par la perte de ses affaires. Elle ne possédait plus rien de sa vie d’avant.
Plus rien.
Elle était déracinée.
Elle était seule.
La gorge nouée, elle s’était immédiatement isolée dans le dortoir, encore vide à cette heure. Cachée derrière son lit de métal froid, les bras enroulés autour de ses genoux, elle avait laissé couler ses larmes.
Elle se souvenait de cette nuit de mai où elle avait entassé pêle-mêle quelques fringues, ses produits de toilette, des bijoux, cette nuit où elle était alors à mille lieux de s’imaginer ce qui l’attendait. Elle avait rêvé d’une autre vie, mais pas de cette façon. Elle n’avait pas mérité ce qui lui arrivait.
Ses parents lui manquaient.
Tilma lui manquait
Et Alek lui manquait. Tellement qu’elle en avait mal au coeur.
A cet instant, une émotion d’une grande douceur lui avait réchauffé le ventre, comme une bonne tasse de lait chocolaté débordante de crème chantilly. Alek la réconfortait de sa compassion. Il ne l’abandonnerait jamais. Elle avait trouvé celui qui la comprenait, dans ce monde et au-delà.
Sur les conseils de ses compagnons de route, Olivia se rendit quelques jours plus tard chez le tailleur pour se constituer une nouvelle garde-robe. La boutique était située sur l’artère principale de Momo, facilement repérable grâce à son enseigne avec une aiguille dorée : « Clan Jeannette Couture » était tracé en lettres rondes sur la façade fuchsia. Pour lire le Lufzan, Olivia devait prononcer les mots dans sa tête : son don transformait simultanément le charabia en une suite intelligible.
La maître-couturière lui présenta un catalogue de modèles joliment dessinés à l’encre bleue : après quelques hésitations, elle choisit deux ensembles en lin bon marché et une veste épaisse à grandes poches, qui remplaceraient avantageusement ses tenues éliminées. La commerçante l’installa dans l’arrière-boutique, au milieu un capharnaüm de velours, de fils colorés et de boutons nacrés, et entreprit de lui prendre ses mesures en l’entourant d’un savoureux babillage. Olivia répondait par monosyllabes, le regard fixé sur le miroir psyché : elle avait peine à reconnaître le visage bronzé et amaigri qui lui faisait face. Elle suivit la maître-couturière jusqu’au comptoir pour régler l’acompte ; cette dernière lui demanda alors tout naturellement son nom pour enregistrer la commande.
— Corinne.
La réaction fut immédiate : son visage doux et souriant mua en une grimace dégoutée.
— Nous avons beaucoup de travail en ce moment, vous savez, dit-elle d’une voix haut perchée. Vos vêtements ne seront pas prêts avant trois semaines.
— Mais…
— Si le délai ne vous convient pas, je peux vous proposer des vêtements d’occasion que nous réservons aux clients pressés.
Olivia compris l’allusion et soupira. Parfois, elle avait envie de s’inventer un clan, simplement pour être traitée normalement. Après tout, elle avait bien emprunté le nom de Tilma durant plusieurs mois : Olivia Oclamel, du clan Fara. En pensant à son amie, elle sentit une pointe crever sa poitrine.
— Très bien, dans cas, montrez-moi ce que vous avez.
La semaine s’écoula lentement : Olivia essuyait le contrecoup du choc causé par le vol de ses effets personnels. Le découragement lui lestait les membres, et son regard se perdait dans les feuilles en langues d’oiseaux des pêchers. Boniface s’inquiéta de son état et resta l’aider, les soirs où elle prit du retard. La veille de son unique jour de congé, Olivia décida de lui offrir plusieurs tournées de bière pour lui montrer sa reconnaissance. Elle rejoignit les saisonniers à l’auberge, un peu ragaillardis à la pensée d’une détente alcoolisée. A peine attablée avec les autres sans-clans, elle observa comme chaque soir toutes les personnes présentes dans l’établissement. Celui ou celle qui lui avait volé son sac avait peut-être été intrigué par son cahier de compte et son stylo ; mis à part ces deux objets, elle ne possédait rien qui aurait pu la trahir. Son sac lui-même pouvait tout à fait passer pour une fabrication Lufzanne. Avait-on choisi son casier par hasard ? Elle était sûre et certaine de l’avoir fermé à clef.
Le serveur plaça une bière sur la table, et Olivia lui tendit deux pièces distraitement. C’est là qu’elle les repéra : ils étaient deux, et avaient noircies leurs yeux de khôl. Elle dut les dévisager quelques secondes de trop, car Gustave suivit son regard.
— Moins on fraye avec ces gens-là, mieux on se porte, marmonna-t-il, la voix couverte par le brouhaha ambiant.
— Que font-ils ici ?
— Ne t’inquiètes pas, ces mercenaires ne sont pas là pour récolter des pêches. Demain, ils seront partis.
Olivia changea de position pour ne plus les avoir dans son champ de vision. Elle ne les connaissait pas, mais gardait un souvenir suffisamment traumatisant de sa première rencontre avec des mercenaires pour s’en tenir éloigné le plus possible. A côté d’elle, Boniface jouait avec son dé. Depuis leur petite excursion à la bibliothèque, il s’était créé entre eux une nouvelle complicité : le soir, ils leurs arrivaient même de sécher les soirées à l’auberge pour se balader dans le village au le clair de lune. Gustave et Totoche n’avait pas manqué de la taquiner à ce sujet, et Olivia avait tenue à dissiper tout malentendu : Boniface resterait un ami.
Ce dernier rangea son dé et lui fit un signe de tête en directement de la porte d’entrée. La jeune femme acquiesça : elle besoin de respirer l’air frais. Ils déambulèrent durant un moment dans les différentes ruelles de Momo, dont ils connaissaient maintenant le dessin par cœur. Comme à son habitude, Boniface menait la conversation. Ils parlèrent du travail, pénibles avec la chaleur, pestèrent sur les contremaîtres jamais contents et sur leurs vieux collègues ronchons. Au fil de la discussion, Olivia raconta les heures passées à frotter la crasse des bains publiques avec Gus et Totoche, ses ongles noirs qu’elle ne parvenait jamais à nettoyer complètement. Et les employeurs, toujours là pour pointer la moindre petite tache.
— Je préférerais travailler dans les métiers de bouche, conclu-t-elle. Ou dans l’artisanat…
— Il y a trois ans, j’ai travaillé chez un menuisier, dit Boniface avec une pointe de fierté. Je me débrouillais pas mal ! Je rêverais de monter mon atelier, un jour…
— Tu ne voulais pas rester chez lui ? demanda Olivia.
— Oh si…mais il a fini par apprendre que je n’avais pas de clan. Et j’ai été viré.
Ses mots étaient gorgés d’amertume.
— Tu lui avais menti ?
— Tu ne l’as jamais fait, toi ? Je sais que c’est risqué… mais quels sont nos possibilités, à nous autres ? Que nous autorise-t-on à faire autre que de la merde de claniques ?!
La jeune femme se tut, comme à chaque fois que Boniface s’insurgeait de leur condition. Il aurait été malaisé de sa part de se plaindre, alors qu’elle ne subissait ces discriminations que depuis quelques semaines. Elle se sentait pleine d’empathie pour Boniface, pour sa vie de misère, sans perspective.
Ils s’enfoncèrent dans une impasse bordée de vergers.
— Il existe un moyen d’obtenir un nom de clan, continua Boniface. Il suffit de balancer un traitre, et l’Empereur peut, en remerciement…
Olivia croisa furtivement son regard, et d’un coup, elle comprit.
Il savait pour elle. Depuis le début.
Il avait endormi sa méfiance, et maintenant, il allait la livrer.
Elle fit volt face et couru de toutes ses forces. Mais il était déjà trop tard : le couple de mercenaires barrait l’entrée de la ruelle dans une posture ennuyée. Boniface l’avait suivi : elle l’entendit s’approcher dans son dos.
— Boniface ! rugit-elle de panique
— Ecoute Corinne, je n’ai rien contre toi, mais ce dont je suis sûre, c’est que tu n’es pas une sans-clan. Tu joues, tu perds : c’est comme ça que j’ai appris la vie.
— Qu’est-ce que tu fais encore là, toi ! lui lança l’une des femmes aux yeux noirs.
L’espace d’une seconde, Olivia eu l’impression que le jeune homme hésitait. Puis il la dépassa et disparu à l’angle, la laissant seule face aux deux mercenaires.
Olivia ignorait quel pouvait être l’intention du binôme. Il n’allait tout de même pas l’attaquer en plein bourg.
— Comment tu t’ appelles ?
— Corinne.
La femme, esquissa un sourire.
— Je t’explique comment ça va se passer, ma fille. Soit tu coopère et il ne t’arrivera rien de fâcheux ; Soit tu continues à nous prendre pour des cons et tu finiras par regretter d’être née.
— Que me voulez-vous ?!
— C’est moi qui pose les questions ici. Commence par nous dire ta véritable identité.
Olivia les jaugea tout à tour. Elle avait l’impression d’avoir déjà vécu cette scène, d’avoir déjà envisagé tous les échappatoires. Les murs l’encerclaient comme un étau.
Alek avait perçu sa peur : il était concentré sur elle, l’exhortait au calme.
« Le Souffle, fais lui confiance »
Olivia avait compris que les murmures et le Souffle ne faisait qu’un. Esprit de l’air, aussi puissant qu’insaisissable.
La scène sembla se figer : le vent s’était levé ; il hurlait à ses oreilles, s’engouffrait dans ses cheveux et ses vêtements. Comprenant qu’il en faudrait davantage pour la faire obtempérer, la mercenaire tira son sabre.
— Restez où vous êtes ! cria Olivia.
Ce fut son partenaire qui lui répondit, amusé :
— Sinon quoi ?
Olivia ne put lui répondre. Son corps tremblait, le Souffle l’enlaçait comme une caresse d’embruns. Elle était consciente de la force immense avec laquelle elle faisait corps, cette force qui lui avait permis de s’éloigner d’Alek malgré l’ylure, et qui ne demandait qu’à s’exprimer à nouveau. Et elle avait maintenant peur de ce qui pourrait arriver.
Alors j'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre le chemin que tu as pris: la dernière fois on est passé direct du vol du sac à la visite de la bibliothèque, et on retourne au vol du sac dans ce chapitre, du coup c'est un peu déconcertant. Voilà mon ressenti, peut-être qu'il faudrait juste changer un peu l'ordre de certains événements, mais tu fais ce que tu veux ;)
Par ailleurs, pour l'instant il n'y a aucune réaction d'Olivia par rapport à l'hsitoire qu'elle a entendue alors qu'elle devrait comprendre que ça la concerne un peu, je pense....
Et sinon moi j'ai été complètement surprise par la trahison de Boniface ^^ en même temps je le comprends un peu, enfin, je veux dire que c'est logique.... Du coup j'ai hâte de voir comment elle va se débrouiller avec les mercenaires !!!
A très vite!
Merci encore d'avoir pris le temps de commenter :)
Boniface, mais, mais... 😨😭 Je me doutais un peu qu'il allait lui faire du mal à un moment, mais je n'avais pas fait le lien avec les deux mercenaires... Et en même temps, du coup, la phrase de Boniface au début devient plus claire, "Demain, ils seront partis" :/
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, et j'ai hâte de voir ce qu'Olivia va faire avec le Souffle !
Pitites coquilles (d'ailleurs, si jamais ça t'embête que je les note, tu me dis hein 😅)
• "Tilma lui manquait" → il manque un point ^^
• "La commerçante l’installa dans l’arrière-boutique, au milieu un capharnaüm de velours, de fils colorés et de boutons nacrés" → "au milieu d'un"
• "le soir, ils leurs arrivaient même de sécher les soirées à l’auberge pour se balader dans le village au le clair de lune" → "au clair" ^^
• "Ce dernier rangea son dé et lui fit un signe de tête en directement de la porte d’entrée." → "en direction"
• "Ils parlèrent du travail, pénibles avec la chaleur, pestèrent sur les contremaîtres" → pénible
• "Je préférerais travailler dans les métiers de bouche, conclu-t-elle" → conclut-elle
• "Elle fit volt face et couru de toutes ses forces" → volte-face / courut
• "Boniface l’avait suivi : elle l’entendit s’approcher dans son dos" → suivie
• "Boniface ! rugit-elle de panique" → il manque un point à la fin ^^
• "Puis il la dépassa et disparu à l’angle, la laissant seule face aux deux mercenaires" → disparut
• "Olivia ignorait quel pouvait être l’intention du binôme" → quelle
• "Soit tu coopère et il ne t’arrivera rien de fâcheux ; Soit tu continues" → coopères / pas de majuscule au deuxième "soit" ^^
• "Elle était consciente de la force immense avec laquelle elle faisait corps, cette force qui lui avait permis de s’éloigner d’Alek malgré l’ylure" → il ne faudrait pas une majuscule à "ylure" ? 🤔
Pour les corrections, cela ne me gêne pas bien sûr mais tu n'es pas obligée si cela te prends du temps car je ferais une relecture avec antidote :) bon dun côté quand je vois toutes les étourderie que tu pointes je crois que c'est au delà des compétences du logiciel ;)