Chapitre 5

Le début de la réunion a été ennuyant. Le même discours que notre chère Clara rabâchait chaque année sur l'importance des études, le respect, la persévérance, l'autonomie, la maturité, etc. Jusque là, personne n'écoutait, et elle s'en moquait. Jusqu'à ce qu'elle arrive au Sujet : Les Loups-Garous. C'était la partie qui remplissait les quatre heures et qui m'épuisait le plus.

Comme à chaque début d'année, elle préparait ce discours pour nous rappeler qu'en dehors des portes de l'établissement sévissaient des dangers dont on ne pouvait pas soupçonner l'existence, que ce n'était pas parce que nous vivions dans un environnement douillet, et que nous étions protégés que nous devions baisser notre garde. Elle nous rappela l'importance des combats mais surtout de l'histoire qui ne devait en aucun cas être oubliée.

Quand les lumières se sont éteintes, je n'ai entendu ni rires, ni bruissements de vêtements, ni grincements de chaises indiquant que des élèves profitaient de l'obscurité pour se rapprocher et flirter ensemble. Un diaporama blanc et lumineux surgit, puis, lentement, des images ont commencé à apparaître sur sa surface, comme une photo en train de se développer. Il s'agissait de peintures en noir et blanc représentant deux groupes de part et d'autre de l'image, d'hommes et de femmes, à l'expression sévère. On voyait au fur et à mesure que, ces personnes d'abord a l'apparence humaine, gagnaient en bestialité. A la dernière image, on voyait une infusion de sang. À force de revoir encore et toujours la même chose depuis près de dix-sept ans, cela ne me faisait plus rien. Mais en entendant des chuchotements je me dis que ce n'était pas le cas des nouveaux.

Je croisai les bras sur ma poitrine en expirant doucement puis me penchai vers Ariadne.

-Pourquoi est-ce-qu'ils nous obligent à voir ça ? J'en peux plus de ces foutaises.

-Wilkerson ! Si vous avez un commentaire, veuillez nous le partager. Nous sommes... toujours ravi d'entendre le fond de vos pensées qui s'avèrent toujours constructives, aboya M. Horner.

Merde. Foutue ouïe de vampire.

Je me redressai et le toisai du fond de la salle.

-Non, je ne voudrais pas gêner votre diaporama si bien travaillé, ironisai-je.

Je m'attendais à une autre réplique cinglante mais il me lança un regard dédaigneux avant de poursuivre son histoire.

-Je t'emmerde, murmurai-je à moi-même.

Ariadne était sur le point de répondre quand le chien de chasse se retourna de nouveau, me lançant un regard d'avertissement.

Elle prit son téléphone puis se mis à écrire un message qu'elle m'envoya. Je pris alors le mien.

-C'est pas cool de parler comme ça à un professeur.

Je fronçai les sourcils. Depuis quand Ariadne disait ça ? Je regardai mieux de qui il s'agissait.

Mason.

Je soupirai puis ouvris le message d'Ariadne.

-Coup de scalpel dans la rate !

Je l'ai regardé et nous avons commencé à glousser comme des dindes.

-Je suis sûre qu'il le sentira même pas passer ce coup dans la rate, chuchotai-je.

Je reportai ensuite mon attention vers le Gardien des portes de l'Enfer qu'était Alan Horner, qui affichait d'autres caricatures de loups-garous.

Les quatre heures suivantes ont été éreintantes. Je pourrais réécrire tout son discours les yeux fermés. Lorsqu'il arriva au dernier diaporama, il nous souhaita enfin une bonne rentrée, ce qui était un peu glauque compte tenu des images gores qui y étaient affichées.

Je quittai rapidement l'amphithéâtre en compagnie d'Ariadne, qui me racontait ses péripéties de long en large et en travers et je fis de même, en omettant bien sûr mon étrange rêve sur ce soit-disant Isaac.

-Il est minuit, dit-elle. On a une heure pour les rejoindre. J'espère qu'ils ont tout préparé.

-Ce que j'espère c'est que je vais réussir à trouver une distraction, soupirai-je.

-Tu en trouves toujours, répondit-elle en levant les yeux au ciel.

Il était vrai que j'arrivais à ne pas m'ennuyer, mais il me fallait juste une motivation. Dans le cas contraire Ariadne m'y entraînait de force.

Nous sommes arrivées devant la porte de notre chambre, et Ariadne commença à préparer sa tenue. Elle opta pour une robe près du corps bleue ciel sans manches et y ajouta une ceinture noire pour marquer sa taille ainsi que des escarpins blancs. Elle attacha ensuite ses cheveux en un chignon décoiffé en prenant soin de laisser retomber des mèches bouclées de part et d'autre de son visage. Et pour finir, un maquillage naturel et un rouge à lèvre rouge. Elle était magnifique.

Pour ma part je pris un Top noir à manches longues ouvert sur les épaules, à col V arrivant sous ma poitrine, avec un jean blanc Slim et des talons noirs. Contrairement à ma meilleure amie, je gardais les cheveux détachés mais j'en attachai une partie avec une pince. La chose qui me prit le plus de temps fut le maquillage: Le eye liner et le fard à paupière. Je me focalisai sur mes yeux en les entourant de noir pour en ressortir leur couleur grise. Puis j'ajoutai une touche de gloss crème. Et ce fut tout pour moi.

-Ça te va super bien, me dit-elle en me lançant un sourire éclatant.

-Merci, répondis-je avec un clin d'œil. Je ne pense pas que ce soit nécessaire de te retourner le compliment.

Ariadne savait que je la trouvais magnifique, et ne le comprenait pas parfois.
Elle roula des yeux et rit.

-Merci Rachel, même si je trouve que t'en fais légèrement trop compte tenue de ta beauté à toi.

-Arrête, tu vas me faire rougir, ironisai-je.

Elle était sur le point de répondre quand quelqu'un frappa à la porte. Ariadne se précipita vers la porte.

-Tu es magnifique, murmura Adrian à l'intention de mon amie.

-Merci beaucoup, toi aussi... répondit-elle d'un ton niais qui me retourna l'estomac.

-Oh ! s'écria Adrian. Rachel ! C'est pas vrai ! Ça faisait super longtemps ! ( il se rapprocha et me pris dans ses bras) nous n'avons pas eu l'occasion de nous croiser. Mais t'es vraiment pas mal comme ça ! Enfin je veux dire, tu es toujours très belle (il rit lorsque je secouai la tête).

-Oui, ça faisait... deux mois. Pas si longtemps que ça, dit-je en haussant les épaules. Peut mieux faire.

Il me donna une tape sur l'épaule.

-Allez, viens ! On va s'éclater, comme toujours.

Je jetai un coup d'œil vers Ariadne qui me regardait avec bienveillance et j'acquiesçai.
 

 

 



La soirée se déroulait dans la chambre d'Adrian. Puisqu'il était de sang Royal, celle-ci était dans un autre bâtiment que les gardiens ne surveillaient quasiment jamais, ce qui en faisait un bon coin tranquille.

Dans la chambre, la fête battait à son plein. Derek, Sydney et d'autres vampires et dhampirs, hilares, se passaient des bouteilles de whisky en écoutant de la musique à un volume inquiétant. La foule d'étudiants encombrait la pièce. J'ai tendu le cou à la recherche du buffet, affamée et pressée de manger. Je n'avais pas eu le temps de me préoccuper de ma faim de la journée, mais à présent je réalisai que j'en mourrais.

-Rachel ! cria Ariadne pour que je puisse l'entendre. Regarde : Alisson, Natasha, Beth, Cal et Connor sont venus eux aussi.

Je fronçai les sourcils et tendit le cou vers la direction que m'indiquait mon amie avant de les voir.

Ces cinq là étaient eux aussi des amis de longue date, nous n'étions pas particulièrement proches mais je m'entendais bien avec eux.

Alisson était une des vampires du groupe, elle portait une robe violette lui arrivant mi-cuisses et avait gardé ses cheveux courts noirs détachés. Je remarquai qu'elle en avait teint les bouts en rouge. Ce qui ne lui allait pas trop mal.
Natasha était la sœur jumelle de Connor. Tous les deux étaient les comiques de la bande. Bruns aux yeux verts, très gentils et très fiables. Contrairement à son frère, Natasha avait fait un effort vestimentaire en portant un jean rouge et un crop-top noir ainsi que des talons et avait attaché ses cheveux. Connor, lui, n'avait que son sweat-shirt et son jean.
Ensuite il y avait Beth et Cal qui sortaient ensemble. Beth était une vampire blonde et plutôt mignonne et portait un chemisier blanc et une jupe noir avec la veste qui allait avec. Cal qui lui s'était teint, comme Alisson, les cheveux en gris, avait également opté pour une chemise blanche.

Lorsque Beth nous vit, elle cria nos prénoms en faisant de grands signes. Et lorsque nous sommes enfin arrivées à sa hauteur, elle nous enlaça, Ariadne et moi et les autres ont fait de même. Nous avons discuté pendant près d'une heure de tout et de rien, des ragots et des activités de chacun avant que je décide d'aller me prendre un verre.

Dans la cuisine, un garçon servait des verres aux personnes présentes dans la pièce, et il insista pour que j'en accepte un. L'air aguicheur, il m'adressa un commentaire que je compris à peine à cause du vacarme, mais je m'autorisai à le prendre comme un compliment. La vodka me brûla la gorge, mais c'était agréable.

J'espérai que cette petite fête se terminerait vite, même si « j'aimais » ça en général. Bon, je le faisais plus pour m'amuser que parce que ça me plaisait, mais là actuellement, j'étais un peu préoccupée par cet étrange rêve que j'avais fait et par Ariadne qui se frottait à Adrian.

-Tu es super jolie, me dit-il.

-Merci, répondis-je simplement.

-Je te ressers ? me demanda-t-il avant que j'acquiesce.

Je bus et sentis la chaleur se propager dans mon estomac et un goût de colorant artificiel envahir ma bouche. C'était censé être à la framboise mais, comme toutes les boissons chimiques, on ne retrouvait pas du tout le fruit, seulement le goût du colorant probablement mortel, comme les préparations pour boissons aromatisées au raisin qui ont un goût de violet.

-Je m'appelle Ethan, annonça-il.

Il se versa de la vodka, puis trinqua avec moi.

-Santé ! s'exclama-t-il en riant.

Je l'imitai, en partie parce que la chaleur de l'alcool commençait à se diffuser dans mon organisme.

Lorsqu'une mèche de cheveux lui retomba devant les yeux, je m'aperçus qu'il était certainement attirant, mais j'avais désormais du mal à juger.

J'avalai une nouvelle gorgée et m'efforçai de me concentrer sur Ethan et ne pas fuir.

-Tu devrais ralentir, me conseilla-t-il lorsque je descendis mon quatrième verre.

Toutefois, il ne cessait pas de me resservir.

Je me sentis me rapprocher de lui, lui toucher le torse et me pencher vers lui comme si je le désirais. Il avait versé de la vodka à plusieurs filles mais, à présent, nous étions tous les deux seuls dans un coin. Il m'avait choisie et, comme il était canon, j'étais flattée.

-On dirait que tu ne tiens pas bien l'alcool, m'affirma-t-il après m'avoir encore servi un shot.

Il me connaissait depuis moins d'une demi-heure, au cours de laquelle il m'avait juste bassinée à propos de ses séances de musculations sans cesser de remplir mon verre.

J'avais déjà bu auparavant. Au moins à deux reprises. J'avais été pompette en partageant des schnaps avec Natasha, mais jamais complètement bourrée. Pas comme Natasha

Il était donc peu surprenant que ces cinq vodkas d'affilée m'aient frappée de plein fouet.

Un instant, j'étais debout en train de parler à Ethan. J'avais un peu chaud et me sentais légère, mais toujours en parfaite possession de mes moyens.

Le suivant, tout bascula. Je tentai de faire un pas, et percutai quelqu'un mais sentis que ma tête tournait. Je savais que je radotais, mais je ne parvenais pas à me raisonner.

Voici ce dont je me souviens : j'étais dans la cuisine à bavarder avec Ethan, quand il avait fini par m'interrompre en constatant que j'étais complètement ivre. Je lui avais hurlé des phrases qui avaient déclenché son hilarité. J'étais rentrée dans un mur. Les marches étaient trop nombreuses, et j'ignorais comment les monter. Sydney m'avait dit que j'étais jolie, mais elle était en pleine séance de pelotage avec un type moche aux cheveux frisés. J'avais beaucoup vacillé.

La dernière chose que je me rappelle, c'est m'être retrouvée dans une chambre plongée dans le noir. Je sais que je n'ai pas perdu connaissance, mais j'avais l'impression de m'être tout juste réveillée.

Seule certitude, j'étais sur un lit en train d'embrasser un garçon. Nos baisers s'étaient intensifiés, et ses mains avaient commencé à me parcourir. Ce qui me ramena à la réalité.

Je n'avais pas prévu de perdre ma virginité dans les bras d'un type qui jugeait intelligent de servir trop d'alcool à une fille. Et je me jurai de lui faire la peau. Je crois m'être souvenue lui avoir dit pendant qu'il me servait que je n'irai pas plus loin que quelques baisers. Même si, quelques instants auparavant, j'avais apprécié ce que l'on partageait, soudain, ça ne me paraissait plus une si bonne idée.

Alors que je m'apprêtais à le repousser, Ethan me fit remarquer que ma poche s'était mise à vibrer. Il avait cessé de m'embrasser, et je saisis cette occasion pour me dégager de son étreinte.

-C'est mon portable, lâchai-je.

-Ne réponds pas, me suggéra-t-il intelligemment.

Il posa la main sur moi pour tenter de me faire rester sur le lit avec lui, mais je le secouai pour m'échapper et me levai. Le sol semblait se dérober sous mes pieds mais, au moins, à un moment donné, j'avais ôté mes chaussures, si bien que j'arrivais à marcher.

-Il faut que je décroche, déclarai-je en essayant de voir qui appelait.

-Allô ?

-Rachel ?

Mason paraissait troublé. Au simple son de sa voix, mon cœur explosa et, l'alcool aidant, je commençai à réaliser que j'avais eu une montée de stress.

-Où est ce que tu es ? Je suis à la soirée mais je ne t'ai pas trouvé. Ton amie, celle de la cafétéria m'a dit qu'elle t'a vu avec un type. T'y es toujours ?

-Oui oui, je... (Je soupirai) j'arrive.

J'ouvris la porte malgré les protestations de Casanova et la lumière me brûla les yeux.

Je me frayais péniblement un chemin dans la foule. J'entendais Mason me parler au bout du fil, sans distinguer ses mots. Quand je réussis enfin à atteindre la porte d'entrée, le vacarme s'amenuisa et je l'entendis de nouveau.

-Où es-tu ? me redemanda-t-il.

-Dans le couloir, répondis-je en sentant la gueule de bois pointer le bout de son nez.

Je m'adossai au mur tentant de remettre de l'ordre dans mes idées. J'aurais juré avoir vu Jess m'observer pendant la soirée, mais cela paraissait incongru puisque il n'était pas venu.

J'étais adossée au mur à fredonner Starboy de The Weekend tout en me demandant pourquoi j'attendais là et pourquoi j'étais venue tout court. Je voulais retourner me coucher sans plus attendre. Je me redressai pour me rediriger vers le lieu de la fête et prévenir Ariadne quand quelqu'un m'interpella.

-Qu'est ce qu'il y a de si amusant là dedans ?

Je n'ai pas eu besoin de me retourner, et encore une fois, pour une raison que j'ignorais, des frissons m'ont parcouru l'échine.
Je me retournai alors avant de faire face à Jess. Il était vêtu d'une chemise dont les manches étaient relevées et le col ouvert laissant, à mon plus grand bonheur, entrevoir sa peau blanche et ses pectoraux tracés.

Je ne sais pas si cela était dû à l'alcool ou à une phéromone étrange qu'il sécrétait mais encore une fois, sa beauté m'aveugla. Incapable de répondre, je le regardai jusqu'à ce que ce cette étrange impulsion me pousse à faire un pas. J'avais tellement envie qu'il me touche... Il était si beau, si sexy... Une part de mon esprit comprenait vaguement que ce n'était pas moi, que quelque chose clochait et que ce que je faisais n'était pas séant, mais cela me ne me paraissait plus important, rien ne l'était en sa présence.

Etant donné notre différence de taille, je pouvais difficilement atteindre ses lèvres. Je visai donc son torse, impatiente de goûter sa peau douce et chaude...

-Rachel ! s'écria-t-il en faisant un bond en arrière. Qu'est-ce-que tu fais ?

-A ton avis ?

J'avançai encore. Il fallait que je l'embrasse, que je le touche, que je...

-Ce n'est pas normal, dit-il la voix étrangement enraillée en gardant une distance de sécurité entre nous.

En effet, je savais quelque part que cette attirance, cette envie viscérale de lui ne pouvait pas provenir de moi alors que c'était la deuxième fois que je le rencontrais. Dès la première fois j'avais senti quelque chose, mais ce qui m'arrivait à cet instant était plus que perturbant. Mais je ne pouvais pas me défaire de cette sensation. À mon plus grand étonnement, je réussi à recouvrer la parole et m'entendis lui dire :

-Je croyais que tu en avais envie... Ne me trouves-tu pas jolie ?

Il paraissait embarrassé et commença à scruter les environs.

-OK... Je ne sais pas ce qu'il t'arrive mais tu devrais retourner dans ta chambre.

Alors que j'essayai encore de l'atteindre, il m'attrapa les poignets. Ce contact provoqua une sorte de décharge électrique et je le vis oublier subitement ce à quoi il pensait.

Il lâcha mes poignets pour laisser ses doigts glisser lentement le long de mes bras. Tout en me dévorant de son regard assombri, il m'attira contre son torse. L'une de ses mains vint se poser sur ma nuque pour jouer avec mes cheveux et incliner mon visage vers le sien. Ses lèvres effleurèrent à peine les miennes et je fermai les yeux.

Puis subitement, comme si je recevait une gifle, j'écarquillai les yeux de surprise. J'avais l'impression d'essayer de me réveiller après un long sommeil.

Mason était là et avait repoussé son frère, je n'entendais pas ce qu'il lui disait mais il semblait le sermonner.

-Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé...

-... stupide.... inconscient ? ...pas bien ?!...

Alors qu'en fronçant les sourcils, je m'efforçais de comprendre ce qu'ils se disaient, une main se posa sur moi me faisant sursauter.

-Tout va bien ? Tu es sortie précipitamment, me dit doucement Ariadne en me scrutant de ses yeux de biche.

-Ça va, lui dis-je. J'ai un peu trop bu mais je vais y aller. Plus j'assiste à ces bêtises, plus je me demande pourquoi.

-Tu n'as rien t'es sûre ? insista-t-elle. Tu ne te sens pas bizarre ? Je peux t'accompagner, je m'en voudrais s'il t'arrivait quelque chose.

-Je t'assure, la rassurai-je. Tout va bien.

-Tu me le dirais, hein ? Si tu avais quelque chose ?

-Évidemment ! Je te dis tout !

Elle me sourit mais je savais qu'elle n'en était pas convaincue. Puis elle soupira, et à contre cœur se mit à reculer pour rejoindre la fête.

Quant à moi, je me rendis compte que les deux frères avaient disparus. Ils avaient dû s'éclipser discrètement. Ce qui n'était pas plus mal.

Je secouai la tête en recommençant à fredonner une chanson avant de rejoindre ma chambre.

 


 

Trois semaines plus tard, les cours ont repris, et les examens étaient dans presque deux semaines. Je réussis à me canaliser et à ne sécher aucun cours, il fallait dire que lorsque je m'y mettais, le résultat s'y sentait. Je n'étais retournée à aucune soirée et je n'avais plus revu ni Mason ni Jess - enfin, je les avais aperçus mais il semblait que nous avions occulté la présence de l'autre - Ariadne disparaissait plusieurs fois pour voir Adrian, et Sydney venait me voir de temps en temps. En bref, rien d'intéressant.

Les choses auraient mieux fait de rester ainsi.

Cette journée là était la journée classée S, comme suicide, sournoiserie, souffrance, saloperie. Enfin bref, c'était une journée consacrée aux parents. Ceux-ci devaient venir discuter avec les responsables de l'établissement. Évidemment, cela ne me concernait pas jusqu'ici, puisque la dernière fois que j'avais vu ma mère remontait à presque treize ans. Incroyable maman, n'est-ce-pas ?

Ma mère était l'une des plus prestigieuses et des plus respectées guerrières, elle était évidemment très pointilleuse, et j'étais sûre qu'elle me surveillait de loin. Compte tenu de toutes les idioties que j'avais commises, je savais à quoi m'attendre, mais surtout, je ne voulais pas la voir.

La journée était donc banalisée. Avec Ariadne nous avions passé toute la nuit (ou plutôt la journée) à bavarder. Mon amie était très excitée à l'idée de revoir ses parents, même si cela faisait uniquement trois semaines qu'ils ne s'étaient pas vus. Elle était mignonne quand elle s'y mettait.

Ses parents, Jeremiah et Émeraude, étaient des vampires très respectés, ils n'avaient pas imposé le respect comme presque tout le monde, ils l'avaient gagné. Cela s'expliquait par leur gentillesse, leur bonté,  et leur courtoisie. Dont Ariadne avait incontestablement hérité.

J'étais dans un coin reculé de la cour dont j'avais le secret en train de lire L'étrange cas du Docteur Jeckyll et M. Hyde. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours adoré ce livre, peut-être à cause du style d'écriture ? Peu importe, il était fascinant, et j'étais à peu près convaincue que ma mère vivait la même chose à peu de choses près.

-Bonjour, me dit une voix masculine.

Je levai les yeux sans voir personne puis secouai la tête, croyant que j'avais halluciné ou que ça ne m'était pas adressé. Mais je senti quelqu'un s'approcher sur ma droite puis se planter à côté de moi.

C'était un homme qui avait la trentaine environ, il portait une longue veste en cuir accompagnée d'un tailleur et d'une longue écharpe. Il avait les cheveux bruns et des yeux de la même couleur ainsi qu'une barbe de quelques jours. Sa peau était évidemment blanche, comme celle de tous les vampires.

Je refermai mon livre pour lui accorder mon attention.

-Bonjour, lui dis-je en souriant.

Sourire qu'il me rendit, faisant découvrir ses canines.

- Je vous dérange pendant votre lecture, j'en suis désolé, dit-il en inclinant la tête avec de poser ses yeux sur mon livre. Très bon choix soit dit en passant.

J'émis un rire de courtoisie.

-Il n'y a pas de mal. Si je peux vous aider j'en serais ravie.

-Je viens pour une réunion, simplement je ne sais pas où aller. Peut-être savez-vous vers qui me diriger ?

-Oh, bien sûr.

Je me levai pour lui montrer le chemin.

-Vous devez aller dans le bureau de notre directrice qui est sur l'aile droite du bâtiment illustration que vous verrez en traversant la deuxième cour sur la route vers le parc extérieur. Vous devrez ensuite monter jusqu'au dernier étage et chercher le bureau cinq-cent-neuf. Une fois arrivé, vous n'aurez qu'à patienter votre tour.

Je le voyais assimiler ce que je lui disais, seulement je ne savais pas si c'était par politesse ou parce qu'il avait réellement saisi.

-D'accord, merci beaucoup Mademoiselle, Mademoiselle...

-Rachel, je m'appelle Rachel, dis-je en tendant la main.

-Eh bien merci pour votre aide Mademoiselle Rachel, répondit-il en me serrant la main.

-Avec plaisir, j'espère que votre fils ou fille ne tardera pas à vous rejoindre. Ces réunions sont meilleures accompagnées.

- Je ne viens pas pour le réunion parent-professeur. Mon fils n'étudie pas ici. C'est plus pour... le travail.

-Oh bien sûr je comprends.

-Mais je peux vous retourner votre conseil, rit-il.

-Haha, ça ne s'applique pas vraiment à moi,

-Pourquoi donc ?

Je ne m'attendais pas à ce qu'il poursuive la discussion. On dirait que j'avais perdu une occasion de me taire. Je n'allais tout de même pas m'étaler devant un inconnu ?

-Euh... Je n'ai pas de bons résultats alors...

Ce n'était pas vraiment un mensonge, soyons clairs là dessus.

-Je comprends, accrochez-vous. Avec de la détermination tout est possible et je suis sûre que vos parents croient en vous, de quoi vous pousser à donner le meilleur de vous-même.

Je pensai instantanément à Ariadne qui jubilait à l'idée de revoir ses parents et à moi qui priait pour ne pas la voir pour la première fois en plus de dix ans. Étrangement, cela me fit quelque chose au cœur.

Je me ressaisi et réalisai que l'homme me regardait étrangement : j'étais restée à le fixer sans répondre.

-Evidemment.

Bonne réponse Rachel. Bien argumentée.

-Bon, finit-il par dire après avoir constaté qu'il n'y avait plus rien à tirer de moi. Je vais y aller. Encore merci pour votre aide Rachel.

Je hochai la tête pour lui signifier que c'était normal, puis il s'en alla.

-Il voulait te faire une réduction ?

Je me retournai et vis Natasha en pyjama en train de mâchouiller un chewing-gum s'approcher de moi.

-Quoi ? Quelle réduction ?

-Bah (elle s'assied à côté de moi) c'est le gérant du Waldo's & Compagny. Très bon cafécommenta-t-elle.

Je fronçai les sourcils et elle me considéra sévèrement.

-Sérieusement ? Le café de Guettysburg ? Celui qui a ouvert l'an dernier ? Association artistique ? Café pas cher...?

Je lui fis un sourire désolé, tandis qu'elle fit éclater une bulle de chewing-gum.

- C'est sur la rue adjacente à ce site historique stupide. Au milieu de la ville. Même moi qui ne sors jamais, je sais au moins ça, tu abuses, me dit-elle en me tendant un chewing-gum.

-Je n'aime pas aller à Guettysburg, dis-je en le prenant. C'est surpeuplé et surtout, c'est bruillant.

-Voilà pourquoi il est préférable de rester chez soi. On ne peut rien te dire...

-... Si tu ne fais rien, complétai-je.

-J'aurai pas dit mieux ma poule, fit-elle en me tendant son poign auquel je joignai le mien. Alors cette journée, pas trop stressée ?

Je haussai les épaules.

-Qu'est ce qui pourrait arriver de pire que d'habitude ? Rien. Je gère, je suis calme. Comme d'habitude.

- J'y crois pas un mot, tu le sais pas vrai ? J'ai inventé les mensonges, personne ne ment mieux que moi, je suis imprévisible.

-Et c'est pour ça que t'es en pyjama ? Pour montrer ton imprévisibilité ?

Elle retira ses pantoufles avant d'étendre ses jambes sur moi en s'adossant contre le banc. Et j'en profitai pour la pincer ce qui me valu un coup de genou dans le flan.

- Deux raisons expliquent cela : Mon père doit venir (elle leva les bras en l'air en guise de fausse joie), je veux lui montrer qu'où que j'aille je refuse de me laisser soumettre par des règles absurdes. C'est vrai, si on est à l'aise en pyjama, pourquoi ne pas en porter au quotidien ? Et la suivante : Sydney a amené quelqu'un dans sa chambre (elle se pencha pour chuchoter) les murs ont des oreilles. Donc je suis sortie pour pas entendre ces atrocités.

-Atrocités ? Tu fais tellement bien semblant que j'aurais presque réussi à croire que ça te choque.

-C'est super choquant ! Imagine un peu, je fais un rêve érotique : une fille sexy sur une licorne rose au milieu de New York, quand soudain j'entends en fond ces soupirs d'extases.

-Si ce n'est que des soupirs...

-T'as encore rien entendu, se plaigna-t-elle en se faisant tomber en arrière.

-Vous vous ressemblez dans le fond : Vous vous fichez de l'avis des autres.

-Ouais sauf que moi je porte pas atteinte à la sensibilité !

-Les fashionistas risquent de prendre la nouvelle mode que tu veux lancer comme une offense, je me méfierais si j'étais toi.

-Touché !  s'esclafa-t-elle.

Elle riait quand soudain elle s'arrêta et me considèra sévèrement.

-À quoi ressemble ta mère ?

Sa question me surprit,  je n'en avais aucune idée. Je me souvenais juste qu'elle était rousse et qu'on avait la même couleur d'yeux.

-J'en sais rien pourquoi ?

-Parce que je crois que c'est elle qui vient vers nous...

Je suivis son regard, et quand mes yeux eurent rencontré les siens,  je n'eus aucun doute.

-Oh c'est pas vrai, murmurai-je.

 

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