Chapitre 5

 

Une semaine s’était écoulée depuis l’embarcation d’Olympe. La vie à bord n’avait pas été aussi facile qu’elle l’aurait crue. Son hamac était rude, lui causant des maux de dos. La plupart des matelots l’ignoraient. Même le jeune garçon, Eliot, s’était montré indifférent depuis leur rencontre. Seul John lui donnait un peu d’attention même si c’était pour lui montrer les tâches qu’elle devait accomplir Les seuls points positifs de ce début d’aventure étaient une météo clémente et une mer calme. Une semaine et elle n’avait toujours pas obtenu d’informations. Le Capitaine se faisait rare, le plus clair du temps cloitré dans sa cabine.

La jeune femme s’essuya le front dégoulinant de sueur après avoir serré un des cordages. Son regard passa le long du pont et fut satisfaite de le voir propre, car après tout, elle venait de le lustrer. C’étaient les tâches quotidiennes depuis son arrivée. Elle avait bien compris qu’elle n’était qu’un simple matelot, qu’elle ne possédait aucun rang et aucun pouvoir. Cela la changeait de l’ordinaire ; elle qui toute sa vie avait été habituée à vivre dans le confort et l’opulence ou à avoir des domestiques pour les tâches ingrates, tandis qu’elle se prélassait dans son jardin à lire des romans. Dans un soupire, elle regretta quelque peu cette époque. Cette vie où son père était encore vivant.

 

Reprenant ses esprits et surtout, se remettant au travail, Eliot apparut et se positionna près d’elle. Nonchalamment, il s’adossa au bastingage et croisa les bras. Il porta son regard sur la jeune femme qui bien qu’elle l’ait remarqué, ne chercha pas le dialogue. Après tout, c’était lui qui l’ignorait depuis le début.

  • Le Capitaine il a dit qu’il voulait te voir dans sa cabine.

Olympe releva la tête vers lui, haussa un sourcil et continua de serrer un cordage sans lui répondre. Eliot fronça le nez. Il s’exclama d’une voix plus forte.

  • Hey, Olympe, tu m’as entendu ?

Mais elle continua de se murer dans le silence et ses sourcils se froncèrent petit à petit. Eliot se gratta la tête et regarda de tous les côtés comme pour s’assurer que personne ne les voyait.

  • Tu ne me réponds pas parce que j’t’ai pas parlé de la semaine ? demanda le jeune garçon, un peu perplexe.

 

Elle le dévisagea, se pencha pour prendre son sceau d’eau usée et renversa le contenu dans la mer. Eliot décroisa les bras et avec un air dramatique sur le visage, s’exclama en bougeant les bras.

 

  • Mais ce n’est pas ma faute, Adam dit que c’est mieux si j’te parle pas !
  • Et pourquoi cela ?

La jeune femme se tourna vers lui et après avoir reposé son sceau, mit ses poings sur ses hanches, contrariée. Eliot passa une main derrière son crâne et détourna un instant le regard.

  • Bah j’sais pas trop, je crois qu’il n’aime pas trop que tu sois là. Il dit que les femmes sur un navire ça porte malheur.
  • Et donc, même si Adam rétorque ce genre de chose, c’est censé être la vérité ? demanda-t-elle en haussant les sourcils.

La jeune femme ne semblait pas vraiment offusquée par ce genre de propos. Le reste de l’équipage s’étaient tus en voyant qu’elle appartenait à la gent féminine mais cela ne les empêchait pas d’avoir un avis prononcé sur le sujet. Le jeune garçon sembla réfléchir et après un long moment, il répliqua.

  • Non.
  • Tu n’es pas obligé d’écouter Adam. C’est son avis, à toi d’avoir le tien. Mais si c’est ce que tu penses également… souffla-t-elle en le regardant du coin de l’œil.
  • Non, je ne pense pas cela ! Ça m’est égal que tu sois une femme. J’en ai vu plein des femmes pirates.

Il releva les yeux vers elle et lui lança un petit sourire. Elle le dévisagea une dernière fois et décida d’accorder une trêve. Aucun des matelots ne lui adressaient la parole, elle devrait se contenter de l’adolescent un peu naïf.

  • Bien. On met ça de côté, alors. Tu disais que le Capitaine désirait me voir ?
  • Oui et dans sa cabine. Il a été très formel, affirma le gamin en hochant vivement la tête.
  • Tu sais peut-être la raison... ?
  • J’crois qu’il pense que tu laves mal le pont. Il va sûrement te faire une remontrance.
  • Comment ?

Olympe parut outré. Le pont était impeccable, elle passait des heures à le nettoyer avec minutie ! Comment osait-il penser cela, lui qui passait ses journées à ne rien faire au lieu de diriger son navire.

  • Après je ne dis pas ça parce que j’ai oublié de nettoyer le réfectoire et qu’il m’a grondé, mais voilà, quand même ! C’est évident. Il est comme ça le Capitaine, toujours en train de ronchonner, il n’est jamais satisfait ! Il m’demande de ranger les armes et il s’énerve parce que j’dis que j’fais la sieste. On n’a pas les mêmes priorités. C’est navrant. J’ai hâte qu’on arrive sur terre, comme ça il pourra coucher avec une fille et ça le détendra, rétorqua Eliot en levant les yeux au ciel.
  • Charmant.

Elle voulut lâcher un petit rire mais se retient... Néanmoins elle esquissa un petit sourire et ébouriffa les cheveux d’Eliot.

  • J’y vais, alors. On verra si je subis le courroux du Capitaine.
  • A la revoyure !

Eliot sourit de toutes ses dents. Olympe lui fit un petit signe de la main et après avoir rangé ses ustensiles de nettoyage, partit vers le gaillard arrière. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de s’aventurer dans cet endroit réservé aux cabines. Tel que John lui avait précisé, il s’agissait de la sienne et celle du Capitaine. Les deux seuls à posséder une cabine personnelle.

La cabine d’Amaury était au fond du couloir, face à elle. Elle s’approcha de la porte et toqua à deux reprises. Personne ne vint lui ouvrir mais elle entendit la voix de l’homme qui lui donna l’autorisation d’entrer. Elle ouvrit alors la porte et balaya la pièce du regard. Bien que le navire soit grand, elle ne s’était pas douté que les cabines pouvaient être aussi spacieuse. Un lit à baldaquin se trouvait contre le mur du côté gauche ; A droite, un long paravent avec quelques chemises étalés sur celui-ci prenait place. Il y avait face à elle de grandes fenêtres qui apportaient un peu de lumière et juste devant elles, Amaury installé sur un bureau en bois massif. Celui-ci était parsemé de papiers en désordre mais le pirate ne semblait nullement inquiété. L’homme, plongé dans un bouquin, releva la tête en l’entendant entrer. Il referma le livre et le posa sur le bureau. Olympe pencha la tête sur le côté, et joignant ses mains derrière son dos, répliqua calmement.

  • Vous m’avez fait demander… Capitaine ? grimaça-t-elle. Ce mot résonnait mal dans sa bouche.
  • Olympe. Installez-vous.

Il désigna de la main un fauteuil en velours émeraude face à lui. Elle s’exécuta et posa ses mains sur ses cuisses. Malgré la simplicité de la pièce, elle la trouvait agréable. Bien qu’elle soit sans décoration, l’endroit inspirait un certain confort, une certaine sécurité. Elle comprenait mieux pourquoi Amaury passait le plus clair de son temps ici. Ce lit à baldaquin avait l’air plus confortable que les hamacs de la cale.

  • Vous m’avez convoqué car j’ai mal nettoyé le pont ?
  • Plait-il ?

Le pirate parut interloqué. Il cligna des yeux et secoua la tête.

  • Le pont ? Pas vraiment, non. Est-il sale ?
  • Pas le moins du monde. J’ai passé deux heures à le lustrer avec une brosse ! s’exclama-t-elle, piquée au vif par les remarques d’Eliot.
  • Alors soit. A vrai dire je vous ai convoqué car j’aimerais discuter avec vous. Vous voyez, faire plus ample connaissance…
  • Oh.

Olympe papillonna des yeux en l’entendant. Ce vaurien d’Eliot était à côté de la plaque… Elle soupira légèrement et reprit avec un peu plus de sérieux.

  • Veuillez m’excusez, Eliot m’a fait sous-entendre que vous vouliez me réprimander sur ce sujet…
  • Je vois. Ce garnement n’en loupe pas une, exprima le Capitaine en esquissant un sourire amusé.
  • Mais comme ce n’est pas le cas, je vous écoute.
  • Oh, hm, rien de bien extraordinaire. Quel âge avez-vous, d’où venez-vous, qui à assassiner votre père… Vous savez, la routine. Les choses banales de la vie, souffla-t-il sans cacher son sourire carnassier.

Elle marqua un temps d’arrêt avant de répondre. Amaury ne l’avait pas ménagé et sa curiosité était élevé. Elle déglutit, ravalant sa salive. Sans qu’elle s’en rende compte, elle se renfrogna sur sa chaise ce qui n’échappa pas au pirate. Il posa ses coudes sur le bureau et répliqua doucement.

  • C’est peut-être un peu brutal mais j’ai besoin de savoir à qui j’ai affaire. Je ne vous connais pas et je me dois d’obtenir quelques informations à votre sujet, surtout si vous désirez venger votre père. Je ne peux vous aider sans connaître votre histoire.

Elle releva la tête vers lui et se mordit la lèvre inférieure. Il avait raison. Après avoir choisi d’embarquer si promptement, elle n’avait pas envisagé de dévoiler des informations sur elle pour obtenir de l’aide. C’était nécessaire et pourtant si frustrant. Et si, lorsqu’il saurait qui elle est, il décidait de la garder pour la vendre ? Car, après tout, elle était fille d’un Comte. Lors de son séjour chez sa grand-mère, elle avait pris la décision de se faire passer pour disparue. Ainsi l’héritage reviendrait à ses cousins et elle serait vite oubliée. Olympe aurait laissé derrière elle son héritage, sa famille et son passé. Il le fallait pour construire une nouvelle vie. Mais si cet homme décidait de contrarier ses plans ? C’était un pirate, il pouvait faire ce qu’il voulait. A l’aide de la violence, il obtiendrait tout ce qu’il pouvait désirer.

Le silence devint pesant. Amaury retira ses coudes et s’affala contre son fauteuil. Il sentit son malaise, son appréhension, ses doutes. Il souffla alors avec délicatesse.

  • Je sens votre réticence. Elle est compréhensible mais pas justifiable. Je ne vous veux aucun mal.
  • Je n’ai pas de raison de vous croire… Capitaine, rétorqua-t-elle en levant les yeux vers lui. Cependant, sa méfiance transparaissait de son attitude.

Amaury fut un instant songeur. Il balada ses yeux à travers la pièce, une moue sur le visage.

  • Si je vous raconte mon histoire, est-ce que vous me raconterez la vôtre ? demanda l’homme en reportant son attention sur elle.
  • Peut-être…

Elle était difficile à convaincre. Il laissa apparaitre un petit sourire au coin des lèvres et fit craquer sa nuque en se redressant correctement.

  • Par où commencer ? Mh… Mon père été l’Amiral de la Navy, maître de tous les vaisseaux de l’armée. Un jour, nous étions en pleine mer sur un navire marchand. On revenait de l’Espagne. Le voyage avait duré plusieurs jours et nous étions sur le point de rentrer en Angleterre. Cette traversée était censée être sécurisée étant donné que mon paternel était à bord malgré l’inexpérience des marins. On avait également emprunté un chemin calme. Seule la Navy passait par là, de temps à autre. Il n’était jamais arrivé qu’un navire pirate puisse se montrer dans les parages. Surtout pour attaquer de plein fouet. Mais c’est arrivé. C’est arrivé ce jour-là, avec cette pluie interminable et ces vagues qui ne cessaient d’éclater la coque. Un navire au drapeau noir est venu nous attaquer et mon père est tombé sous les assauts des pirates. Il a voulu me protéger, parait-il. Je ne m’en souviens pas, je me rappelle juste d’un certain Hector Hawkins qui embroche mon père sous mes yeux. J’avais dix ans, avoua-t-il sans laisser paraître une seule émotion.

Amaury plongea par la suite son regard dans celui de la jeune femme qui avait écarquillé les yeux aux fils du monologue. Elle en était restée sans voix. Il lui avait tout avoué sans sourciller et d’une traite. Est-ce qu’il était encore triste ou seule la justice lui importait ? Cherchant ses mots face à ces aveux, elle tenta une réponse.

  • Hum… Votre père… Vous dîtes que c’était l’Amiral de la Navy, donc celle de l’Angleterre. Je connais James Doyen qui est le dirigeant actuel mais…, hésita la jeune femme en réfléchissant.
  • Théodore Jones. James Doyen est l’Amiral actuel en effet, et un ancien ami de feu mon père. Sa tristesse s’est bien vite envolée lorsqu’on lui a proposé son poste, affirma le Capitaine avec de l’amertume dans la voix.
  • Théodore Jones… Oui j’ai déjà entendu ce nom quelque part. De mon père, sans doute. Il avait déjà côtoyé des membres de la marine auparavant.
  • C’est fort probable. Mon père était un homme haut placé, il était souvent convié à des banquets et des festivités.
  • Mais vous êtes donc Amaury Jones, n’est-ce pas ? Votre nom a beaucoup de pouvoir en Angleterre.
  • C’était avant que je décide de devenir pirate, ma chère, ricana l’homme en croisant les bras.
  • Mais qu’est-ce qu’il s’est passé, après ? Vous étiez jeune, vous n’êtes pas devenu pirate immédiatement après cet évènement ? demanda-t-elle avec curiosité.
  • Je pense m’être suffisamment étalé sur mon histoire, le reste ne compte pas. A présent, allez-vous vous confessez ?

Amaury balaya ses propos d’un revers de main en secouant la tête. Bien qu’il ait raconté son histoire avec impassibilité, Olympe put distinguer qu’il était à présent irrité. Il semblait avoir envie d’en finir lorsqu’on parlait de lui.

  • Fort bien, rétorqua la jeune femme en prenant une grande inspiration. J’habitais au nord de Londres dans un domaine : Le domaine des Fiennes. Mon père est… Enfin, était Comte. Je ne vais pas m’étaler sur le sujet mais je pense que vous comprenez qu’il possédait beaucoup de biens et de terre, donc il était plutôt proche de la couronne et de la société. J’étais son unique enfant et je ne vivais qu’avec lui. Ma mère nous a abandonné lorsque j’étais petite.

Elle se stoppa un instant, marquant une pause puis reprit en tentant de paraître neutre, bien que ses émotions commençaient à la chambouler. Amaury ne disait rien, les bras toujours croisés. Il se contentait d’écouter.

  • C’était il y a quelques semaines. Un soir, alors que je m’étais couché, j’ai entendu de l’agitation. Je suis sortie et j’ai aperçu trois inconnus se diriger vers le bureau de mon père. En passant dans les couloirs j’ai vu le moment où il a été assassiné. Après cela, avec ma domestique Berthe, nous avons fui pendant qu’ils mettaient feu au domaine. Devant ce spectacle, nous sommes restés paralysées. Ils ont profité de cet instant pour abattre Berthe d’une balle. La haine est venue à ce moment-là. C’est à ce moment que j’ai voulu me venger et leur ôter la vie, à leur tour. Leur faire subir ce qu’ils venaient de faire endurer à mon père, à mes domestiques et à moi. Nous n’avions rien fait. Mon père était le plus gentil des hommes, le plus doux et le plus bienveillant. Comment aurait-il pu obtenir les foudres de pirates ? C’est impossible. Ils ont agi ainsi, sans raison particulière, simplement car ma famille possédait de l’or. Je ne leur pardonnerai jamais.

La colère faisait place à la tristesse et elle se sentit submergée par celle-ci. Sa respiration s’était accélérée et elle avait serré les poings. Lorsqu’elle s’en rendit compte, elle renifla et expira. Amaury la contempla en penchant la tête.

  • Et alors ? Qu’avez-vous fait ? questionna l’homme.
  • Je… Je l’ai ai menacé, ria nerveusement la jeune femme en tripotant le bout de sa natte.
  • Menacé ? Vraiment ?
  • Furtivement. Ils se sont hâtés à me pourchasser avec leurs chevaux. Nous habitions près d’une forêt alors je me suis enfui dans les bois. Ils ont continué leurs courses malgré tout mais par chance, ma grand-mère vivait non loin de là. J’ai pu me réfugier chez elle. J’ai ainsi passé les dernières semaines en sa compagnie, souffla Olympe en regardant à présent le vide.
  • Par la suite, vous êtes venu à Londres et vous avez cherchez à intégrer un équipage pour obtenir des informations sur ces tueurs, n’est-ce pas ?
  • Oui, c’est cela.
  • Je vois.

Amaury hocha brièvement la tête et rajouta avec un ton plus enjoué, comme si les aveux sanglants n’avaient jamais existé.

  • Fille d’un Comte ? Fiennes qui plus est. Je ne l’aurais jamais deviné. Avec vos manières étriquées, ce langage si soutenu et ce regard jugeur. Vraiment… Vous vous êtes tellement fondu dans la masse des pirates austères et mal élevés !
  • Ce n’est pas amusant. Ce monde est nouveau pour moi.
  • Il est vrai. Pardonnez mon humour déplacé, répliqua-t-il en reprenant son sérieux : A présent que nous connaissons le passé de chacun, nous pouvons collaborer. Vous acceptez mon marché ? Mes pirates contre les vôtres ?
  • Il semblerait que je n’ai pas le choix. Vous êtes le seul à avoir montré de l’intérêt pour ma requête.
  • Effectivement. Commençons simple, ces trois pirates, vous n’aviez pas su les décrire à John. Avez-vous quelques petites informations à fournir sur leur identité ? Des caractéristiques physiques ou morales ?
  • Je ne sais pas. Il faisait sombre, ils remplissaient simplement leur catégorie. Vêtue de haillon, sale et des cicatrices un peu partout sur leurs corps. Du moins sur les parties visibles.
  • Ça ne m’aide pas franchement.
  • Je suis navré, j’étais trop occupé à pleurer la mort de mon père, railla-t-elle en le fusillant du regard.
  • Oui moi aussi à l’époque et pourtant j’ai retenu le nom du pirate qui a attaqué le navire. D’autant plus que j’avais dix ans. Mh ?

En toute réponse elle émit un grognement et se leva de sa chaise. Les sourcils froncés, elle se permit une balade dans la pièce. Amaury la suivit du regard en jouant du bout des doigts avec une plume couverte d’encre.

  • Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Grand, sec et bruns chacun. Ils n’avaient aucune particularité physique à part les cicatrices mais je suppose qu’elles sont monnaie courante avec les pirates ?

 

Amaury lui montra ses avants bras recouverts de cicatrice en réponse. Il hocha la tête et répliqua.

 

  • D’après vos dires, ils étaient à cheval. Ils vous ont poursuivi et lorsque vous avez réussi à les semer, vous vous êtes réfugiée chez votre grand-mère. Donc, plus rien après cela.

 

Olympe semblait réfléchir en l’entendant. Elle se souvint d’un détail mais ignorait s’il était crucial.

 

  • Juste après, ma grand-mère et moi avons entendu des détonations. Comme des rafales. C’était lointain…
  • Je vois. Ils ont peut-être tiré par frustration.
  • Sans doute, oui.

La demoiselle se frotta les avant-bras et s’inspecta devant un petit miroir qu’elle aperçut près du paravent. Elle remarqua son état déplorable, ses cheveux gras et ses taches d’enduit sur les mains. Une semaine qu’elle ne s’était pas lavé correctement si ce n’était se débarbouiller le matin avec un sceau d’eau glacée.

  • Cela fait des années que je recherche Hector Hawkins. J’ignore si on arrivera à trouver ces hommes.

Elle détacha le regard du miroir et parut peiné par ses paroles.

  • Mais on essayera. On cherchera. Cela prendra du temps mais vous arriverez à avoir votre vengeance.
  • Et vous la vôtre.
  • Espérons, répliqua-t-il en se levant. Il passa près d’elle et contourna le paravent. Il l’incita à la suivre, ce qu’elle fit, septique. Il lui montra un baquet en bois. A ses côtés, posé sur un tabouret en bois foncé, une longue brosse et du linge propre. La jeune femme cligna des yeux. Les pirates osaient posséder la cuve alors que seuls les fortunés pouvaient se le permettre ?
  • Vous… Comment avez-vous obtenu ce baquet ? Bien que le cuivre soit plus confortable, celui en bois est tout aussi populaire.
  • Dérobé à un Espagnol. Ça m’a plu et j’ai tout de suite compris que cela allait être pratique.
  • Merveilleux. Moi qui croyais que les pirates repoussaient la propreté, me voilà surprise.
  • Vous êtes remplit de préjugé, c’est incroyable.
  • Fille d’un Comte, vous vous rappelez ? J’ai été éduquée. Les riches sont à suivre et les pauvres à éviter.
  • La société, constata-t-il en affichant un sourire forcé.
  • Cependant, je ne comprends pas pourquoi vous me montrez vos biens, mise à part si vous voulez que je vous félicite de voler ?

Amaury la dévisagea.

  • Gardez vos propos sarcastiques. Vous êtes là, devant moi, transpirante et puante. Lavez-vous.
  • Que… Pardon ? hoqueta-t-elle face à la brutalité de son impolitesse.
  • Je dispose d’un baquet. La cuisine peut faire chauffer de l’eau. Prenez un bain.
  • Mais c’est votre cabine et vous êtes le Capitaine… Et c’est votre bain !
  • Vous faîtes trop de manière. Cessez de chipoter et dépêchez-vous avant que je ne change d’avis.
  • Très bien mais je vous interdis de rester dans la pièce. Je tiens à mon intimité.
  • Le paravent n’est pas là pour servir de décoration, trancha-t-il en la regardant d’un drôle d’air.
  • Mon intimité, asséna plus rudement Olympe.

Amaury leva les mains en l’air en signe de capitulation.

  • Soit. Mais dépêchez-vous, ma sieste m’attend.

Il fit volte-face et quitta sa propre cabine, laissant la jeune femme seule, un peu hébétée. Elle ne se fit pas prier et partit vers la cuisine pour récupérer de l’eau chaude avec l’aide d’Henry. Après cela, près de son couchage, elle récupéra une tenue de rechange puis repartit à la cabine d’Amaury. Son bonheur fut intense lorsqu’elle pénétra dans la cuve. Le contact de l’eau chaude contre sa peau était un véritable délice. Olympe ferma les yeux en poussant un soupire d’appréciation. Son corps se détendit et elle put enfin se relaxer après avoir été autant de temps sur le qui-vive. Elle repensa à Amaury qui malgré ses airs durs semblait désireux de l’aider dans sa quête. Elle n’arrivait pas à le cerner et à lui donner une caractéristique propre. Cet homme était mystérieux alors qu’il s’était dévoilé sur des choses importantes de sa vie. Incompréhensible, intriguant, intéressant.

 

 

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Plusieurs journées s’étaient écoulées depuis la discussion entre le pirate et la jeune femme. John, qui était lassé de voir Olympe reléguée aux tâches de nettoyage décida de passer à l’étape supérieure. Armé de deux longs sabres, il s’approcha de la jeune femme qui était près du gaillard avant. Elle nettoyait le plat bord d’un air pensif, apparemment perdue dans ses pensées. Constamment sur le qui-vive elle remarqua rapidement le second qui arborait un franc sourire sur les lèvres.

  • Bonjour mademoiselle Fiennes. Aujourd’hui changement de programme : on va délaisser le nettoyage.
  • Que me proposez-vous d’autres ? Je dois m’occuper.
  • Quelque chose de plus enrichissant.

L’homme lui tendit un sabre. Elle le prit en le regardant du coin de l’œil. Elle n’était pas vraiment habituée à tenir ce genre d’arme même si quelques semaines auparavant, elle avait appris à manier la dague.

  • Je vais vous apprendre à vous défendre, à esquiver les coups. Et peut-être que si tout se passe bien, je vous enseignerai l’art de l’attaque.
  • Très bien.
  • Car comme me l’a formulé notre très cher Capitaine, si nous venions à être attaqué, vous ne savez pas manier les armes.
  • Autant dire que je suis inutile.
  • Je ne me permettrai jamais de dire ce genre de chose. Je dirai plutôt que le plancher est impeccable.

 

Olympe rit en toute réponse. Le pirate fut ravi de sa bonne humeur et écarta les pieds, tendant son arme vers elle.

 

  • Bien. Etes-vous prête ? Ecoutez attentivement mes directives.

Elle hocha la tête en se concentrant. John se déplaça autour d’elle, les jambes toujours écartées. Il tournait lentement.

  • Lors d’un duel, ne gardez jamais les jambes droites et collées. Il faudra souvent les fléchir et pousser le buste en avant, affirma-t-il en joignant ses gestes à la parole.
  • Comme ceci ? répliqua-t-elle mimant les gestes de l’homme.
  • Oui, parfait. Ça vous donnera un certain équilibre et vous pourrez jouer des pieds. Le combat, c’est comme une danse.
  • Une danse… rétorqua-t-elle en paraissant septique.
  • Une danse macabre.

John pointa le bout de son épée vers la jeune femme.

  • Bien avant la défense et l’attaque, il y a quelques points tout aussi important. Vous devez rester maître de vous-même, garder votre sang froid et analyser l’environnement. Il est justifié de penser que la plupart de nos combats se déroulent sur un navire mais il nous arrive régulièrement de nous battre sur terre. Les forêts, les espaces clos ou encore les ruelles. Certains terrains ont des avantages mais beaucoup sont sujets à des inconvénients. Ce sont des éléments à prendre en compte.

Olympe hocha la tête en tenant fermement l’épée de ses deux mains. John reprit.

  • Faites-vous confiance. Surveillez les alentours et ne tournez jamais le dos à l’adversaire. Ce sont des coups traitres et fatals. Vous êtes une femme inexpérimentée au combat. Votre adversaire, qui sera surement un homme, misera sur la force et la brutalité. N’hésitez pas à être déloyale, à tendre des pièges et à profiter du terrain. L’épée n’est pas votre seule arme. Vous pouvez l’attaquer à coup de pied, coup de coude, voire même lui jeter un objet. On est des pirates, on n’a que faire des règles de courtoisie, ricana le Second.
  • Cela me semble tout de même complexe.
  • Il faut de l’entrainement. Autant physique que mental. Votre faiblesse deviendra votre force, du moins c’est ce que votre adversaire doit croire. Jouez sur tous les tableaux. Sang-froid, réflexion et concentration. Prête pour un essai ?
  • Je suis prête, souffla-t-elle en fléchissant les jambes.

John approcha rapidement d’elle en gardant la plante de ses pieds à plat. Il fit un pas de côté et la pointe de son épée effleura la chemise la jeune femme. L’action a été rapide. Olympe n’eut pas le réflexe de bouger. John recula de quelques pas.

  • Suivez du regard mon épée. Tout se joue sur la maîtrise et la rapidité. Ne me laissez pas le temps de vous toucher ; agissez avant !

Elle se racla la gorge en sentant l’anxiété la gagner. John se remit en position.

  • On recommence. Je veux que cette fois-ci vous bougiez et tentiez de parer mon attaque. Entendu ?
  • Entendu.

Le pirate renouvela sa manœuvre avec toujours autant d’agilité. Cette fois-ci la jeune femme traina un pied sur le côté et positionna sa lame à l’encontre de celle de John. Les bras tremblants, elle tenta de contrer son attaque. Son épée valsa au loin. John retira sa lame et lança un regard vers l’épée qui gisait près d’eux.

  • C’est un bon début mais vous devez mettre de la force dans votre défense. Appuyez-vous sur vos jambes, jouez sur votre équilibre. Même si votre défense est bonne, sans force je ferai voler votre épée en l’air. Et là, la partie est terminée.
  • Ce n’est pas évident… Mes bras tremblent et mes mains glissent.
  • Ça viendra, ne perdez pas espoir. Nous venons seulement de commencer, répliqua l’homme en lui décochant un sourire rassurant.

La jeune femme hocha brièvement la tête et attrapa son épée. Elle se remit en position.

  • Lorsque vous parez mon attaque, poussez. Poussez ma lame, contractez vos muscles. Vous êtes en danger, ne l’oubliez pas. Votre adversaire ne vous fera pas de cadeau. Il est là pour vous tuer.

Elle acquiesça. John brandit sa pointe et changea de tactique. Il s’élança vers elle en marchant rapidement et abattit son épée sur elle. Perdant ses moyens, elle écarquilla les yeux. Au lieu de contrer, elle se jeta sur le côté et tomba sur le plancher. Elle grimaça en sentant ses coudes claquer contre le bois.

John cligna des yeux. Ce n’était pas la réaction qu’il attendait mais elle avait agi néanmoins. Il s’approcha et lui tendit la main.

  • On peut esquiver de cette manière mais une fois à terre, vous êtes vulnérable. Le temps que vous vous releviez, votre adversaire vous assénera le coup fatal.

Elle prit sa main et se releva doucement en soupirant.

Ils passèrent plusieurs jours à s’entrainer. Chaque jour elle luttait contre elle-même, puisant dans ses maigres forces, repoussant ses limites. Elle suait, criait et s’acharnait. John était armé de patience. Il lui donnait toutes les clefs pour accéder à la victoire. Défense, attaque, observation. Il lui offrait toutes ses connaissances. Il verrait à l’avenir si elle en ferait bon usage.

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