Chapitre 5

Castelli a pleuré pendant un temps qui lui a semblé interminable. Une fois ses larmes taries, Beltrame l'a emmené jusque dans sa voiture dans la plus grande discrétion possible. De toute manière, les journalistes étaient bien trop occupés à capturer des photos de la maison de l'horreur.
    Heureusement, Beltrame n'a posé aucune autre question tout le long du trajet. Puis, une fois arrivés devant la maison de Castelli, il a éteint le moteur... et a verrouillé les portières. Impossible pour son équipier de sortir. 
    Sentant la pression étreindre son coeur, Castelli a gardé les yeux rivés sur ses mains. Le silence s'est apesanti, s'étirant dans le temps, interminable.
    Enfin, Beltrame a pris la parole, faisant sursauter Castelli.
        –    J'ai compris, gamin : tu ne peux rien me dire. D'accord. Mais ça ne signifie pas que j'arrêterai de te poser la question. Aujourd'hui, je te laisse te reposer. Laisse tomber l'affaire Rellik, c'est moi qui vais prendre la suite.
        –    Merci, murmure Castelli en se tordant les mains.
    Mais il sait que son collègue n'en a pas fini avec lui. 
        –    Cette journée est vraiment étrange, hein ? L'accident de voiture de Madame Rellik, le massacre de toute une famille, et une dame est morte empoisonnée dans un restaurant de luxe. C'est la journée la plus mortelle de notre ville.
        –    Empoisonné ? Répète Castelli, surpris.
        –    Ouais, on m'a prévenu il y a quelques heures seulement. Mais comme ça concerne un homme important... On a vite fait classer l'affaire, tu vois. C'est ce qu'on fait de mieux, classer des affaires pour le compte des plus puissants.
        –    Hmmm... 
        –    Bref, ce que je veux dire, c'est qu'il s'est passé beaucoup de trucs étranges aujourd'hui... Regarde-moi, gamin.
    Castelli s’exécute, plonge ses yeux dans ceux de son équipier.
    Beltrame le regarde longuement, intensément, comme s’il cherchait la vérité se cachant au fond de ses yeux.
    Il semble attendre une réponse de Castelli, mais celle-ci ne vient pas. L'agent détourne à nouveau la tête, se contente de regarder par la vitre en direction de chez lui. Il pense au cadavre qui pourrit dans sa salle de bains, à l'odeur insupportable, aux souvenirs de la chair qu'il a dû pelé, des organes qu'il a dû raclé, des os qu'il a brisé...
        –    Bon, je te laisse filer, gamin. Essaie de te reposer, et on reparle de tout ça demain, d'accord ?
        –    Hmmm...
    La portière se déverouille. Enfin.
    Castelli sort de la voiture, asprie goulûment l'air frais. Sans se retourner vers son collègue, il rejoint sa maison. Derrière lui, la voiture n'a toujours pas bougé.
    Il pénètre chez lui, referme la porte, et se laisse tomber au sol. 
    La voiture démarre alors, s'éloignant de la scène de crime.

*

    Les informations donnent des détails sordides, parlent d'un garçon dérangé, actuellement recherché, qui a massacré toute sa famille lors d'un épisode de folie meurtrière. Il a tué frère et soeur, avant de s'en prendre à ses parents endormis. Il a également sauvagement assassiné un adolescent qui était dans le même lycée que lui. 
    Il est très dangereux, il ne faut surtout pas s'en approcher.
    Mais voilà, ce gamin est assis dans le canapé de Thomas, tournant le dos au millionaire et au tueur à gages. En les entendant arriver, il virevolte vers eux, le regard mauvais. Il se lève lentement, tenant un énorme couteau de cuisine dans sa main.
    Thomas sent le canon d'un pistolet se poser entre ses omoplates.
        –    Avance, murmure Kaleb derrière lui.
        –    Quoi ? Mais il tient une arme, il va me tuer ! 
        –    Tout comme moi si tu ne m'obéis pas. Alors, tu préfères quoi, la lame ou la balle ?
    Avec un déglutissement pénible, Thomas fait quelques pas en avant, les mains en l'air.
    Le môme pâle reste immobile, les sourcils froncés.
        –    Qui es-tu ? Demande Thomas. T'es de mèche avec l'homme à qui je sers de bouclier ?
        –    Noah. Je m'appelle Noah.
        –    C'est... C'est bien toi, celui dont ils parlent à la télévision ?
        –    Ouais, c'est moi.
        –    Et... Qu'est-ce que tu fais ici ? Qu’est-ce que tu veux ?
        –    Je suis venu voir votre père.
        –    Toi aussi ?
    Kaleb éclate de rire dans le dos du millionaire. Thomas sent le canon du pistolet se retirer. Le tueur à gages avance vers le môme, le flingue pointé vers lui.
        –    Et pourquoi tu viens voir le vieux Rellik, toi ?
        –    Pour me venger. Il a détruit ma famille.
        –    Comment ? 
        –    Mon père n'était pas un homme tendre avec moi, loin de là. Mais j'avais toujours réussi à supporter au mieux. A l’école comme à la maison, je vivais un enfer. Mais je supportais... Jusqu'au jour où Rellik a viré mon père. Tout appartient à Rellik dans cette ville, alors forcément mon père travaillait pour lui. Cette décision a brisé ma famille à jamais. Elle n’a pas pu s’en remettre. La violence a redoublé, et c’est moi qui en ait payé les frais. Comme toujours.
        –    C'est pour ça que t'as tué tout le monde ?
        –    Oui. Ils devraient être reconnaissants, là où ils se trouvent. Je les ai libéré du malheur qui se déchaînait sur nous. Et je me suis un peu venger sur eux, également.
        –    “Un peu” ? C’est une jolie atténuation ! Tout est une histoire de vengeance, hein ?
        –    Tout est une histoire de souffrance. Si le malheur te frappe une fois, alors quoi de mieux que de lui rendre la pareille ?
        –    J'apprécie ta vision des choses, petit.
    Kaleb baisse l'arme une nouvelle fois, tandis que Noah range son couteau dans sa poche. Les deux se retournent alors vers Thomas. 
    Le millionaire jette un coup d'oeil vers la porte d'entrée, mais sursaute quand Kaleb fait claquer sa langue d'un air réprobateur. 
        –    Approche, ordonne le tueur à gages.
    Thomas obéit, les yeux rivés sur ses assaillants. Arrivé devant eux, Kaleb l'agrippe par le col de sa chemise et le propulse sur le divan. 
        –    On va sagement attendre l'arrivée de papa Rellik, annonce le tueur. Moi je récupère de l'argent, puis je laisserai à Noah ici-présent le loisir de se venger comme il l'entend.
        –    Je suis partant pour ce plan, répond l'adolescent en prenant place sur un fauteuil.
        –    Non, déclare Thomas en se redressant sur le canapé. Je ne vous laisserai pas agir ainsi !
        –    Et qu'est-ce que tu comptes faire ? Rétorque Kaleb en pointant son arme vers le millionaire.
        –    Vous parlez de m'assassiner, mon père et moi, comme si vous ne parliez pas d'êtres humains mais de vulgaires insectes !
        –    Parce que c'est ce que tu es, mon grand. Un putain d'insecte que je vais dépouillé avant de laisser ce gamin t'écraser. Et tu peux parler, toi qui a buté ta femme enceinte, et qui s'en est pris à ta propre maîtresse ! T'as aucun honneur, sale enfoiré de merde. Alors si j'entends encore une seule chose sortir de ta bouche de merde, je te colle un pruneau directement dans la face. Je trouverai bien une solution pour le fric.
    Blême, Thomas ose à peine respirer. Ses yeux effrayés virevoltent entre le tueur à gages qui le fusille du regard, et le regard noir que lui lance le gamin dérangé. 
    Voyant que ses paroles ont eu l'effet escompté, Kaleb s'installe confortablement dans le siège en face de Noah, formant un triangle à eux trois.
        –    J'ai vu qu'il y avait de la bière au frigo, déclare Noah. Je vais en chercher.

*

    Il n'a pas touché aux sacs contenant le corps. Il n'a même pas franchi le seuil de la salle de bains. A vrai dire, il n'a même pas bougé du sol où il s'est effondré en rentrant. Il fait complètement noir dehors, et l'esprit de Castelli est complètement vide. 
    Il a réfléchi des heures durant, retournant tous les scénarios dans sa tête. Se repassant mille fois toutes les éventualités. Et il s'est enfin décidé. 
    Il va tout avouer. Mais pas à la police. 
    Avec ce qu'il a fait, et toutes les circonstances autour de ce meurtre sordide, il sait que c'est la prison à pérpétuité qui l'attend. Pour rien au monde il ne veut passer le reste de ses jours enfermé dans une pièce, entouré de malfrats qu'il a potentiellement envoyé lui-même au trou.
    Alors il va avouer. A Thomas Rellik. 
    Il rentrera ensuite chez lui, déposera en évidence la lettre qu'il aura écrite au préalable pour Beltrame, puis se suicidera avec son arme de service.
    Oui, c'est ce qu'il va faire. Tout avouer, puis se suicider.

*

    En voyant Castelli sortir de chez lui, Beltrame sort de sa torpeur. Somnolant au volant de sa voiture garée plus haut dans la rue, il allait certainement s'endormir à force d'attendre. 
    Mais voilà, Castelli est sorti. Son collègue va mal, il le sait, et il compte bien découvrir pourquoi.
    Car Beltrame tient beaucoup à son ami.
    Il y tient. 
Beaucoup. 
Trop.

    *

    Des bières ouvertes éparpillées sur la table basse, d'autres bouteilles prêtes à être consommées... Les trois criminels commencent à sentir la fatigue s'installer en eux. 
    Ils ont attendus des heures et des heures. Ils ont forcés Thomas a appelé son père, mais personne n'a jamais répondu. La frustration se mêlant aux relents d'alcool, Kaleb se lève le premier, son arme toujours à la main.
        –    Merde ! S'emporte-il. Où est-ce qu'il est passé, ton putain de père ?!
    Tout en criant, il s'est avancé vers Thomas, menaçant. S'enfonçant plus profondément dans son siège comme pour disparaître, le millionaire secoue la tête en haussant les épaules.
        –    Je l'ignore, murmure-t-il.
        –    Comment tu peux l'ignorer ? C'est ton père, fais le venir ici !
    Confus, Thomas ignore quoi répondre. Kaleb continue de pester en s'éloignant un peu plus. 
    Alors que Thomas sent la panique revenir en lui, il voit Noah faire une chose pour le moins étonnante. Tout en posant son index devant sa bouche pour intimer au millionaire l’ordre de se taire, il vide un petit sachet blanc dans la bière encore ouverte de Kaleb. 
    Tout s'est déroulé en quelques secondes. Noah remet le sachet vide dans sa poche sous le regard désemparé de Thomas, tandis que Kaleb revient vers eux.
    -    Alors, dit l’adolescent comme si rien ne s’était passé, c’est vrai que t’as tué ta femme et ton chauffeur ?
    -    Qu’est-ce que ça peut te faire ? Répond Thomas, interloqué.
    -    Wow, c’est donc vrai ?
    -    Elle m’avait trompé ! Elle n’a eu que ce qu’elle méritait... Me rendre cocu, forniquer avec mon chauffeur... J’espère qu’elle rôtie en enfer...
    -    Tu vas bientôt la rejoindre, laisse soudain tomber le tueur à gages.
    Il prend sa bière, en boit une longue gorgée, puis empoigne Thomas par le col de sa veste, le forçant à se relever. Il le retourne, mettant à nouveau le bout du pistolet entre ses omoplates.
        –    On va aller chercher de l'argent, murmure Kaleb à l'oreille du millionaire. Essaie pas de me la faire à l'envers, ou ça risque d'être très douloureux pour toi.
        –    Et ma vengeance à moi ? Demande Noah en les suivant.
        –    Je te ramène cet enfoiré dès que j'en ai terminé avec lui. Là tu pourras faire ce qui te chante de ce merdeux.
        –    Attendez, commence Thomas tandis que Kaleb le pousse vers l'entrée. Attendez, on peut certainement trouver une solut-
    Il est interrompu lorsque, ayant ouvert la porte, ils tombent nez à nez avec l'agent de police de tout à l'heure. Celui-ci, en train de gravir les marches, se dirigeait de toute évidence vers l’entrée du manoir. 
    Les quatre hommes se figent, se dévisageant entre eux.
        –    Et merde, lâche Kaleb.
 

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