Chapitre 5

Par Elohane

Je me sens bien. J’ai grimpé une grille et nous nous sommes partit du pensionnat sans en avoir le droit, mais je vais bien. Je ne suis même pas inquiet du fait qu’ils pourraient s’apercevoir de notre petite excursion. Les cheveux bruns de Julian sont collés à sa nuque par la transpiration, il a retiré son blazer et respire doucement.

Je crois qu’il se doute que je l’observe, bien que je cherche à le cacher. Mais lui regarde loin devant lui.

  • Nous y voilà, dit-il après un moment.

Je suis son regard. Un chemin de terre jouxte la route de gravier, qui semble mener à une étendue d’herbe infinie et de grands arbres. Des sols pleureurs et leurs magnifique feuilles fines et longues, mousseuses comme de éponge.

Une simple barrière en bois en signe l’entrée.

  • C’est ici, Harly’s Park ?
  • Oui. Tu es déçu ?
  • Non.

Il pousse la barrière, déjà entrouverte, et nous entrons. C’est magnifique. L’herbe basse rayonne aux reflets du soleil et les oiseaux chantonnent dans le ciel.

  • A cette heure ci, nous sommes seuls, murmure t-il en effleurant doucement les feuilles d’un buisson.

Je frissonne malgré la chaleur ambiante. J’ignore si c’est la perspective d’être seul avec lui qui me procure cette sensation glaciale ou simplement la peur d’être disputé par le proviseur si il prend connaissance de notre balade improvisée.

  • C’est bien, ici…

Je ne trouve rien de mieux à dire. Julian esquisse un sourire, comme si il devinait ma gêne, et on marche dans le parc.

Celui-ci est beaucoup plus vaste qu’a première vue. Il se poursuit en contre – bas et est même doté d’un bois. La diversité ici est luxuriante et l’air est frais. J’aime cet endroit, mais je crois que je l’apprécierais plus si ce n’était pas le point de rendez vous de centaines d’élèves.

  • Est-ce que tu t’habitues au pensionnat ?
  • Je crois que je finis par m’y faire.
  • Est-ce que… C’est ta mère que j’ai aperçu avec toi, le jour des visites ?

Je tressaille un peu, surpris qu’il m’ait vu.

  • Oui. Et toi ? Tu n’étais pas avec la tienne ?

Il a une sorte de ricanement forcé qui ne lui ressemble pas. Il glisse ses mains dans ses poches et donne un coup de pied dans un caillou.

  • Tu rigoles…
  • Je suis très sérieux.

On continue de marcher, moi en tête.

  • Mes parents ne viennent jamais me rendre visite.

Je ne dis rien d’autre, je sens bien que c’est un sujet fragile et je ne souhaite pas m’aventurer sur ce genre de terrain.

On arrive devant un étang. L’eau y est claire et bleu comme le ciel, mais pas transparente , et la berge baigne de soleil.

Une goutte de sueur coule le long de mon dos.

Je me retourne, mais ne voit pas Julian. Perplexe, je me tourne de nouveau vers l’étang, et j’ai à peine le temps de le discerner qu’il saute à l’eau. Son saut provoque des éclaboussures et des milliers de petites gouttelettes m’atteignent.

  • Qu’est ce que tu fais ?! Je m’exclame, abasourdi.

Il émerge en riant. Je remarque son uniforme qui a été jeté en vitesse sur l’herbe. Quand son corps est hors de l’eau, sauf sa taille et ses jambes battant l’eau de l’étang pour ne pas couler, je vois son buste et son ventre humide briller sous le soleil. Ses épaules sont carrées, hautes bien sur, et il est assez musclé, je le vois au premier coup d’œil.

Il sourit et plonge à nouveau dans l’eau, puis réapparait. Ses cheveux dégoulinent d’eau et ses yeux gris reflètent la couleur de l’eau, d’un bleu si perçant.

  • Julian, sors d’ici !, je dis en baissant la voix comme si quelqu’un pouvait nous entendre.
  • Toi, viens ! Elle est super bonne.

Non, c’est pas possible…

Enfin.

C’est vrai qu’il fait chaud. Et j’ai terriblement envie de m’y plonger moi aussi. Pouvoir oublier l’espace de quelques minutes tout ce qui est désagréable. Sentir l’eau couler sur ma peau. Mais je n’ai aucuns maillots de bain. Lui en avait – il prévu un depuis le début ?

  • J’y suis en sous vêtement, dit – il comme si il avait lu dans mes pensées. Tu peux faire de même.
  • Hors de question. Je ne veux pas le mouiller, dis – je d’un ton catégorique qui en cache un autre, l’incertitude d’y résister.
  • Tu vois une autre solution ?

A vrai dire, oui. Mais cela suffit à me donner envie de rebrousser chemin. Pourtant je suis attiré par cette idée et mon corps est comme attiré vers l’étang. Je sens mon visage s’embraser. L’hésitation s’empare de moi mais il ne me faut pas plus de quelques secondes. Julian patiente, m’observe en pataugeant dans l’étang.

  • Retourne toi, je lui ordonne, les mains tremblantes.
  • Quoi ? Mais…
  • Fais ce que je te dis. Sinon je rentre immédiatement.

J’essaie de paraitre sur de moi mais ça n’est pas le cas.

Il pivote sur lui-même dans l’eau et semble comprendre car il ne se retourne pas vers moi. J’enlève mon uniforme à la hâte, mes chaussures et mon caleçon, puis saute dans l’eau, nu.

 Mon corps tout entier est immergé par la fraicheur du flot. Quand je remonte à la surface, des petites vaguelettes se sont créées à l’endroit ou j’ai sauté et Julian s’est retourné vers moi. Dieu merci, l’eau n’est pas transparente. Je passe ma main dans mes cheveux blonds qui ont pris une teinte châtain à cause de l’eau et les repousse pour qu’ils ne me tombent pas dans les yeux.

Julian m’éclabousse et je lui rends la pareille.  Nous nous arrosons d’eau en riant, mais je veille à ce qu’une assez bonne distance nous sépare. Je l’asperge encore et il riposte, puis il disparait au fond de l’eau avant de réapparaitre à la surface soudainement, quelques mètres plus loin.

Nous restons dans l’étang une quinzaine de minutes, puis il remonte sur la berge en s’aidant d’une branche et s’allonge dans l’herbe pour sécher.

Je ne peux pas faire la même chose et reste là, le regardant en faisant du surplace. Il ferme les yeux et place ses bras sous sa tête.

Ses lèvres sont légèrement entrouvertes et son caleçon est mis un peu bas, ce qui me laisse entrevoir un grain de beauté quelques centimètres sous son nombril. Je détourne le regard immédiatement, me sentant mal de l’observer ainsi.

  • Alors, tu aimes bien cet endroit ?, demande t’il sans se redresser, les paupières toujours closes.

En réalité, j’apprécie être ici. Je me sens en paix avec moi-même et j’aime aussi être avec Julian. Mais je ne le lui avouerais pour rien au monde.

  • Il fait chaud, dis – je simplement en réponse.

Il rétorque quelque chose que je n’entends pas car je replonge dans l’immensité de l’eau. Celle-ci me submerge et je reste quelques secondes au fond de l’étang, mes pieds frôlent la terre tout au fond et je remonte en quelques mouvements.

Je profite du fait qu’il ait les yeux fermés pour sortir de l’étang et me sécher partiellement avec ma chemise.. J’en prendrais une propre au pensionnat.

Puis je me rhabille et attends, debout dans l’herbe, qu’il se relève lui aussi.

  • Qu’est ce que tu fais ? Geint t’il quand je lui met une légère tape sur l’épaule.
  • Ils vont s’apercevoir que l’on est partit, au petit déjeuner. Nous devrions y retourner.
  • Non, pas tout de suite, dit – il en tirant sur mon bras pour me faire m’asseoir.

J’obéis à contre cœur et m’assois en face de l’étang. Julian se redresse également pour s’asseoir à côté de moi. Je me concentre pour que mon regard ne se tourne pas vers lui et son corps quasi nu. Si il se rend compte que je l’observe parfois, il me prendra pour un malade et ne voudra jamais plus m’approcher.

  • Je reviens cet après midi, quand les filles du pensionnat voisin seront là et mes amis viendront aussi. Tu y seras ?
  • Non. J’ai des choses à faire.
  • Dommage.

Je ne sais pas si il le pense vraiment. Ses longs doigts effleurent l’herbe et je remarque la chair de poule qui a gagné la peau de sa nuque, sous ses mèches de cheveux brunes. Il a déjà un corps d’homme, et moi je suis toujours au stade de l’adolescent. C’est terriblement frustrant.

  • Parfois j’aimerais bien faire en sorte que tout le monde m’aime, murmure t’il en fixant un point devant lui.

Cela m’étonne que ce ne soit pas déjà le cas. Il est sûrement adulé par tout le pensionnat et par toutes les filles du monde. Les professeurs l’apprécient aussi. Qui ne l’aime donc pas ?

Je ressens un léger agacement en me disant sa superbe. La perfection devrait être un terrible péché.

  • On a pas toujours ce qu’on veut dans la vie, je marmonne en pliant mes genoux contre ma poitrine.
  • Je sais…

Je croise son regard une fraction de secondes. Le sien à l’air… triste. Je ne l’ai jamais vu aussi vulnérable, et même si il est plus grand et plus musclé que moi, plus beau aussi, il me parait être plus jeune, plus tendre et sûrement a-t-il quelque chose d’un peu enfantin dans sa manière de s’ouvrir ainsi. Je n’avais jamais entendu une personne s’exprimer avec autant de résignation. Comme si elle avait perdu une chose qui ne reviendra jamais.

  • Bon, on rentre maintenant ? Dis – je pour passer à autre chose.

Il acquiesce et se lève. Je me retourne machinalement pour qu’il puisse se rhabiller, et nous prenons silencieusement le chemin du retour.

On est de retour au pensionnat en un clin d’œil. Perdu dans mes pensées, je n’avais pas vu l’énorme batiment se profiler au bout de la route. Julian escalade la grille en premier, puis je fais de même, plus sur de moi qu’a l’allé. J’atteris convenablement dans la cour encore vide. Il doit être huit heures, tout le monde est en train de prendre le petit déjeuner. On se dit au revoir et il se rend dans la salle des repas tandis que je vais changer de blazer.

Le mien ne ferme plus à cause du bouton qui a sauté quand j’escaladais la grille. Je vais dans le bureau de la directrice adjointe, Mme Popkins, et j’essaie d’adopter un air naturel, comme si nous ne venions pas de fuguer , le temps d’un plongeon dans l’étang d’à côté.

  • Comment est ce que tu as pu casser ce bouton ? Me demande t’elle en se saisissant du blazer.
  • Aucunes idées. Ce matin, je l’ai mis et je me suis rendu compte que le bouton avait sauté. Je l’ai sûrement mal manié à un moment ou à un autre sans m’en rendre compte.

Pour compléter le mensonge, je souris humblement, l’air presque désolé. Son regard, d’abord méfiant, se transforme en un mélange de « ce n’est absolument pas grave, on va réparer ça mon petit » et « j’ai l’impression que tu ne dis pas toute la vérité ».

Heureusement, le « ce n’est absolument pas grave, on va réparer ça mon petit » l’emporte et la vieille femme me sourit en retour.

  • Je vais l’apporter à notre couturière et il sera comme neuf pour demain, d’accord ? Tu t’en passeras bien aujourd’hui.

Je la remercie puis sors du bureau. Quand j’entre dans la salle du petit déjeuner, je cherche Julian du regard, mais il est déjà sortit. Neil me fait un signe de la main et je le rejoins. Il est en compagnie d’un garçon que je n’avais jamais vu jusque là.

  • Bonjour Alex, me dit celui-ci de sa voix grave en me présentant sa main qui fait deux fois la taille de la mienne.

Il est grand et mesure une tête de plus que Neil et moi, ses traits sont plus durs que les miens et ses yeux verts sont soulignés de cernes violets. Il est rasé en brosse et ses cheveux sont châtains, tirants sur le roux.

Il ne sourit pas.

Je lui serre la main et le geste est désagréable. Ses doigts calleux transpirent et il me tient un peu trop fort la main. Je la retire rapidement mais il ne semble pas s’en rendre compte. Il commence aussitôt à manger une tartine en l’engloutissant d’un coup, puis se lève brusquement, la bouche pleine de miettes et part sans un mot. Neil me sourit.

  • C’est qui ?
  • Steven Gobb. Paraît qu’il vient des Etats – Unis.
  • Qu’est ce que tu fais avec lui ?

Il hausse les épaules en sirotant son café.

  • Il m’aide pour mes devoirs. On s’entend bien.

Puis il se lève pour débarasser, ne me laissant pas répondre.

Mais qu’aurais – je dit ? Que ce Steven me met particulièrement mal à l’aise, ou que j’ai un mauvais sentiment en ce qui le concerne ?

Neil me prendra surtout pour un fou.

 Je finis mon jus avant de le suivre.

 

  • Pour le cours d’aujourd’hui, vous vous mettrez en binome. Nous allons observer au microscope le tissu musculaire du cœur, autrement dit la Myocarde. Je sais que vous avez déjà fait ça, mais nous faisons un rappel. Ne protestez pas, allez, mettez vous par deux !, s’exclame notre professeur de Physique Chimie cet après – midi là.

Mon regard va vers Julian immédiatement à la notion de binomes.

Mais celui-ci est déjà en train de discuter avec quelqu’un d’autre et semble pris. Je propose donc à Neil tout en cachant ma déception qui n’a pas lieu d’être. Depuis ce matin, nos regards ne se sont pas croisés une seule fois, il n’a même pas cherché à ce qu’il y ait un quelconque contact. Je ne devrais pas donner de l’importance à ce genre de choses. Julian est juste un ami, je ne devrais pas me sentir mal simplement parce qu’il ne m’a pas jeté un seul coup d’œil ou ne m’a adressé la parole depuis.

J’ai l’impression de devenir fou. Jamais pareille sensation ne m’était parvenue, comme un dépendance à l’attention qu’il me porte. Tout ce que je peux espérer, c’est que ce sentiment parte aussi vite qu’il est venu et que je ne sois pas malade.

  • Ou t’étais ce matin ?

Je suis tiré de mes pensées par la question anodine de Neil. Celui-ci ne me regarde pas, occupé à régler l’objectif du microscope à la bonne hauteur. Il ne semble pas donner trop d’importance à sa question, balancée comme ça pour faire la conversation.

  • Comment ça ?
  • Je ne t’ai pas vu dans le dortoir en me levant ce matin, et au petit déjeuner tu semblais arriver de quelque part.

Il continue de s’occuper du travail, sors une feuille pour noter nos observations, sans préter attention à mon regard fuyant.

  • J’étais juste à la bibliothèque.
  • Oh, cool. Tu es matinal alors.
  • Assez, oui. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
  • On est mal foutus alors ! Dit il avec un sourire.

Je fais mine de lui mettre un coup de coude pour plaisanter mais le cœur n’y est pas. J’ignore pourquoi je lui ai menti. Il n’aurait répété à personne que j’ai quitté le pensionnat sans autorisation. Je me rends compte que ce n’est pas de ça que j’ai peur, mais c’est qu’il se mette à croire des choses simplement parce que j’étais avec Julian.

J’aurais très bien pu aussi ne pas lui dire que j’étais avec lui. Ou alors est ce éxagéré ? Je m’imagine sans doute n’importe quoi. Neil est un gars sympa, je ne vois pas pourquoi je réfléchis autant pour une broutille. Et Julian est mon ami maintenant, aussi bizarre que cela puisse paraître. C’est normal que nous fassions des choses ensembles.

Ami… Ce mot sonne bizarrement dans ma tête. Sûrement car je n’y avais jamais pensé auparavant. D’ailleurs peut être ne sommes nous que légérement amis. Il y a sûrement certains degrés d’amitié… Mon dieu, je n’y connais absolument rien. Je ne sais rien de ce sentiment.

  • Eh, tu m’écoutes ?

Je cligne des yeux plusieurs fois comme si ça pouvait aider à faire disparaitre mes pensées bizarres.

  • Pardon, j’étais ailleurs.
  • Je vois ça oui, marmonne Neil en griffonnant sur sa feuille, la tête baissée sur ce qu’il écrit alors que ça a l’air très peu intéressant.
  • Tu me disais quoi ?
  • Seulement que ce week end je vais aller à Harly’s Park avec Steven Gobb. C’est lui qui me l’a proposé mais il y aura aussi quelques potes à moi. Tu veux venir ?
  • Heu, non. Pas vraiment.

Je crains d’avoir été trop direct mais il ne semble pas blessé, juste sceptique.

  • Et peut – on savoir pourquoi le Prince Alexandre va rester cloitré au pensionnat toute son existence ?

Si il savait ou je me trouvais ce matin même il ne dirait pas ça.

Je pousse un petit soupir exaspéré et lui prend la feuille des mains.

  • Voyons plutôt ce que tu écris. Je n’aimerais pas avoir un zéro par ta faute, idiot de Keating, dis – je sur le ton de la plaisanterie.

Il sourit, l’air penaud :

  • Tu as raison. Tu es meilleur que moi dans toutes les matières, il vaut mieux que tu t’en occupes…
  • Keating, tu n’es pas ici pour bavarder. Fais ton travail, je ramasse les copies dans 10 minutes, le coupe le professeur en lui lançant un regard noir.

Neil souffle discrètement et lève les yeux au ciel.

 

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