Chapitre 6

Par Elohane

Neil est partit avec Steven et ses amis à Harly’s Park depuis une demi – heure. Je lui ai dit au revoir l’air serein et satisfait de rester ici, mais à présent je me sens seul.

Je crois bien que c’est la première fois que je me sens seul. Ma propre compagnie me suffit d’habitude. Quelques pensionnaires parlent dans le dortoir en me jetant de temps à autre des regards curieux. N’oublions pas que je suis le nouveau. Moi qui aurait voulu passer inaperçu…

Je peux sentir leurs regards qui suivent chacuns de mes gestes lorsque je mets mon blazer à présent racommodé et que je sors du dortoir, sans but précis en tête. Juste me changer les idées. J’ai dans ma poche un crayon et un carnet de poche à la reliure doré. Il m’a été offert par ma grand-mère et c’est celui que j’utilise pour écrire des poémes ou composer de la musique. Je compose surtout pour du piano mais parfois je tente à la guitare, alors que je n’ai jamais su en jouer.

Je sors du pensionnat, pour la deuxième fois de la semaine, mais aujourd’hui j’en ai le droit, et précise au concierge que je me rends seulement à Harly’s Park. Il me répète bien que je n’ai pas le droit d’aller plus loin que le village le plus proche et j’hoche la tête. De toute manière je ne m’imagine pas fuguer, pas un seul instant. Je ne saurais pas ou aller… et je n’en ai pas non plus envie. Au fil des jours je déteste de moins en moins habiter ici. Les cours sont faciles, et j’ai du temps pour lire ou faire ce que je veux. Personne n’est réellement désagréable avec moi.

Lorsque j’arrive enfin devant le parc, j’ai un sursaut en y voyant autant de monde, même si je m’y attendais. Le pensionnat des filles est presque au complet et se mélange à celui des garçons. L’un deux est assis au bord de l’étang ou je me baignais avec Julian il y a quelques jours, et embrasse une adolescente aux longs cheveux blonds.

Je détourne mon regard de cette scène de démonstration affective et m’enfonce dans les bois pour un peu plus de calme. Les arbres ici sont hauts et la terre est jonchée de brindilles et de buissons. L’air est embaumé par l’odeur de la nature et du bois, des fleurs et du pollen. Je m’assois sur une branche à deux mètres du sol facile à escalader, et sort mon carnet.

Je commence à griffonner des partitions et à imaginer un tempo lorsque j’entends des pas qui viennent vers moi. Je lève la tête vivement. C’est une fille.

  • Bonjour, me dit – elle avec un grand sourire.

Ses yeux verts – gris me fixent avec intensité et elle se dandine dans son uniforme, une jupe et une chemise ainsi qu’une cravate rouge rayée noir. Elle est sûrement de l’autre pensionnat. Je bredouille quelques secondes des paroles incompréhensibles, surpris qu’elle m’adresse la parole, puis arrive à répondre :

  • Bonjour.

Elle rougit et baisse la tête avant de la relever.

  • Je t’observe depuis quelques instants…
  • Ha, dis – je, la bouche un peu sèche.

Je ne sais comment prendre cette information. Peut être devrais – je me sentir flatté mais ce n’est pas le cas. Je suis surtout désorienté et un peu effrayé. Que me veut – elle ? Je passerais sûrement pour quelqu’un de stupide quoi que je dise.

  • Tu n’es pas comme les autres, constate t-elle en plissant ses yeux, et même ce geste ne la rend pas moins jolie.

Ses cheveux châtains tombent avec grâce sur ses épaules en formants de belles boucles, et tout en elle donne une impression de douceur.

Pour être honnête, le lycée que je fréquentais avant d’être renvoyé était pour garçon seulement. Les seules filles que je connaissais étaient ma mère et ses amies de 40 ans, voilà pourquoi je n’ai pas l’habitude de parler avec une personne du sexe féminin. Mais c’est vrai que je me suis beaucoup demandé quelle était cette manie de vouloir séparer les garçons des filles.

  • C’est vrai, je réponds simplement.

C’est une chose dans certains se vantent. Mais je ne vois pas en quoi être à part te rend meilleur. Et pourtant je n’aimerais pas être comme tout le monde.

  • Je m’apelle Adriana. Et toi ? Demande t’elle en s’approchant.

Je la regarde arriver sans trop savoir pourquoi elle vient me parler, à moi. Mais sa venue n’est pas désagréable. Parfois, j’ai l’impression de devoir toujours être sur mes gardes quand je parle à quelqu’un. Mais c’est épuisant de devoir contrôler ce qui sort de ma bouche à longueur de journée.

Peut être est – ce pour cette raison que je ne parle pas souvent.

  • Alex.
  • Alex. Enchantée alors ! Je crois bien que c’est la première fois que je te vois ici. Tu es seul ? Moi aussi je suis seule. Je me suis disputée avec mes amies.

Quand elle me dit ça, sa voix se brise légérement et je remarque à ses yeux rouges qu’elle a pleuré.

  • Pourquoi cela ?

Elle semble hésiter, comme si ce n’était pas une histoire pour moi. Mais finalement son désir de me répondre l’emporte sur son doute.

  • Un garçon de ton pensionnat m’aime bien, apparemment… Sauf que ma meilleure amie est amoureuse de lui. Moi je n’y peux rien, mais elle, elle est jalouse et a liguée à peu prés toutes les filles de notre dortoir contre moi. Cela fait trois jours que je dois toutes les éviter.

 

  • Comment s’appelle ce garçon ?, je demande précipitamment en espérant qu’elle ne fera pas de remarque sur la fébrilité de ma voix.

Et si c’était…

  • Henri. Ça te dit quelque chose ?
  • Non, je m’empresse de répondre devant son regard interrogateur.
  • Est-ce que ça te gêne que je te parle ? Je me sens très seule depuis ces trois jours.

Je fais non de la tête et elle vient s’asseoir sur la branche à mes côtés. L’idée d’avoir un peu de compagnie ne me déplait pas, je suis un peu lasse de Neil et de ses monologues incessants.

  • Qu’est ce que tu écris ?

Elle regarde le carnet que je tiens dans mes mains et je le range dans ma poche machinalement pour être sur qu’elle ne le lira pas. Geste idiot.

  • Mais depuis quand est ce que tu m’observes, en fait ?

Ses joues s’embrassent aussitôt et elle baisse la tête, un peu honteuse.

  • Longtemps. Je t’ai vu sur la pelouse, tu avais l’air perdu et seul, comme moi. Je t’ai suivi jusque ici.

La seule chose que je retiens est qu’elle a pensée que j’étais perdu et seul. Mensonges.

  • Je ne suis pas perdu et seul…

Elle me jette un regard étonné.

  • Ou juste seul, j’avoue en levant les yeux au ciel. Mais ça ne me dérange pas d’être seul.
  • Est-ce que ça veut dire que je devrais m’en aller ?
  • Non, non… Tu peux rester. A condition que tu arrêtes de me suivre.

Elle fait la moue pour plaisanter.

  • Ok, je crois que je peux accepter cette condition.
  • Encore heureux.

 

Elle me sourit et je lui souris brièvement en retour, avant de reprendre une façade impassible.

 

  • Je peux voix ce que tu écris dans ton carnet, alors ?
  • Non, dis – je catégoriquement, ne laissant pas de place au doute.

Je ne pense pas être prêt à ce que quelqu’un regarde mes compositions, même si elle ne connait sans doute rien à la musique. Adriana me fait penser aux filles du lycée que je fréquentais, toujours le nez dans les affaires des autres, à chercher des ragots un peu partout comme si ça importait réellement. Je ne suis pas de nature curieux, alors je ne peux peut être pas comprendre ça.

Un long silence gênant suit ma réponse durant lequel Adriana se recoiffe et je fais mine d’être dans mes pensées.

  • Tu as une petite amie ? Questionne t-elle brutalement, brisant le silence.
  • Quoi ? Non ! Dis – je en reculant un peu.
  • Ah bon. J’aurais pensé… Un garçon mignon et mystérieux, ça ne court pas les rues.

C’en est trop. Je ne suis pas mignon, et je ne crois pas non plus être mystérieux. Cette fille est un peu trop intriguée à mon goût. Elle a à mon égard une attitude que j’ai du mal à comprendre.

Je me lève de la branche, époussette mon blazer et bredouille quelques excuses. Je lis dans son regard la surprise tandis que je lui explique que je dois rendre un devoir, qu’on m’attend au pensionnat.

  • Att…

Je pars avant qu’elle ait pu s’indigner.

 

La semaine qui suit me semble durer des siècles. J’ai toujours en tête ma rencontre avec Adriana et je m’en veux un peu d’avoir fui sans même dire au revoir. Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec les filles, et je ne ressens pas le besoin d’avoir des petites amies, pas du tout. Ce n’est sans doute pas aussi bizarre que les gens le pensent quand je leur dit que je n’ai jamais eu d’amoureuses.

Je ne comprends pas pourquoi tous les amis de ma mère, qui représentent prés de la totalité des adultes que je fréquente, font cette mine étonnée quand je leur dit ne pas être intéressé.

Ou alors, bon, que je comprends pourquoi mais que je m’en fiche complètement.

  • Un beau garçon comme toi, les filles devraient te courir après ! S’est un jour exclamée notre voisine alors que ma mère l’avait invitée à prendre le thé.

J’ai pensée que si cela arrivait, il ne me resterait plus qu’à déménager à l’autre bout du pays. Je crois bien que cette pauvre femme a regretté ses mots en voyant ma grimace.

Je pensais à Adriana, et pensant à elle d’une façon très platonique, à notre rencontre, mes pensées se tournaient vers Harly’s Park, sur cette matinée là et donc inévitablement sur cette autre matinée avec Julian. Je repensais au soleil qui avait brillé fort ce matin ci, pour venir illuminer la surface de l’étang, transformer les gouttes d’eau en milliards de diamants et le regard de Julian en un joyaux ardent qui, se posant sur moi me provoquait ce drôle de sentiment. Un sentiment qui me réchauffe de l’intérieur et pourtant me fait frissonner.

Je sors de mes pensées et regarde autour de moi pour voir si quelqu’un me regarde, me voit rougir, et devine mes pensées, mais c’est impossible, personne ne peut savoir ce que je pense et il n’y a personne qui me regarde. Je n’en suis pas pour autant soulagé et me presse pour arriver à l’heure au cours d’éducation physique et sportive. Le terrain d’athlétisme se situe dans le côté ouest du pensionnat, en intérieur. Il est juste à côté du gymnase et les murs du fond sont orné de grandes vitres qui donnent sur la forêt environnante. J’aimerais cet endroit si je ne m’y ridiculisais pas, car si quelqu’un devait trouver une torture plus terrible que tout pour moi elle n’hésiterait pas et choisirais le sport, le sport quel qu’il soit.

  • Hé Alex, je te cherchais justement.

Une main me tapote dans le dos et je devine aussitôt à qui elle appartient. C’est Neil, bien sur. Je ne me retourne pas et attend qu’il arrive à côté de moi.

  • Et tu m’as trouvé !
  • Ouais. Je voulais savoir si tu étais d’accord pour m’aider avec cette dissertation…
  • Bien sur. Mais tu sais qu’il n’y a pas de réussites sans peine…, dis – je en citant le slogan du pensionnat pour plaisanter.

Il sourit.

  • Si seulement ça pouvait être faux, hein ? Je me tuerais si ces cours d’athlétismes devaient continuer toute l’année.
  • Moi de même. Devoir vous reprendre à tous mes cours, Mr Keating, commence à faire long, surgit une voix derrière nous.

Pris d’effrois, nous nous retournons et découvrons que le professeur d’éducation physique et sportive, Mr Edelweiss, est derrière nous et ne semble pas très content de notre conversation. Neil s’excuse en balbutiant et moi-même me sens mal pour lui. Il n’écope que d’une réprimande sévère de la part du professeur, puis nous allons nous échauffer avec les autres sur le côté du terrain.

  • Tu ne t’es pas ennuyé hier quand on est allé à Harly’s Park ? Je me suis sentit un peu mal de te laisser.
  • C’est moi qui te l’ai demandé. Ne t’inquiète pas, comme ça j’ai pu réviser.

Je ne me pose même pas la question de si ce mensonge va passer. Je lache ça d’un ton détaché, désintéressé, en faisant rouler mes épaules pour l’échauffement, jetant des regards éparpillés dans la pièce comme si je ne prétais pas attention à la conversation.

Un moment, on n’entend que le vent souffler à travers les vitres épaisses, puis d’un coup c’est la pluie qui s’écrase en grosses goûtes partout, sur le toit, contre les fenêtres, et même si nous sommes à l’abri, j’ai l’impression que l’eau pourrait me submerger.

  • Tu plaisantes ou quoi ? Tu as les meilleures notes de tout le pensionnat, répond – il sans vraiment remettre en question ce que je lui dis.
  • Je ne crois pas avoir de meilleures notes que qui que ce soit en sport… ça, c’est sur.

Je fixe la pluie qui se déverse dans le paysage, face aux vitres mouillées, qui brunit les arbres et donne cette teinte triste au ciel nuageux, et la route qui méne au pensionnat dont le béton se fonce et devient glissant.

Même si le temps n’est pas chaleureux et qu’il ne peut donner le sourire à personne, j’ai toujours trouvé la pluie réconfortante, plaisante. Bientôt, ce sera l’hiver et l’atmosphère sera différente. Plus lourde. Plus grise. Moins… torride.

Est-ce que cela changera quelque chose à la chaleur vivante que je ressens depuis quelques temps ?

Après l’échauffement, le professeur nous fait courir pendant une dizaine de minutes sur le stade tandis que l’eau bourrine toujours, au dehors. Quelques mètres devant moi courent Julian et ses amis hyper cool... Parmis eux traine Steven Gobb, ce gars que m’a présenté Neil. Il ne m’inspire pas confiance. Parfois, je le croise en sortant d’un cours, il me voit lui aussi à chaque fois et il me sourit, mais dans son sourire il y a quelque chose d’inquiétant, de malsain. Et son regard aussi, qui me glace le sang et me donne l’impression que quelque chose s’est bloqué au fond de ma gorge.

Je ne sais pas ce qui me donne ce mauvais pressentiment. Il n’a jamais rien fait que je puisse lui reprocher pourtant.

Perdu dans mes pensées, je ne préte plus attention à ce qu’il se passe, et je continue de courir. Le professeur parle à un élève et ne regarde pas lorsque soudain, quelque chose change. Le groupe d’élèves qui courait devant s’arrête, des exclamations inquiètes retentissent. Je m’approche, un garçon blond qui je crois s’appelle Maurice demande au professeur de venir voir. Il dit qu’un pensionnaire s’est blessé en courant.

Je cours en petites foulées pour les rattraper plus vite, j’ai conscience qu’autour d’autres élèves se sont arrêtés, pour venir voir ce qu’il se passe.

  • Llorim ! Qu’a-t-il donc fait ?
  • Je ne sais pas monsieur, on courait et il est tombé, répond Maurice.

Au centre du petit groupe, Julian est assis et il se tient la cheville  en soufflant bruyamment pour extérioriser la douleur. Même là, s’étant fait très mal et en position vulnérable, il me parait intimidant, sur de lui. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il m’impressionne en toute circonstance qui joue ou si c’est normal, mais je ne suis pas inquiet, je ne déborde pas d’empathie pour lui, je me dis juste « Putain, il est magnifique ».

Mr Edelweiss semble, lui, vraiment embêté. Il s’accroupit auprés de Julian et lui serre l’épaule comme pour le rassurer.

  • Ça va aller ? Tu as très mal ?

Je ne suis pas sur qu’il dise les bonnes choses. Il me semble évident qu’il a très mal. Les gens autour se lancent des regards faussement inquiets, je suis convaincu qu’au fond, ils jubilent d’avoir un nouveau sujet de conversation et que quelque chose vienne briser l’ennui de cette heure de sport platonique. A côté de moi, Neil a mis ses mains sur ses hanches et semble prêt à reprendre la course. Il ne préte pas attention à Julian, je sais bien qu’il ne le porte pas dans son cœur.

  • Il faut l’emmener à l’infirmerie, Monsieur, interviens – je.

Le prof lève la tête vers moi, et semble soulagé que quelqu’un lui vienne en aide. Une lueur s’allume dans ses yeux, maintenant cela lui semble évident , il doit se demander pourquoi il n’y a pas pensé tout de suite.

  • Oui, j’allais demander à quelqu’un pour l’accompagner.

J’en doute fortement mais ne dis rien.

  • Tiens, Keating, tu veux bien emmener Julian à l’infirmerie ? Avec sa cheville, il lui faut de l’aide pour se déplacer.

Neil sors de ses pensées aussitôt et à l’air outré qu’on lui demande, à lui. Et moi, je brule d’envie d’y aller. Les autres pensionnaires se sont éloignés, ils ne semblent plus aussi catastrophé que tout à l’heure. Julian, lui, se tient toujours la jambe en soufflant. Il ne m’a pas jeté un regard depuis qu’il est tombé et sa cheville, elle, a augmenté violemment de volume.

  • Je vais y aller à sa place, dis-je de façon réthorique, et Neil qui croit que je fais ça pour lui me lance un regard de grattitude.
  • Heu… Comme vous voulez, bredouille le professeur en se relevant, l’air toujours perdu.

Je me baisse pour aider  Julian à se lever. Il s’accroche à mon bras sans croiser mon regard, et pousse un gémissement de douleur quand je le tire pour qu’il puisse se mettre debout. Il passe un bras autour de mon épaule pour se hisser à ma hauteur. Je le soutiens fermement et on avance lentement vers la sortie de la salle, je fais bien attention à ne pas le brusquer.

Je sens le regard de Neil qui nous suit tandis que l’on quitte la pièce, et j’entends derrière nous les autres parler à voix basse.

Une fois dans le couloir, quand plus personne ne nous regarde et que le seul bruit qui survient autour de nous est la pluie qui tambourine toujours, je sens que Julian se détend.

  • Merci, dit – il en serrant les dents à cause de la douleur.
  • Pas de problèmes, je réponds en sentant mes mains devenir moites et ma nuque se couvrir de chair de poule.
  • Tu vas réussir à me soutenir jusqu’à l’infirmerie ? Je dois être lourd.
  • Je ne compte pas te laisser au milieu du couloir, dis – je d’un ton ferme.

De plus, il n’est pas lourd du tout et j’apprécie la proximité. J’aime son bras passé autour de mes épaules pour s’équilibrer et nos corps qui se frolent quand j’avance.

  • Est-ce que tu es vraiment tombé ? Je questionne au bout d’un instant silencieux.

Je ne suis pas le premier à savoir que Julian est un sportif adroit et qu’il n’est pas du genre à vaciller sur le terrain.

  • Faut croire que oui, répond – il simplement.

Je continue de marcher et il se tient fermement à moi. Je sais qu’il ne veut pas m’ennuyer en se tenant à moi, et qu’il essaie de ne pas mettre tout son poids alors qu’il souffre, et il ne m’embête pas du tout. C’est moi qui ait proposé de l’amener. Et heureusement que je l’ai fait, car Neil n’aurait pas supporté de l’aider, et je sais que l’envie d’être seul avec lui me tiraille depuis quelques jours. Parfois je me surprends à essayer de le trouver dans la foule d’élèves.

J’espère voir ses cheveux bruns décoiffés qui sont trop longs à mon goût, ses muscles se dévoiler sur sa peau hâlée et parfois croiser son regard gris et perçant. Il n’a pas de cernes, ne semble jamais fatigué, il a toujours cette spontanéité mêlée à une nonchalance qui me rend incertain avec lui.

J’ai du mal à comprendre si cette sensation fait partit de l’amitié. Dans ces moments là, je regrette de ne pas avoir plus d’amis pour pouvoir comparer. 

On tourne à l’angle du corridor et j’aperçois la porte de l’infirmerie. Je ne pensais pas que nous serions arrivé si tôt. Je toque sur la porte en bois, la peinture jaune est écaillée, la poignée a changé de couleur avec le temps, l’or est devenu du bronze.

L’infirmier nous ouvre. Je lui explique ce qu’il s’est passé, il n’a pas l’air alarmé, assure que Julian ne risque pas grand-chose, au pire une entorse très légère. Il le fait s’asseoir sur le lit blanc qui trône dans la pièce d’à côté, la chambre pour les blessés. Elle est vide, il n’y a que lui, l’infirmier lui fait avaler quelques cachets et manie sa cheville. Il lui a retiré sa chaussure et légèrement remonté son jogging.

  • Est-ce que ça vous fait mal quand j’appuie là ? Demande t-il en palpant au dessus de son pied.
  • Non… souffle Julian en se tenant la jambe, ses mèches brunes lui cachent les yeux, et j’ai l’impression qu’il n’ose pas croiser mon regard.
  • Et là ? Dit l’homme en appuyant à un endroit gonflé.

Julian étouffe un cri en se redressant vivement, et j’esquisse un mouvement pour repousser l’infirmier qui commence à me faire douter sérieusement de sa profession. Heureusement je ne vais pas au bout de mon geste et parviens à rester calme.

  • Apparemment oui. Je ne pense pas que vous ayez besoin de passer une radio. Je vais simplement vous garder ici pour le reste de la journée et pour cette nuit, et demain vous irez déjà mieux. On va vous mettre une attelle.
  • Génial… soupire Julian que l’idée ne semble pas enchanter.

L’infirmier saisit une pommade dans un tiroir et ouvre le couvercle : la matière est poisseuse, grise et gluante. Il en prend un peu sur ses doigts et l’applique plus doucement sur la cheville enflée de son patient.

  • Tu peux partir, Alex, me dit Julian sans lever les yeux.

Sa voix est floue, basse, comme si il ne me prêtait pas vraiment d’attention.

  • Tu es sur ? Je demande inutilement, et aussitôt je me maudis de paraître si envieux de rester, si dépendant.
  • Sur, dit il abruptement.

J’ouvre la bouche pour le saluer, mais renonce. Il me congédie sans même un regard, semble me détester à présent, je ne sais même pas pourquoi. Je ne devrais pas user de la moindre politesse avec lui.

Peut être regrette t-il de s’être rapproché de moi. Cette idée laisse un vide douloureux en moi alors que je quitte la pièce le plus violemment possible.

 

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