En ce samedi d’octobre, il fait une chaleur surprenante. Si je n’avais pas tous ces devoirs qui m’attendent sur mon bureau, je pourrais presque croire qu’on est encore en vacances d’été. Je suis assise devant ma fenêtre ouverte et me délecte des rayons du soleil qui viennent lécher mon visage. Aucun nuage n’ose se présenter dans le ciel.
Clara fait ses devoirs, allongée sur le ventre, sur la moquette de notre chambre. Je devrais faire la même chose mais ce soleil …je n’ai pas envie de m’en priver.
Mon téléphone vibre dans ma poche. Je décroche et la voix surexcitée d’Elsa se fait entendre, à tel point que ma sœur lève le nez de ses cahiers:
- Hellooo Em’, dis-moi que tu es dispo pleaaaase !
Je ris et jette un œil à ma cadette, qui s’en est déjà retournée à ses leçons et qui, sans me regarder, me fait signe de la main de faire ce que je veux.
- Ça dépend de ce que tu proposes, je réponds alors à mon amie.
- Profiter du soleil ! J’ai croisé Boubakar, Bastien et toute la bande au Mcdo et ils proposent qu’on se retrouve dans un coin sympa en dehors de la ville.
J’hésite, je ne suis pas des plus sociables, mais j’ai très envie de m’exposer au soleil.
- Just say yes ! me dit ma camarade.
- Ok …
Elsa pousse une exclamation réjouie.
- Tu as une voiture ou il faut venir te chercher ?
- Merde, ma voiture est au garage, je ne la récupère que lundi…
J’entends marmonner derrière Elsa.
- Martin propose de te récupérer.
- Martin est là ? je demande bêtement.
- Oui, il part te chercher. A toute copine !
Et elle raccroche.
- C’est qui Martin ? me demande Clara en mordillant son stylo bic.
- Un gars de notre promo, j’explique en essayant de prendre un ton détaché.
- Tu finis tes devoirs hein ? Je demanderai à Hugo de checker, je dis pour changer de sujet.
- Sérieux Milie j’ai plus dix ans …, elle râle.
Je soupire. Elle a raison. Elle a 16 ans, et je ne sais pas comment me comporter avec elle, sans le soutien de nos parents. Je sais qu’elle est à un âge critique. Notre situation particulière et le fait que sa meilleure amie soit elle aussi sans contrôle parental …ajouté à son caractère de feu qui contraste totalement avec le mien … rend le tout d’autant plus compliqué. Je fais de mon mieux pour ne pas m’inquiéter. Heureusement qu’il y a Hugo qui lui fait office de grand frère.
Une vibration m’indique un nouveau message sur mon téléphone :
- Mets des chaussures suffisamment confortables. Je suis garé au bout de la rue, me dit Martin.
Je chausse une paire de baskets de ville. J’hésite sur ma tenue, il doit faire 25 degrés dehors, mais ce serait sûrement exagéré de sortir un short ou une jupe. Je garde mon jean clair et mon haut sans manches et descends rejoindre Martin.
Je reconnais sa petite clio noire stationnée en vrac à moitié sur le trottoir. Quand j’arrive à hauteur de la porte côté passager, il lève le regard vers moi et me déverrouille la porte. Je m’installe. Nous restons silencieux quelque temps tandis qu’il démarre et s’insère dans la circulation dense d’un samedi après-midi. Je tourne légèrement le visage pour contempler son profil.
Un coup d’œil curieux de sa part me fait détourner le regard un peu trop brusquement.
- Merci d’être venu me chercher, je dis en tentant un air décontracté.
- Avec plaisir l’intello. Pour être honnête, même si j’apprécie toute la bande, je préfère largement ta compagnie.
Le rose me monte aux joues mais je ne comprends pas trop ce qu’il me trouve.
- Tu es bien plus drôle, me taquine-t-il.
Je lui fais une grimace et demande :
- Où est-ce qu’on va?
- Tu verras.
Je tords ma bouche et fronce légèrement les sourcils.
- Tu verras ça vaut le coup, me rassure-t-il. T’as confiance en moi ?
Sa question me fait penser à la scène où Aladdin demande exactement la même chose à Jasmine dans le dessin animé Disney et j’éclate de rire.
Martin me jette des regards interloqués tout en se concentrant sur la route. Cette fois, c’est lui qui fronce les sourcils en essayant de capter ce qu’il y a de drôle.
- Pourquoi tu ris ?
J’hésite.
- C’est quoi l’étendue de ta culture des films Disneys ?
Il ne comprend toujours pas où je veux en venir.
- Euh…plutôt bonne je crois.
- Si je te dis Aladdin.
Il réfléchit sérieusement puis ses yeux s’écarquillent un peu.
- T’as confiance en moi ? m’interroge-t-il du regard.
- Oui.
Et je ris.
Je vois ses lèvres s’étirer dans un sourire irrésistible et ses yeux pétiller d’amusement alors qu’il fixe la route. Le faire sourire me fait toujours fondre. On s’éloigne petit à petit de la ville.
- C’est quoi ton Disney préféré ? il demande.
- J’en ai pas vraiment un … J’adore Anastasia même si ce n’est pas un Disney à proprement parler. Je suis amoureuse de Dimitri, malheureusement c’est un amour à sens unique. J’adore le Roi Lion, le deuxième, Hercule, Mulan …La chanson « Comme un homme » est une de mes préférées, j’aime aussi Raiponce, ce dessin animé est juste trop chou, et Coco, si tu ne l’as pas vu, il faut rectifier ça parce qu’il est vraiment beau et différent des canons habituels de Disney …Après, ne te moque pas, mais j’ai une affinité avec la Reine des Neiges, il me fait beaucoup penser à ma sœur et moi.
Il a un petit sourire amusé.
- Une vraie fan hein ? Je m’attendais à une réponse beaucoup plus …courte, il se moque.
- Je …me suis laissée emportée, je ris nerveusement, gênée. Et toi ?
On quitte progressivement la ville pour s’enfoncer dans une petite forêt que je ne connaissais pas.
- Tarzan, sans hésiter. Je trouve que c’est le plus réussi de tout ce qu’a fait Disney, c’est vraiment un dessin animé de qualité.
On finit par s’arrêter dans un renfoncement en bord de route. On descend de la voiture et il me guide vers un petit chemin broussailleux, parsemé de ronces sur les côtés, qui viennent agripper mon jean. C’était une bonne idée de ne pas avoir découvert mes jambes.
Tarzan hein ? Je réfléchis au sujet, essayant de me le remémorer.
- Phil Collins est un génie. Et c’est vrai que Tarzan est drôle, émouvant, et plein de rebondissements. Ça fait très longtemps que je ne l’ai pas vu, ça me donne envie de …
- Well …It’s a date ! Toi + moi + Tarzan + Pizzas. Seems nice isn’t it ? s’exclame-t-il avec un sourire éclatant.
Je ris à gorge déployée devant sa spontanéité, et je fonds intérieurement. Je ne suis pas sûre qu’il attende une réponse alors je me contente de hocher la tête doucement en me concentrant sur mes pas.
En bas du chemin apparaît une grande clairière et au loin, je vois briller une rivière sous les reflets du soleil. De l’autre côté de cette rivière s’étend une colline bien verte, exposée plein sud. Je souris, comblée. Je préfère cent fois des endroits comme celui-ci plutôt que le bord de mer.
Martin sourit à son tour, satisfait de ma réaction.
- C’est toi qui as proposé le lieu ? je demande.
- Oui mais Bastien connaissait aussi.
Les autres nous attendent quelques mètres plus loin.
- Em’ !! s’écrie Elsa en courant vers moi les bras ouverts.
Elle m’enlace dans une brève étreinte.
- Enlève tes chaussures et remonte ton pantalon, on va de l’autre côté de la rivière ! me dit-elle sans cacher son excitation.
Parfois, elle me fait penser à une enfant à qui on a annoncé qu’elle allait au parc Astérix. Mais elle, elle est comme ça tout le temps, sauf quand elle se sent menacée par les autres, bien-sûr. Là, elle pourrait tuer d’un regard. Je m’estime très chanceuse de n’avoir jamais été la cible de ses yeux revolver, parce qu’elle fait vraiment flipper dans ces moments-là. J’obéis à ses ordres mais elle court déjà rejoindre les autres qui entament la traversée.
Je ris face à son comportement d’enfant qui aurait ingurgité trop de sucres.
Martin avance tranquillement et je lui emboîte le pas. Il immerge ses jambes dans l’eau, fait quelques pas prudents puis s’arrête au milieu et tend les mains vers moi. Une once de fierté à la con vient tout à coup me cueillir : j’ignore son aide et commence la traversée par mes propres moyens. L’eau est glacée. J’avance prudemment mais une force divinatoire doit vouloir me punir pour mon orgueil car soudainement, je glisse sur un galet. Mes pieds décollent de la planète terre, mon corps bascule en arrière et je me retrouve à moitié immergée sous l’eau. Je suis trempée, éveillée comme jamais par le brutal changement de température mais je tiens, triomphante, mes chaussures sèches au bout de mon bras tendu en dehors de l’eau, comme on brandit un trophée.
Martin semble se réjouir de la situation, hilare.
J’expulse l’air de mes poumons et ne peut m’empêcher de rire face à ma propre bêtise.
- J’m’en fiche, j’ai sauvé mes chaussures, je bougonne.
Il s’approche prudemment et me tend de nouveau les bras.
Cette fois j’accepte son aide pour me relever. Il se place à ma droite, met une main sur ma hanche gauche et de l’autre, me tient le bras droit. Je me sens encore plus maladroite, aussi proche de lui. Encore mécontente de mon traître de corps, je me laisse pourtant guider jusqu’à l’autre rive.
Arrivés sur la terre ferme, je me retourne face aux rayons du soleil les yeux fermés et m’en délecte, sentant mon corps vivifié se réchauffer doucement.
Lorsque je rouvre les yeux, je surprends ceux de Martin en train de me fixer. Enfin …c’est plus précisément ma poitrine qu’il semble examiner. Je comprends soudainement que mon haut rose pâle, mouillé et collé à ma peau, ne doit plus rien cacher de mes seins ; mon soutien-gorge léger de la même couleur ne devant pas aider à dissimuler quoi que ce soit.
- Hé ! je m’exclame, outrée, en croisant mes bras contre ma poitrine.
- Désolé, s’excuse-t-il sans aucune sincérité dans la voix, avec un petit sourire penaud.
Je le fusille du regard, mais ne peux m’empêcher de me sentir flattée et même excitée... Il retire son t-shirt et me le tend:
- Mets ça.
Mon cœur fait la roue dans ma poitrine et le rouge me monte aux joues face à …ce spectacle. Son torse nu. Il est en contre-jour, exacerbant les nuances de ce fabuleux tableau. Les traits de ses différents muscles sont prononcés par des jeux d’ombres. Il est plutôt mince mais ses épaules et ses bras sont bien dessinés et ses abdominaux sont subtilement marqués… Quelques poils châtains viennent assombrir sa poitrine. Il est diablement parfait.
- Emilie.
Il arque un sourcil, le regard rieur.
- Mes yeux sont ici, dit-il en les pointant avec ses doigts.
Je m’empourpre, gênée qu’il m’ait remarquée en train de le mater.
- Désolée, tu m’as surprise !je me défends.
- Et si tu gardais ton T-shirt et que tu te contentais de ne pas regarder ? je propose.
Il s’approche, sûr de lui, sans me quitter du regard. Quand son visage est suffisamment proche, je lis dans ses yeux bruns … de la sauvagerie.
- Il y a deux problèmes avec ta proposition.
Son regard me déshabille à travers ses cils noirs épais, tandis que dans mon corps, mes hormones se croient en boîte de nuit.
- Le premier, c’est que j’ai pas très envie de ne pas regarder. Je ne reconnais plus mon corps, il me fait faux bond : dans mon cœur quelqu’un joue du tambour, et dans mon bas-ventre les sensations ne sont pas en reste.
- Le deuxième c’est que je suis égoïste, je ne veux pas que le reste de la bande se rende compte de tes …AUTRES charmes.
Cette fois, mon visage monte réellement en température. J’attrape nerveusement son t-shirt et l’enfile à la hâte.
- Tu n’as aucune conscience de ta beauté, n’est-ce pas ?
Je ne dis rien, complètement sonnée par cette situation et son comportement aguicheur. Je ne veux pas qu’il ne voit qu’un physique qui lui plaît, quand il me regarde. A une époque je n’avais que trop conscience que je pouvais attirer les hommes. A tel point que j’ai fini par fuir les relations avec la gente masculine. Mais Martin a fait ressurgir mon envie de plaire, de LUI plaire. J’ai juste peur que ce soit la seule raison pour laquelle il s’intéresse à moi, comme ça a été le cas avec beaucoup de garçons dans le passé.
On marche en direction de nos camarades. Je lui donne un soudain coup de coude dans les côtes.
- Ouch ! En quel honneur ? il demande en se frottant la zone endolorie.
- T’avais qu’à pas mâter ! je lui rétorque.
- Tu m’as maté aussi j’te rappelle.
Je rougis, honteuse.
- No I don’t ! je mens effrontément. J’ai été surprise, c’est tout.
- Surprise par ma beauté ? Je pensais que tu l’avais déjà remarquée …rétorque-t-il tout sourire.
- T’as beaucoup trop conscience de ta beauté toi, je râle en sifflant à travers mes dents serrées.
- Ah donc tu me trouves beau ?
Il me regarde avec une moue amusée adorable, sachant très bien qu’il m’a eue. Je ne peux réprimer un sourire.
- Tu es insupportable, je conclue en rejoignant le groupe.
Elsa semble avoir jeté son dévolu sur Boubakar. Tout son être se meut dans le seul but de le séduire. A priori, ce n’est pas pour déplaire à celui-ci. Malgré un maquillage un peu trop marqué et ses cheveux qu’elles s’évertue à lisser et qui changent de couleur toutes les semaines, Elsa a de sacrés atouts de séduction, en commençant par ses hanches et ses fesses, très généreuses. Je pense que c’est elle qui a lancé la mode et pas Kim Kardashian.
Elle lève le regard sur moi et me taquine :
- Alors ma poule …mouillée.
Un grand sourire fier étire ses lèvres.
- Très drôle. Hilarant.
Je lui tire la langue.
- Martin you’re such a gentleman ! s’amuse-t-elle en faisant référence au fait qu’il m’ait donné son T-shirt et en le détaillant rapidement du regard.
Bastien a sorti une guitare et chantonne. Je remarque que Ludivine ne le quitte pas des yeux. C’est une blonde assez discrète, avec une coupe au carré qui lui va à ravir selon moi. Je ne connais rien d’elle, je sais juste qu’elle est toujours en leur compagnie : Bastien, Boubakar un grand gars à la peau noire, plutôt bel homme, Quentin, petit et fin avec de grands yeux bleus, Sofiane, un gaillard à l’expression un peu sombre, à la peau basanée et aux cheveux et yeux noirs, Adrien, un gars immense et costaud mais qui a un visage tendre et Théo, typé méditerranéen, aux traits fins assez harmonieux, toujours bien coiffé et bien habillé.
Je m’assois à côté de Ludivine. Je remonte les courtes manches du t-shirt de Martin sur mes épaules et le relève sur mon ventre, exposant mon nombril, afin d’offrir le plus de peau possible aux derniers rayons du soleil de l’année, le buste penché en arrière, en appui sur mes coudes. Je bascule la tête en arrière et me laisse porter par le son de la guitare et la voix de Bastien, qui a un timbre particulier, un peu similaire à celui de Jean-Jacques GOLDMAN, je trouve. J’apprécie toutes les chansons qu’il gratte sur les cordes de son instrument, essentiellement de la pop ou de la pop/rock. Ça me rappelle mon adolescence. Il en commence une nouvelle et j’en reconnais les premières notes. Je ne peux m’empêcher de chantonner doucement les paroles en même temps que lui :
« Take a breath
I pull myself together
Just another step
Until I reach the door ».
Il me regarde, stupéfait puis m’incite à continuer d’un sourire. Je me sens suffisamment en confiance, couvée par le soleil, l’humeur déjà capturée par les dernières chansons. Je continue un peu plus fort, le cœur flottant dans la poitrine :
« You'll never know the way
It tears me up inside to see you
I wish that I could tell you something
To take it all away »
Elsa me regarde, un sourire tendre aux lèvres, le menton appuyé sur ses genoux, comme une matriarche fière de son enfant. Bastien rejoint ma voix pour le refrain :
« Sometimes I wish I could save you
And there's so many things that I want you to know
I won't give up 'til it's over
If it takes you forever I want you to know »
Puis il me laisse continuer seule. Je tourne la tête pour oublier la présence des autres et me concentrer :
« When I hear your voice
It's drowning in the whispers
You're just skin and bones
There's nothing left to take
And no matter what I do
I can't make you feel better
If only I could find the answer
To help me understand »
Lorsque la musique s’achève, je croise le regard de Martin. Son expression est indéchiffrable. Quand il se rend compte qu’il est en train de me fixer, il détourne les yeux. Soudain, un peu embarrassée de m’être laissée aller à chanter devant tout le monde, je m’allonge sur l’herbe fraîche et bercée par le concert improvisé qui continue, je m’assoupis.
C’est Elsa qui me tire de mes songes en me chatouillant le visage de ses cheveux lissés.
- Allez, la belle aux bois dormants, il est temps de rentrer !
Elle me gratifie de son plus beau sourire. Un jour, j’aimerais qu’elle se voit comme moi je la vois. Elle dégage une beauté terriblement vivifiante. Elle m’aide à me relever.
- Je préfère belle aux bois dormants à poule mouillée, je lui dis dans un sourire coquin.
- Emilie ! m’interpelle timidement Bastien pendant que notre petit groupe se dirige vers la rivière. C’est fou, tu connaissais les paroles ?
- C’était mon groupe préféré au lycée. Je suis désolée …c’est sorti tout seul …
Il paraît agréablement surpris et ricane.
- Pourquoi tu t’excuses ? Tu as une très jolie voix, c’était très … agréable … de chanter avec toi.
Je rougis, je n’assume toujours pas d’avoir lâché prise de la sorte.
- Merci …, je lui réponds dans un demi-sourire.
Arrivés devant le cours d’eau, je vois que Martin m’attend. Je me délecte quelques secondes de son torse toujours à nu, si désirable. Il me tend les mains, le visage sérieux.
Je décide de ne pas rechigner sur son aide, cette fois-ci. Il me maintient fermement avec ses grandes mains. J’apprécie un peu trop son contact sur moi.
- Merci, je bredouille.
___________________________________________________________________________
*Martin
On sort les pieds de l’eau et la relâche à contre-cœur. Je l’observe en train d’essayer d’enfiler ses chaussures sans s’asseoir et sans étonnement, elle trébuche. En une enjambée, je suis à ses côtés pour la retenir.
- Comment tu peux être toujours indemne après 20 ans passée dans ce corps ? je ris.
- Figure-toi que je ne me suis jamais vraiment fait mal, rétorque-t-elle avec une once de fierté. Beaucoup de bleus, de coupures bénignes, une seule entorse à la cheville quand j’étais au collège …
Elle sourit, amusée de son sort.
- Je crois que quelqu’un là-haut prend soin de toi.
Elle sourit mais il y a de la tristesse dans son regard.
- Oh, tiens, dit-elle soudain.
Elle retire le t-shirt que je lui ai prêté et me le rend. Je ne peux m’empêcher de vérifier si sa poitrine est toujours visible sous son haut. Elle le remarque :
- T’es vraiment un pervers ! elle s’offusque.
- Ou seulement un homme ? je lui réponds avec un sourire en coin.
On regagne nos voitures. Les groupes se répartissent dans les trois différents véhicules. Cette fois, Bastien propose la sienne à Emilie, qu’il partage déjà avec Théo, Boubakar et Quentin, car tous, comme moi, habitent en ville.
Elle semble hésiter et me jette un coup d’oeil.
- Je vais la ramener, je décide.
Elle dissimule un soupir de soulagement. Elle devait être mal à l’aise de se retrouver seule dans une voiture avec quatre garçons qu’elle ne connaît pas bien.
Sofiane et Elsa rentrent quant à eux avec Adrien.
Tout le monde se dit au-revoir et rejoint son convoi.
- Je ne savais pas que tu traînais avec leur bande, me dit Emilie quand ma voiture quitte l’ombre de la forêt et reprend des routes goudronnées.
- Je traîne avec tout le monde. Je suis plutôt un électron libre.
- Tu n’as pas des amis proches ? elle me demande.
- Si, j’ai deux meilleurs potes. Anthony est en licence de Lettres, tu l’as peut-être déjà croisé à la fac, on s’est connu au lycée. Et Simon est en BTS d’informatique au sud de la ville, lui je le supporte depuis l’école primaire. On se voit tous les trois quasiment toutes les semaines.
- Mon coloc’ est aussi en BTS info, ils se connaissent peut-être.
- Je ne savais pas que tu étais en coloc’.
- Si, j’habite avec lui depuis l’année dernière. On se connaît depuis le lycée.
- Je croyais que tu étais à Grenoble avant ?
- Le premier semestre seulement.
Je n’ose pas en demander plus.
- Tu étais comment au lycée ? me demande-t-elle curieuse.
- Bah je sais pas …pareil que maintenant j’imagine. Mais comme j’étais tout le temps fourré avec Anthony et Simon, j’étais encore plus insupportable pour les profs. D’ailleurs, Simon et moi avons redoublé notre seconde. C’est lors de notre deuxième année de seconde que nous avons fait la rencontre d’Anthony. Il a eu une bonne influence sur nous, mais je crois que l’inverse est aussi vrai.
Je pars un peu dans mes pensées, nostalgique, avant de revenir sur Terre.
- Et toi et Elsa, vous vous êtes connues comment ? Vous êtes tellement différentes! Pourtant vous êtes toujours fourrées ensemble à la fac.
« On se connaît seulement depuis le premier jour de fac grâce à une connaissance en commun et …je ne sais pas, on ne s’est plus lâchées. Je ne saurais pas t’expliquer pourquoi. On ne se connaît pas encore bien, forcément, mais …elle est bienveillante et j’ai confiance en elle. »
Elsa de prime abord est le stéréotype de la nana sûre d’elle qui court après les mecs. D’ailleurs, cet après-midi, elle n’est a priori venue que dans l’idée de se rapprocher de Boubakar. A mon avis, s’ils avaient été seuls, elle n’aurait pas tenu longtemps avant de lui sauter dessus.
- Elle a l’air de savoir s’amuser, je dis.
Je comprends qu’elle plaise à beaucoup de garçons. Un peu moins d’1m70 je dirais, elle a des épaules menues, des hanches développées, et un fessier qui doit en rendre fou plus d’un. Et tout dans son attitude est séducteur. J’ai bien compris qu’elle me trouvait à son goût. Mais elle n’a jamais été mon style, pas assez naturelle à mes yeux. Je lui préfère vingt fois le corps et le visage d’Emilie, même si ça ne me dérangerait pas que celle-ci ait une attitude aussi avenante que son amie avec moi …La fois où, droguée, elle essayait de coucher avec moi, me revient délicieusement en mémoire.
- Des fois je me demande si elle s’amuse vraiment, répond alors celle-ci, songeuse.
Je ne suis pas sûre de comprendre ce qu’elle veut dire. J’arrête la voiture devant chez elle.
Merci de m’avoir ramenée.
Elle me gratifie d’un sourire timide.
- Oh tu sais c’était intéressé …, je la taquine.
- Sure it is, elle rigole en se rappelant mon excuse pour l’avoir nourri la première fois qu’on s’est vraiment rencontrés.
J’hésite à l’embrasser, sa bouche me fait de l’œil, semblant appeler la mienne. J’ai l’impression qu’elle y pense aussi. J’aimerais beaucoup toucher ces seins que j’ai aperçu plus tôt. Ses lèvres sont fortement pigmentées, naturellement, je me demande ce que ça ferait de les mordiller …et sa langue, quel goût elle aurait … Alors que je me penche vers elle, son téléphone sonne et elle répond.
- Oui ? Oui. Je suis là. J’arrive.
Elle raccroche.
- Désolée je dois y aller. Encore merci.
Elle m’embrasse la joue de façon tellement rapide, qu’elle est déjà sortie de la voiture lorsque je réagis enfin.
Je reste quelques secondes abasourdi après qu’elle ait pénétré dans son immeuble. J’ai parfois l’impression de lire clairement en elle et ce que j’y lis, c’est que je l’attire comme elle m’attire. Mais d’autres fois, j’ai l’impression que ce n’est pas si réciproque que ça, que je me suis fait des films. D’habitude je suis sûr de moi, je ne me trompe jamais sur les intentions des femmes. Un coup de klaxon retentit et me sort de mes pensées. Je suis en train de bloquer la rue devant chez Emilie. Je démarre en toute hâte.
Le soir, je m’empêche de lui écrire. Mais ça me démange. Elle m’a …subjugué quand je l’ai entendu chanter. J’aurai pu l’écouter des heures durant. Je me demande comment elle serait si elle n’était pas aussi timide et réservée. J’avais raison de croire que derrière sa carapace se cache des choses vraiment intéressantes. Et je ne parle pas de ses seins … Ils ont l’air magnifique. Si je m’étais conduit correctement, je ne l’aurais pas fixé comme je l’ai fait mais mes yeux n’ont pas obéi à mon cerveau. En fait, je ne suis pas sûre que mon cerveau était alimenté en sang à cet instant précis. On pourrait me juger sévèrement pour mon comportement, mais je défie n’importe quel homme, ou femme, de détacher son regard de …ça. Son vêtement clair, mouillé, qui collait à ses seins inondés de soleil. C’était presque une apparition divine. Cette fille est vraiment, incroyablement belle. Et comme si ce n’était pas suffisant, les expressions de son visage quand elle parle ou sourit sont d’un charme fou. C’est vraiment quelque-chose. Si elle n’était pas aussi discrète, elle rendrait n’importe qui amoureux. Ça ne m’étonnerait pas qu’elle hante les pensées des garçons qui étaient avec nous cet après-midi. Bastien va carrément la vénérer maintenant qu’il a découvert qu’elle chantait et partageait ses goûts musicaux. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils feraient un beau couple. Lui si gentil et …simple, et qui aime la musique, et elle adorable, intelligente, et douée pour le chant.
Je ris silencieusement du chemin pris par mes pensées m’ont mené. Je saisis mon téléphone et m’aperçois que j’ai un message d’elle.
« J’ai une question » dit-elle simplement.
« ? »
« Pourquoi tu as montré autant de respect envers moi quand j’étais droguée, refusant même de me regarder quand j’étais déshabillée, alors qu’aujourd’hui tu n’as montré aucune gêne à me …regarder. »
Je souris.
« On dirait que ça te travaille cet …épisode. »
« Je suis un peu longue à la détente, j’avais besoin de faire le tri dans mes pensées. Tu ne vas pas me répondre ? »
« Je te signale, pour rappel, que dès que tu as manifesté ton « mécontentement », je t’ai passé mon t-shirt pour que tu puisses te couvrir. Et …si je peux me permettre de te faire remarquer, tu ne t’es pas gênée non plus pour me mater à ton tour ☺ »
« Est-ce que tu sous-entends que mon mécontentement était feint ? Je suis désolée, je n’ai pas voulu te « mater », c’était involontaire de ma part… Je regrette. »
« Moi je ne regrette pas, tu peux me mater autant que tu veux, je n’y vois aucun inconvénient ... Écoute je ne reluquerais jamais quelqu’un qui ne le souhaite pas ou n’est pas en position de me montrer son consentement (comme cette fameuse nuit où..), c’est pour ça que je t’ai donné mon t-shirt, même si je ne peux m’empêcher de penser que tu as aimé sentir mon regard sur toi »
« Certe tu m’as donné ton t-shirt, mais après avoir maté sans aucune gêne, alors que je n’avais aucune idée que j’étais si ..visible ! Et après ça tu n’as même pas feint être désolé. Et … comment tu fais pour cohabiter avec ton égo surdimensionné? C’est pas trop envahissant ?»
« T’es méchante. »
« …Excuse-moi. »
« Tu détestes vraiment le fait que je te plaise hein ? »
« Je retire mes excuses. Bonne nuit Martin. »
« Bonne nuit Beauté … »
* Emilie
Je rage. Je suis en colère contre lui. Je lui en veux parce qu’il a regardé une partie de moi que je n’ai pas voulu montrer. Je me suis un peu sentie …violée, même si le terme est fort. Je n’avais pas conscience que ma poitrine s’offrait à sa vue. J’avais confiance en lui. J’aurais voulu qu’il marque plus de gêne et de respect. Je ne peux nier qu’il m’attire … énormément. Ni même que je suis flattée qu’il me trouve à son goût. Mais il est si imbu de lui-même, si sûr de lui, c’est détestable. Comment peut-il être si délicat et prévenant par moment, et si …con parfois ? Il paraît juste hyper satisfait que je l’apprécie, au détriment de tout le reste. Je n’ai jamais connu quelqu’un d’aussi égocentrique !