Chapitre 5
Enfermée dans le bureau de leur père, Emily vérifiait les comptes avec minutie. La radio laissait s’échapper un air de Chopin qui lui permettait de rester parfaitement concentrée. A défaut de pouvoir pratiquer avec assiduité ses gammes, elle se contentait de réviser le répertoire des musiciens du siècle dernier. De l’étage du dessous elle pouvait entendre l’effervescence de la salle de casino, le bruit des verres dans laquelle les serveuses versaient de l’alcool fraîchement sorti de la distillerie. La voix de la chanteuse du groupe de jazz était étouffée par les murs insonorisés.
Elle se laissa aller, frotta ses yeux fatigués de scruter le papier à la lumière de la lampe. Son père était celui qui mettait un point d’honneur à vérifier de lui-même que les ventes coïncident avec le stock. Il disait souvent qu’avec l’argent, on ne pouvait se fier à personne. Le Boyard avait passé plus de temps à compter ses comptes qu’à tout autre occupation. Ceux du clan savaient parfaitement qu’il payait en temps et en honneur, ne lésinant pas sur les récompenses des plus zélés et fidèles. Ils savaient également que rien ne lui échappait dans les transactions et qu’au moindre doute la sentence était immédiate et sanglante. Elle et Nikolaï se devaient de maintenir coûte que coûte cette ligne de conduite. Quitte à passer leurs nuits à éplucher des listes de chiffres interminables.
On toqua deux coups plus un plus sec à la porte, Emily ne prit pas le temps de se re-chausser et autorisa l’entrée. Gaëlle en tenue civile entra alors dans la petite pièce. Elle avait fini son service, et enfilé son manteau en laine et ses petits escarpins vert sapin vernis.
“Tout va bien ma douce ?”
Emily se redressa un peu plus, semblant presque noyée dans le grand fauteuil de son père. Assise en tailleur et sous une épaisse couverture elle se sentait lasse.
“Je vais te faire du thé.”
Elle mit l’eau à bouillir dans la samovar, et s'affaira à sortir du buffet en acajou tasses et thé vert. Emily laissa son regard courir. Il faisait nuit, mais la neige avait cessé de tomber sur la ville. Les bateaux amarrés au loin étaient immobile dans l’ombre. Son père avait agrémenté son bureau de tableaux de la Russie, et amassé le moindre bibelot qui pouvait lui rappeler sa terre natale. Ils y étaient soigneusement préservés, des matriochka à l'effigie des divinités païennes slaves à la bouteille de vodka importée directement de Moscou. Elle laissa courir son doigt sur la photographie encadrée.
“Il va sortir de Greensburg, fit Gaëlle.
- Encore faudrait-il trouver l’avocat qui en sera capable.
- Vous avez pensé à Joshua Pirson ? Il vient toujours le mardi soir, et c’est pas la plus malhonnête.
- Il bosse pour le procureur non ?
- Certes, mais quand il a un verre dans le nez il n’arrête pas de se plaindre des conditions de travail… Un petit bonus sur sa paie pourrait le convaincre.”
Songeuse, Emily tourna sa cuillère dans la porcelaine et préféra se tourner vers d’autres sujets.
“Et toi ? Jack ne t’attend plus en bas de chez toi ?
- Oh depuis que Nikolaï est allé lui toucher deux mots il se tient sage comme une image ! sourit-elle. Nancy m’a dit qu’il avait déménagé à l’autre bout de la ville sans demander son reste.”
Gaëlle pouvait sourire mais Emily et Nikolaï savaient bien ce qu’elle avait dû traverser pour finalement obtenir le divorce de ce mari violent et abusif, rencontré trop jeune et épousé trop vite à dix-huit ans. Elle ne comptait plus le nombre de fois où la métisse était venue au travail la lèvre tuméfiée ou l'œil noirci. Il avait fallu toute la persuasion des deux Bolkanski pour la pousser à oser lui donner les papiers du divorce. Elle se souvenait de ce jour-là, un an auparavant. Elle avait désinfecté la lèvre de Gaëlle avec douceur, et Nikolaï était allé dire sa façon de penser à Jack, les papiers sous le bras et sa canne à la main. Il s’était montré récalcitrant une fois, et Laïko avait mis sa menace à exécution. La main droite brisée, Jack avait déguerpi. Il savait ce qu’il risquait à remettre un pied dans la Moskowa.
“Tant mieux, fit-elle sans état d’âme.”
La porte du bureau s’ouvrit brutalement sur la figure de Nikolaï. Cheveux gominés, son manteau en fourrure sur le dos et un cigarette piqué entre les lèvres, il affichait une mine maussade malgré la tenue raffinée. Emi eut un sourire amusé tandis que Gaëlle siffla d’admiration en levant sa tasse dans sa direction. Il lâcha un rond de fumée dans l’air avant de s’exclamer :
“Bon, c’est le moment de faire le tour du propriétaire.
- Vraiment ? marmonna Emily.
- Faut pas qu’ils oublient à quoi ressemblent leurs patrons Milychka.
- Oh ils ne risquent pas d’oublier ta tenue, taquina Gaëlle.”
Elle eut un petit rire avant de soupirer. Il avait raison. Il fallait se faire voir, montrer que les Bolkanski étaient immuables et faire taire toutes les suspicions d'éclatement face à l’emprisonnement du Boyard. Elle le soupçonnait d’y trouver le prétexte de boire pour oublier, surtout leur mère qui ne leur laissait pas un moment de répit à tourner en rond dans leur appartement.
Emily enfila ses chaussures, et farfouilla dans l’armoire avant que Gaëlle ne mette la main avant elle sur la petite voilette bleu nuit brodée de petits strass noirs. La croupière la lui attacha à l'arrière de sa tête, l’accessoire faisant comme un masque en dentelle devant ses yeux. Une fois prête, Nikolaï passa un bras autour des leurs et les entraîna à suivre la tournée des serveuses et des tables de poker.
“Je meurs de soif !”
OoOoOo
La voix de la cantatrice montait crescendo avant de mourir, coupée dans son élan, dans une complainte déchirante. Emily, au bord de son siège, avait le souffle coupé, le cœur bloqué dans la gorge. L’assistence entière suspendue au corps tendu de la femme en robe noire. Puis, dans un soupir à peine perceptible, qui aurait tout aussi bien pu venir de l’artiste que des spectateurs, la cantatrice se laissa choir au sol. Terrassée par le chagrin. Le rideau tomba. Emily et l’assistance se levèrent, saisis par la même émotion, pour applaudir la prestation.
Sa mère sur sa droite, semblait insensible à ce qu’il venait de se passer, les lunettes vissées vers un des petits balcons pour bourgeois. Elle sirotait un sirop de menthe alcoolisé dans sa petite flasque en argent. Piotr de son côté lança une rose sur la scène tandis que Nikolaï, endormi depuis le premier acte, s’étira nonchalamment en baillant.
“C’est enfin l’entracte ?
- Il a fait venir deux trois shlyukha, commenta Natasha Bolkanki, il ne risque pas de sortir de sa loge.
- Parfait ! s’exclama-t-il en se redressant, ne faisons pas attendre Pirson.
- Je viens avec vous.”
Piotr s’était planté à leurs côtés. Emily et Nikolaï échangèrent du regard, ils avaient déjà statué sur le cas de leur petit frère. Piotr était de bonne volonté, et il voulait aider leur père à sortir du piège. Mais il n’avait que dix-sept ans, il était jeune et il n’avait connu que la richesse et le confort. Il était encore au lycée et l’exposer inutilement n’était pas nécessaire. Il pouvait bien avoir les yeux brillants pour les caméras mais ils ne souhaitaient pas pour autant l’impliquer dans les magouilles du clan. Pas pour l’instant.
“Pétia, fit Emily, il vaut mieux que tu restes et surveilles maman.
- On ne risque pas de l’attaquer à l’opéra, répliqua-t-il.
- Non mais elle pourrait faire une esclandre inutile au juge pendant l’entracte…
-C’est tout aussi important, statua Nikolaï, notre image doit être à tout prix préserver, tu comprends?”
L’adolescent avait la mâchoire serrée de déception. Nikolaï crut bon d’ajouter pour le dérider.
“Je t’emmènerai conduire la Cadillac ce weekend.”
Une petite étincelle illumina les yeux couleur orage de leur petit frère. Emily eut un sourire attendri. C’était encore un gamin.
“On passera la quatrième ?
- Eh oh ! temporisa Laïko, n’en demande pas trop non plus ! Tu risques de me la foutre dans le canal!”
Emily serra gentiment le bras de Piotr puis, sur la petite moue boudeuse de leur frère, elle et Nikolaï quittèrent la loge. L’entracte était le moment de parade où ces dames exposaient tenues et bijoux scintillants tandis que ces messieurs parlaient affaires en fumant des cigares. Emily avait enfilé de longs gants en dentelles et une robe crème parsemée de petits éclats pailletés. Un bandeau bordé de perles nacrées se mêlait à ses boucles blondes. Nikolaï et elle, malgré le mauvais sort de leur père, étaient parfaitement acceptés dans ces conclaves de la haute société. L’argent avait ouvert bien des portes.
Ils traversèrent le grand hall au dôme richement ouvragé pour atteindre les loges du premier étage. Nikolaï ne prit pas la peine de toquer et ouvrit la porte en grand. Emily se faufila à sa suite. Ils découvrirent Joshua Pirson embrassant à pleine bouche une petite rousse tandis qu’une grande noire lui massait les épaules. L’assistant du procureur écarquilla les yeux :
“Qu’est-ce que… Non mais on ne vous a jamais appris à frapper ?!
- Voyons, comme si votre jolie épouse ne se doutait pas de comment elle a eu la syphilis…”
La remarque fit s’écarter brusquement les deux jeunes prostituées, et Nikolaï se laissa couler dans le fauteuil en velours rouge en jouant avec sa canne. Emily darda un petit regard impérieux aux deux femmes qui, sans demandaient leur reste, remontèrent leurs décolletés et sortirent de la loge. Joshua Pirson adressa un regard acide aux Bolkanski.
“Que me vaut l’honneur d’une visite de la mafia russe ?
- Mafia comme vous y allez, tempéra Nikolaï avec un sourire carnassier.
- Je ne veux rien à faire avec vous, rétorqua-t-il. J’ai une réputation moi.
- Vraiment ? Il aurait fallu y penser avant de laisser une telle ardoise chez nous, répliqua Emily.”
Pirson rougit d’irritation. Gaëlle leur avait glissé la dernière note et ce cher magistrat aimait autant jouer qu’il était mauvais au jeu.
“Un assistant du procureur qui fréquente les salles de jeux prohibées par notre État, continua-t-elle sereinement. ça fait un peu désordre.
- Vous me menacez ?
- Allons allons, vous êtes un excellent client Monsieur Pirson. Nous ne sommes pas venus vous chercher querelle. Simplement voyez vous, nous avons besoin de récupérer notre dividende. C’est la crise après tout…”
La fine moustache brune de Pirson eut un frémissement. Emily eut un sourire froid.
“Rassurez-vous, nous savons très bien que vous manquez de… liquidité. Nous vous proposons d’éponger votre dette sans avoir à supplier votre beau-père d’une énième avance et de voir Edna pleurer.”
Pirson les dévisagea l’un l’autre. Emily le toisait, droite et élégante. Dans son beau costume, Nikolaï observait narquoisement la scène. Il s’était vautré dans le fauteuil, ses longues jambes étendues devant lui. Il alluma une cigarette avec lenteur.
“Je ne peux pas faire disparaître les preuves. Je n’ai même pas accès au dossier !
- Comment faire disparaître ? s’exclama Nikolaï faussement scandalisé, mais voyons nous ne cherchons pas à truquer la justice Monsieur Pirson, pour qui nous prenez-vous ?
- McDowell est trop tatillon, je préfère vous prévenir. Je le connais par coeur, on a passé le barreau ensemble.
- Oh nous savons cher monsieur, nous le savons très bien.
- Nous ne cherchons pas une taupe mais un avocat, finit Emily.”
Pirson pâlit de rage, semblant prêt à s’écraser devant le père de son épouse pour les rembourser, prêt à assumer sa faillite aux yeux de sa belle-famille plutôt que de défendre le Boyard de la Moskowa.
“Sachez qu’il n’en va pas que de votre argent mais aussi de votre famille, ajouta légèrement Nikolaï, Et du petit Edmond… Edmond c’est ça non ? Un procureur d’Etat qui entretient une prostituée chinoise et un bâtard… ça fait désordre. Pensez-vous que votre carrière y survivra ?
- Petite enflure.
- Et cette chère Edna qu’en dites-tu Emily ? Elle a le cœur si fragile…”
Le regard vert de Pirson se darda avec rancœur sur Nikolaï qui le regardait narquoisement. Emily recentra froidement le débat.
“Alors, qu’en dites-vous Monsieur Pirson ?
- Ai-je le choix ?
- Vous voyez, je savais que nous finirions par tomber d’accord !”
Pirson serra à contre-coeur la main anguleuse de Nikolaï.
OoOoOo
“Non mais ils sont au courant qu’on est en 1930 ? Les escaliers c’est pas pour les chiens !”
Amusée, Emily observa son frère par-dessus la rambarde du dernier étage. La cage d’escalier datait encore du siècle dernier, les carreaux de faïence d’un rouge brique passé n'avaient sûrement pas étaient nettoyés depuis longtemps. Et la concierge, si tant est qu’il y en est une, dormait encore à sept heures du matin au lieu de passer un coup de chiffon sur la rambarde élimée. Cet endroit était tout simplement déplorable et déprimant. Laïko atteignit enfin le dernier étage, s’épongeant le front de son mouchoir en soie.
“Tu m’étonnes qu’il cherche du fric Brontey. C’est quoi ce taudis ?
- Les logements universitaires de Jefferson, apparemment, répondit-elle.”
L’air était humide et les vitres couvertes de givre. Elle remonta le col d’hermine de son manteau avant de frapper au numéro 3. Nikolaï se composa son habituelle mine de fils de Boyard comme s’il ne venait pas de laisser sa peau dans la cage d'escalier, miné par ses poumons noircis de tabac. Emily dû réfréner un rire moqueur, la porte s’ouvrait.
“Monsieur Brontey ! le salua gaiement Nikolaï, veuillez nous excuser d’être aussi matinaux mais vous savez ce qu’on dit, le monde appartient aux gens qui se lèvent tôt !”
Désarçonné par cette entrée en matière, Harold Brontey resta plantée dans l'encadrement. Il était encore en chemise, à peine boutonnée, et ses bretelles tombaient le long de ses hanches. La moitié de son visage était recouvert de mousse à raser et ses lunettes étaient remontées dans sa chevelure.
“Bonjour…
- Nous vous prenons au dépourvu ! Toutes mes excuses ! Nous attendrons à l’intérieur, il fait frais dans ce couloir !”
Sans ménagement, Nikolaï le bouscula pour entrer dans la petite pièce qui semblait tout à la fois servir de cuisine, d’entrée et de salon. Il se laissa tomber sur l’unique chaise, faisant taper sa canne sur le parquet en inspectant la décoration. Une fois Emily rentrée, avec plus de tempérance, Harold Brontey referma la porte avant de s’agiter nerveusement.
“Euh, je suis désolé. Je ne pensais pas… Euh…”
Il la fixa alors, maladroit et chercha ses mots et ses excuses sans savoir pourquoi. Elle le regarda sans répondre.
“Vous voulez du café?”
Emily eut un haussement de sourcils surpris, avant de hocher la tête. Il se détourna pour mettre la cafetière sur le petit réchaud.
“Vous n’auriez pas de sucre ? demanda Nikolaï.
- Ma voisine peut être…
- Inutile de l’inquiéter, et puis votre problème de sucre sera bientôt résolu.”
La perspective d’un gain très conséquent grâce aux compétences du doctorant rendait Nikolaï particulièrement agréable. Brontey ne fit aucun commentaire sur la remarque. Il tendit la tasse à Emily. Elle le remercia avant de porter le liquide brûlant à ses lèvres. Laïko s’empara de la deuxième tasse, ébréchée, sur la table.
“Euh … je vais finir de me préparer. Je reviens.
- Faites, faites ! Mais on a pas toute la journée non plus.”
Nikolaï se mit à feuilleter en fronçant les sourcils la revue Science abandonnée. Il abandonna vite. Il se pinça la naissance du nez en soupirant et alluma une cigarette. Il riva ses yeux au plafond. Emily qui ne pouvait pas s'asseoir resta plantée au milieu de la pièce principale. L’impression d’étriquement était dû au fait que la moitié de la pièce avait été aménagée en bureau. Des dizaines de livres s’entassaient dans tous les coins et des cartes stellaires montaient jusqu’aux plafonds, se superposant les unes aux autres. Une machine à écrire trônait au milieu, elle se pencha dessus pour lire les premières lignes qui lui parurent aussi complexes que nébuleuses. Une dizaine de maquettes, de ce qui lui sembla être la fusée dans Voyage sur la Lune de Georges Méliès, était alignée sur la partie supérieure du bureau. Elle en toucha une précautionneusement. Il avait fallu visionner des dizaines de fois ce film au cinéma du quartier pour obtenir ce niveau de détail. Des instruments de mesures s’entassaient, et un télescope était replié dans le coin. Il n’avait aucune poussière dessus, elle supposa qu’il était régulièrement sorti.
Dans ce cabinet de curiosité, incongru au milieu d’un appartement, ses yeux accrochèrent une pierre noire ornée de petits cratères. Une sorte d’éponge fripée et pailletée à la texture tiède.
“C’est un éclat de météorite.”
Elle se retourna vers Harold Brontey, la roche dans la main. Il eut un geste nerveux dans sa direction. Elle comprit qu’il préférerait qu’elle la repose. Elle la remit soigneusement à sa place.
“Où l’avez vous trouvé ? demanda-t-elle intriguée.
- Quelle question ! Monsieur Brontey est passé maître dans l’art de siphonner l’université de Pennsylvanie!”
Une rougeur monta aux yeux d’Harold Brontey, tandis que Nikolaï amusée par sa propre remarque lâchait un rond de fumée dans la pièce.
“Je ne l’ai pas volé, lâcha-t-il avec irritation.
- Allons Monsieur Brontey, rétorqua Laïko d’un geste narquois, on ne nous la fait pas à nous.”
Agacé, Harold Brontey lâcha un “peu importe !” pour lui-même en enfilant séchement sa veste par-dessus sa chemise froissée. Emily eut un dernier regard pour la petite roche tiède et noire avant de se détourner.
“Je suis prêt, lâcha le doctorant précipitamment. Vous avez dit que vous étiez pressés.”
Emily acquiesça, rinça sa tasse puis la posa sur l'égouttoir. Laïko abandonna la sienne sur la table, se redressa en époussetant son manteau en fourrure.
“Il serait judicieux de mettre vos chaussures, fit remarquer Emily.”
Harold Brontey vira à l’écarlate tandis que Nikolaï le toisait narquoisement.
“En effet, reconnut-il.”
OoOoOo
Le soleil faisait briller les dômes dorés de l’église orthodoxe Saint Andrew lorsque Boris gara la voiture le long de la rue. Maksim fit sortir Harold Brontey les yeux bandés. Nikolaï ouvrit la marche tandis qu’Emily surveillait leurs arrières. Laïko frappa à la porte de derrière, le prêtre Basile leur ouvrit aussitôt pour les faire entrer. Les hauts plafonds colorés se déployèrent au-dessus de leurs têtes, luisant de l’éclat doré des bougies. Emily avait depuis longtemps arrêté de communier, mais sa mère les y conduisait tous les dimanches sans exception. Elle se souvenait encore de son raisonnement d’enfant, si Dieu lui avait pris ses amis et sa maison à Saint Pétersbourg pour la misère noire de Philadelphie alors Dieu était cruel. Dieu n’était qu’amour selon sa mère, alors Dieu n’existait pas. De toutes les façons, les bolchéviques avaient brûlé les églises. Opium du peuple qu’ils disaient. Dieu était mort.
“Attention aux marches, intima-t-elle à Harold Brontey. Il y a une rambarde sur votre gauche.”
Ce dernier chercha à tâtons l’appui avant de s’engager précautionneusement dans les escaliers. Nikolaï et le père Basile chuchotaient en russe, l’immense silhouette de Maksim se faufila difficilement dans l’anti-chambre. Celle-ci, abandonnée après la reconstruction, conservait un passage jusqu’à une vieille sacristie. Enfin, le père Basile actionna un petit clapet et une trappe s’ouvrit. Le père Basile resta derrière, les laissant face à la figure en surpoids qui les attendait.
“Et ben c’est pas trop tôt !”
Ainsi les accueillit Yuliana Tzikanovskana. La plita, surnom russe pour désigner celle qui faisait mitonner la cocaïne, était élégamment installée sur la banquette en velours. Ses longs ongles manucurés de rouge tenaient un fin porte cigarette en argent, tandis qu’une frange de cheveux noirs barrait son visage blafarde et ses yeux bruns. Elle était énorme. Elle tira une bouffée, ses lèvres pincées trahissaient son énervement. Kiril les avait prévenus que la plita était passablement énervée de voir qu’on lui avait trouvé un adjoint dont les talents semblaient surpasser les siens. Depuis plus de cinq ans elle tenait le laboratoire de cocaïne et elle n’entendait vraisemblablement pas se laisser voler sa place par un étudiant de vingt six ans.
Maksim retira le foulard des yeux d’Harold Brontey qui n’eut pas le temps de s’habituer à la lumière faible. Yuliana lui avait déjà soufflé un nuage de fumée au visage. Il toussota, déclenchant un rire irrité de la part de la plita.
“Et vous avez rien trouvé de mieux?
- Vous n'êtes ni renvoyé ni rétrogradé Yuliana, temporisa Nikolaï agacé.
- Vraiment ? Alors puis-je savoir pourquoi ce gringalet vient dans mon laboratoire ?
- Il a prouvé ce que nous avions besoin de savoir, la coupa sèchement Emily. Quant à vos commentaires sur nos décisions, je vous conseille de les garder pour vous.”
Yuliana eut une grimace à l’intention d’Harold Brontey. Celui-ci contenait sa nervosité du mieux possible. Nikolaï enjoignit les deux à prendre place sur la banquette. Le doctorant s’assit à distance raisonnable de la plita, soupçonnant probablement qu’elle lui planterait son porte-cigarette dans la poitrine à la moindre occasion. Son bout était aiguisé comme une aiguille.
“L’objectif est clair, n’y allons pas par quatre chemins, lâcha Nikolaï un brin excité, récupérer Chinatown.”
Un long silence s’en suivit. Yuliana cessa de tirer sur sa cigarette pour les regarder comme s’il avait perdu l’esprit. Harold qui ne mesurait vraisemblablement pas la portée de cette annonce jeta un petit coup d'œil à Maksim occupé à astiquer son pistolet puis à Emily.
“Tout ça parce qu’un blanc bec de Jefferson vous a créé de la poudre qui ferait rêver un troll ? Va falloir calmer vos ardeurs les jeunes.”
Un sourire carnassier se dessina sur le visage de Nikolaï, ses yeux gris pétillaient d’impatience. Emily le savait bouillonnant, certain que ce projet était une réussite en devenir.
“Il ne s’agit pas de l’affronter directement mais de vendre de la meilleure marchandise à nos propres clients et d’en liquider à la frontière avec Chinatown.
- L'addiction aux petites merveilles que vous allez nous concocter Monsieur Brontey fera le reste.
- On n’a pas besoin de lui pour ça, rétorqua Yuliana.”
Harold se racla alors la gorge. Emily tourna le regard vers lui et il ouvrit finalement la bouche.
“Excusez-moi mais nous n’avons pas encore évoquer ma rémunération.”
Yuliana lui adressa un regard condescendant et plein de pitié, elle trouvait vraisemblablement improbable qu’un emmanché pareil puisse proposer ses services aux Bolkanski. Nikolaï qui faisait tournoyer sa canne, la posa nonchalamment sur son épaule.
“Monsieur Brontey, nous allons faire de vous un homme riche.
- Pardonnez moi, insista-t-il toujours un peu pâle, mais j’aimerai une somme précise.
- Avez-vous une idée en tête ? demanda Emily.
- Eh bien, trente dollars par jour me semble honnête.”
Yuliana fut prise d’un rire aigre.
“Où a-t-il appris à négocier celui-ci ?
- Aux vues des risques, je ne peux accepter moins, affirma-t-il avec force.
- Eh bien vous êtes fort ambitieux Monsieur Brontey, commenta Nikolaï, commençons par quinze livres.
- Je risque ma carrière, et la prison.
- Si votre cocaïne se vend aussi bien que vous le promettez, nous passerons à trente livres, fit Emily, d’ici deux semaines cela vous convient-il ?”
Ce dernier, soudain plus assuré, hocha de la tête. Il arborait maintenant une mine fermée et décidée. Emily, satisfaite, acquiesça avant de lui désigner l’atelier.
“Vous conviendrez que les conditions de travail sont meilleures.”
L’ombre d’un sourire se dessina sur le visage d’Harold Brontey.
“En effet.”
Nikolaï fit claquer sa langue pour mettre fin à l’échange.
“Parfait, il s’agirait de vous mettre au travail maintenant.
- Toi mon mignon, t’as pas intérêt à te mettre dans mes pattes c’est compris ? le bouscula Yuliana.
- Euh.. oui.
- Ne faites pas attention, lui assura Emily. Vous aurez deux paillasse séparés.
- Merci, souffla-t-il soulagé.”
Boris avait fait son apparition dans l’encadrement de la porte, faisant froncer des sourcils Emily.
“Ilyich, Ilinitchna.
- Eh bien ? s’agaça Nikolaï, quoi ?
- Natalya est revenue.”
Une petite lueur s’alluma dans les yeux de Laïko.
“Il y a du nouveau pour les ritales.”
Chapitre 6
“L’épouse et la belle-fille idéales.”
C’était Jared qui avait livré ce constat. De l’autre côté du comptoir contre lequel elle s'appuyait d’un coude, Lena était comme figée dans une transe alors qu’elle ne lâchait pas du regard la figure délicate qui diffusait sa voix mélodieuse dans le micro d’argent. Tout le monde dans la salle était hypnotisé, sous le charme, il n’y avait que les Faeries qui étaient aussi vertes que leurs sequins. Mary White dans toute sa poétique superbe, la fantastique, parfaite cantatrice du O’Faeries. Si Lena avait écopé sans l’avoir demandé des couleurs rouges et violettes que Jared, son grand analyste personnel, avait diagnostiqué comme les couleurs du péché et de la tentation - heureusement qu’il était toujours là pour lui remonter le moral-, Mary White, elle, était toujours vêtue de couleurs pâles, si ce n’était le blanc. Ses longs cheveux châtains étaient coiffés d’une manière romantique dans des ondulations douces qui s’enroulaient sur ses tempes et contre ses épaules. Avec elle, le cabaret n’avait jamais tenté de suivre les diktats de la mode. Mary était démodée, vintage, comme cette idée dépassée des Princesses de l’ancien temps qu’il fallait à tout prix préserver. Tout chez elle évoquait la pureté et l'innocence, et Mary donnait elle aussi le change ; la bouche en cœur, les yeux de biche qui se fermaient comme si elle priait Dieu pour le salut de leurs âmes. Et était-ce tout à fait faux d’affirmer qu’elle était la moins salie d’eux toutes ?
Non. Elle l’était, assurément, sans l’ombre d’un doute. Toutes les Faeries mettaient la main à la pâte pour que Mary n’ait pas à le faire. Lena crissa des dents douloureusement.
“Lena… arrête de la regarder, ils vont croire que tu es jalouse, avisa Jared en se penchant vers elle.
-Et ? J’ai pas le droit de l’être ?”
Jalouse, Lena l’était, maladivement. Elle n’avait aucun problème à le montrer, d’ailleurs. Mary White était là pour inspirer l’envie et la jalousie, de toute manière, c’était son étendard ; afficher aux mortels ce qu’ils voulaient tous avoir, aux mortelles ce qu’elles voulaient toutes être. Lena ne désirait pas devenir un petit rossignol chanteur, cela dit, mais elle voulait sa sérénité. Mary White lui semblait plus libre qu’elle ne l’était et Lena avait envie de crever.
“Et pourquoi tu le serais ? s’irrita Jared. Tu vaux mieux qu’elle.”
Étonnée par ces mots, Lena se détourna enfin de la chanteuse pour faire plutôt face à son meilleur ami. Tout aussi agacé que son ton, il frottait l’acajou du bar après l’avoir désinfecté. Devant la perplexité de Lena, Jared n’en fut que plus contrarié et lâcha :
“Je n’ai rien contre elle, je reste persuadé que le seul vrai fautif dans l’histoire, c’est Hayden, mais… quand les gens te regardent, ils imaginent le pire, pas vrai ?
-Je m’en fous pas mal, grommela Lena, sur la défensive.
-Maintenant, regarde-la, l’ignora Jared, est-ce que tu peux imaginer qu’elle est la maîtresse du futur baron de la mafia ?
-Fiancée, corrigea Lena aigrement, pas maîtresse. Ca, c’est moi.”
Jared déposa un verre de coca devant elle et elle s’en saisit avec reconnaissance, heureuse d’avoir quelque chose avec lequel occuper ses doigts. La furie de l’avant-veille devant le Preston’s s’était mû en un sentiment de dépression et d’oppression. Elle se sentait démoralisée et piégée comme un lion en cage. Dans sa colère, elle avait tout révolutionné en esprit ; elle démissionnerait, oui, elle jetterait sa démission à la face de Jeremiah ; sur le chemin jusqu’à la porte, elle croiserait Mary et lui décocherait un coup de boule bien senti dans le nez, histoire qu’elle se mouche par la bouche jusqu’à la fin de l’hiver et qu’elle essaye de rester jolie et parfaite ainsi. Et ensuite ? Plus de salaire. Plus d’argent. Rien que la crise et sa famille qui devait assumer les conséquences de sa décision égoïste. Elle devait rester à l’endroit où elle avait été humiliée, trompée, trahie, et danser pour amuser la galerie. Mary White était le rossignol, elle était le singe sauteur. Elle était la fiancée, et Esmeralda était la prostituée logée dans un hôtel privé.
“Ce que je veux dire, Lena, c’est que c’est juste une histoire d’apparences, philosopha-t-il, et y’a bien que toi, ici, qui ne fais pas semblant.
-C’est censé me réconforter ?
-Oui ! Prends par exemple Jeremiah, ne fait-il pas mine d’être un véritable gentleman ? Et pourtant, il t’a laissée en plan, dans la rue, au beau milieu de la nuit
-Il a demandé à Byrne de me reconduire, c’est moi qui ai refusé.
-Tu le défends ?
-Non, j’dis juste…
-Dis-moi, Lena, tu ne vas tout de même pas lui pardonner ?
-Rhô, Dada, est-ce que j’ai dit ça ?
-Tu n’as pas besoin de le dire. Tu es resté avec lui alors qu’il te faisait bien pire que de t’être bêtement infidèle.
-Bêtement infidèle ?! Mary, cette traî-...”
Une nouvelle bouffée de fureur s’emparant d’elle, Len avait violemment plaqué ses deux mains contre le comptoir, prête à en découdre, mais Jared avait son regard froncé braqué ailleurs, comme s’il se rendait enfin compte du public qu’ils avaient. Evidemment, Esmeralda qui s’échauffait de colère en compagnie du barman suscitait quelque peu l’intérêt des environs mais Lena ignorait superbement les regards qui lui étaient lancés. Certes, elle allait demeurer au O’Faeries mais elle ne comptait pas fournir le moindre effort.
“Bolkanski te regarde, lâcha-t-il alors.
-Hein ? Qui ?
-Nikolaï Bolkanski, Lena, grinça Jared, alors, baisse d’un ton, tu veux ? L’un de leurs hommes est venu prendre la thèse que Harold m’avait laissé pour que je la relise.”
Suivant l’indication du menton que Jared lui fournissait, Lena croisa effectivement les yeux clairs de celui qu’elle savait désormais reconnaître en Nikolaï Bolkanski. Il se trouvait à plusieurs mètres plus loin au comptoir. Grand, fin, habillé d’un costume parfaitement taillé et se tenant avec la négligence noble des gens qui pouvaient se le permettre. Sur son visage tout en longueur et en angle, un masque d’amusement et d’intrigue souriait.
“Je t’ai pas dit ça pour que tu le regardes, Lena, justement c’était pour que tu ne le… oh Seigneur, il arrive,” marmonna Jared, abattu.
Mais il n’en dit pas plus, et se renfrogna dans son état habituel de barman distant et impassible. Bolkanski était désormais à portée d’oreilles et une mine méfiante scotchée au visage, Lena l’étudiait depuis des sourcils froncés, ignorant les instructions de Jared. Le rictus du russe ne fit que s’accentuer alors qu’il s’accoudait à ses côtés et quand il parla, Lena remarqua aussitôt son fort accent slave :
“Un verre de coca, garçon, et pas trop rempli, entendu ? Je me réserve pour d’autres plaisirs.
-Tout de suite,” fit Jared en jetant un coup d'œil de mise en garde.
Celle-ci n’en tint absolument pas compte puisqu’elle lâcha dans la foulée et ce sans la moindre mise en forme :
“C’est à l’étage supérieur.
-Oh, je le sais bien, rit Bolkanski, je connais très bien les lieux. Ce que vous n’êtes pas sans savoir, n’est-ce pas, Madame Esmeralda ?
-Ah bon ?
-Je vous ai vue m’espionner.”
Jared déposa le verre de coca avec un tantinet trop de force et son regard se vrilla avec reproche sur Lena. Celle-ci réfréna le besoin de plaider sa cause auprès de son meilleur ami ; ce n’était pas elle, c’était Reynold ! C'étaient ses jumelles !
“Vous faites sûrement erreur, temporisa Jared, notre hm, notre Esmeralda est parfois obligée de prendre garde à ce qui l’entoure, vous comprenez ? Les fans peuvent se montrer intrusifs.
-Bien sûr ! certifia Bolkanski avec un peu trop d’engouement pour être honnête. Je le conçois parfaitement. Elle a dû me confondre avec un admirateur éconduit.
-En vérité, intervint Lena avec agacement, c’est un simple passe-temps que nous avons, mon ami Reynold et moi, pour combattre l’ennui.”
Jared aurait tout aussi bien pu se taper le front contre le comptoir tant il fut affligé par le comportement de son amie. En revanche, Bolkanski n’en fut que plus amusé.
“Ah, vous espionnez les clients pour passer le temps ?
-Exactement, assura Lena avec provocation, faisiez-vous des choses répréhensibles, peut-être ?
-Len- Esmeralda, voulut intervenir Jared, Fry vous appelle, il me semble.
-Aucunement, nia Bolkanski en l’ignorant, je ne faisais que profiter des plaisirs des lieux, comme je le disais plus tôt.
-Admirable ! jugea-t-elle ironiquement.
-ESMERALDA ! s’écria Jared en matraquant ensuite d’une voix hachée et sans appel, Fry. T’appelle.”
Lena sursauta légèrement mais elle reprit vite contenance, et se passant les mains contre ses sequins rubis comme pour les arranger, elle adopta un ton plus cordial et statua :
“Ma coordinatrice m’appelle. Bonne soirée parmi nous.
-Votre prochaine consommation est au frais de la maison, monsieur Bolkanski,” promit Jared.
Et Lena tourna les talons, prenant bien soin d’éviter le regard de colère froide que Jared dardait sur elle.
–
Quand elle rentra chez elle, ce soir-là, il était tard, les deux heures du matin étaient largement dépassées et elle était lessivée. Elle avait dû danser trois fois, Jeremiah en avait donné l’ordre et elle se doutait que ce n’était pas autant pour la punir que pour la tenir occupée. Il avait bien trop peur de ce qu’elle pouvait faire de son temps libre. Elle ne l’avait pas vu depuis l'altercation au Preston’s, il l’évitait certainement en espérant qu’elle se calme durant cette retraite. Quant à Mary, la chanteuse était en permanence flanquée d’un garde du corps, comme si l’on craignait que Lena lui saute à la gorge à la moindre opportunité. En toute honnêteté, c’était grosso-modo le plan que Lena avait dressé dans sa tête.
Elle trouva la maison allumée, ce qui éveilla déjà chez elle une certaine perplexité, mais ce fut lorsque, après s’être débarrassé de son écharpe, de sa veste et de son béret sur les portes manteaux du vestibule, elle pénétra dans la salle à vivre qu’elle comprit qu’il s’était passé quelque chose. Son père, Allan et Damian fumaient abondamment du tabac, chacun assis dans un fauteuil et elle se rendit directement à la fenêtre pour ouvrir les battants et aérer la pièce.
“Les Haydens ont buté tous mes fournisseurs, Lena, lâcha Allan sinistrement.
-Quoi ?!
-Ils sont passés dans la nuit et ils n’en ont pas laissé un en vie.
-C’est la vérité, soeurette, appuya Damian devant la tête hallucinée qu’elle faisait, le hangar est dévasté.
-S’ils sont tous morts, comment savez-vous que c’étaient les Hayden ?”
A ceci, Allan poussa un gros soupir avant de se passer une main en travers du visage, Cirillo quitta alors son fauteuil pour s'approcher de sa fille et lui bloquer tout son champ de vision pour qu’elle ne puisse voir que lui. Cirillo Gonzalez avait toujours été un homme imposant, autant par son caractère que par sa stature. Encore déboussolée et ébranlée par ce qu’elle venait d’entendre, Lena leva une mine blanche sur son père qui l’agrippa par les épaules.
“Mais ce n’est pas l'important, ma fille. Nous avons un plan.
-Un plan ? demanda-t-elle, perdue. Je… comment ça ?
-Depuis le début, ton ami Allan et ton frère voyaient trop petits. Nous allons rentrer dans la cour des grands. Il nous faut de plus gros fournisseurs pour dépasser les Irlandais.”
Au paroxysme de la confusion, Lena tourna ses yeux noirs vers son grand-frère qui, étrangement, paraissait très mal à l’aise subitement. Il se massait la nuque tout en fuyant son regard.
“Mais de quoi tu parles, papa ? Tu n’as jamais fait dans la drogue.
-J’attendais seulement le bon moment, avoua Cirillo, il y a un marché immense à Germantown. Et c’est le moment idéal. Il y a un bruit qui court, les russes produisent une cocaïne qui battrait toute concurrence.
-Les Russes ?
-Les Bolkanski, Lena,” précisa Allan de son fauteuil.
Se sentant comme prise de vertige, Lena recula et les mains de son père tombèrent de ses épaules. Damian l’épiait maintenant d’un regard en biais plein de tristesse qu’il n’arrivait pas à voiler. Devant elle, Cirillo avait adopté un visage d’une intransigeance militaire.
“Vous ne pouvez pas essayer de doubler les Irlandais ! s’écria-t-elle. Les Hayden, Jeremiah… ils vont s’en rendre compte ! C’est une chose de vendre quelques sachets au O’Faeries, c’en est une autre de vendre de la came russe à Germantown ! Et puis… enfin, qu’est-ce qui vous fait dire que ces Russes marcheront ?
-Justement, ma fille, nous avons besoin de ton aide pour ça.
-De mon aide ?
-Padre, mesura Damian, s'te-plait…
-Tais-toi, Damian, claqua Cirillo.
-Elle est capable, Dams, le réconforta Allan, elle en a dans le ventre, notre Lena.
-Papa, s’impatienta Lena, de quelle aide tu parles ?
-On a entendu que Nikolaï Bolkanski t’avait abordée au cabaret. Ce dont il refuserait de parler avec nous, il pourrait vouloir le faire avec toi, ma chérie.”
Un hoquet abasourdi bondit de la bouche de Lena, un peu comme si elle avait reçu un coup de pied dans le ventre. Elle n’en croyait pas ses oreilles, ce ne pouvait pas être vrai. Son regard cherchait désespérément celui de Damian mais celui-ci, au comble de l’anxiété, se triturait la barbe. Venant aider le paternel car il sentait l’orage arriver dans la silhouette figée de Lena, Allan bondit de son fauteuil et se plaça aux côtés de Cirillo :
“J’ai plus rien, Lena ! J’ai tout perdu ! Jeremiah m’a tout pris ! C’est ça ou je finis à la rue, bouffé par les chiens qu’il m’enverra.
-Tu sais pas si c’est Jeremiah ! cria Lena, ses mains tremblantes. Arrête de dire que c’est lui !
-Cet enfant de putain t’a jamais considérée, ma fille, je t’interdis de prendre sa défense ! tempêta Cirillo. Tu crois qu’on ignore ce qu’il s’est passé au Preston’s ?”
Incapable de les regarder plus longtemps sous peine de virer folle, Lena fit volte-face vers la fenêtre ouverte où elle se pencha, fermant les yeux face au vent glacial qui la percuta de plein fouet. Ses ongles raclèrent contre le rebord de la fenêtre et elle s’y accrocha comme une désespérée. Devant elle, Germantown était silencieuse et grise, insensible à ses tourments.
“On va te venger, Lena, promit Allan.
-Nous exterminerons Jeremiah Hayden, hija, tu m’entends ?
-Taisez-vous, dios mio, grogna Lena en se plaquant les mains sur les oreilles, je ne veux plus vous entendre.
-On veut simplement que tu lui parles pour nous, Lena, négocia Allan en posant une main dans son dos, que tu l’approches.
-Il en est hors de question !”
Et elle se retourna, les bouscula pour passer à travers eux et elle courut hors du salon pour grimper les escaliers, sourde aux voix d’Allan et de son père qui lui demandaient de revenir. Sa chambre était au bout du couloir à l’étage et elle s’y réfugia, envoyant claquer la porte derrière elle. L’instant qui suivait, elle s’était allongée dans son lit pour observer, le souffle court et le cœur tonitruant, le plafond. Les larmes déferlèrent dans un sanglot brutal qu’elle étouffa dans son oreiller.
–
Son œil, rougi par la rude nuit qu’elle avait passé à détester le monde entier et à ruminer, se leva jusqu’à la façade du cabaret qui portait son nom mais également celui de Mary White. Tout l’univers semblait vouloir l’enterrer six pieds sous terre ; Jeremiah ; sa famille ; Allan ; et maintenant même l’architecture. Les mains enfoncées dans les poches, sa besace de cuir contre sa hanche, Lena essaya de rejeter ce qui obstruait sa gorge mais c’était peine perdue. La boule était là pour rester. Damian posa une main fraternelle sur son épaule et elle le regarda de travers. Il avait insisté pour marcher avec elle jusqu’au cabaret, même si elle avait à peine décroché un mot alors qu’il avait parlé en solitaire tout le long.
“T’as pas à accepter, hermanita, la consola-t-il, Allan et padre, tu sais comme ils sont… les yeux sur l’objectif.
-Depuis quand papa pense à se lancer dans la drogue, Dams ? Il me disait toujours qu’Allan était un raté et qu’il n’arriverait jamais à rien. Il désapprouvait que tu bosses avec lui.
-C’est padre, Lena, il a essayé de s’enrichir par tous les moyens en ville. Il rembourse encore sa dernière idée brillante à la banque, tu le sais, non ?”
Lena se passa l’index sur le sourcil, la trachée compressée. Le givre tapissait le couloir et poussait les automobilistes à la prudence.
“Donc, je dois me prostituer, en gros, lâcha-t-elle d’une voix blanche, et trahir… trahir Jeremiah.
-Non, réfuta Damian sans préambule, si tu continues à danser dans ce bordel, tu auras déjà amplement fait ta part, p’tite soeur. Ok ?
-Faut que j’y aille. Ôte cette idée de la tête de papa, d’accord ? Et dis-lui que je n’ai jamais parlé à Bolkanski ! Enfin, pas plus de deux minutes, j’sais pas ce que vous êtes allés vous imaginer…
-Rien ! assura Damian. Arrête d’y penser.”
Plus facile à dire qu’à faire. Malgré tout, Lena opina du menton et Damian, pourtant pas habitué aux gestes de tendresse, lui embrassa les cheveux avant qu’elle ne le quitte. Dès qu’elle fut entrée, Fry était sur elle, rendue hystérique par son manque de ponctualité. Lena avait effectivement une heure de retard et les premiers clients étaient attablés. Une parodie d’un spectacle de ballet se jouait sur scène avec un duo de danseuses en juste-au-corps pailleté. Lena s’en fichait éperdument, elle avait passé la première moitié de sa nuit à pleurer et la seconde à frapper son matelas.
“Te voilà enfin ! Le patron déteste que tu sois en pantalon devant les clients, siffla Fry entre ses dents.
-Fais pas semblant de pas savoir qu’il me trompe avec White, répondit sinistrement Lena, et t’étonnes pas que j’en ai rien à foutre de ce qu’il déteste.”
Un instant prise de court par l’honnêteté brutale de la jeune danseuse de Flamenco, la coordinatrice soupira plutôt avant de l’informer :
“Eppanhauer t’attend là-haut. Suis-moi qu’on te mette en tenue.”
–
“Tu me sembles bien en peine, ma douce, aujourd’hui.”
Offrant un sourire grimaçant au cinquantenaire, Lena acquiesça tout en essuyant une goutte de whisky qui s’arrondissait sur la table-basse à leur disposition. Même si elle n’était pas d’humeur joyeuse, elle demeurait soulagée de devoir tenir compagnie à Reynold plutôt qu’à un autre client. Une ballade en vieil irlandais parvenait jusqu’à leur balcon, soutenue par un piano mélancolique. Elle n’aurait supporté les caprices des autres. En outre, les services de midi étaient presque toujours plus tranquilles que ceux du soir. Le mouchoir vert toujours contre la table, elle révéla :
“Cette semaine est épouvantable, Reynold, je n’en vois pas le jour.
-Il y a des périodes comme ça… crois en ta bonne étoile, Esmeralda, le mauvais temps passera.
-Oui, vous avez raison, Reynold, sourit Lena, je suis sûre que ça va s’arranger. Comment se porte votre fille à l’approche du mariage ?
-Je crains que le mauvais temps soit aussi au beau fixe dans mon foyer, j’ai surpris ma fille à pleurer dans son lit.
-Quelle tristesse.”
Un bruit rauque attira leur attention sur le balcon d’en face. Ils n’étaient pas les seuls alertés, Lena voyait l’interrogation se propager d’une loge à l’autre, lorsqu’un cri étouffé se fit entendre par la suite. Dressée sur sa banquette, l'œil aux aguets, Lena cherchait la source du tumulte quand Reynold, muni de ses jumelles, l’aiguilla d’un index, pointant l’extrême nord du balcon.
“Là, un jeune homme se fait violenter, Esmeralda, c’est abominable.
-Comment ? Faites-moi voir !”
Maintenant qu’elle savait où regarder, elle s'aperçut l’origine de la commotion qui se produisait dans l’ombre et d’un geste inquiet, elle ajusta ses yeux aux jumelles. A ses côtés, Reynold était affolé, souhaitant que quelqu’un appelle de l’aide, mais Lena se retrouva un instant dans l’incapacité de répondre. Son souffle s’était coupé tandis qu’elle avait reconnu la tête rousse d’Owen qui recevait coup sur coup, à genoux dans la cabine.
“Mon dieu, c’est…, commença-t-elle en abaissant l’objet.
-Il faut l’aider, Esmeralda.
-Je-je reviens, Reynold.
-Je viens avec toi !
-Non !”
Lena plaqua un brin trop fort les jumelles contre la poitrine de l’entrepreneur qui se levait déjà, si bien qu’il se rassit. D’une main, elle l’encouragea à rester où il était :
“Ne bougez pas, Reynold, vous êtes client ici. Je reviens.”
Elle vira sur ses talons alors qu’il acquiesçait et la panique électrisant son corps, elle ouvrit la porte calfeutrée de la loge à la volée avant de se lancer dans un sprint endiablé par de là le couloir. Elle devait faire tout le tour du cabaret pour rejoindre la scène de violence, l’homme avait choisi la loge la plus reculée pour s’en prendre à Owen. Afin d’aller plus vite, elle se débarassa de ses talons et la main contre le mur, elle passa l’angle, ignorant les clients qu’elle croisait sur sa route mis à part pour leur signaler, le souffle court, d’appeler la sécurité dans la loge 36. Elle y aboutit finalement et y pénétra sans attendre. L’homme, qu’elle reconnut en celui qu’elle avait déjà pris à harceler Owen quelques jours auparavant, avait renversé le serveur sur la banquette. Le visage tuméfié, en sang, celui-ci l’implorait en pleurant et à la vue de Lena, il ne fit que pleurer plus fort.
Lena ne se perdit pas dans de vains dialogues et envoya sa paire de chaussures en travers du visage de l’agresseur, pour ensuite lui expédier son pied nu dans les parties génitales. La surprise aidant, l’homme subit l’attaque et sous le coup de la douleur, il tomba à genoux en gémissant une insulte à son encontre. Sans attendre, elle le poussa sur le côté et accourut vers Owen qui se répandait en sanglots depuis le canapé.
“Madd-Maddy !
-Viens, Winny, faut pas qu’on reste ici, l’encouragea-t-elle, lève-toi.”
Elle passa un bras autour de la taille de son ami et le souleva de la banquette, le traînant ensuite en dehors de la loge. Les larmes ne se tarirent pas alors qu’ils s'éloignaient de son agresseur et Lena savait que si elle le lâchait, Owen s’effondrerait sur la moquette qui tapissait le couloir. Mais Lena ne pouvait pas prendre le risque de ralentir, il fallait qu’elle l’emmène en lieu sûr.
“Il-il voulait que je le, que je le…
-Chut, le fit taire Lena, c’est fini, Winny.
-J’aurais dû faire ce qu’il voulait.
-Winny, tu as bien fait, tu as très bien fait.”
Alors que Lena ouvrait la loge de Reynold, Owen se répandit en une salve de larmes dans son cou et elle lui caressa la tête, le faisant entrer. Debout, l’homme d'affaires resta, estomaqué et les bras ballants, à la voir revenir avec le serveur.
“Pouvez-vous le poser sur le sofa, Reynold ? demanda-t-elle.
-Bien-bien sûr, Esmeralda.”
Les bras libérés, elle put refermer la porte convenablement derrière eux et elle vint ensuite s’asseoir aux côtés d’Owen qui, les mains contre les joues gonflées, tentait de reprendre son souffle. S’emparant du verre de whisky ainsi que d’un mouchoir que lui tendit Reynold, Lena procéda à désinfecter les plaies. D’habitude si douillet, Owen ne frémit pas face au contact de l’alcool avec sa chaire à vif. Il avait beau avoir vingt-deux ans, il avait l’air d’un enfant, qui n’était qu’à son quatorzième hiver.
Reynold vint conclure la scène, déplorant :
“Quelle horreur.”
–
“Frapper un client ! Frapper un client là où tous peuvent te voir ! C’était des frasques qui pouvaient passer quand tu étais une simple Faerie, Lena. Qui va vouloir venir te voir maintenant qu’ils savent que leur Esmeralda est une brute épaisse ?!”
Fulminant sur sa chaise, Lena le fixait depuis le miroir lumineux. A la sortie de sa prestation, il l’attendait de pied ferme. Habillé d’un grand manteau, d’une écharpe et d’un chapeau, il tenait sa paire de gants en cuir dans une main, comme s’il venait tout juste de descendre de voiture après un voyage depuis le bout de la ville - ce qui était certainement le cas. Il avait fait vider les coulisses au préalable, et plus aucune Faerie ou artiste ne s’y changeait. Quant aux maquilleuses et coiffeuses, toutes s'etaient volatilisées. Lena lui était passée devant silencieuse avant de s’asseoir à sa place et d’attendre que le sermon débute. C’était la première fois qu’elle le voyait depuis le Preston’s et elle se doutait bien ce qui l’avait poussé à revoir ses plans d’exil. L’agression d’Owen était fraîche, datant de quelques heures seulement. Désormais, Jeremiah allongeait ses jambes dans de grandes allées et venues furibondes derrière elle.
Elle avait tellement de choses à lui dire, elle ne savait pas par où commencer, mais pour Jeremiah, tout semblait parfaitement clair.
“Tu sais pourtant ce qui s’est passé, l’avisa-t-elle.
-Et que s’est-il passé ? A part que tu as agressé un client ?
-C’est Owen qui s’est fait agressé, Jeremiah !” claqua-t-elle.
Elle avait virée sur son fauteuil, ses cheveux bruns fouettant l’air chaud des loges, pour lui faire directement face et Jeremiah ne perdit pas pour autant son expression dure. Sa main droite serrait fort le dossier de son siège à s’en faire pâlir les phalanges.
“Le serveur Collins n’a pas tenu son poste correctement, établit Jeremiah, réfrigérant, il s’est refusé à un client.
-Pardon ?!
-Ne te fais pas plus bête que tu ne l’es, ça commence à bien faire, Lena ! Il ne serait rien arrivé à Collins s’il avait fait son travail au lieu de refuser, à un homme qui a payé sa loge à 30 dollars l’heure, une fellation !”
Voyant rouge, Lena bondit hors de son fauteuil comme si elle était montée sur un ressort. Évidemment que le travail de Faerie ne consistait pas seulement à servir des verres et à faire la conversation et que contre rémunération, toute serveuse acceptait de rendre certains services. Elle-même l’avait expérimenté dans ses débuts et elle essayait encore aujourd’hui d’oublier ces souvenirs. Ce genre de choses arrivaient constamment au O’Faeries, sous la contrainte et la manipulation, auquel Fry participait copieusement, mais comment Jeremiah pouvait-il accepter aussi froidement qu’un de ses employés se fasse rouer de coups pour un refus ? Il était censé les protéger!
“Alors, on peut se faire violer et ça ne te fait ni chaud, ni froid ! l’accusa Lena. Tu n’étais pas comme ça avant !
-Tu me rapportes de l’argent autrement, voilà tout, éluda Jeremiah, pas Collins à ce que je sache ?”
Une onde de révolte et de répulsion allait et venait dans tout son être à chaque fois qu’elle inspirait et expirait, mais elle se retint d’exploser. Elle ne pouvait pas perdre le contrôle et elle serra les poings contre sa robe qui, aujourd’hui, était pourpre et vaporeuse.
“Alors, donne-lui un numéro.
-Répète-moi ça, hoqueta Jeremiah, n’en croyant pas ses oreilles.
-Donne à Owen un numéro à faire sur scène.
-Tu n’es pas sérieuse… un artiste homme n’intéressera personne !
-Déguise-le en femme si ça te chante.
-Un travesti au O’Faeries, maintenant ?
-Il peut faire du Flamenco avec moi, je lui apprendrai !
-Bon, encore une fois, tu deviens ridicule.”
Et sur ce, il tourna le talons, s’apprêtant ni plus, ni moins à partir et mettant ainsi fin à la conversation. La vision du dos de son grand manteau prétentieux fit rugir la colère qui creusait le ventre de Lena depuis le début du conflit, et d’une voix forte, elle lui lança :
“Si tu n’aides pas Owen, aujourd’hui, je te le pardonnerais jamais.”
C’eut l’effet escompté et Jeremiah s’immobilisa. Elle n’avait toutefois pas anticipé l’éclat menaçant qui luisait dans ses yeux lorsqu’il revint vers elle lentement, ôtant son chapeau de la tête.
“C’est très vexant, tu sais, mon coeur ? C’est la première fois que tu me revois depuis notre dispute et tout ce que tu as dans la bouche, c’est le nom d’un autre homme, articula-t-il d’un ton sombre avant d’asséner, tu couches avec lui ?
-T’es devenu fou ou quoi, Jeremiah ?”
Elle était complètement atterrée. Aussi bien par les mots qui émanaient de lui mais également par son attitude envers elle. Soudainement, elle voyait son père dans son visage, cet homme froid qu’elle n’avait vu que peu de fois au O’Faerie mais qui lui avait immanquablement glacé le sang. Lorsqu’il fut suffisamment proche d’elle, il lui agrippa le visage d’une main, enfonçant les doigts dans ses joues et sans qu’elle ne sût réellement pourquoi, elle ne lutta pas. Peut-être que son cerveau s’était déconnecté, trop abasourdi par les évènements.
“Prononce encore une fois son nom et je le tue.”
Cette phrase eut le mérite de la faire réagir et d’un coup de poignet, elle ôta la main qui barricadait son visage.
“Comment ça tu le tues ? répéta-t-elle.
-Je le tue, répondit-il avec une légèreté nouvelle dans la voix, c’est aussi simple que ça.”
Il la toisa un instant de plus avec moquerie alors qu’encore une fois sidérée, elle resta sans bouger. Cette fois-ci, il partit pour de bon et elle se retrouva seule, complètement seule, dans les loges vides. Une réalité commençait à s’insinuer dans son cerveau.
Jeremiah était réellement derrière la tuerie du hangar d’Allan.