Une musique et des rires retentissaient sur la grande place sur laquelle avait lieu ce grand spectacle. Les artistes, dansant au milieu de la foule, faisaient apparaître leur feu sous différentes formes. Un jeune enfant masqué portant une capuche observait non loin dans la foule, l’art dont ils faisaient preuve. Le masque qu’il revêtait ne permettait pas de déterminer son âge exact ou son sexe. Seules sa frêle carrure et sa petite taille indiquait qu’il s’agissait d’un enfant.
Il était accompagné d’un homme de près de cinquante ans. Ses cheveux gris mi-longs tombaient doucement sur ses épaules. Sa barbe mal taillée et son visage aux traits tombants le rendaient bien triste et vieux. Pourtant, ses alliés pouvaient assurer qu’il était un grand homme, soutenant l’organisation la plus secrète et utile du royaume d’Orane.
— Après cette semaine passée au sein de notre organisation, j’espère que tu as pu comprendre certaines choses.
L’autre hocha la tête sans répondre.
— Il est temps pour toi d’obtenir ta première mission. Elle ne sera pas facile et tu devras l’accomplir presque toute seule.
Le jeune enfant tourna la tête vers le vieil adulte. Il l’avait prévenu au moment de son embauche qu’il comptait tirer parti de son jeune âge et de sa discrétion, essentielle à l’organisation.
— Cet homme m’aidera ? demanda-t-il d’une voix aigüe, étouffée par le déguisement qu’il portait.
— Il t’apportera ses conseils et son expérience. Il t’aidera depuis le quartier général et te viendra en aide avec l’équipe si jamais quelque chose se passe mal.
A nouveau, l’enfant acquiesça. Loric, l’homme, l’avait accompagné jusqu’ici pour rencontrer son futur acolyte. Le petit qui avait eu l’habitude de travailler seul depuis des mois se retrouvait à devoir travailler de concert avec quelqu’un. Il avait néanmoins hâte de rencontrer son nouvel associé.
— Où est-il ?
L’homme leva lentement sa main et lui désigna un jeune garçon aux cheveux ébènes, debout devant la scène sur laquelle se déroulait un énième spectacle de flammes.
— Je vais te laisser faire sa rencontre, déclara-t-il. Et, tu devrais retirer ton masque avec lui. Il n’est pas beaucoup plus vieux que toi et puis, la confiance est essentielle dans une équipe.
Il se détourna de sa jeune recrue et s’en alla, voguant à travers la foule, pour retourner là où il se sentait le mieux. A l'écart des autres.
Se pliant à son devoir, l’enfant retira son masque qu’il accrocha à sa ceinture. La visage à découvert, personne ne pouvait nier qu’elle était jolie mais jeune. Ses yeux verts scrutaient les alentours. Elle respira un coup. Elle n’avait plus souvent l’occasion de sentir l’air frais sur la peau de son visage. Malgré la chaleur du feu qui réchauffait les lieux, elle pouvait sentir la différence.
Elle se mit à avancer vers celui que le vieux Loric lui avait désigné. Arrivée à ses côtés, la première chose qu’elle remarqua fut la mèche blanche qui teintait une partie de sa frange. Elle trouva ça d’abord étrange mais n’en tint pas compte bien longtemps.
— Alors, c’est toi ? Le nouveau membre de mon équipe ?
L’homme se tourna vers elle. Son regard, bleu foncé, était rieur et amical. Il était jeune, à peine plus d’une quinzaine d’années. Son visage était fin et gracieux. La jeune enfant était pourtant bien plus petite que lui. Elle devait lever la tête pour le regarder dans les yeux.
— Je m’appelle Théa.
— Enchanté, je suis Jori. Chef de l’unité treize, nous nous occupions habituellement des faits divers liés aux informations sur les rebelles.
Théa le regardait toujours. Loric ne lui avait pas expliqué en détail les tenants et aboutissants de sa future mission, lui assurant que son chef d’équipe lui en parlerait. Elle était surprise que lui fut attribuée un travail d’informateur. Elle, qui avait fait ses preuves en qualité de combattante. Avec plus de formation, elle aurait pu devenir une guerrière encore meilleure. Mais ces hommes semblaient en avoir décidé autrement.
— Tu sembles déçue, remarqua l’autre en reportant son regard sur le spectacle qui se déroulait devant eux.
— Je n’imaginais simplement pas me voir confier une tâche dans ce domaine-là.
— Qu’aurais-tu préféré ?
Elle hésita. Son objectif était de venger ses parents en retrouvant et tuant l’homme qui les avait assassinés. Se retrouver obligée de s’occuper des rebelles qui sévissaient dans la royaume était hors de son but.
— Autre chose, abréga-t-elle.
L’adolescent sourit, la fille lui paraissait apathique et distante mais une grande et lourde histoire se cachait dans ce petit être. Tout comme lui, elle avait ses propres objectifs qui divergeaient quelque peu de ceux de l’organisation.
— Eh bien, Théa. Peut-être qu’après quelque temps, tu pourras me raconter ce qui t’a poussé à entrer sous les ordres de quelque chose comme l’Ombre. Ce n’est pas n’importe qui, qui est assez dingue pour parvenir jusqu’ici. Ou obsédé par quelque chose.
— Concentrez-vous sur l’eau. Je ne pense pas que le feu soit votre élément, conseilla une voix grave, me faisant sortir de la brume de mon souvenir.
Une seconde à peine semblait s’être écoulée. Le professeur Valdenial éteignit les flammes d’un geste vif de la main avant de se lever et de passer à l’élève suivant.
Jori… Encore un nouveau nom. Mais son visage me disait quelque chose. J’avais l’impression de l’avoir déjà vu. Je veux dire depuis mon retour, deux mois plus tôt. Je n’arrivais cependant pas à mettre le doigt dessus.
J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer le vieil homme dans un autre souvenir. Lorsque je m’étais remémorée ma rencontre avec les dirigeants de l’Ombre. Je ne savais pas ce que je pensais de lui mais il m’avait paru gentil et protecteur à mon encontre.
— On continue ? me surprit la voix de mon ami.
Je posai mes yeux sur les siens. Deux pupilles brunes me fixaient attendant une réponse.
— Mon élément est l’air, ai-je dévoilé sur un coup de tête.
— Quoi ?
— J’ai dit : mon élément est l’air, répétai-je devant l’air ahuri du jeune prince.
— Comment peux-tu le savoir ? Je croyais que tu n’avais presque jamais exercé la magie.
— Quand j’ai rencontré le directeur au palais, il m’a fait lancé une magie de vent, et j’ai réussi. Alors j’en déduis que c’est mon élément.
Il ouvrit la bouche un temps avant de répondre.
— Dommage pour toi mais, je ne pense pas que nos professeurs aient l’intention de nous faire essayer cet élément aujourd’hui, dit-il en m’observant les yeux légèrement plissés. Concentrons-nous sur l’eau. Avec plus de pratique tu y arriveras très certainement.
Je secouai la tête pour me réveiller.
— Oui, pardon. Il faudra que je te parle d’un truc après.
Il fronça les sourcils, perdu.
— Je crois que… Non. J’ai eu un nouveau flash mémoriel, lui murmurai-je près de l’oreille.
Cette fois-ci, ses sourcils se levèrent et ses yeux s’agrandirent.
— Maintenant ? A cause du feu ?
Je hochai la tête en haussant les épaules. Je le supposais. Je ne voyais aucun autre potentiel déclencheur et puis étant donné les spectacles qui se déroulaient dans mon souvenir, c’était le plus probable.
— On en parlera ce soir, sur ton balcon. Ce n’est pas vraiment le moment. Ni l’endroit.
— Je le sais bien. Je suis juste… déboussolée.
Il acquiesça, semblant comprendre avant de lever sa main pour se prêter à l’exercice magique.
Se casser la tête était, depuis un certain temps, devenu mon passe-temps. Dès lors que je me retrouvais seule, mes méninges tournaient et travaillaient. Cherchant à faire ressurgir chaque élément lié à mon passé. Léandre avait beau essayer de m’aider. Personne n’était capable de stopper les pensées tourbillonnant dans mon esprit.
Personne sauf un. Un dégénéré suffisamment fou pour venir frapper à la porte de mon balcon alors que j’étais seule dans ma chambre.
— Léoni ? fis-je surprise en voyant le grand garçon aux cheveux clairs se tenir à ma fenêtre.
Derrière lui, un autre garçon arriva. Brun, plus grand que le premier, il était également plus apathique.
Je me levai en vitesse de mon lit sur lequel j’étais auparavant allongée à me triturer le cerveau et allai leur ouvrir.
— Que faites-vous ici ? leur demandai-je une fois la porte refermée et les rideaux tirés.
— Le pauvre chou me parle de ses inquiétudes à ton propos depuis des jours, dramatisa Léoni comme à son habitude.
Thalion roula des yeux tandis que je riai. Si ce n’était que ça. Je posai mon regard dans celui de mon grand frère. C’était bien gentil pour lui de s'inquiéter mais ce n’était pas avec lui que je voulais parler de mes problèmes. Qu’ils soient graves et importants ou moins. Non mais franchement, qui voudrait se confier avec un être aussi chaleureux ?
— Je ne voulais pas venir t’embêter avec tout ça, Anthy, vois-tu. Mais, malgré que j’adore me plaindre…
Il appuya bien sur le verbe “adorer”.
— … je n’aime pas écouter les autres le faire. Alors je viens me débarrasser de lui auprès de toi.
Il attrapa ma main et me fit un clin d'œil avant d’ouvrir à nouveau la porte menant au balcon.
— Ramène-le moi quand vous aurez fini, signala-t-il avant de sauter par-dessus la balustrade.
J’eus bien envie d’accourir près du vide pour m’assurer que l’épéiste allait bien mais il s’agissait de Léoni. Je n’avais aucun souci à me faire à son sujet. Je plantai mon regard sur mon frère. Il portait une chemise beige et son pantalon d’uniforme. Il s’assit sur une chaise au hasard dans la pièce et continua de me fixer avec intensité.
C’était à moi de faire ça ! C’était lui qui était venu dans ma chambre, apparemment inquiet de mes agissements récents.
— Je me demandais s’il t’était arrivé quelque chose, commença-t-il enfin.
Il se posa contre le dossier de la chaise, croisant ses jambes et ses bras. Il était assez menaçant comme ça.
— Des souvenirs te seraient peut-être revenus ? Ou bien as-tu eu l’occasion de croiser une de tes vieilles connaissances ?
Il cracha les derniers mots comme s’ils brûlaient.
— Si tu fais référence à la blessure que je me suis faite il y a déjà deux semaines, c’était simplement une journée mouvementée émotionnellement et j’ai craqué quand je l’ai vue.
Je lui avais répliqué sur le même ton acide qu’il avait employé. Ne pouvait-il pas se comporter comme quelqu’un de respectueux et poli au lieu de jouer au plus idiot ?
— J’y pensais. Certes. Mais j’aimerais que tu m’expliques ce genre de choses. Que je ne sois pas obligé de venir te voir des jours, non, des semaines plus tard grâce à Léoni.
Ses paroles me refroidirent. Il était vrai que j’étais venue requérir son aide après m’être blessée, mais c’était son attitude indéchiffrable qui m’avait fait renoncer à venir lui parler plus tard. Et Léandre qui venait en rajouter une couche avec son histoire débile selon laquelle je serais morte.
Je grognai. En fait, avant de le revoir arriver dans ma chambre, j’avais complètement oublié m’être emportée contre cette pauvre fleur le jour de la rentrée. C’était déjà trop loin à mes yeux.
— Léan… dre… m’étranglai-je. Léandre m’a fait part de quelque chose ce même soir.
Cette fois-ci, Thalion sembla se concentrer, plus enclin à m’écouter. Mon amorce semblait avoir débouché ses oreilles. Je regardai mes mains, elles devenaient moites. Je triturais mes doigts à les rendre blancs avec un élastique à cheveux que je gardais toujours au poignet.
— Peut-être suis-je morte ce soir-là… prononçai-je dans un murmure qui parvint difficilement aux oreilles de mon frère.
— Quoi ?
Son aboiement me surprit. Il était penché en avant vers moi, les yeux écarquillés. Mains sur les genoux, il semblait prêt à bondir.
Je n’ajoutai rien de plus. Ma phrase voulait tout dire. Et puis, je n’en avais pas reparlé avec mon confident princier. J’avais clôt le sujet, devenu tabou.
— Je ne pense pas que quiconque soit capable de ressusciter un mort, formula-t-il finalement après de longues secondes. Je mènerai tout de suite des recherches. Mais si cela peut te rassurer, je doute que cela soit le cas.
Ces derniers mots retirèrent un énorme poids qui pesait sur ma poitrine. Thalion m’énervait souvent, de par ses airs calculateurs et distants. Surtout depuis ces deux derniers mois. Mais je lui faisais confiance, plus qu’à n’importe qui. Alors, s’il ne croyait pas à cette théorie, je ne devais pas m’y attarder. Je fis apparaître un petit sourire sur mes lèvres alors que je sentais un fort sentiment d’apaisement remonter dans mon dos. Et alors que je prononçais mes remerciements, des larmes commencèrent à perler aux coins de mes yeux. Thalion se leva et sourit. Un sourire franc. Ceux que je ne voyais que rarement mais dont je savais apprécier la valeur.
— Tu es vraiment une chialeuse.
— Abruti, va, répliquai-je en un rire.
— Thalion ! hurla la voix de Léoni depuis le jardin.
Mon frère se déplaça jusqu’à la rambarde et se pencha au-dessus. J’en fis de même. L’apprenti chevalier était debout sous un arbre qui longeait le mur du bâtiment.
— On devrait rentrer, j’ai entendu dire que le directeur n’était pas loin, chuchota-t-il si fort que ce n’était même plus discret.
Thalion jura avant d’enjamber la balustrade. Il me sourit une dernière fois.
— Je suis désolé. La prochaine fois j’essaierai de t’aborder avec un peu plus de tact.
Puis il lâcha le métal, atterrissant habilement dans le beau jardin visible depuis ma chambre.
Léoni me salua d’un grand geste du bras, un sourire toujours plaqué sur son visage charmeur et Thalion m’adressa un léger signe de la main. Enfin, tous deux repartirent vers le bâtiment qui leur était dédié.