Chapitre 5

« Prenez ma lame, Chevaleresse ». 

Depuis que j'ai couché sur le papier cette phrase, elle ne cesse de tournoyer dans ma tête, d'en bondir de bord à bord, ne me laissant point de repos. Il me semble bien qu'en reprenant cette formule antique, le Baron avait voulu faire appel à quelque ancestral honneur, de l'époque où, loin à l'Ouest, les six mères fondatrices et quatre pères fondateurs de notre ordre, alors encore protégés de mailles et de grands écus sur lesquels figuraient leurs armes, avaient juré de défendre de leurs vies le Cœur du sanctuaire qui venait d'être fondé à Tchaffa, tout juste libérée du joug des Keleves. Pour en témoigner, ils avaient pris comme emblème les deux lunes de notre religion, pourpre sur argent. Depuis ce temps, et aujourd'hui encore, alors même que le royaume fideste qui y avait été fondé a depuis longtemps disparu sous les coups répété des païens, une troupe de quatre frères et six sœurs sanctuaristes gardent le temple qui s'y trouve : les incroyants nous semblent peut être étranges et même risibles, priant leur grotesque divinité unique, mais à tout le moins acceptent-ils de conserver notre temple sacré en paix. C'est bien plus que l'on puisse en dire des livristes.

Ainsi, il est vrai, je suis une chevaleresse. Le terme a beau être inusité, il n'en reste pas moins juste, car, à l'instar de Damiette et contrairement aux sergentes, je suis, par naissance, de noble lignée.

Comme en chacun des temples se trouve le sanctuaire, et sous celui-ci le Cœur, la partie la plus sacrée du bâtiment, en chacun d'entre nous se trouve préservée une part sacrée, l'Âme, qui est d'essence divine, donnée en bienfait par Dieu et Déesse. Chevaleresse et moniale, mon rôle est de toujours protéger ce don. Ainsi, si je suis soldate de l'extérieur, défendant les corps et les biens, je suis aussi soldate de l'intérieur, défendant le cœur et les âmes. 

Notre ordre possède, à ce titre, en plus de ses devoirs monastique, la prière, le recueillement, la pauvreté, l'humilité, le travail simple et la copie des textes sacrés, la charge de défendre la fidestrie contre les païennes attaques. Nos couleurs, rouge en honneur de déesse et blanc, pour symboliser la pureté de nos vies, en témoignent. Deux autres ordres combattants existent en plus du notre : l'ordre de la Bête-Sainte, en or et noir, combattant loin à l'ouest les infâmes polythéistes barbares, Rêmes, Frisien ou autres, et les Chevaleresses de Sainte-Tillie, aussi appelé ordre Solèsien, qui, au nord, protègent de leur petite île les côtes de l'Androne des pirates Keleves qui y pullulent. Leur flotte est l'une des plus conséquentes de toute la fidestrie et leurs couleurs sont l'azur et l'or. Autrefois, les Chevaliers de Golanka étaient leur contrepartie terrestre, assurant la sécurité des routes du nord vers les régions occidentales, mais ils ont depuis disparu, anéantis par les efforts de la Couronne Pontaulcienne et du Duc de Veime, et abandonnés par l'Abbassauté. Cette histoire n'est cependant pas la mienne et je ne vais point ici m'étendre sur leur sort. Leurs habits étaient sinople et argent.

Mais de tous, c'est l'ordre des Sanctuariste qui est le premier, le plus ancien, et le plus puissant : nous avons l'oreille des Princes, nous possédons des chapitres dans toute l'Androne, et nos troupes dominent partout où elles paraissent. Chaque enfant noble ou roturier rêve de combattre dans nos rangs, car il n'est point plus grand honneur, et il n'est pas rare que des familles fassent entrer un ou une cadette comme novice, entre huit et quatorze ans, comme il fût fait pour moi. Il arrive aussi que, sur le tard, pris le plus souvent d'une bienfaisante crainte du jugement de Dieu, quelque noble ou ancien soldat sans titre prenne l'habit. Léanon est de celles-là.

Je suis, pour ma part, entrée comme novice à onze ans. Il me semble ne jamais avoir vécu une autre vie, et jamais n'en ai-je eu le désir. 

* 

Si une chevauché dans une ville hostile est éreintante, la garde d'un prisonnier est par bien des aspects amplement plus usant. Avoir l'obligation d'en tout temps surveiller d'un œil le Baron tout en épiant les dangers possibles de la route de l'autre me laissait bien peu de mes yeux pour moi-même, et mener sa monture dans de telles conditions est une tâche bien ardue. Heureusement, je n'étais point seule et mes sœurs et moi nous succédions dans ce devoir. Hotz même, à qui je faisais désormais presque confiance depuis son coup d'éclat à Girant, faisait sa part, partant parfois en avant-coureur, afin de s'assurer que la route était dégagée et qu'aucune embuscade ne nous y surprendrait. Je regrettais souvent en mon for que Damiette n'ai point pris l'épée de Sanvançon quand il le lui avait proposé, ce qui m'aurait à coup sûr facilité la tâche, car, si pendant les premiers jours de notre périple en sa compagnie le Baron n'avait à aucun moment montré la moindre velléité de rébellion, je n'en étais pas moins circonspecte. Cela pouvait parfaitement être manière pour lui d'endormir notre méfiance, et si je me fiais à sa parole de gentilhomme, je doutais de ses serments de livriste. Cependant, je n'en avais jusqu'alors pas fait la remarque à ma sœur qui semblait, après notre départ de Girant, à la fois épuisée et emplie d'une volonté nouvelle, inflexible.

Dans la cour de la Maison de Ville, pendant que le Baron était allé rassembler ses maigres possessions et quérir une monture, nous avions convenu de ne point passer la nuit entre les murs de la cité : si nous ne pensions pas que le conseil eut pu nous causer tort, il n'en était pas de même pour ses habitantes et habitants. Nous empruntâmes donc la porte Saint-Simoun, ouverte vers le sud, et nous couchâmes le soir même dans une grange, à quelques lieues des enceintes. Puis, durant quelques temps, ce fut une chevauché éprouvante, sous de froides pluies fines du printemps qui sentaient encore la neige hivernale et rendaient la progression déplaisante, mais les jours s'allongeaient, nous permettant d'avancer à une allure que je jugeais raisonnable, près de douze lieux depuis le matin jusqu'à la nuit, ce qui, selon mon estimation, nous amèneraient en Ôrmenau avec près de deux sizaines d'avance. J’omettais cependant que nous devions traverser le massif de l'Echord, qui nous retarderait gravement. 

Insensiblement, les plaines vertes et les basses collines du Girantois laissèrent leur place à des plateaux de plus en plus élevés et à de lourdes forêts. La route, qui jusque-là avait été large et droite se transforma en de multiples chemins et sentiers, emberlificotés autour de bas monts se ressemblant tous, et les successions de villages et de champs disparurent pour ne laisser comme repères que des pins et des chênes. Pis encore, le matin du septième jour de notre avancée, au détour d'un pic, nous aperçûmes au loin une chaîne de montagne. Elles étaient certes basses, mais elles semblaient s'étendre à perte de vue, bouchant l'horizon d'une barrière infranchissable.

- Par Déesse c'est inenvisageable, m'exclamais-je, jamais ne pourrons nous la traverser ! Cela nous prendrait des mois !

- Six ou sept jours, tout au plus, Sœur Madel, répondit Hotz. Les monts de l'Echord ne sont point trop périlleux pour qui en connaît les passages.

- Ne pouvons-nous les contourner ?

- Nous le pourrions, par l'est, mais cela nous prendrait presque deux fois ce temps. Et il nous faudrait d'abord redescendre vers le sud pendant deux jours pour trouver un pont permettant le passage de la Gyène. 

Léanon appuya Hotz d'un « Il dit vrai. » qui mit un terme abrupt à mes récriminations.

C'est trois journées après avoir pénétré dans le massif que l'incident survint. Nous chevauchions sans prendre garde à autre chose qu'au chemin, car il était escarpé et un mauvais mouvement eut pu nous projeter une dizaine de pieds plus bas. Cela faisait plusieurs jours que Hotz ne partait plus en avant car nous avions besoin de lui pour nous guider, et dans ces monts se trouvaient assez peu d'habitants pour ne pas avoir à s'inquiéter d'une attaque. En outre, l'avant-veille nous avions passé la nuit en un petit village montagnard et la curesse du lieu, reconnaissant en le Baron un homme de noble extraction, lui avait proposé sa chambrette, pour lui éviter les affres des bottes de foin de la grange où nous dormions, et elle même avait couché sur une paillasse en sa cuisine. Au matin, m'éveillant dans un sursaut, il m'était apparu que Savançon eu pu profiter de cette nuit séparé de nous pour s'enfuir, car même si Léanon et Régina avaient dormi dans l'étable, il ne lui aurait guère été ardu de trouver un cheval ou même de fuir à pied par les sentiers de montagne. Mais, me précipitant en la petite pièce qu'il occupait, je l'y trouvais, calme et reposé, prenant soin de sa moustache face à un vieux miroir tâché. Depuis, sans lui faire entièrement confiance, je le croyais néanmoins sincère dans sa volonté de nous suivre jusqu'en Ôrmenau. Ma vigilance s'était donc quelque peu relâchée, et j'avais plusieurs fois laissé le Baron seul alors que je me portais non loin de Léanon et Hotz qui avaient sympathisé et partageaient des souvenirs de leurs campagnes en de longues causeries émaillées de détails cocasses. Le jeune butor me semblait depuis notre départ de Girant plus à son aise en notre compagnie, comme si connaître enfin notre tâche l'avait libéré d'un poids, et il se montrait souvent souriant et parfois même espiègle. 

Ainsi donc, c'est avec une certaine légèreté que nous chevauchions, sans même porter nos cuirasses, Damiette en tête de notre train tandis que j'étais à l'arrière, derrière même la jument de trait que menait Régina, sur une sente étroite qui ne pouvait laisser passer que deux chevaux de front. Soudain, le craquement d'une arquebusade résonna. J'entendis Damiette pousser un cri mais je ne pus voir ce qui se produisait à l'avant du convoi. Discernant des bruits de course précipités dans mon dos, je ne délibérai guère longtemps avec moi-même. Je me jetai à bas de ma monture et roulai au sol avant de me redresser. Grand bien m'en avait pris car j'avisai alors deux hommes et une femme, armés, des manants à n'en point douter. L'un d'entre eux tenait un pistolet fumant à la main. Le coup avait dû me manquer de peu.

Je défouraillai mon écorcheuse et me jetai sur eux sans hésitation. Aucun de mes propres pistolets n’étaient préparés, je ne pouvais pour l'instant guère attendre de renfort des autres, et je voulais empêcher l'homme de recharger son arme. La femme essaya de sa longue pique de me tenir à distance, mais il était manifeste qu'elle n'était point accoutumée à une telle manœuvre. De ma lame, je bloquai sa hampe et l'écartai de mon chemin pour, en deux pas, me retrouver nez-à-nez avec elle. Dans un même mouvement, je sortis ma dague et la lui plantai entre le menton et la gorge. Puis, sans plus m'attarder sur son corps qui s'effondrait sans vie, je me gardai sur ma dextre en priant que ce fût de là que la prochaine attaque viendrait. Déesse m'entendit car le coup de taille porté par le troisième homme butta contre ma lame. Je pus reculer pour me mettre face à celui qui venait de m'attaquer, un rustaud armé d'un fauchon rouillé. L’autre, celui qui me semblait le plus dangereux à cause de son arme à poudre, se figea et dévisagea la dépouille de la femme d'un air horrifié. Elle avait du être sa compagne. Cela m'avantageait, sa sidération me laissait le temps de me soucier de lui plus tard. La brute au fauchon se rua sur moi. Il n'était point un escrimeur de talent et je parai ses deux premières attaques sans difficulté ; je pus ainsi constater que ce qu'il ne possédait en savoir-faire, il le compensait par la force brutale, donnant de larges coups sans précision, comme s’il coupait du bois. Je me contentai donc lors de son troisième coup de dérober soudainement ma lame, ce qui le déséquilibra et me laissa tout le temps de la lui planter dans les entrailles. Je la retirai rapidement et j'allai me tourner vers le dernier quand une douleur subite explosa sur ma tempe.

J'avais été négligente, croyant mon ultime adversaire trop effrayé ou dévasté pour se battre, mais il avait pris son pistolet par le canon et s'en était servi comme d'une masse pour me l’écraser sur le crâne. Sous le choc, je perdis mes armes et roulai au sol, presque inconsciente. Heureusement, il prit le temps de s'enquérir de son camarade qui, encore vivant, gémissait des propos inintelligibles. Les quelques instants ainsi gagnés me permirent de retrouver mes esprits et, sans prendre garde à la souffrance, je me relevai pour lui faire face. Il ramassa le coutelas de son complice et s'approcha de moi lentement, les traits déformés par la rage. J'étais désarmée et ne voyais rien autour de moi pouvant m'être utile, du sang me coulait dans l’œil senestre, mais je n'étais pas alarmée. Je savais que s'il voulait m’occire, il devrait donner à sa lame de l'élan, et je comptais bien utiliser cet instant pour l'attaquer. Au moment où il levait son bras, je me jetai par surprise dans ses jambes. La manœuvre était moins dangereuse qu'il n'y parait car il est malaisé de frapper de taille vers le bas et son fauchon ne possédait pas d'estoc. Je parvins à le déséquilibrer, nous roulâmes dans la poussière, et en un mouvement vif, je fus sur lui. Ne prenant pas garde aux coups maladroits qu'il me portait de ses poings, je lui saisis le crâne et le frappai de toutes mes forces contre le sol. La Providence Divine voulut qu'il s'y trouva justement une pierre pointue : un craquement se fit entendre, un mince filet de sang me coula sur les doigts et, ses yeux devenant vitreux, il perdit connaissance.

Je roulai sur le flanc et restai un instant allongée, haletante, afin de regagner mon souffle. Des bruits indistincts me parvinrent. Je me remis difficilement sur pied et me tournai vers les autres : une semblable attaque avait lieu à l'avant et j'y devinais une grande agitation. Du haut de son hongre, Hotz ferraillait de droite et de gauche. Je ne distinguai pas Léanon mais entre les jambes des chevaux, je remarquai Régina, accroupie devant le corps immobile de Damiette, comme pour le protéger, et qui entreprenait de charger un pistolet. Le baron, quant à lui toujours monté, n'était pas armé mais il poussait de grands cris envers les assaillants. Dans le bruit et la fureur, je ne les distinguai que difficilement, mais il me sembla qu'il les suppliait de s'en repartir. Je ramassai mon écorcheuse et ma dague et j'essayai de rejoindre le combat à la hâte, mais la douleur me brouillait la vue, les chevaux étaient sur le passage et je ne pus être aussi preste que je l'aurais souhaité. Quand je surgis enfin sur les lieux, j’aperçus au sol deux dépouilles. Le bras dextre sanguinolent pendant le long de son corps, Léanon reprenait son souffle alors qu'Hotz en décousait avec un jeune homme armé d'un bâton ferré et une femme guère plus âgée qui essayait de le jeter à bas de sa monture avec la crosse de son arquebuse.

La femme me vit, et hésita un instant. Alors que j'allais me jeter sur elle, elle lâcha son arme et escalada le surplomb. Le garçon voulut en faire autant mais Hotz lui bloquait le passage. Au moment où je m'élançai à son assaut, une pierre passa à moins d'une paume de ma tête, ce qui me fit reculer : la femme, du haut de son perchoir, nous lapidait. Et elle visait juste, la bougresse ! Une caillasse frappa la croupe de la monture d'Hotz qui fit un pas sur le côté, ce qui permit au garçon, en quelques mouvements vifs, de rejoindre sa complice et ensemble de disparaître dans les broussailles. Le temps de reprendre l'emprise sur son hongre, le mercenaire ne put les poursuivre, ni Léanon blessée ni moi nauséeuse n'étions en état de le faire, et Régina avait quant à elle entreprit de s'occuper de Damiette ; je me résolus donc à les voir s'enfuir.

- Que s'est-il passé ? demandais-je.

- Un coup d'arquebuse l'a jetée à bas, répondit Hotz. Puis, quatre d'entre eux nous ont attaqués par surprise. Nous en avons abattu deux, mais je crains que Sergente Léanon n'ait été blessée.

- En effet, confirma-t-elle. Je me suis débarrassée du mien, qui m'a semblé être leur meneur, mais il se battait bien et m'a surpris avant que je lui fasse son affaire.

Elle frappa de sa botte l'un des corps. C'était un homme d'une quarantaine d'année, habillé comme un soldat et coiffé de même, protégé d'une armure de cuir grossier. Son visage était éclaté d'un grand coup de l'épée de Léanon. 

Après avoir essuyé son sabre, Hotz s'approcha d'elle pour s'occuper de son entaille.

- Et vous sœur Madel, votre blessure ? s’enquit-elle. 

- Grâce à déesse je vais bien. J'ai reçu un coup à la tempe mais me suis occupé de mes trois assaillants. 

Entendant ceci, Hotz émit un petit sifflement admiratif. Je repris :

- Ils n'ont pas l'air de brigands, plutôt de gens du pays. Que voulaient-ils donc ?

- Me sauver. 

Livide, le baron avait mis pied à terre et s'était approché de nous. 

- Il y a deux nuits de cela, quand je dormais en la chambre de la curesse, celle-ci est venue me parler, m'enjoignant à m'enfuir. 

- Pourquoi une curesse ferait-elle cela ? s'étonna Léanon, qui s'était assise pendant que le Mætzelien lui bandait le bras. 

- Elle s'est convertie à notre foi. Comme beaucoup dans ces montagnes ou dans l'Echord. La solitude et l'éloignement des turpitudes du siècle poussent à la contemplation et souventes fois, cela amène à remettre en cause les enseignements du Temple.

Il avait prononcé ces mots sans malignité mais je sentais en moi une sourde colère pointer : entendre un hérétique faire ainsi sans honte les louanges de sa foi impie me retournait le cœur. La fièvre du combat m'échauffait encore le sang, la douleur m'assombrissait les pensées, et un désir irrésistible de le frapper me prit soudain. J'allais passer à l'acte quand un cri faible me rendit mes esprits : Damiette venait de rendre l'âme. 

Je me précipitais aux côté de Régina. Elle tenait sur ses genoux la tête de ma sœur, aux traits apaisés. Des larmes coulaient sur le visage de la sergente, traçants sur ses joues des sillons clairs dans la poussière du voyage. Je m'agenouillai face à elle et doucement, je me mis à chanter Vulnera et Lamenta, le cantique de notre ordre qui rend hommage à nos sœurs et frères tombés afin de recommander leurs âmes et leurs cœurs à Déesse. Debout derrière moi, Léanon en fit de même. Je fermais les yeux et ma voix pris de la force. J’essayai de m'immerger entièrement dans la musique lente et ancienne, de toute ma force je me raccrochais à ces paroles réconfortantes, tout mon être était tendu vers les Divins en quête de leur miséricorde et de leur consolation.

La dernière note résonna dans le silence des monts, s'étirant à l'infini. Une paix encore plus profonde l'accompagna, instant suspendu entre le temps, comme si Déesse et Dieu même se recueillaient. Puis les bruits de la nature reprirent leurs droits. Les oiseaux gazouillèrent, les chevaux renâclèrent, les feuillent bruissèrent, les cailloux roulèrent. J'ouvris mes yeux pleins de larmes et fus prise d'un sanglot. Hotz avait retiré son couvre chef en guise de respect et s'était agenouillé à mes côtés en silence, car il ne connaissait point le chant. Il me regardait d'un air désolé et je savais qu'il comprenait ma douleur. Savançon, lui, était resté en retrait. 

Après encore un moment de recueillement où je promis silencieusement à Damiette de la venger, je me relevai, et observai la scène. Pendant notre prière, les chevaux s'étaient un peu dispersés, certains broutaient l'herbe rare ou des feuilles basses. Çà et là, ayant fini d'agoniser, les corps de nos assaillants décoraient le chemin de trophées macabres. La poussière du sentier était à plusieurs endroits engorgée de sang. Pâle comme une morte, Léanon s'était assise dos contre le surplomb en se tenant le bras. Il me fallait agir. 

- Nous ne pouvons laisser ma pauvre sœur pourrir ici en compagnie de ces charognes, il nous faut trouver un moyen d'emporter sa dépouille. 

- Je saurai confectionner une civière de fortune que l'on pourra atteler à l'une des bêtes, s'exclama Léanon.

Elle tenta dans le même temps de se redresser mais chancela et dut se rasseoir presque immédiatement.

- Tu n'es point en état, ma chère sœur, dit Régina de sa voix douce. Je vais m'en charger et tu pourras me guider de tes consignes. 

- Bien, repris-je, cela étant décidé, il nous faut nous débarrasser de ces corps. Hotz, Messire de Savançon, voulez-vous les jeter en contrebas du chemin ? Les bêtes et les corbeaux s'en chargeront.

Le Baron sembla un moment s’étrangler d'indignation : je lui demandai d'effectuer une tâche de domestique ou de simple mercenaire. Pis encore, il lui faudrait se débarrasser des cadavres de ses coreligionnaires comme de rebut. J'en étais consciente mais, aveuglée de colère, je ne souhaitai rien d'autre que l'humilier. Vengeance mesquine, sans doute, mais qui m’apaisait.

Il voulut protester mais Hotz lui posa la main sur l'épaule, l'intimant d'un geste au silence, et l'attira à l’écart. Il me semble par ailleurs que le baron devait ressentir sa part de culpabilité dans ce qui venait de se produire car il suivit le butor sans mot dire. 

Je m'occupais pour ma part de me panser la tête d'un bandage propre, puis de rassembler les chevaux et ramasser les armes tombées sur le champ de bataille. De celles des brigands, seule l'épée de leur capitaine qui avait si cruellement meurtrie Léanon et l'arquebuse assassine étaient d'une certaine valeur. La première était simple mais de bonne facture et bien entretenue, et pourrait être revendue pour un bon prix, non pas pour un quelconque bénéfice, car j'ai fait vœux de pauvreté, mais pour payer notre voyage ou même rétribuer Hotz : dans l'accord que nous avions passé, il devait toucher une prime en cas d'affrontement armé. L'arquebuse quant à elle était d'une étonnante primeur ; elle semblait tout juste sortir d'un atelier d'armurier ou d'une quelconque fabrique. J’hésitai un instant à m'en débarrasser, car il me paraissait irrespectueux de garder l'arme coupable de la mort de ma sœur, mais je décidai finalement de la conserver : nous ne savions ce qui nous attendait dans la suite de notre voyage et je voulais faire feu de tout bois. Les autres armes étaient par trop abîmées ou d'une telle affligeante antiquité, comme le pistolet qui avait été employé contre moi qui devait bien avoir mon âge ou plus, pour nous être d'une quelconque utilité. Je les jetai donc dans les buissons bordant la route.

Ce fut l'affaire de peu de temps, et quand Hotz et son noble assistant eurent terminé leur tâche, nous pûmes aller prêter main forte aux sergentes. Sur les instructions de Léanon, Régina avait confectionné, à l'aide de branchages et d'un de ses manteaux de voyage, un brancard qui, une fois attelé à une monture, traînerait dans la terre. Léanon nous assurait que si nous y attachions bien la dépouille de Damiette à l'aide de cordages et que nous prenions soin de ne point aller trop vite, cela tiendrait tout au moins jusqu'au soir. J'étais dubitative mais il fallut bien m'en contenter. Nous arrimâmes donc ma sœur sur sa couche et nous pûmes enfin reprendre notre route. 

Il me sembla que nous nous traînâmes à une allure d'escargot jusqu'à la nuit tombée mais il fallait bien cela pour ne point disloquer notre appareillage de fortune et, si elle serrait les dents en silence, sans jamais se plaindre, il était manifeste que la blessure de Léanon la faisait atrocement souffrir et qu'elle n'aurait pu endurer une allure plus soutenue. Je pris mon mal en patience et profitai de ce moment de répit pour continuer d'interroger Savançon sur l'attaque et ce qu'il en savait. Il expliqua que la curesse, ayant reconnu en lui le meneur du coup de force de Girant, lui avait proposé de l'aider à s'enfuir : il y avait en son village et dans le pays disait-elle, un grand nombre de livristes prêts à donner leurs vies pour un gentilhomme de leur foi captif de Sanctuaristes. Selon ses dires, le Baron avait refusé, arguant de son serment, et quand elle avait émit l'idée d'une embuscade, il le lui avait de toutes ses forces interdit. Elle avait dû, expliquât-il, passer outre ses ordres. Le truand qui avait blessé Léanon était sans aucun doute un ancien soldat, et peut-être avait il alors échauffé l'esprit de quelques jeunes âmes impressionnables des environs, dans le désir de retrouver une gloire passée en sauvant le Baron. Quoi qu'il en soit, si Savançon ne nous avait prévenu d'une telle éventualité c'était parce qu'il ne croyait point que l'on put ainsi lui désobéir. Je le soupçonnai aussi d'avoir voulu protéger de notre courroux la prêtresse en nous taisant sa trahison, mais je ne pouvais cependant m'empêcher de le croire sincère. Je l'avais vu pendant l'assaut et, s'il n'avait eu à cœur de se battre contre des gens de sa confession, jamais n'avait-il cherché à nous affronter ni à fuir. Néanmoins, je lui conservai toute ma colère et mon mépris : par sa faute, une sanctuariste fidèle, expérimentée et douce, une de mes amies, était tombée.

J'accueillis la fin du jour et l'apparition des deux lunes par une prière silencieuse, comme toujours quand le monde pénètre dans le domaine des Divins, mais je conservais par devers moi une appréhension : si nous étions forcée de camper dans la nuit, encore froide en ces montagnes, je craignais que la Sergente ne survive pas. La miséricorde infinie de Déesse nous toucha une fois de plus car, alors que j'étais sur le point d'ordonner de monter le campement, nous aperçûmes au loin les lueurs faibles d'un village. En moins d'un quart de décan nous débouchâmes sur un hameau, semblable à tous ceux que nous avions traversé dans ce massif, quelques masures de pierres resserrées à l'amont et l'aval du chemin. Un peu à l'écart, le petit temple, à peine plus grand qu'une chapelle, bordait un cimetière minuscule. En face se trouvait la maison qui devait être celle du curé ou de la curesse du village. Cependant, le récit du baron m'avait enseigné la méfiance. Je préparais ainsi mon pistolet, que je dissimulais à moitié sous mon manteau de toile rouge, avant de frapper à l'huis. Je n'avais aucune intention de montrer de merci si j'avais le moindre doute sur l’allégeance de la personne qui allait m'ouvrir. Elle payerait pour la mort de Damiette. 

Ce fût un curé de Dieu, petit homme chauve en soutane blanche et or, qui m'ouvrit. Il nous observa dans l'obscurité, ébahi par notre équipage. 

- Ma sœur ? balbutia-t-il en reconnaissant mon habit, mais que faites-vous là en ce décan ?

- Êtes-vous un fidèle de notre Temple et de Ses enseignements ? Lui répondis-je en pointant mon arme sous son nez. 

- Mais que.... 

- Répondez ! Ordonnais-je.

- Oui, bien évidemment ! Je suis un bon croyant ! 

- Seriez-vous prêt à le jurer ?

- Sur mon âme et sur mon cœur, oui ! Par tous les saints, que je sois dévoré éternellement par le Démon unique si je mens ! 

Abaissant mon pistolet, je poussais un soupir de soulagement. 

- Pardonnez-moi, mon père, repris-je d'une voix plus douce. Nous avons une blessée parmi nous et nous devons trouver un asile sûr. Nous avons appris à nos dépens que ce n'est point chose aisée dans ce pays et il me fallait m'en assurer. Pouvons-nous entrer ?

Il m'observa avec l'air dubitatif que l'on prend en regardant une folle ou un demeuré, mais il avisa subitement Léanon. A peine avait-elle mis pied à terre qu'elle s'effondra, comme soudainement privée de vie. 

- Dieu ! S'exclama-t-il. Que vous est-il donc arrivé ?

- Permettez-vous que nous entrions, mon père ? répétai-je alors qu'Hotz et Régina entreprenaient de relever et soutenir la pauvre sergente. Nous avons besoin de repos. Nous vous conterons tout une fois à l’intérieur si tel est votre souhait.

- Bien entendu, mes enfants, entrez, posez cette pauvre âme en près de l'âtre ! Il y fait bon et il s'y trouve une paillasse.

Quelques instants plus tard, Régina soignait Léanon, lui donnant à boire du vin coupé à l'eau fraîche et à manger du pain pendant que nous nous allâmes nous charger des montures en une grange un peu plus loin, où nous laissâmes aussi la dépouille de Damiette sous un peu de paille. Puis, nous pûmes enfin nous attabler dans la petite masure du brave curé, le Père Rénel, dévorant une partie de ses réserves. Dans le même temps, je lui fis récit des événements. Il m'écoutait, les yeux ronds, retenant son souffle, lâchant de ci et de là des « non ! » et des petits cris de surprise, sanglotant à l'évocation de la mort de ma sœur, et je savais que – bien que je lui enjoins plusieurs fois à ne point le faire – tout le village serait dès le lendemain au fait de l'échauffourée, et la région sans aucun doute dans la sizaine.

- Qu'allez-vous faire à présent ? m’interrogeât-il une fois que j'en eus terminé avec mon rapport. Ce village est fidèle à la Vraie Foi Fideste et à l'Abbassauté, je vous en donne mon assurance, mais ce n'est point le cas pour beaucoup d'autres aux alentours. Et une fois sorti du massif, il vous faudra traverser les plateaux de l'Echord et la cité de Saint-Cadis ! Vous le savez tout comme moi, les Comtes de Saint-Cadis ont toujours été des plus fidèles zélateurs des livristes et le comte actuel est le premier des lieutenants de la Duchesse de Valaronde. La nouvelle de votre équipé doit déjà lui être parvenue, ou elle le sera bientôt : ce brigand vous fera rechercher, il vous prendra et vous tuera, toutes Sanctuaristes que vous êtes mes sœurs. Cela ne l'arrêtera point. Il dissimulera son méfait en prétextant que jamais vous n'êtes sorties du massif, ou qu'il n'en a point eu vent, et jamais on ne vous...

- Il suffit le curé ! Le comte de Saint-Cadis n'est point un bandit pour que l'on parle de lui en ces termes ! 

Le baron qui tout au long de la soirée était resté muet, assis auprès du feu, un gobelet d'eau-de-vie en main, s'était à présent redressé et, rouge de colère, toisait le pauvre prêtre de toute sa hauteur. Il me sembla qu'il avait dû bouillonner de l’intérieur pendant tout mon récit et que les mots peu amènes du prêtre pour un membre éminent de sa foi l'avaient fait exploser comme une étincelle en un sac de poudre. Il continua, s'approchant de plus en plus du petit homme chauve qui se recroquevillait devant l'ire du noble outragé : 

- Le comte est issu d'une longue ligné de haute noblesse qui remonte jusqu'à Makéda la Grande, pouvez-vous en dire autant curé ? De quel droit, de quelle impudence, pouvez vous ainsi parler d'un tel chef de guerre ? Lui qui pour le Pont-Aulce a emporté la bataille d'Illema et a renversé les chefs Vilerins ligués ! C'est l'un des plus pieux, l'un des plus fidèles hommes que je connaisse et s'il n'est de votre confession, laquais de l'Abbas, vous pourriez à tout le moins considérer qu'il en vaut mille comme vous ! 

- Est-ce aussi vrai pour ceux qui ont tué Damiette ?

Je m'étais fait violence pour prononcer ces paroles d'une voix posée, restant assise et droite, afin de montrer, par ma réserve, un contraste saisissant avec un Savançon fiévreux et tumultueux. Cela eut l'effet escompté car son regard se posa sur moi et dans le silence soudain de la pièce, il rougit. Pour dissimuler son embarras, il crachat une réponse agressive. 

- Ce n'est point de son fait ! Il n'a point armé ces gueux ni donné aucun ordre, il n'a point préparé l'attaque ou tiré sur sœur Damiette ! 

Juste quand il les prononçait, la portée de ses paroles le frappa. Il écarquilla les yeux un instant et eu l'air presque désolé. Il reprit d'une voix adoucie. 

- Je suis contri de ce qui est arrivé à votre sœur, croyez moi. Ce n'est point ce que j'ai voulu, et j'ai tenté tout ce qui était en mon pouvoir pour l'éviter. Je prierai Dieu et Déesse pour son âme et je recommanderai son cœur à la terre. 

- Nous nous passerons de vos prières impies, assenais-je. Ne croyez pas que vous puissiez assassiner ainsi une bonne fideste et vous en tirer à si bon compte. 

- Je comprends votre courroux mais ne l'ai point voulu, répétât-il. Croyez-moi !

- Et la mort de la conseillère de Girant non plus, ne l'avez-vous pas voulue ? Deux fois vous avez fait assassiner une des nôtres et vous espérez nous faire avaler vos paroles traîtresses, vos dérobades doucereuses ?

- La première conseillère était tyrannique et prévoyait grand massacre de nos gens. Ce n'était que bonne défense. 

Sa voix reprenait le ton dur et irrité d'auparavant. Quant à moi, il m'était impossible de conserver la composition que j'affectais jusque-là. Je ris d'un ton mauvais.

- Haha ! La belle excuse. Le beau croyant que vous faites ! Tout dans nos livres sacrés somme de respecter l'état naturel du monde, d'obéir à notre Reine, et vous décidez de votre propre chef de vous rebeller contre le membre d'un de Ses conseils ! La belle profession de foi que voilà ! Il est bien de vous autres livristes de renverser ainsi les choses ! Avec vous le meurtre devient juste et vous rejetez l'obéissance à celles et ceux que les Divins ont placés au-dessus de vous ! 

J'avais presque crié ces mots et il s’apprêtait à me répondre d'une semblable façon quand une voix faible se fit entendre. 

- Depuis quand est-il conseillé de se quereller dans la chambre d'une mourante ?

Léanon avait ouvert les yeux et, plus pâle que jamais, nous observait en souriant faiblement. 

- Point n'ai-je étudié à l'université de médecine de Valaronde, à peine sais-je déchiffrer mes lettres, mais vous pouvez me croire quand je dis qu'il n'est guère indiqué de gueuler ainsi dans l'oreille d'une souffrante. Ou peut-être est-ce un procédé secret et inconnu pour faire cesser ma souffrance au bras en m'en créant une plus grande encore sous le crâne ? 

Elle émit un rire faible qui se transforma en une toux sèche. En un instant, Régina fût en près d'elle pour la faire boire. L'intervention de la courageuse sergente nous avait, au baron et à moi-même, rendu nos esprits, et, après un dernier regard mauvais, nous nous rassîmes. 

Un silence interminable s'installa, formant entre nous une gêne habitée de colère. Les ombres dansantes des flammes me murmuraient qu'il me fallait venger ma sœur, mais je savais que je ne pouvais porter mon ire sur le Baron. La tâche imposée par Sa Majesté la Reine nécessitait qu'il reste en bonne santé et je ne pouvais Lui désobéir, pas après mon sermon sur la hiérarchie naturelle. C'est Hotz qui brisa ce terrible calme.

- Sœur Madel, il vous faut prendre une décision.

- Laquelle ?

- Et bien pour l’accomplissement de votre dessein ! La sergente Léanon, malgré toute sa bravoure, ne pourra nous suivre avant une huitaine, et je vise court. Et nous ne pouvons l'abandonner au père Rénel, qui ne saurait s'en charger. Enfin, même si nous pouvions reprendre notre route, et bien que je ne croie pas toutes les rumeurs sur la sauvagerie du Comte, nous ne pouvons traverser ainsi l'Echord et passer à Saint-Cadis. Nous risquerions à chaque instant une attaque bien pire que celle que nous avons subie, ou à tout le moins d'être capturés. Or, un détour nous prendrait, je le crains, plusieurs jours, et nous serions forcés de longer le massif, ce qui resterai dangereux. A moins que nous ne rebroussions chemin, mais nous perdrions alors toute l'avance que nous possédons et nous n'arriverions en Ôrmenau que la première huitaine du mois d'Esculus, bien en retard sur la date imposée par Sa Majesté.

Sa présentation des faits était, j'en avais peur, d'une douloureuse justesse. Prise d'une soudaine rage, je frappai de mon poing la table et m'écriai : 

- La peste soit de ces maudits livristes ! Quels malheurs ont-ils abattus sur ce pauvre Pont Aulce pour que de bonnes croyantes ne puissent en paix circuler dans leur propre royaume, comme si nous étions quelques bandits traquées ou une troupe ennemie ?

Je pris un temps de réflexion, puis répondis à Hotz :

- Nous ne pouvons certes pas refaire le chemin que nous avons déjà fait. Cela ferait perdre trop de temps et nous ne sommes en aucun cas assurés d'être plus en sécurité dans ces montagnes que dans les plateaux de l'Echord. Nous éviterons Saint-Cadis mais nous ne ferons pas de détour : nous irons droit vers Ôrmenau, sans relâche, trop rapidement pour que les livristes ne puissent sur notre passage s'embusquer ou nous rattraper. Et si nous devons nous battre nous le ferons. Et si nous devons mourir pour la gloire de Déesse, nous le ferons !

- J'ai peut-être un autre stratagème qui impliquerait moins de mort glorieuse, glissa Hotz avec un sourire. Je comprends votre fièvre du combat, vous êtes une moniale-soldate de Déesse, et cela serait pour vous le suprême honneur, mais je ne suis qu'un pauvre mercenaire et si je me bas c'est pour vivre, non pour mourir.

- Cessez ces sagacités, maître Hotz, l'interrompis-je d'une voix que j’espérais cassante afin de dissimuler mon léger amusement. Dites-moi plutôt votre idée.

Il m'adressa un sourire, se leva sans un mot et alla fouiller dans ses fontes qui avaient été posées avec les arquebuses dans un coin de la pièce. Il en sortit plusieurs pièces de costume bigarrées, dont celles de son ami Oplé, le centaure, qu'il avait conservées, et me les présenta comme des trophées. 

- Et bien, dis-je, interloquée en m'en saisissant. Qu'en suis-je censée faire ?

- Par la grâce de Dieu, votre habit de sanctuariste a la même coupe que ceux de nous autres butors. Avec quelques ajouts, une manche par-ci, de la couleur par là, vous feriez, j'en suis persuadé, une très convaincante mercenaire !

Me frappant enfin, l'idée de Hotz m'horrifia tant que je perdis toute contenance. Je ne pu retenir un cri d'horreur.

- Par le Démon, non ! 

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Fidelis
Posté le 25/08/2025
Tu as une superbe histoire, bien maitrisée à tous les niveaux, le vocabulaire, les personnages secondaire, la trame, le contexte, félicitation, chapeau l'artiste.
Dentipes
Posté le 26/08/2025
Je te remercie. Je prend bien soin d'étayer mon récit par des personnages crédibles et un univers vivant (en tout cas je l'espère). Mais je trouve que je pêche toujours un peu du côté du rythme de l'histoire. J'ai du mal, quand j'écris, à me dire qu'une scène est trop courte ou trop longue, et je trouve parfois à la relecture que ça déséquilibre un peu le tout.
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