Chapitre 6

Car avant que ne s'incarnent les divins, tout n'était que mal. Le monde entier n'était qu'une plaie béante, souffrante et nécrosée. Et Déesse combattit pour le bien et Dieu instaura la paix dans le cœur des humains. Et ainsi le Mal fût repoussé. Mais que cela nous enseigne que le Mal est partout. En tous lieux, en tout temps, le Mal est présent. Mais il ne préexiste pas au Bon, non : Le Mal naît de l’absence de Bon. Cela est un espoir formidable que Déesse et Dieu nous ont offert : malgré notre nature, nous pouvons combattre le Mal par le Bon. Tous les jours, en chaque instant, nous devons combattre nos penchants diaboliques pour faire cesser les souffrances de nos âmes et de nos cœurs. Et de même chacun de ces instants doit être passé à rendre grâce aux divins de cette ombre bienfaisante qui nous a été donnée pour protéger nos âmes et nos cœurs des brûlures du soleil infernal du péché. 

- Recueil des grands sermons d'Ustine, curesse de noble mémoire et très sainte prédicatrice en son temple de Sainte-Alisse 

Je trouve en ce passage, que j'ai par tant de fois lu depuis mon noviciat, un si grand réconfort que j'ai souhaité le retranscrire ici. La très vénérable curesse me pardonnera de reproduire à l'identique son sermon qui dit bien mieux et en si peu de mots ce que je ne saurais jamais exprimer même en dix pages. Le mal naît de l’absence de bien. S'il m'était donné un jour de prendre des armoiries personnelles, c'est cette devise qui, je le sais, y figurerait. 

* 

Je me sentais parfaitement grotesque. De mon habit rouge et blanc de sanctuariste, je n'avais gardé que la culotte, et imparfaitement encore puisqu'elle se trouvait en partie portée par le butor : dans la nuit, il avait si bien décousu et ré-assemblé nos habits que ma jambe dextre était à présent noire et blanche, alors que mes manches étaient vertes, blanches et brunes. Quand j'avais enfilé ces guêtres, lui et Régina m'avaient assurés que je ressemblais en tout point à une mercenaire mætzelienne, eussent-été mes chausses blanches qui dissimulaient ma peau, et m'avaient enjoint à les retirer. Longtemps je leur avais tenu tête, refusant de toute la force de ma volonté, mais j'avais sous les coups de boutoir de leur raison dû leur céder et à présents, mes mollets nus apparaissaient piteusement au-dessus de mes bottes basses. Ma cuirasse, que je m'étais promise de dorénavant porter en tout temps jusqu'à la fin de notre voyage, dont la couleur rouge m'aurait désignée aux yeux du monde comme sanctuariste, avait été noircie par un mélange de suie et de cire d'abeille fournie par le brave curé. Couramment, les butors la portent d'un métal éclatant, comme Hotz, pour effrayer leurs ennemis et se signaler de loin, mais certaines et certains la préfèrent noire comme les Reîtres. Ils y font aussi habituellement graver finement, au niveau de leur cœur, une prière à Dieu, à la Dame ou, quand ils sont fidestes, à l'un ou l'autre Saint Personnage de notre religion, Sainte Catelle ou Saint Dol ayant leur préférence, mais nous ne pouvions en demander tant pour notre subterfuge. Hotz avait quand à lui fait inscrire sur son armure la Morte-Beste, un cantique apprécié des soldats pour ce qu'il est sanglant et décrit le combat contre le Démon Unique. Par chance, cela ne révélerait point sa véritable foi car les livristes le chantent autant que nous.

Cela était important car la ruse que nous allions employer nécessitait, si ce n'est de nous faire passer pour des livristes, à tout le moins que notre obédience ne soit pas exposée au su de tous et toutes : j'allais me faire passer pour une butor et, avec Hotz, nous allions ainsi accompagner jusqu'en Ôrmenau, comme s'il nous avait recrutés pour sa protection, le Baron de Savançon. Même s'ils avaient été prévenus de notre arrivés, les hérétiques rechercheraient une troupe de quatre Sanctuaristes accompagnant un prisonnier, non pas un jeune gentilhomme libre de ses mouvements escorté de deux épées-louées. Le baron avait juré sur son âme de ne point dévoiler la vérité s'il était amené à parler à des gens de sa confession. Il avait par ailleurs coiffé ses cheveux en de minces tresses, comme il est de coutume dans la noblesse, et enfilé un de ses riches vêtements noir et argent. 

Pendant la plus forte partie de la nuit nous avions mis au point les détails de cet artifice : n'étant point en mesure de nous suivre, Léanon resterait chez le curé, mais il me répugnait de la laisser seule et sans autres soins que ceux du prêtre, certes de bonne volonté mais inexpérimenté des blessures guerrières. Je ne pouvais m'en charger car, Damiette morte, l'escorte du baron était de ma responsabilité et je ne pouvais confier cette tâche à Hotz, ayant besoin de lui pour me guider ; Régina était la seule qui pouvait s'occuper de son amie. La courageuse soldate avait fortement pesté, refusant de me laisser seule en compagnie de deux étrangers à notre ordre, et j'avais dû, ultimement, lui ordonner de m'obéir pour que cessent enfin ses récriminations. De plus, avait ajouté Hotz, il n'avait de quoi vêtir en mercenaire que l'une d'entre nous, scellant ainsi ma décision.

J'avais aussi rédigé une longue missive, adressée à notre commanderesse ou, pour le moins, à n'importe quelle personne bien placée de notre ordre, détaillant notre mésaventure, que j'avais confié à Régina pour qu'elle la porte dès que Léanon serait en mesure de voyager. Enfin, j'avais demandé au père Rénel d'enterrer selon les rites appropriés notre chère sœur Damiette en son petit cimetière, afin qu'elle puisse reposer enfin en paix. Il me le promit et m'assura qu'il prierait pour nous autant qu'il le pourrait. Une telle pureté de foi perdue dans ce pays rongé par l'hérésie me fit monter des larmes, et c'est avec émotion que je lui demandai sa bénédiction ; il y avait maintenant plus de six journées que je n'avais pu participer à aucun temps de l'office perpétuel et cela me pesait. Je lui laissais aussi quelques pièces pour le dédommager de la nourriture et du vin qu'il nous avait fourni, ainsi qu'à Régina, pour les dépenses de son futur voyage. Mes ressources maigrissaient à vue d’œil et je dus promettre à Hotz sur mon honneur qu'il serait entièrement soldé dès que l'on parviendrait en une commanderie de notre ordre. Après un instant de réflexion, il me sourit puis me la tapa, comme le font les marchands et les soldats pour sceller un accord. Je lui en suis à ce jour encore reconnaissante car il aurait été parfaitement dans son droit en me réclamant son dû dès ce moment et, si je n'avais pu payer, de m'abandonner, mais il me semblait bien qu'il s'était attaché sinon à moi du moins à notre dessein, et je pris ça pour la preuve, s'il m'en fallait une, que Déesse peut en tout lieu, en toute chose, faire germer la graine de la foi et de la probité, et j'en retirai un grand réconfort.

Le lendemain, nous restâmes la matinée chez le petit curé de Dieu afin de nous reposer de toute cette agitation. J'avais pour ma part eu peine à dormir, ma tête me faisant affreusement souffrir, mais cela n'était que peu de chose en regard de la situation de Léanon : plusieurs fois Régina avait dû dans la nuit se relever pour s'enquérir de son état, alors qu'elle gémissait, prise de fièvre. Vers la midi, cependant, nous étions dispos à partir, rassasiés, car nous avions une fois de plus abusé du garde-manger du père Rénel, mon bandage avait été refait, et la sergente blessée elle-même semblait se porter mieux puisqu'elle put d'une voix faible nous faire ses adieux. Quand les autres sortirent pour aller chercher les chevaux, elle me fit un signe pour que je reste en arrière avec elle. M'accroupissant auprès de sa couche, je lui demandai :

- Qu'y a-t-il, ma chère sœur ?

- Sœur Madel, tu es d'une bravoure et d'une droiture admirable, mais laisse néanmoins une vieille sergente mourante te prodiguer quelques conseils que l'âge lui a soufflés.

- Je t'écoute ma sœur, répondis-je ravalant une certaine irritation : parce que je suis jeune, souvent des Sanctuaristes et même des sergentes me font sous couvert de recommandations des admonitions ressemblant fortement à des leçons, et je n'aime guère cela, mais j'avais pitié de la brave Léanon laissée en arrière et je lui accordais donc ma patience. 

- Tu as tendance, ma chère sœur, à agir vite et fort. C'est parfois bonne chose car tu ne connais pas ce moment de sidération qui peut nous surprendre devant un événement impromptu, mais cela pourrait te porter préjudice. Il est parfois nécessaire de refréner ses ardeurs et la mesure est en toute chose souhaitable. 

Et voilà pour la leçon, me dis-je en moi même, il ne lui aura fallu que peu de temps. Je la laissais néanmoins continuer. 

- Le voyage jusqu'en Ôrmenau sera périlleux, ma sœur, ne fais confiance à personne d'autre qu'à toi même et à nos sœurs et frères. Tu le sais désormais, même une soutane peut dissimuler l'impiété et le mensonge. Cependant, écoute les conseils de Hotz. Il n'est certes guère plus âgé que toi mais il est rusé et s'il a survécu à tant de batailles, il saura vous protéger. Enfin, méfie-toi du Baron. Il semble sincère mais pour combien de temps encore ? La moindre occasion pourrait être pour lui une chance de te trahir. Je ne lui fais que très modérément confiance.

Elle fit une pause, puis ajouta dans un sourire.

- Bien qu'il soit d'une grande beauté.

Je haussais les épaules pour signifier mon indifférence à la question, ce que remarqua Léanon qui continua, souriant de plus bel :

- Oh si ! Je sais, ma sœur, que tu n'as que du désintérêt en ces choses-là mais je peux t'assurer pour ma part que si j'avais été encore mercenaire et point religieuse, je ne l'aurais pas laissé dormir solitairement chaque nuit !

- Léanon ! m'écriai-je outrée.

Elle éclata de son rire franc qui me manquerait tant les sizaines suivantes et ferma les yeux, épuisée. La voyant reposer là, une expression de paix sur le visage, pâle et respirant à peine, comme morte, je fus prise d'un sentiment de tendresse infinie à son égard. Lui attrapant la main, je la lui baisai comme, enfant, je le faisais avec ma mère. Elle ouvrit des yeux étonnés par une telle démonstration. Je lui relâchai les doigts et lui promis, d'une voix chargée d'émotion :

- Merci, ma brave Léanon. Tu manqueras à notre troupe, sois en assurée. Je prierai chaque nuit et chaque jour pour ta rémission.

- Et moi pour ta sûreté. Va, ma petite sœur, et garde ton âme du péché et ton cœur des dangers.

Je rejoignis à l'extérieur de la masure Hotz et Savançon qui avaient terminé de préparer les montures avec l'aide de Régina que j'embrassai une dernière fois et, sous les yeux du petit père Rénel, nous partîmes enfin. Le voyage fut à compter de cet instant à la fois plus facile, car notre troupe réduite avançait plus rapidement et le temps se faisait plus clément, mais aussi pour moi plus épuisant encore. J'étais à présent seule pour surveiller le captif, et je ne parvenais point à me sentir à mon aise dans ces atours. Être grimée n'était pour moi point chose naturelle et il est heureux que, les quatre premiers jours de cette mascarade, nous ne rencontrâmes presque aucune âme qui vive, et que nous ne parlâmes à personne, nous contentant de simples signes de tête à ceux que nous croisions. Au fil du chemin, cependant, alors que le terrain devenait moins accidenté à mesure que nous sortions du massif, les champs et les habitations se firent plus nombreuses et nous commençâmes à traverser des villages de plus en plus importants. Nous devrions fatalement, à un moment où l'autre de notre périple, avoir affaire à homme ou femme, et je redoutais cet instant. Et si j'étais reconnue comme une imposteuse à mes premières paroles ? Je ne suis point comme ces comédiennes hâbleuses que l'on voit sur les places les jours de marché et qui savent en un instant s'inventer une vie et en prendre les accents et les postures, tantôt moqueuses et grotesques pour faire rire la populace, tantôt criantes de justesse si bien que l'on croirait avoir devant les yeux une toute autre personne. Je m'étais ouverte de mes réticences à Hotz qui m'avait rassurée.

- Je parlerai, m'avait-il dit. Vous n'aurez qu'à rester silencieuse à mes côtés, affichant un air brutal et furieux pour que l'on ne vous cherche point à maille.

- Mais je ne saurai montrer un tel visage, m'écriai-je. Je ne sais comment le faire !

Il m'observa un instant, l'air étonné, comme s'il essayait de déterminer si je venais ou non de plaisanter, puis répondit :

- Conservez votre expression habituelle, ce sera très bien.

Mon travestissement fût mis à l'épreuve pour la première fois quand nous fîmes halte, un soir, en une auberge. Nous sortions tout juste des montagnes, et elle était la première que nous croisions depuis des jours, et, bien qu'elle fût petite, ne comprenant qu'une seule salle commune d'une dizaine de couches, elle nous sembla après tant de temps à dormir à la dure, d'un attrait sans pareil, car même chez le père Rénel il nous avait fallu coucher à même le sol. J'avais cependant hésité à y faire halte car il me fallait faire confiance au Baron : c'est lui qui devrait s'adresser à l'aubergiste et négocier un prix, car il eut été étonnant qu'il confie une telle tâche à un garde, et le moindre de ses mots pouvait nous vendre. Nous avions convenu qu'il se présenterai comme étant le Chevalier d'Oleu, nom proposé par le Baron car il s'agissait d'un village proche de son château, et qu'en cas de questions plus poussées, il se dépeindrait comme un jeune gentilhomme livriste en route vers Saint-Cadis avec deux soldats pour se mettre aux ordres du comte. Cette histoire ainsi que la réputation des butors devaient être suffisantes pour nous garder de toute querelle.

La discussion avec l'aubergiste, femme sèche et désagréable qui demanda à mon sentiment un prix bien trop élevé pour l'hébergement, se déroula cependant sans complication, et nous pûmes passer une nuit reposante. Au matin, en sortant de l'auberge et alors que nous allions partir, une petite troupe de paysannes et laboureurs s'avança vers nous. Je fus prise d'une grande angoisse, et j'allais défourailler quand je m’aperçus que nul parmi eux n'était armé. Je me refrénais donc et me contentais de rester en arrière du comte, prenant l'air le plus renfrogné et brutal que je pus. L'une d'entre elles, une femme blonde d'une trentaine d'années environ, bien qu'il soit difficile d'évaluer l'âge des petites gens, car j'ai le sentiment que leur vie dure les vieillit prématurément, s'avança, sa coiffe entre ses mains en signe de respect.

- Pardonnez-moi, messire, dit-elle en s'adressant au Baron.

- Qu'il a t-il ? Que faites-vous là en attroupement ?

- Et bien, continua la femme, nous avions, si votre seigneurie accepte d'y répondre, une question à vous poser.

- Posez-la et j'aviserai.

La gueuse hésita puis, se lança :

- Vous venez des montagnes, n'est-ce pas ?

- Et bien ?

- Avez-vous vu cette troupe de Sanctuaristes tenant pour prisonnier Messire le Baron de Savançon ?

Le Baron tressaillit mais répondit d'une voix assurée.

- Non. Nous n'en avons entendu parler qu'hier seulement, en arrivant ici. Pourquoi voulez vous savoir cela ?

- Et bien, c'est que nous pensions peut-être pouvoir...

- Silence malheureuse !

Une autre femme, rousse comme le Démon, s'était interposée, en fureur.

- Ne dévoile pas nos intentions, nigaude, nous ne savons même pas si ce sont des Abbassards.

Elle avait craché ce terme, injure que les livristes utilisent avec mépris contre nous autre fidestes, qui suivons encore humblement et avec foi les préceptes de l'Abbassauté.

- N'ayez pas de crainte, répondit le Baron d'une voix calme. Je suis de la Vrai Confession, comme vous autres, je le jure sur mon Âme et sur le Livre Troisième.

Un murmure de soulagement et de contentement parcouru la foule. La rouquine elle même paru s'apaiser, et c'est d'un ton plus doux qu'elle reprit :

- Pardonnez-nous, messire, mais nous ne pouvons être trop prudentes. Ici et jusqu'à Saint Cadis, nous sommes presque tous et toutes de la Vrai Foi, mais souvent, des infidèles traversent ces terres. Et nous ne pouvons dévoiler nos intentions à des étrangers comme cela, dit-elle en foudroyant du regard la femme blonde.

- Je vous promets sur mon honneur de ne rien dévoiler à personne de ce que vous pourrez me dire, et certainement pas à des Abbassards.

La femme hésitait encore.

- Et ces deux-là ? Demanda-t-elle en nous désignant.

- Je le promets aussi sur ma vie, je ne répéterais rien, jura Hotz en levant une main. Et elle aussi, ajouta-t-il rapidement en faisant un signe de la tête vers moi.

- Vraiment ?

La rousse affichait un air dubitatif en me dévisageant d'une façon que je trouvai fort peu plaisante. Jamais n'eut-elle osé une telle insolence si j'avais été en mes habits de sanctuariste.

Je foudroyai la foule du regard, et j'en vis certains se recroqueviller sous mon mécontentement, mais je finis par grogner en acquiesçant. Cela paru suffire à la blonde, car, même si l'autre ne semblait pas entièrement convaincue, elle s'écria, presque joyeusement :

- Nous voulons les attaquer en une embuscade ! Nous avons des armes et même de la poudre ! Nous allons tuer ou prendre prisonnières les sanctuaristes, et libérer le pauvre Baron ! 

- Vraiment ? Savançon avait l'air estomaqué. Tuer des Sanctuaristes ? Je ne les porte certes pas dans mon cœur, loin de moi cette idée, ayant personnellement eu à souffrir de leur insupportable suffisance, dit-il sans même me jeter un regard, le fourbe, mais cela me semble pour le moins irréfléchi.

- Pourquoi donc ?

La femme avait l'air sincèrement surprise.

- Comment mais vous ne le savez pas ? Les frères et sœurs sanctuaristes jouissent d'un immense crédit auprès de l'Abbassauté et de la Couronne tout à la fois ! Pour l'Abbas, c'est un ordre fidèle et, depuis que des soupçons ont été portés sur les moines et moniales de la Sainte-Beste, certains s'étant grâce aux Divins convertis à Notre Foi, il les cajole et les protège plus que jamais ! Quant à la Couronne, tant que Sa Majesté la Reine aura autour d'elle des laquais de l'Abbas la conseillant mal en toute chose et lui cachant l'état de son royaume, elle s’appuiera sur les sanctuaristes pour épauler ses actions militaires, et ceux-ci seront trop heureux de la soutenir contre ce qu'ils nomment hérésie. Or que croyez-vous qu'il adviendra si une troupe de moniales se fait massacrer en cette région ? Une réponse de la Reine et de l'Abbas !

- Le Comte de Saint-Cadis nous protégera, rétorqua d'un air crâne la rouquine.

- Les troupes royales viendront ici, commandées par le Grand Baron d'Huivre ou par la Connétable. Croyez-vous que le Comte, malgré toute sa valeur, pourra vous protéger de cela ? Les sanctuaristes viendront en nombre venger les leurs, avec à leur tête leur Maître Commandeur ou la Première Écuyère ! Avez-vous l'espoir que le Compte leur résiste seul ? Bien pire encore, les centaures de l'Abbas seront peut-être présent, des centaines de ces bêtes immondes assoiffées de sang, piétinants vos corps aussi aisément que vos récoltes, comme si vous ne fussiez que des fétus de paille ! Que pourra le Comte contre cela ? Il sera dans l'obligation d’appeler à l'aide les gens de notre confession, et si la Duchesse de Valaronde vient à son secours, ce sera la guerre ! Une guerre sans merci que nous ne pourrons gagner. Tout comme vous je rêve d'affronter les Abbassards l'épée à la main, et c'est pour cela que je me rends en près du comte, mais le temps n'est point encore venu. Même si, par la volonté divine, nos troupes grossissent chaque jour et chaque nuit, nous sommes pour l'instant trop faibles et dispersés pour nous défendre avec autre chose que notre courage, et cela ne suffira point. Et vous, vous voudriez provoquer la fureur des armes dès maintenant ?

Les paysans se taisaient, honteux. Pour ma part, je bouillonnais autant que le Baron qui s'était échauffé tout en parlant, mais certes pas pour les même raisons : que des gueuses et des gueux aient pu un instant penser lever la main contre nous, des femmes de religion, dont l'habit nous désigne comme sacrées, m'emplissait d'une rage et d'un sentiment d'injustice que j'eus bien passés sur ces misérables à grand coup d'écorcheuse.

Moins sûre d'elle après la tirade du jeune noble, ce fut cependant une fois de plus la rouquine qui parla pour les autres.

- Nous ne sommes pas les seules à avoir eu cette idée. Tous les bourgs du pays n'attendent que ça, que ces sales sanctuaristes passent chez eux, afin de les piéger. Le village qui amènera au Comte le Baron de Savançon sain et sauf gagnera un grand honneur et sans aucun doute des privilèges, peut-être même une exemption d'impôt pour les années à venir.

- C'est ce que vous croyez malheureuse ? Je me demande bien qui a pu vous mettre de telles idées en tête. Messire de Saint-Cadis serait bien embarrassé d'un tel présent : j'ai entendu dire que je... que le Baron de Savançon avait été mandé en Ôrmenau sur ordre de Sa Majesté. Le détenir en ferait du Comte un rebelle à la justice royale et donnerait des armes à nos adversaires, ce n'est en aucune façon souhaitable !

- Que devrons-nous faire, alors, si nous les voyons ? Demanda la femme blonde, de sincères accents de détresse dans la voix. Nous ne pouvons quand même pas laisser ce pauvre Baron, les Divins aient pitié de son âme, entre leurs mains ?

- Si. C'est ce que vous devez faire, répondit froidement Savançon. Fermez leur vos portes si vous ne souhaitez pas voir de sanctuaristes, ne leur vendez pas de vivres si l'argent Abbassard vous brûle les doigts, mais laissez les passer en paix, sans les attaquer. Elles doivent arriver en Ôrmenau sauves si nous ne voulons être tenus pour responsables de leurs malheurs. Là-bas, le Baron pourra se défendre contre les fallacieuses accusations et les perfides paroles prononcées contre lui. Il fera appel à la bonté et à la clémence de Sa Majesté la Reine, et je ne doute pas qu'Elle saura entendre la voix de la raison et de la piété. Sur mon sang, je suis certain que le Baron vous dirait la même chose s'il pouvait s'adresser à vous.

Un silence plus profond encore que le précédent suivit ses paroles. Il était à présent évident que toutes et tous s'étaient rangés à son avis, et si cela ne leur plaisait guère de renoncer à la promesse d'une ou plusieurs années blanches, comme les nobles en accordent parfois à certains foyers ou quelque communauté ayant rendu un grand service, ils avaient désormais en tête les terribles images que le Baron y avait mise. Les centaures abbassiaux ont une réputation encore plus terrible que les Butors et, sur les champs de batailles, sont invaincus et seuls les Gens-Tortues d'Arfello leur ont survécu, sans les battre néanmoins, ayant juste réussi à fuir sans être exterminés.

Après leur avoir fait jurer de ne point agir inconsidérément, le Baron leur promit qu'il parlerait d'eux en bien au Comte si tôt qu'il le verrait, et fit ses adieux.

Je refusais jusqu'à la fin du jour d'adresser la parole à cet assassin qui avait, devant moi, admis sans même rougir vouloir combattre les bons fidestes les armes à la main. Tant d'arrogance dans sa funeste erreur, tant de morgue dans l'hérésie, tout cela m'interloquait et m’insupportait et je sentais que si je devais seulement lui dire « oui » ou « non », je lui aurai craché tout mon mépris au visage et que j'aurais eu du mal à me contenir de le battre, et je ne voulais point attirer sur nous l'attention.

Aujourd'hui, alors que je rédige ces lignes, je me demande si je ne faisais alors pas preuve d'une certaine injustice envers le Baron. Il avait eu toute les occasions que le Ciel pouvait lui fournir de s'échapper et de me faire tuer, et jamais n'a-t-il manqué à sa parole. De plus, mentir ainsi à des membres de sa confession avait dû être, pour un gentilhomme pétri d'honneur comme il l'était, une épreuve insupportable. Je n'ose imaginer les tourments intérieurs qu'il affronta alors que nous cheminions en silence et je pense que, si je me retrouvais soudainement transportée à nouveau en cet instant, chevauchant à ses côtés, je lâcherais, difficilement peut-être mais avec toute la sincérité de mon âme, un remerciement ou quelqu'autre parole d'encouragement. Mais il est aussi possible que la connaissance que j'ai en ce jour du sort de l'infortuné Baron me le rende sympathique.

Jamais je ne le saurais.

Pour moi qui, toute ma vie, n'ai connu que les vertes plaines du Rembois, où était sis le monastère de Sainte-Esperance-Du-Lac en lequel je passai la première partie de mon noviciat, et les collines couvertes de vignes et de sombres forêt des belles régions jumelles que sont le Carthénord et le Roussaille, les pays plus septentrionaux comme celui que nous traversions alors, succession de bas monts rocailleux brûlés par le soleil, comme abandonnés des Divins, l'horizon déchiré de pics acérés, m'étaient d’une nouveauté saisissante. J'étais déconcertée par les champs, parcelles réduites morcelées de bas murets de pierres, par les villages que l'on avait parfois du mal à apercevoir avant d'en être à l'orée tant ils se confondaient avec le paysage, par la dureté des visages que nous croisions, comme si les femmes et les hommes eux-mêmes avaient été taillé dans cette même roche qui les entouraient, mais tout aussi interdite par la beauté cruelle de ces terres, la solitude apaisante de ce lac gris à l'ombre d'une cuvette où nous nous arrêtâmes une midi, par la brutalité fascinante de ce rapace qui cria de colère en notre direction alors que nous approchions la charogne de chèvre qu'il convoitait. Je me perdais dans ce triste et beau paysage, ne trouvant en cette succession infinie de roches aucun point de repère, mais Hotz et le Baron paraissaient savoir où aller et plusieurs fois, ils bifurquèrent sur des sentiers qui me semblaient s'en retourner d'où nous venions, et j’eus même souvent le sentiment de passer plusieurs fois en un même endroit. Le butor m'assurait néanmoins que nous avancions bien, d'une dizaine de lieux la journée, et, de fait, il m’annonça un soir, alors que nous mangions assis sur les couches du petit dortoir vide de l'auberge dans laquelle nous passions la nuit, que nous arriverions le lendemain à Saint-Cadis.

Il me fallut alors prendre une décision. Il nous serait possible de contourner la cité, choix prudent mais qui rallongerait notre trajet puisque l'Ech, fleuve que l'on disait tumultueux, la traverse et qu'il n'y a de passage à gué qu'à plus d'une journée de cheval en aval de celle ci. Hotz me fit par ailleurs la remarque que nous prendrions alors le risque de voir notre ruse éventée, car jamais un noble livriste ne passerait si près de la résidence du comte sans aller lui prêter hommage et cela soulèverait certainement des questionnements d'en voir un éviter la ville si soigneusement.

L'autre possibilité était pour nous de prendre le risque de traverser Saint-Cadis, d'en emprunter le pont, et, sous couvert de l'anonymat que procure la foule des bourgs, d'en émerger par le nord pour continuer notre chemin.

Je passais le plus clair de la nuit en prière, et au matin, j'annonçai que nous traverserions la ville. Il m'était apparu que rester le moins de temps que je le pouvais en ces terres impies était le choix le plus prudent, et je faisais confiance à notre artifice qui jusque-là n'avait pas été pris à défaut. Cela faisait trois jours que nous avions eu affaire à la bande de gueuses et de gueux et depuis lors, j'avais pris de l'assurance dans le rôle que je jouais, m'amusant même parfois des regards effrayés que l'on pouvait en douce me glisser quand je prenais l'air terrible qui m'avait été recommandé par Hotz, et je me piquais même d'être plutôt bonne comédienne, m'étant prise à penser n'être point aussi godiche en la matière que j'avais pu le songer. Cependant que nous chevauchions vers la cité Comtale, le butor se porta à mes côtés et prit la parole :

- Sœur Madel, puis-je vous faire une recommandation ?

- Certes, je t'écoute.

J'avais appris à apprécier le jeune homme, qui était franc sans être cavalier, et amusant sans impertinence, et ses suggestions étaient, comme Léanon me l'avait enseigné, souvent pleines de bon sens.

Il hésita un peu, comme s'il cherchait la meilleure façon de formuler quelque délicate parole.

- Je ne pense pas, très sage Sœur, qu'il vous soit nécessaire de montrer un visage si féroce en présence d'étrangers.

- Que veux-tu dire ? Je ne fais que suivre tes conseils.

- Je le sais bien, très patiente Sœur, mais vous parvenez, je ne sais comment, à prendre une expression plus mauvaise que jamais je n'aurai cru voir sur visage humain. Vous observez les gens de vos yeux noirs comme si vous vouliez sur le champ les assassiner, eux et toute leur famille, vous ne faites que pousser des grognements terribles et l'on croirait parfois voir, Déesse me pardonne, le Démon Unique en personne.

- Ne blasphème pas, Hotz, rétorquai-je, agacée. Tu ne sais pas ce que tu dis, je ne suis pas si effrayante.

Après un court silence, il reprit :

- Je ne crois pas que vous vous figurez bien l'image que vous présentez aux yeux du monde, Sœur Madel. Vous êtes sans conteste une soldate, cela se voit à votre épée et vos habits, mais aussi à votre maintien et votre façon même de vous déplacer. On sent en vous une force contenue et prête à chaque instant à exploser comme une sape à laquelle on aurait bouté le feu. Tout cela est le fruit, je le pense, de votre jeunesse chez les sanctuaristes, et vous devez être un honneur pour vos précepteurs, une joie pour vos maîtres d'armes et une fierté pour votre ordre. Mais ici, parmi les petites gens, les laboureuses, les paysans, celles et ceux qui jamais n'ont tenu autre armes que leur faux et leurs fléaux, vous êtes déroutante et alarmante, comme une lionne parmi des brebis. Et votre visage même, à qui l'on n'a enseigné que la tempérance et la retenue peut ici passer pour rude ou revêche. Je vous connais un peu, ma sœur, ajouta-t-il en souriant, je sais qu'il n'en est rien. Votre apparence est à l'image de vos monastères, austères et dépouillés de l'extérieur, ils dévoilent leurs grandes richesses dès qu'on en franchit le portail : les vitraux, les peintures, les ors et les mosaïques y sont comme autant de trésors dissimulés.

Pendant qu'il soliloquait, je voyais peu à peu apparaître en mon esprit le portrait de la personne qu'il dépeignait et que j'avais plus d'une fois connu. De très nombreuses de mes sœurs et de mes frères étaient ainsi qu'il le disait ; sœur Damiette elle-même, si je la savais douce et bonne, avait provoqué plus que sa part de sursauts, de tremblements et de peurs respectueuses chez des laïcs à qui elle avait eu affaire. L'idée que je puisse être à leur image ne m'avait jusqu'alors jamais traversé l'esprit.

Déconcertée, j'expliquai :

- Je ne pensais pas faire un tel effet. Je mettais la détresse que je percevais sur le compte de la réputation de vous autres butors. Et j'ai peut-être été emportée par la volonté de cacher la véritable identité du Baron.

- Oh pour ça, répondit Hotz avec un air matois, tant qu'il sera avec vous, il n'y a aucune chance qu'il soit reconnu. On se souviendra pour longtemps dans la région de cette butor effrayante, haute comme trois femmes, crachant du feu par les naseaux, qui y vint, emportant avec elle enfants et bétail, mais je peux vous assurer que personne ne pourra seulement dire si ses compagnons de voyage portaient la moustache ou la barbe.

Je poussais un petit rire devant cette évocation de moi en ogresse qui, si elle était grotesque, avait eu pour le moins le mérite de me faire entendre ce que le mercenaire voulait me dire. 

- C'est entendu, je prendrai garde à cela, lui promis-je. Je me contenterais dorénavant de garder le silence.

Puis, après un temps, j'ajoutais :

- Mais si l'on me sert encore dans la prochaine taverne de cette clairette vinaigrée qui passe par ici pour du vin, je peux t'assurer qu'après les regards que je leur lancerai, personne dans le village ne pourra dormir sereinement pendant tout le reste du mois.

Hotz me regarda interloqué puis éclata d'un rire franc.

*

La ville de Saint-Cadis était nichée dans une vallée enserrée de deux hautes collines au fond de laquelle coulait un fleuve guère large mais aux eaux bouillonnantes couleur argile. Des hauteurs d'où nous nous trouvions, nous pouvions admirer les restes de l'antique pont datant de la conquête Tolvienne qui enjambait autrefois entièrement la vallée mais qui s'effondra il y a plus de quatre cent années de cela, et dont il ne reste aujourd'hui qu'un pignon de cinq arches monumentales, qui ne donnent qu'imparfaitement la mesure de ce qu'il devait être alors, mais que l'on aperçoit au loin en chaque point de la ville et qui en est même devenu le blason. A l'est, perché sur un mont comme un charognard en son nid, le château du comte régnait sur sa cité. C'était une demeure ancienne, aux murs crénelés d'où émergeait un donjon aussi vieux, sans doute, que la lignée qu'il protégeait, mais depuis peu, la famille du Comte l'avait en partie aménagé à la mode nouvelle, et l'on distinguait une aile récente, de pierres claires, ornée de frises et de colonnes et percée de hautes fenêtres entièrement vitrées. La ville elle-même n'était point grande ni cerclée de murailles, et après l'agitation de Girant, elle ne me semblait guère plus qu'un gros village. Nous empruntâmes la route qui y descendait en serpentant, et y pénétrâmes par le sud. Nous avions convenu de ne point nous y attarder, mais il nous fallait quand même y acheter de la nourriture pour la sizaine qu'il nous restait à passer sur les routes avant d'arriver en Ôrmenau. Nous y serions, si rien de plus ne venait interrompre notre avancé, le douzième ou treizième jour du mois de Clystre, soit exactement dans les temps ordonnés par Sa Majesté.

Nous fîmes halte en une taverne où les chevaux purent se reposer et boire de l'eau fraîche pendant que, assis sur de bas tabourets à même la rue, protégés du soleil par une voilure tendue entre les petites habitations, nous attendions que le fils de la gérante nous apporte les victuailles que le Baron lui avait demandé d'aller quérir, en étanchant notre soif d'une bouteille de ce vin sec mais sucré produit dans la région. Autour de nous, journaliers, apprentis et marchandes, debout accoudés sur des tonneaux faisant office de table ou posés comme nous sur des escabelles et des bancs de bois, allaient et venaient, parlaient fort et buvaient beaucoup. Tous et toutes ou presque, principalement les riches et les bourgeoises, étaient habillés de noir, comme souvent le sont les livristes, qui méprisent la richesse des habits colorés, disent-ils, même s'ils ne se privent pas d'y ajouter d'opulents boutons d'argent ou de porter en évidence colliers et bagues, et plumes à leurs coiffes.

Je devisais avec Hotz à voix basse, mais je laissais aussi mon oreille traîner aux tablées voisine et je saisis plus d'une fois des discussions à notre sujet. Il semblait que nous étions dans tous les esprits, et chacune, chacun voulait ajouter son opinion sur ce qu'il convenait de faire. Certains voulaient nous tendre une embuscade et sauver le « pauvre Sir de Savançon», d'autres nous attaquer en force pour asseoir leur domination en la région, alors que les plus modérés étaient d'avis de laisser faire le comte. Je fus cependant rassurée d'entendre que l'on nous pensait encore en le massif ou bien ayant rebroussé chemin, et, grâce en soit rendue aux Divins, il semblait que personne ne puisse songer que ce jeune noble accompagné de deux butors puisse être le Baron. Le garçon revint avec nos provisions et, pour sa peine, Savançon ne lui demanda point de lui restituer les piécettes de reste sur les deux sols qu'il lui avait alloué, lui évitant ainsi l'épreuve de devoir nous mentir en nous promettant que, par Déesse, tout était passé dans l'achat de nos victuailles, et qu'avec les prix actuels, il ne lui était rien resté et que même il en avait été de sa poche.

Alors que nous reprenions la route, j'avais l'esprit troublé. Il m'avait semblé entendre, plusieurs fois peut-être, prononcé de ça et de là, des paroles qui, je le savais, auraient dû m'alerter, mais je ne parvenais à me souvenir desquelles ni même de leur objet. Ce n'est qu'en apercevant un petit enclos dans lequel broutait une chèvre qu'un doute terrible me fit arrêter ma monture.

Hotz et Savançon me regardèrent avec un étonnement qui s’accentua plus encore quand je m'adressai directement au Baron pour la première fois, il me sembla, depuis bien des jours.

- Messire, pouvez-vous interroger quelqu'un sur le faune, je vous prie ?

- Le faune ? Quel faune ?

Le Baron avait l'air interloqué, tout autant que Hotz, et paraissait ne rien entendre à mes paroles qui, je l'accorde volontiers, semblaient n'avoir sur l'instant aucun sens. Mais cela me tiraillait la mémoire : en plus de nous on avait, autour de notre table, parlé beaucoup d'un faune et si la chaleur, le vin, et les préoccupations à notre propos avaient fait glisser mon attention sur le sujet, l'image de cette chèvre enfermée dans l'enclos m'avait, je ne sais vraiment pourquoi, l'âme étant chose merveilleuse et divine qui a de nombreux secret pour nous autres êtres humains, mis en l'esprit une inquiétude mortelle.

Une fois que je lui eus dit cela, le baron me répondit :

- Soit, j'accepte de questionner quelqu'un sur ce faune, mais qui donc ?

- Peu importe, il me semble que l'on en parlait beaucoup, ce doit être chose connue. Portez la discussion habilement sur ce terrain.

Le baron regarda autour de lui, puis avisant une femme qui poussait une brouette vide et paraissait n'être guère pressée, il la héla :

- Dites-moi, quel est le plus court chemin pour aller en la demeure du Comte ?

- Et bien, messire, il vous faut prendre le sentier du nord et, à la fontaine du Buis, prendre celui qui se dirige vers le levant. Vous devriez y être dans moins d'un décan.

- Et quant au faune ? Demanda-t-il à brûle pourpoint.

Je grognai par devers moi. Ne lui avais-je point demandé d'user de subtilité ?

- Le faune ? La femme ne paru pas le moindre du monde surprise par la question. Et bien il est maintenu au château, et l'on pense qu'il y sera pendu dans la sizaine. 

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