Chapitre 5

Notes de l’auteur : 03/03/2022: J'ai décidé de réécrire certains aspects de l'histoire et de reposter, en raccourcissant les chapitres sur Plume d'Argent pour que ce soit plus facile à lire pour les lecteurs de PA.
Je serai reconnaissante de tout commentaire, tout avis constructif pour améliorer mon récit.

Merci, et bonne lecture!

 

5

 

On arriva au pied de la colline où les premières ruines de l’ancienne cité de Cilyn émergeaient de terre. En levant la tête, je vis ce qu’il restait de la ville qui s’élevait sur une immense colline. Presque tous les bâtiments étaient en partie détruits, les siècles avaient obscurci la pierre. Au sommet du mont se trouvait un palais écroulé vers l’intérieur. Les ruines d’un passé grandiose, le souvenir d’une grande et belle cité. La nature avait tenté de reprendre ses droits mais malgré les touffes d’herbes et quelques arbres tristes, rien n’avait poussé. C’était comme si toute vie qui s’approchait de ces ruines finissait étouffée par les ténèbres et le passé.

J’avais un mauvais pressentiment, je n’aimais pas du tout cet endroit et je comprenais pourquoi les elfes le considéraient maudit. Une couverture sombre et pesante, lourde du poids des événements des siècles passés, recouvrait chaque pierre, chaque bâtiment. À chaque pas qui nous enfonçait un peu plus dans la cité, Eären était de plus en plus agitée. Je peinais à respirer et à ne pas voir du coin de l’œil des ombres se faufilant. Mais chaque fois que je lançai un regard par-dessus mon épaule ou tentai de voir la menace que je sentais tout autour de nous, il n’y avait rien. Rien autre qu’un voile d’énergie obscure qui m’étranglait petit à petit.

Le soleil, qui était resté caché par les nuages toute la journée, se coucha, ce qui ne fit rien pour me rassurer. Au fur et à mesure que la nuit avançait, la cité semblait revenir à la vie et mon angoisse grandissait.

— Qu’est-il arrivé à cette ville pour la réduire à un tel état de destruction ?

— On raconte que lorsque le Royaume de Nylad s’est allié au Sorcier Noir, il y a des siècles, l’Héritier des Pendragon a réduit en cendres Cilyn.

— Des dragons ont réduit une cité entière et tous ses environs en cendres ? m’écriai-je, effrayée à l’idée qu’une armée de dragons pourraient détruire une citadelle si profondément que plusieurs siècles après, elle était toujours abandonnée.

— Non, un dragon, et son dragonnier, corrigea Calador en baissant les yeux vers moi.

Je frissonnai de terreur.

— Restons silencieux à présent. Cilyn n’est pas aussi désertée que ce que son apparence laisse croire, et je ne parle pas d’êtres que l’on puisse abattre, ordonna-t-il.

Quelques temps plus tard, arrivés sur une plateforme qui avait dû être une place, on s’arrêta. Eären avait besoin de se reposer, malgré mon envie de partir d’ici au plus vite.

— On va rester ici quelques temps. Mieux vaut être discrets si on doit passer la nuit ici, annonça Calador.

Tremblante, de froid, de peur et d’émotions, je ne dis rien. Je restai auprès de sa jument tandis que Calador explorait les environs proches pour s’assurer qu’il n’y avait aucune menace à proximité.

Une voix délicate résonna et je me retournai.

— Eiddwen

D’ici, on surplombait la vallée en contrebas. Je voyais clairement les frontières entre Lómáwen et les royaumes de Belo et Nylad, mais surtout, je voyais l’Ilygad et le Bilderŵ. Malgré la nuit noire, le lac rayonnait de sa propre lumière, telle une lune bleu turquoise descendue sur terre. Il éclairait le grand chêne majestueux. Ce dernier m’appelait. Je n’avais jamais été aussi proche du Bilderŵ et le désir de m’y rendre était plus puissant que jamais. Mon corps entier voulait l’atteindre et satisfaire ce besoin de l’approcher et comprendre.

Une main se posa sur mon épaule, et je sursautai. Je me retournai vers Calador qui affichait un air grave. Il avait dû réaliser que j’étais attirée par le Bilderŵ, même si un immense vide m’en séparait.

— On est en sécurité, pour le moment. Mais dès qu’Eären est reposée, on repart.

Il se retourna vers la jument et je remarquai enfin l’arc et le carquois qui s’y trouvaient. C’était mon arc, celui qu’il m’avait offert lors de notre première rencontre.

Suivant mon regard, Calador prit les instruments d’archerie et me les tendit. J’avais passé les six dernières années à m’entraîner pour pouvoir les utiliser, j’avais été impatiente de recevoir l’autorisation de mon mantë pour utiliser l’arc et le carquois qu’il m’avait offerts à notre rencontre. Mais maintenant qu’il me présentait l’arme que j’avais tant désiré manipuler, je reculai.

— Prudence, tu es prête, dit-il calmement. Je t’autorise à utiliser cet arc et ce carquois.

Malgré l’air étouffant de Cilyn, ses mots eurent l’effet d’une brise d’air frais. J’avais soudain l’impression que mes poignets étaient plus détendus, comme si une corde invisible les avait restreints toutes ces années, m’incitant à ne pas utiliser l’arc.

— Non, répondis-je. J-je ne suis pas prête ! Je n’ai pas encore la force–

— Tu as la force, tu as l’expérience, tu es capable de manier cet arc. De plus, tu en as besoin pour te défendre.

— Tu… tu étais en haut des escaliers, tu es allé dans ma chambre le récupérer… Pourquoi as-tu choisi de sauver l’arc et le carquois au lieu de sauver ma mère ?! m’écriai-je, réalisant qu’il aurait pu l’aider bien avant que j’arrive.

— Catherine était déjà à terre, et les flammes dévoraient l’auberge quand je suis arrivé. Je suis monté précipitamment pour m’assurer que toi, et les autres, allaient bien. Je n’ai trouvé personne, mais j’ai pris l’arc et le carquois parce qu’ils représentent énormément pour toi. Je sens que tu en auras besoin à l’avenir et que cette arme pourrait te sauver la vie.

Il tendit les bras et bien qu’encore hésitante, je pris l’instrument. J’avais caressé le pâle bois de l’arc des milliers de fois, j’avais effleuré la corde chaque fois que j’avais été tentée de l’utiliser malgré le serment… mais c’était la première fois que j’avais la sensation de réellement tenir cette arme, d’avoir la capacité de la manier.

S’il n’avait trouvé personne à l’étage, cela voulait-il dire qu’Emi, Adela et Hilda étaient saines et sauves ? Qu’en était-il du reste du village de Lamania ?

— Les villageois…

Il pinça les lèvres et baissa le visage.

— Je n’ai pas eu le temps de m’y rendre, mais même à distance je savais que les victimes et les dégâts causés par les orcs étaient irréversibles.

— Des orcs… des orcs ont attaqué Lamania ? Pourquoi ? demandai-je, peinant encore à y croire.

Il ne répondit pas immédiatement, et fit quelques pas nerveux – ce qui était rare pour Calador. Puis, le visage tourné vers Lómáwen, il expliqua :

— Je ne connais pas les détails car je vis à l’ouest de Lómáwen, mais au petit matin, avant l’aube, on a reçu une alerte. Les feux d’alarme qui se trouvent le long du littoral se sont allumés, ce qui signifie une attaque. On a mis en place une défense avant de recevoir un message : cachés par la brume, des vaisseaux appartenant à l’Empire de Sombor s’étaient approchés de Lómáwen. Ils sont passés par les fleuves pour attaquer la capitale, Lómyndel, et ont commencé à remonter le long des fleuves, le Calnaïa et le Derŵana. L’armée de Sombor, composée de traîtres et de mercenaires humains comme orcs, fut retenue. On a constaté les incendies à Lamania. Je suis parti instantanément, pour te retrouver et m’assurer de ta sécurité. Quand je suis arrivé, les orcs avaient déjà fini leur saccage et les quelques elfes qui étaient venus avec moi ont repoussé les derniers. L’auberge était en feu et… j’ai trouvé Catherine là.

Pendant la totalité du récit, il resta droit, les bras croisés, la voix posée mais dure. Enfin, il se tourna vers moi.

Son regard brillait du chagrin qu’il retenait.

Mes yeux brûlèrent de larmes et ma gorge se serra.

— Elle saignait trop, je ne pouvais rien faire pour l’aider mais elle… elle me demanda de te trouver, de t’aider. Je suis monté en pensant que tu étais prisonnière des flammes à l’étage. Il n’y avait personne et quand je suis descendu…

Ses yeux verts irradiaient aussi intensément que l’Ilygad derrière nous.

— Qui était ce jeune homme ? Il te connaissait, il t’attendait.

— Il… je… je ne suis pas sûre… murmurai-je.

Je revoyais Omri, chaud et rassurant pendant la fête de l’été. Mais c’était flou, comme un souvenir trop vague pour être vrai. Au contraire, je voyais clairement sa silhouette se détacher des flammes, insensible à la chaleur et aux brûlures. Son sourire narquois, rempli d’amusement et de satisfaction me donnait encore la chair de poule.

— Prudence, dis-moi qui est cet homme et comment tu le connais, ordonna Calador d’une voix ferme.

— Je– je l’ai rencontré au festival d’été, avouai-je. Il… il était… charmant… et… et, je ne l’ai plus vu depuis…

Calador soupira profondément, et roula les yeux au ciel.

— T’a-t-il dit quoi que ce soit d’étrange ? Fait quoi que ce soit d’inapproprié ?

— Non, il était– il a été très respectueux et… aimable…

— Prudence, tu dois te souvenir, cela pourrait nous aider à comprendre ce qu’il s’est passé et pour qui il travaille, continua-t-il impatiemment.

— J’essaie de me souvenir ! Mais on avait bu de l’alcool, tout est flou ! Il a été gentil et m’a tenue compagnie, puis on est allé dans une caravane mais il ne s’est rien passé de… d’inapproprié ! Je te le promets ! Il–

Ma voix se coupa. Les souvenirs confus me revinrent petit à petit.

— Il a quoi ? Qu’a-t-il fait, Prudence ? demanda Calador, fronçant les sourcils.

— Il m’a posé beaucoup de questions sur moi, sur ma vie, mes parents… Il était curieux…

Mes doigts passèrent nerveusement sur mon bracelet de cuir qui cachait la marque de naissance à l’intérieur de mon poignet gauche. Mon mantë perçut le mouvement et il comprit :

— Il a vu ta marque de naissance ? siffla-t-il.

Décontenancée, je tournai mon regard vers lui, et hochai la tête légèrement.

— Mais il n’a rien fait, il n’a rien dit d’étrange… ajoutai-je.

— Il n’en avait pas besoin, juste voir cette marque serait suffisant pour attirer l’attention d’un sorcier.

— Un quoi ?

Il me fixa, incrédule par ma surprise. En y repensant, c’était la seule explication. Sourcils froncés, il posa une main sur son menton d’un air pensif :

— Il doit être l’un des sorciers qui travaille pour l’Impératrice de Sombor, envoyé avec un groupe d’orcs pour semer la terreur et te capturer pendant la confusion causée par l’attaque aux frontières. Sombor ne cherchait pas à conquérir Lómáwen, mais à t’avoir, toi.

Ma respiration devint saccadée.

— Pourquoi moi ? murmurai-je, tremblante.

Calador redressa son visage, et me regarda tristement. Puis, il soupira profondément.

— Je ne sais pas pourquoi l’Impératrice voudrait te capturer, mais…

Il se tourna vers le Bilderŵ qui frémissait, à cause du vent et de la neige, ou de ma proximité.

— Je dois te raconter tes origines.

Je ne répondis rien. Il s’assit sur ce qu’il restait d’une colonne effondrée. Il n’osa pas rencontrer mon regard et garda son attention fixée sur le chêne enchanté.

— Tu sais que le Bilderŵ, et l’Ilygad, sont tous les deux de puissantes sources de magie, n’est-ce pas ?

— Tout le monde sait ça, c’est la raison pour laquelle les elfes de Lómáwen en sont devenus les gardiens, après la trahison du Royaume de Nylad, il y a des siècles.

Ma voix était chevrotante et mon corps plus tendue qu’une corde d’arc. Je craignais ce qu’il allait m’avouer.

— La magie de l’Ilygad est endormie, inactive. Elle est inaccessible et trop faible pour représenter la moindre menace bien que l’on continue de protéger ce lieu sacré. Pendant des siècles, on a cru que le Bilderŵ était également endormi… jusqu’à il y a un peu plus de seize ans.

Je déglutis, mon cœur battait si fort que j’avais l’impression que des tambours de guerre montaient des profondeurs de Cilyn.

— Une tempête a éclaté au-dessus du Bilderŵ et lorsqu’on est allé vérifier si tout allait bien… on a trouvé un bébé.

Calador se tourna vers moi.

— Non… soufflai-je.

— Tu es ce bébé, Prudence, qui est apparu il y a seize ans, au pied du Bilderŵ. Tu étais enveloppée dans des couvertures avec un collier d’or et un katakh nanien.

Je secouai la tête mais il continua. Ses mots firent échos dans ma tête.

— On ne savait pas quoi faire d’un bébé qui n’était pas un elfe et qui pouvait représenter une menace. Les quelques personnes à Sehaliah qui auraient pu avoir la capacité de s’occuper de toi, de te… maîtriser si tu te révélais être dangereuse, avaient déjà disparu, ou… Ils ont refusé de prendre le moindre risque quand l’Impératrice de Sombor devenait déjà de plus en plus puissante à chaque décennie.

Il se releva, fit quelques pas nerveux, puis se retourna vers moi, les mains jointes dans un geste anxieux.

— Le Conseil elfique de Lómáwen a voté ton exécution.

Je cessai de respirer. Une nausée soudaine manqua de m’étrangler.

— Quelques-uns d’entre nous ne souhaitaient pas laisser mourir un bébé innocent alors… je t’ai enlevée et t’ai confiée à l’une des rares personnes en qui j’avais confiance : Seward Bunker. Il était mon ami et il était capable de… subvenir à tes besoins et te protéger. De plus, vivant à la frontière avec Lómáwen, j’aurais été capable de te surveiller et de m’assurer que tu n’étais pas retrouvée par le conseil. Ton père– enfin, Seward était… un demi-elfe qui, du côté de sa mère, possédait l’auberge dont Catherine et toi avez hérité à sa mort, et qui, du côté de son père, était devenu un espion de Lómáwen. Il venait tout juste d’épouser Catherine. Tes parents ont réussi à cacher ton existence assez longtemps pour que personne ne se doute que tu ne sois pas leur enfant biologique.

Il marqua une pause et prit une grande bouffée d’air frais. J’aurais voulu faire de même mais j’étouffais.

— Les elfes ont tenté de te retrouver, de savoir qui les avait trahis en envoyant cet enfant, peut-être droit dans les mains de l’ennemi. Personne ne me soupçonna, ni Seward ou les quelques autres elfes qui nous avaient aidés. Je fus, au contraire, envoyé à ta recherche aux quatre coins de Sehaliah. Ma mission était de te trouver, de te ramener, et de mettre l’ordre de t’assassiner à exécution. À la place, j’ai cherché des informations sur qui tu pouvais être, sur le Bilderŵ et sa magie, pour essayer de comprendre ce qu’il s’était passé cette nuit-là… Tout ce que j’ai appris est que le Bilderŵ, et l’Ilygad, peuvent faire office de portails entre les mondes.

Je réagis enfin.

— Un portail ? Entre… quoi et quoi ?

— Je ne sais pas. Je sais simplement que… tu es arrivée il y a seize ans, par une nuit d’orage, et que le Bilderŵ a servi de portail entre Sehaliah, et le monde d’où tu viens.

— Le monde… répétai-je dans un souffle.

Je fis un pas en arrière, et mes jambes me lâchèrent. Je m’écroulai sur le sol. Le poids de tout ce qu’il s’était passé en si peu de temps s’abattit sur moi. Ma maison avait disparu, ma mère était… morte, et j’apprenais que je… que je n’étais même pas de ce monde. Qu’ayant grandi à Sehaliah, je venais d’ailleurs et aurais dû mourir seize ans plus tôt.

Calador me toisa tristement. Il fit un mouvement vers moi, s’abstint, puis resta immobile et silencieux.

Tout ce que je pensais savoir était faux ?

— Tu… ne t’es jamais soucié… de moi, tu voulais juste… t’assurer que je ne devenais pas un monstre… réalisai-je.

Ina ! Non, Prudence ! Non, je recevais régulièrement des nouvelles de ta mère, et quand je t’ai revue à tes dix ans… j’ai compris que tu étais loin d’être une menace pour Dareia. Au contraire, tu as un potentiel extraordinaire et je voulais t’aider à trouver ta voie. Si tu avais représenté la moindre menace, je ne t’aurais jamais enseigné quoi que ce soit, cela aurait été absurde ! s’exclama-t-il, m’approchant enfin.

Il s’agenouilla et prit mes mains dans les siennes. Sa peau était toujours aussi rugueuse après toutes ces années. Les mains d’un soldat, d’un archer, d’un frontalier et Protecteur du Bilderŵ. Seize ans plus tôt, il avait pris le risque de s’opposer à sa contrée, son peuple, pour me sauver la vie, même si cela signifiait mettre en danger tout Dareia. Juste pour sauver un bébé innocent.

— Ma mère...

— Tu n’es pas sa fille biologique, mais ne doute pas qu’elle t’aimait plus que tout. Elle… elle t’a écrit une lettre, il y a des années, et elle m’avait demandé de m’assurer que tu la trouves si… quelque chose lui arrivait.

Les yeux remplis de larmes, mains tremblantes, je pris les objets que j’avais mis dans la poche cachée dans les plis de ma robe. J’avais trouvé cette missive derrière le portrait de mon père, cette lettre lourde de tous les secrets qu’elle contenait.

Calador se leva pour me donner de l’intimité avec ces mots chargés de révélations, mais j’attrapai son poignet pour le stopper. Sans échanger la moindre parole, il comprit que je ne pouvais pas faire face seule à ces informations.

J’observai le cylindre. Il était en métal, lourd et froid dans ma main, et cinq disques de marbre présentait toutes les lettres de l’alphabet commun. Le sceau représentait un dragon et une fleur de lys entrelacés. Quand je le secouai, j’entendais un cliquetis, comme si quelque chose remuait à l’intérieur.

— Cet objet est un katakh. C’est une invention nanienne qui remonte à des millénaires mais qui a été utilisée maintes fois pour partager des missives d’extrême importance. Le katakh contient un message qui sera détruit si le cylindre est ouvert par force. Le seul moyen de pouvoir obtenir le papier sans en abimer le contenu est en trouvant le mot à entrer sur ces disques de marbre.

Il marqua une pause. Mes doigts caressèrent les disques, les faisant tourner en espérant trouver un mot qui aurait du sens et qui ouvrirait le katakh. Mais je m’arrêtai en réalisant que je voulais encore moins ouvrir ce cylindre que la lettre de ma mère.

— Dans mes recherches, continua Calador, j’ai trouvé quelques traces d’un tel sceau, un dragon et une fleur de lys. Mais… cela semble si improbable…

Je rangeai le katakh dans les profondeurs de ma poche, loin de mes pensées. Je brisai la cire qui scellait la lettre de ma mère et dépliai le papier.

Je pris une grande bouffée d’air frais pour lire la lettre.

Calador se redressa soudainement.

Il fixait les ténèbres. Je me redressai, mon cœur battait fort mais je ne voyais rien au-delà des murs à moitié effondrés. L’absence de mouvement devint angoissante quand Eären se mit à remuer nerveusement. Le vent soufflait si fort que cela recouvrait le moindre son qui aurait pu nous parvenir, la neige était si violente qu’il était impossible de voir au-delà de quelques mètres. On était entouré d’obscurité et de froid.

Calador fit quelques pas pour caresser et murmurer des paroles rassurantes à sa jument qui se calma. Il continua d’observer les ténèbres pendant que je remettais la lettre et le collier dans ma poche, pour prendre mon arc dans ma main. Aussi silencieuse que possible, malgré mes tremblements dus au froid et à la peur, je tirai une flèche du carquois, prête à l’encocher.

Enfin, après de longues, longues secondes d’attente, Calador se retourna vers moi. À ce moment, une silhouette surgit de derrière le mur le plus proche, une épée levée. Étouffant un cri, j’encochai et tirai la flèche qui frappa l’orc. Il s’effondra avec un cri de douleur. Calador dégaina son épée au moment où une douzaine d’orcs sortit de l’ombre et des ruines. Leurs peaux et tenues sombres, et leur capacité à se fondre dans le paysage, les avaient gardés hors de notre vue. Ils hurlèrent et grognèrent, furieux que l’un des leurs avait été abattu. Ils avaient dégainé leurs armes et s’approchèrent suffisamment pour que je puisse détailler leurs apparences.

Je fis un pas en arrière, mon cœur monta dans ma gorge de dégoût. C’étaient ça les ennemis de la paix, les créatures qui avaient détruit mon village et ma famille ? Ils étaient immenses, construits d’une musculature dure. Si la légèreté de leurs tenues était la moindre indication, ils étaient insensibles au froid. Certains portaient des sortes d’armures ou de renforcements de cuir mais je n’avais aucun doute que même sans la moindre défense, leur peau serait assez épaisse pour faire office de protection. Leurs épées étaient larges, difformes, le contraire absolu des longues et élégantes armes elfiques.

Le vent siffla furieusement, comme pour encourager le combat. Il tourna contre nous, les flocons de neige fouettèrent nos visages, et l’odeur répugnante des orcs me frappa de pleins fouets.

Une volée de flèches noires arqua au-dessus de nous. L’épée de Calador cingla l’air trop rapidement pour que je puisse voir le mouvement. Il les trancha et les restes des flèches des orcs atterrirent autour de nous.

— Monte sur Eären ! ordonna-t-il.

Deux orcs se jetèrent sur lui mais, puissant et agile, il les abattit en un instant. Je m’exécutai, tout en tirant une flèche vers l’orc le plus proche qui s’écroula. Pendant un court moment, la réalisation que je venais de prendre une vie, même d’un être aussi immonde, me rendit malade. Un orc attrapa ma jambe et essaya de me faire tomber de la jument. Eären hennit et se dressa, je m’accrochai aux rênes pour ne pas chuter. Calador trancha le bras de l’orc puis fit voler sa tête. Je me détournai pour ne pas faire face à cette vue.

— Libère la voie !

Je lançai un regard à Calador qui continuait de nous défendre en abattant chaque orc qui venait – mais ils étaient de plus en plus nombreux et d’autres se cachaient sur les hauteurs. Des flèches volèrent vers nous. Je hurlai pour prévenir mon mantë mais le vent balaya les projectiles en un souffle.

Eären hennit et frappa le sol de ses sabots pour partir au plus vite, mais elle attendit impatiemment son cavalier.

Les mots de Calador, un instant plus tôt, me firent enfin réagir et j’encochai une flèche. Droit devant moi, arrivant par le seul passage que l’on pouvait emprunter pour partir d’ici avant d’être submergés, deux orcs arrivaient en courant. Ma main trembla mais je laissai mes flèches les frapper, l’un après l’autre, malgré le vent. Ils s’écroulèrent et Calador sauta derrière moi.

— Eären, yaike ! s’écria-t-il.

Avec un hennissement de soulagement, elle s’élança. Je m’agrippai à elle autant qu’à mon arme. Calador parvint à maintenir son équilibre, tout en frappant de sa longue épée chaque ennemi qui s’approchait de nous.

La jument emprunta le chemin qui descendait naturellement. Les orcs étaient toujours là, surgissant des ombres, des maisons, hurlant et sifflant. Leurs grognements sinistres résonnaient dans tout Cilyn.

La tempête était de plus en plus violente, reflétant la panique et l’horreur que je ressentais.

On arriva sur une grande place avec un ancien puits au centre, plusieurs routes s’offrirent à nous. Calador attrapa d’une main les rênes et força Eären à prendre le passage le plus à droite, celui qui était vouté et menait droit dans le noir le plus profond. Lorsqu’on passa sous l’arc qui tenait les murs en place, il leva son épée et abattit la clé de voute. Les murs étaient si anciens, si abimés, que cela fut suffisant pour que l’arc s’écroule. Les parois suivirent, ce qui affaiblit le reste de la voute sous laquelle Eären accéléra. On allait droit dans l’obscurité sépulcrale et, sur notre passage, les murs et la voute s’écroulaient derrière nous, bloquant les orcs. Je pressai mon visage contre Eären, effrayée par ce qui nous attendait de l’autre côté, et terrorisée à l’idée d’être enterrée par les blocs de pierre.

On jaillit à l’extérieur, le vent et la neige étaient si puissants qu’ils m’aveuglèrent. Je levai un bras pour protéger mon visage, ma capuche vola autour de ma tête, complètement inutile. Je me retournai juste à temps pour voir un nuage de poussière lorsque les derniers mètres de la voute s’effondrèrent. Tous les orcs avaient été bloqués et bien qu’on entendît encore leurs voix furieuses, ils n’étaient plus suffisamment proches pour représenter une menace immédiate. On arriva aux niveaux les plus bas de la cité, approchant la muraille en partie écroulée. Eären ralentit pour grimper par-dessus les pierres et une fois de l’autre côté, je soupirai de soulagement. On était au bas de la montagne sur laquelle Cilyn était construite, et la plaine s’ouvrait à nous. Je ne pouvais pas voir au-delà de quelques mètres à cause de la tempête mais je savais que juste en face se trouvait l’Ilygad et le Bilderŵ.

J’espérai que Calador dise quelque chose, pour m’indiquer que la menace des orcs était partie, mais il resta silencieux. Épuisée par la course frénétique et la neige qui s’accumulait, Eären finit par ralentir.

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