CHAPITRE V – Absence.
« La semaine précédant Noël passa à une vitesse ahurissante. Lily-Rose se plongea dans sa traduction avec acharnement, voulant avancer le plus possible afin de profiter des fêtes. La romance bien niaise qu'elle devait traiter était d'une facilité fulgurante, mais lui fit pointer néanmoins une larme de temps à autre. En compensation de son dur labeur, elle s'autorisa à sortir tous les soirs, afin d'étancher sa soif. Mais sans pousser non plus. Une fois sa chasse terminée, elle rentrait directement chez elle, de préférence pas trop tard, afin de bien dormir et de continuer à bûcher dès l'aube. Elle se sentait éreintée, mais cette fatigue avait un côté sain, selon elle. Après l'effort, le réconfort. Antoine, le serveur du Rockwood, s'était amusé de la voir ainsi, du mardi au dimanche, à chaque fois raccompagnée d'un nouvel inconnu. Depuis le nombre d'années qu'elle se rendait à ce bar pour trouver une nouvelle proie, une certaine complicité silencieuse s'était instaurée entre le jeune homme et elle. Le respect de sa vie privée lui convenait. Il ne la jugeait pas, n'en faisait jamais allusion, et c'était très bien comme cela.
Lily-Rose eu un petit pincement au cœur en n'y croisant pas une seule fois Adam, mais cela la poussa à travailler encore davantage les autres jours afin de ne pas y penser. Ce qui était donc un mal pour un bien.
Arriva ensuite le lundi matin. Le vingt-quatre décembre. Assise dans le train, prête pour arriver à Saint Malo chez ses parents, il lui restait plus qu'une petite demie-heure de trajet avant d'entrer en quai. Elle se rendit compte de son impatience. Cela faisait tout juste un an qu'elle n'avait pas vu ses parents, et elle était bien obligée d'admettre qu'ils lui avaient manqué atrocement. L'inconvénient de ne les voir qu'à Noël, certainement. Mais cela la poussait à s'y rendre avec plaisir. Bien que leur famille n'ait jamais été très soudée, l'amour qu'ils se portaient était bel et bien présent. Et, pour Lily-Rose qui n'avait jamais été très « famille », cela consistait déjà en un atout considérable.
À peine sortie du train que des bras fins l'encerclèrent avidement. Lily-Rose serra sa mère dans une étreinte brève mais chaleureuse. Une fois dégagées, les deux femmes se toisèrent, les larmes aux yeux. Le père de Lily-Rose, quand à lui, se contenta d'une accolade envers sa fille, mais rien que ce geste, venant de cet homme aux allures froides et tendues, prouvait à la jeune brune l'émotion dont il faisait preuve.
_ Hello dad. Hello mom. I'm happy to see you, les salua Lily-Rose en séchant ses larmes.
Amy et Duncan Walker la gratifièrent d'un sourire franc, puis la conduisirent à la voiture. Ils lui parlèrent brièvement de l'année passée, du chien décédé, et de la venue de ses oncles et tantes pour célébrer Noël. Lily-Rose ne les écouta que d'une oreille, les gratifiant des équivalents des « D'accord » et des « Ah, c'est vrai ? » français en anglais. Elle profitait essentiellement du moment pour les dévisager, ayant réellement l'impression de ne pas les avoir vu depuis des lustres.
Amy Walker était une belle blonde aux mêmes yeux que sa fille, d'un ambré stupéfiant. Grande et élancée, elle ne faisait réellement pas ses cinquante-deux ans. L'âge l'avait embelli encore davantage, lui traçant de charmantes rides du sourire sur son beau visage. Petite, Lily-Rose s'imaginait que sa mère ne serait jamais plus belle qu'à sa trentaine. Aujourd'hui, elle pouvait affirmer s'être trompée. Amy irradiait de beauté, et affirmait magnifiquement son demi-siècle. Son père, quand à lui, était un brun d'une taille hallucinante, bien enrobé, âgé de bientôt soixante ans. Ancien chef d'entreprise, il avait bâti son empire d'abord à Manchester, la ville natale de Lily-Rose, puis s'était lancé dans l'industrie française, gérant le tout avec succès. Ce véritable homme d'affaire avait l'habitude que rien ne lui résiste. Toute sa stature inspirait le respect. Encore aujourd'hui, Lily-Rose se sentait intimidée face à son géniteur.
Ses parents étaient le cliché même de la froideur britannique, et restaient d'une fierté inébranlable qu'importe l'événement. Pour autant, depuis leur déménagement en France, Lily-Rose les trouvait de plus en plus chaleureux. Rien qu'à noter leur attitude à son arrivée en disait long. Elle en était ravie. Surtout que, Saint Malo, la commune assez touristique de Bretagne où ils avaient décidé de jeter l'ancre, était une ville accueillante et agréable. Son père et sa mère avaient l'air de s'y plaire, et d'y couler des jours heureux, ce qui satisfaisait Lily-Rose à chaque fois qu'elle s'y rendait.
Une fois arrivés devant la grande maison en pierre, la jeune femme soupira d'aise. Et de nostalgie, également. Elle sentait que le retour du lendemain allait lui arracher le cœur.
*
_ Darling, tu pas devoir pleurer. Tu appelles quand es rentrée, fit Amy en un accent anglais à couper au couteau en enlaçant maladroitement sa fille.
_ Amy, ton français est à déplorer, s'indigna le père de Lily-Rose dans un français proche de la perfection.
_ Excuse me dear not to have learned French as well as you, répondit l'intéressée. (=Excusez moi mon cher de ne pas avoir appris le français aussi bien que vous)
_ Arrêtez de vous chamailler. Merci pour tout, mom, dad, répondit Lily-Rose en ravalant ses larmes.
Ils la prirent une dernière fois dans leurs bras, avant de la laisser pénétrer dans le train. En s'asseyant dans son siège, Lily-Rose les salua lentement de la main. Elle avait eu raison. Cette soirée était passée bien trop vite.
Une simple fête de Noël accompagnée de sa famille pourtant. Mais lui faisant un bien fou. Quand le train démarra, la jeune femme sécha les quelques larmes ayant coulé sur son doux visage.
Si ses parents lui avaient bien appris une chose, c'était de ne jamais se laisser démonter.
De toujours se battre contre ses émotions, et d'afficher bonne figure.
La fierté britannique, en somme.
Lily-Rose s'endormit sur son siège quelques minutes après avoir quitté Saint Malo, le sourire aux lèvres. Elle était néanmoins heureuse de rentrer chez elle.
*
Lorsque les talons de Lily-Rose claquèrent sur le seuil de son appartement, la jeune femme laissa échapper un soupir. Elle avait l'impression qu'elle était partie une année entière, et non une nuit. Mais son appartement, fidèle à son départ, lui rappelait que sa vie était toujours présente. Ses papiers abandonnés sur la grande table en verre, son ordinateur encore allumé, le chat endormi sur le canapé en toile. Ses yeux furent attirés vers l'horloge numérique de son four. Il était tout juste
quatorze-heures. Elle laissa tomber son sac à dos sur le sol, referma la porte, puis s'abandonna dans son lit, quelques mètres plus loin.
Quand son chat vint la rejoindre, ronronnant contre son ventre, elle fit comme lui. Lily-Rose se roula en boule, puis ferma les yeux presque instantanément.
Contrairement à ce qu'elle aurait pu croire, le rythme qu'elle s'était instauré ces derniers jours l'avait éreinté.
Ce fut alors avec un réel plaisir qu'elle plongea dans le monde de Morphée.
*
La sonnerie de son téléphone la réveilla en sursaut, quelques heures plus tard. Le cœur battant, le regard alerte, elle répondit à l'élément nuisible sans en vérifier l'auteur.
_ Allô ? Ronchonna la voix grasse de la jeune femme.
_ Lily, c'est bien toi ? Si c'est le cas, tu fumes trop ma fille.
_ Greg, un jour, je vais mettre en place ton assassinat, répondit Lily-Rose en se rasseyant dans son lit. Même son chat grogna du dérangement.
_ Excuse-moi d'avoir affaire à une marmotte. C'était pour savoir, t'es chez toi là ? Ou tu es encore chez tes parents ? Demanda ce dernier.
_ Non je suis chez moi, dans mon lit, et j'essaie encore de me remettre de ma sieste interrompue.
_ Dommage pour ta sieste. Parce que j'arrive dans cinq minutes, avec des bières.
Lily-Rose n'eut pas le temps de riposter que la communication fut coupée. Ouvrant et refermant la bouche à de multiples reprises, elle braqua ses pupilles sur son portable. Comme si ça allait changer quelque chose.
La jeune femme passa rapidement une main dans ses cheveux emmêlés, puis eu juste le temps de se lever que sa porte s'ouvrit. Grégoire, vêtu d'une veste large sur un t-shirt à imprimés, fit son entrée. Au bout de chaque bras, il tenait entre ses mains un pack de Grimbergen.
_ Comment va la plus belle ? S'enthousiasma son ami en refermant la porte.
_ Tu ne perds rien pour attendre, Greg, s'amusa l'intéressée en lui déposant un baiser sur la joue.
Il lui servit son plus beau sourire, puis déposa les bouteilles sur la table basse. En se laissant tomber sur le confortable canapé, Grégoire laissa échapper un petit rire grave.
_ Si tu apportes un décapsuleur, je serai peut-être prêt à te raconter quelque chose de fou.
_ Si c'est par rapport à Noa, t'es arrivé trop tard, répondit Lily-Rose en ouvrant deux bières.
Grégoire lui fit un sourire entendu. C'était amusant de voir la différence de comportement dont faisaient preuve ses deux amis. Elle avait vu Noa totalement désespérée, et aujourd'hui, Grégoire souhaitait lui annoncer la nouvelle avec une humeur inébranlable.
_ Elle t'a tout raconté alors ? Elle t'a dit quoi ? Dis-moi tout jeune amie !
_ Rien de plus que ce qu'il s'est passé, s'aventura Lily-Rose avec réticence, ne voulant pas briser quoi que ce soit en la confiance dont avait fait preuve Noa envers elle.
Le jeune homme s'appuya contre le dossier du canapé, un sourire satisfait ornant son visage.
_ C'est dingue. Je ne te cache pas que, avant cette soirée, je n'avais jamais vu Noa comme autre chose que... Noa. Mais depuis qu'on s'est embrassé, je ne fais que y penser. Soyons francs, c'est une fille superbe, intelligente, mais je m'étais toujours dit que c'était l'interdit, la fille que je n'aurais jamais. Avec qui ne serait-ce que d'avoir l'idée d'essayer de tenter quelque chose m'était impossible. Et là, je me retrouve chez elle, à picoler, elle me regarde avec ses grands yeux et... Bam. Ma tête qui répond plus, mes hormones masculines qui prennent le dessus. Et c'est qu'en plus de sacrément bien embrasser, elle est carrément bien foutue cette femme, s'extasia Grégoire en posant ses lèvres sur le goulot de sa bière.
Lily-Rose s'amusa de son air béa. S'asseyant plus confortablement sur son siège, elle but une longue gorgée du liquide pétillant.
_ Pourquoi tu ne lui en parles pas ? Demanda-t-elle.
À cette interrogation, son ami perdit de son éclat. Une mine grave prit place en son visage, et il se gratta distraitement la barbe. Le regard fixé sur un point mort, il mit quelques secondes avant de sortir son paquet de cigarette de sa poche.
_ Je peux fumer ?
_ Seulement si tu m'en donnes une, concéda Lily-Rose avec amusement.
_ J'ai été con Lily, avança Grégoire en lui tendant une Marlboro.
Sous son silence, le garçon alluma sa cigarette.
_ Je suis partis, lui sortant une excuse bidon. En réalité, j'ai fuis. Mais sur le coup, je me suis dit « Qu'est-ce que tu fous, mec ? Elle va penser quoi de toi, après ? Et le lendemain ? ». J'avais pas envie d'être le pauvre mec profitant de son amie alors qu'elle est totalement torchée. Mais depuis une semaine maintenant, je n'ai plus aucune nouvelle. Et je ne sais même pas si elle sera présente au Nouvel An. Je ne sais pas si elle m'en veut, si elle me déteste, je suis dans l'ignorance la plus totale, et ça me gonfle.
_ Je pense qu'elle sera là, se contenta de répondre Lily-Rose.
Grégoire haussa les épaules, puis renifla bruyamment. Lily-Rose aurait pu avouer à son ami ce que Noa lui avait confié. Elle aurait pu lui dire qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète. Que Noa le voulait. Que Noa l'attendait.
Cela aurait pu les faire avancer.
Mais, selon elle, moins elle se mêlerait de leur histoire, mieux cela vaudrait. Il fallait qu'ils se construisent eux-mêmes, que leur romance, si cela en devenait une, soit la leur, et pas celle de la jeune femme. Que, si jamais ils fondaient quoi que ce soit, on parle de leur début comme « Noa et Grégoire », pas comme « Noa et Grégoire suite à Lily ». Qu'ils aient leurs propres souvenirs.
Voyant Grégoire ne pas s'avancer davantage sur le sujet, Lily-Rose changea de sujet.
_ Sinon, ton bouquin, il en est où ?
_ Nulle part. Grosse panne d'inspiration. Écrire des petites nouvelles dans une chronique, c'est une chose. Faire tenir la même histoire sur trois cents pages, ça en est une autre. Je galère quoi.
_ Si tu as besoin d'aide, ne serait-ce que de conseils, tu sais où me trouver Greg.
_ Je sais. Et c'est très gentil de ta part. Mais j'aimerais pouvoir y parvenir tout seul. Par contre, je ne serais pas contre une relecture si jamais j'arrive à le terminer un jour, répondit le jeune brun, le sourire aux lèvres.
_ Ton manque de confiance par rapport à ton talent arrivera-t-il à disparaître un jour ? Questionna Lily-Rose, levant les yeux au ciel.
_ Jamais, affirma-t-il.
La grande brune laissa échapper un rire, qui fut vite suivit par son ami. Cela eu comme conséquence de détendre un peu l’atmosphère, légèrement tendue.
L'après-midi suivit son cours, simple et agréable. Les deux amis parlèrent aisément, et la nuit était déjà bien entamée lorsque Grégoire se leva pour partir.
_ On se voit lundi Lily, conclu le jeune homme en claquant un baiser bruyant sur son front.
Lily-Rose opina du chef, puis referma la porte derrière lui.
La visite de Grégoire lui avait fait un bien fou. Le garçon était reposant. Bienveillant. Encore une fois, elle ne put que se rendre compte de la chance qu'elle avait d'avoir lui et Noa dans sa vie. Et, plus le temps passait, plus elle acceptait ce bonheur comme sien.
La jeune femme se fit rapidement réchauffer un repas surgelé, puis s'allongea dans son lit, alternant coup de fourchette et nouvelle page de son livre. Elle n'avait jamais été très télévision, penchant naturellement pour la littérature plutôt que l'écran plasma. La seule chose numérique qu'elle utilisait vraiment régulièrement était son ordinateur, mais c'était davantage comme outil de travail que autre chose.
Elle jeta rapidement ses restes dans la poubelle, puis se glissa dans ses couvertures sans plus de cérémonie.
*
En arrivant devant l'immeuble de Grégoire, Noa serra la main de Lily-Rose.
_ J'ai peur, avoua-t-elle.
_ Ne t'en fais pas Noa. Tout va bien se passer.
Guère rassurée, elle sonna néanmoins à l'interphone. Noa s'était mise sur son trente et un, pour cette soirée. Vêtue d'une petite combinaison dos-nu noire, de son perfecto et d'escarpins, elle avait l'air d'avoir misé le tout pour le tout. Son maquillage était léger mais suffisant, et ses longs cheveux cendrés tombaient en un lissage parfait au creux de ses reins. Lily-Rose était fière d'être à ses côtés, et espérait que la grimace crispée qu'arborait son amie se détendrait au fil de la soirée.
Lily-Rose, quand à elle, portait une robe noire cintrée, voletant librement au dessus de ses genoux. Elle portait ses fameuses bottines à talons noires, ainsi qu'un blaser court et merveilleusement bien taillé. Elle avait remonté ses cheveux en un chignon artistique, et s'était maquillée élégamment d'un peu de noir autour des eux et d'un rouge à lèvres rouge vif.
En gravissant les escaliers menant au deuxième étage, la musique émanant de l'appartement leur parvenait déjà à leurs oreilles. Noa lâcha la main de son amie, prit une inspiration profonde, puis ouvrit la lourde porte laissée déverrouillée en arborant un sourire éclatant.
_ Ton talent d'actrice te perdra un jour, murmura Lily-Rose à son encontre.
_ Lily-Rose, ce que tu vois ici, c'est ma plus belle scène.
L’intéressée s'esclaffa, puis pénétra dans le petit deux pièces de leur ami. La fumée de cigarette parvint instantanément à ses narines. La musique électronique agressa douloureusement ses oreilles. Et elle ne fut pas surprise de voir que l'habitacle était infesté de jeunes déjà à moitié bourrés. Dont elle ne devait en connaître qu'une infime partie.
_ Ça s'annonce bien, avança-t-elle.
_ Ne me lâche surtout pas parmi tout ces étrangers, répondit Noa.
_ Ne t'en fais pas. Allons picoler.
_ Très bonne idée.
Lily-Rose et Noa s'avancèrent vers la petite cuisine américaine, non sans mal, zigzagant entre des corps inconnus. Ce ne fut qu'une fois qu'elles agrippèrent un verre que Grégoire, arborant une chemise blanche et un pantalon de costume noir les rejoignit.
_ Les filles ! Si j'avais su que vous seriez aussi belles, j'aurais bu davantage afin de calmer mes ardeurs, s'amusa-t-il en les enlaçant.
En voyant Noa perdre de son assurance et Grégoire alternant entre la dévorer des yeux et éviter son regard, Lily-Rose décida de s’éclipser.
_ Bon, je vais voir si je connais au moins une ou deux personnes parmi tout ces sauvages moi.
_ Lâcheuse, murmura Noa à son encontre, ce qui arracha un rire de la belle.
Lily-Rose s'éloigna, laissant ainsi l'opportunité à ses deux amis de dialoguer en toute liberté. En réalité, elle était partie à contre cœur. Rester avec eux était simple, et lui permettait d'avoir ne serait-ce qu'un peu de compagnie, dans toute cette mêlée d'étrangers.
Elle se dirigea alors vers le petit balcon, pas si envahi que ça. Sortant une cigarette de son paquet, elle l'alluma, puis inspira une longue bouffée de nicotine. Heureuse de pouvoir s'échapper un peu, elle observa le ciel, alternant tabac et boisson. Tant qu'à connaître personne, autant profiter de ses vices et s'alcooliser le sang.
_ Lily ! Qu'elle surprise ! S'exclama une voix qu'elle ne connaissait hélas que trop bien.
_ Lisa, grinça la jeune femme en se retournant vers la petite rousse.
_ Qu'est-ce qui t'amènes ici ?
_ Grégoire.
Lisa hocha de la tête, comme si cela n'était pas évident. Elle était accompagnée d'une jolie métisse, ne devant pas dépasser le mètre soixante. Les deux avaient une cigarette à la bouche, et Lily-Rose s'imagina plusieurs scènes possibles de meurtre envers Lisa. Ne pas la voir ne l'avait pas manqué. Et, elle devait se l'avouer, elle aurait largement préféré continuer à boire seule sans connaître personne plutôt que de tomber sur la petite rousse.
Pourtant, Lisa ne lui avait jamais rien fait. C'était juste ainsi. Les deux se vouaient une haine malsaine et naturelle.
_ Tu es venue accompagnée ? Ou tu es encore terrée dans ton célibat ?
Deux choix s'offraient à Lily-Rose. Lui verser le contenu de son verre sur sa chevelure flamboyante, ou alors partir du ring.
Lily-Rose n'était pas du genre à perdre. Mais elle n'était pas non plus du genre à se battre contre les personnes qu'elle jugeait comme « faibles ». Elle se contenta alors de contourner son ennemie, sans un mot, puis retourna à l'intérieur de l'appartement suffocant.
Elle aperçu quelques mètres plus loin la tignasse blonde de Noa, et la rejoignit en quelques enjambées.
_ Où est Greg ? Demanda-t-elle.
_ Partis me chercher un nouveau verre. On s'est mis d'accord pour faire comme si de rien était, et de voir par la suite, répondit Noa en buvant rageusement au goulot d'une bière laissée à l'abandon.
_ Ça n'a pas l'air de te ravir.
_ Tu n'imagines pas à quel point j'en suis satisfaite, ironisa son amie.
La soirée commençait bien. Très bien.
*
Au bout d'une heure de danse effrénée, Lily-Rose quitta Noa afin de se servir une nouvelle bière dans le réfrigérateur. La jeune femme mourait de chaud, et saisit la bouteille fraîche avec vénération.
_ Tu m'en sors une s'il te plaît ? Lança une voix inconnue derrière elle.
Elle en sortit une autre, puis se retourna vers l'intéressé. La personne se trouvant face à elle était ce qu'on pouvait qualifier de mignon. Et de banal, également. Le garçon lui souriant était grand mais pas trop, arborait une chemise bleue nuit simple sur un jean et des baskets. Il était blond, ou plutôt châtain clair, à la mâchoire carrée et aux lèvres fines. Il semblait rasé de prêt, et ses yeux bleus renvoyaient un éclat de sympathie chaleureuse. Néanmoins, tout en lui semblait dégager une certaine monotonie. Le genre de mec agréable, vivant d'un travail simple, gagnant bien sa vie mais pas trop, et pour qui le décès ne serait qu'un nom de plus parmi tant d'autres. Malgré tout, Lily-Rose épousseta distraitement sa robe, s'humidifia les lèvres, puis lui tendit l'objet de sa requête avec un sourire en coin.
Une proie facile.
Un peu de séduction ne faisait jamais de mal. La lionne commençait juste à bander ses muscles avant l'attaque.
_ Merci. Au fait, moi c'est Baptiste, lui sourit le garçon en tendant sa main.
_ Lily-Rose. Mais tu peux m'appeler Lily, répondit la jeune femme en la lui empoignant. Grande et ferme.
_ Heureux de te rencontrer, Lily.
On y était. La lionne était sortie de sa cachette, et avait saisis sa proie. Maintenant, elle pouvait jouer.
D'un geste, elle lui proposa de sortir sur le balcon. Il la suivit sans difficulté, et ils s'allumèrent une cigarette simultanément.
Lily-Rose l'observait au travers de ses longs cils. Des gestes sûrs, une posture décontractée légèrement forcée néanmoins. Tout en ses mouvements retranscrivaient le bon type, mais qui ne savait pas trop ce qu'il faisait. Le genre à connaître davantage les relations, et à ne draguer que rarement. Son sourire gêné en témoignait.
Lily-Rose était tout sauf romantique. Mais, le petit quelque chose de fragile qu'inspirait cet homme lui plaisait, l'attirait.
Alors, pour une fois, Lily-Rose se prit au jeu de la séduction simple. De la connaissance. Et non pas de la drague ouverte dont elle avait l'habitude.
Il fallait l'avouer, cette nouvelle sorte de défis la séduisait elle-même.
_ Sinon, jeune Baptiste, comment connais-tu Grégoire ? Engagea-t-elle, afin de démarrer la conversation.
_ Du travail. On bosse dans le même journal. Je suis l'illustrateur, et il écrit ses chroniques. On s'est rencontrés il y a quelques mois lors d'une réunion, et on s'est de suite bien entendus. On s'est revus quelques fois, mais jamais suffisamment pour passer au-delà du stade de « connaissance ». Malgré tout, il m'a pas mal parlé de toi, et de Noa, ta copine blonde. Il vous apprécie beaucoup.
_ Et c'est réciproque, sourit-elle, attendrie et touchée que son ami ai parlé d'elle à un inconnu.
_ Je l'imagine bien. Et toi, que fais-tu dans la vie ?
_ Je suis traductrice. La joie de travailler parmi les bouquins et chez soi, en somme.
Lily-Rose se prêtait bien à son nouveau jeu. Elle l'appréciait. Et s'en amusait. Baptiste n'arrivait pas à soutenir son regard, ce qui la divertissait encore davantage. Avec lui, ce n'était pas comme avec Adam, où elle avait constamment la crainte de perdre le combat. Ici, elle savait qu'il était gagné d'avance. Et cela lui faisait du bien, à la grande aux cheveux de bronze, de se sentir à nouveau forte. De regagner sa place de reine.
C'était avec ce sentiment en tête que, plus tard, en rejoignant ses amis pour le décompte, elle vînt instinctivement vers Baptiste. Qu'elle se contenta d'un baiser au coin des lèvres, et que, plus tard, elle lui donna son numéro de téléphone.
Et qu'elle pensa alors à Adam. Au bel Adam. Qu'elle voulait plus que tout voir en cette soirée. Mais dont elle n'avait pas ses coordonnées en son téléphone.
Il lui fallait oublier.
Elle but alors plus que de raison, continua la soirée avec ses amis, dans l'excès le plus total, tout en mettant sa beuverie sur le compte de la nouvelle année à fêter.
Elle dansa beaucoup avec Baptiste.
Ria à gorge déployée avec Noa.
Enchaîna les shooters en la compagnie de Grégoire.
Tout semblait parfait, à première vue.
Tout aurait pu lui permettre de ne plus penser.
Mais Adam restait là. Constamment.
Et elle se rendit compte que son absence la pesait bien plus que ce qu'elle n'aurait cru."
J'ai vraiment hâte de voir comment va évoluer cette histoire que j'aime de plus en plus (même s'il n'y a pas Adam dans ce chapitre...)
Comment tu as deviné qu'on était homonyme ? ;)
Je l'ai deviné avec ton "Et en plus, le personnage masculin s'appelle Adam alors..." :D
Il revient, ne t'en fais donc pas ;)