Chapitre 5 : Aelia

Par Talharr

Aelia :

Des semaines puis des mois se sont écoulées depuis l'agression.

Et Aelia n’avait toujours aucune réponse à ses questions.

Sa mère n’était jamais réapparue. Parfois, elle se demandait si elle ne l’avait pas simplement rêvée.

Elle avait choisi de n’en rien dire à son père. Pas sans certitude.

Sinon, elle s’en voudrait à jamais d’avoir offert de faux espoirs au comte.

Ilara l’aidait chaque jour dans ses recherches.

Le collier d’Elira restait soigneusement gardé par la bibliothécaire, même si Aelia avait parfois le droit de l’emporter.

Elle s’isolait alors dans les jardins, espérant un signe, un contact.

Mais rien ne venait.

Seule la frustration lui tenait compagnie.

Ilara avait partagé certaines de ses découvertes avec le comte.

Depuis, les dîners étaient devenus silencieux.

Le regard d’Alistair fuyait.

Les réponses se faisaient rares. Les rires aussi.

Comme s’il refusait de regarder l’inévitable en face.

Aelia, à contre-nature, ne le brusqua pas.

Elle sentait qu’il valait mieux attendre.

Pour l’instant, le voyage vers le comté de Baltan l’occupait.

Elle repensait à ce mariage.

Dans quelques mois, elle aurait seize ans, et sa vie basculerait à jamais.

Même si, en vérité, elle avait déjà basculé.

Pour le meilleur ou pour le pire.

Le voyage s’était déroulé sans incident. Aucun mage n’était apparu.

Alistair avait renforcé la garde : plus de deux cents hommes les accompagnaient à travers les vallées rocheuses qui séparaient Vaelan de Baltan.

Ils traversèrent plusieurs villages perchés dans les montagnes, tous façonnés par la pierre.
Et pour qui n’était pas de Cartan, il aurait été difficile de reconnaître les maisons des rochers.

Les habitants se réjouirent de voir un comte faire un détour chez eux.

La troupe s’arrêta dans certains patelins.

Aelia fut souvent abordée par des enfants et des femmes, les yeux écarquillés devant elle.

Qu’avait-elle donc de si spéciale ? Elle se le demandait.

Partout, des festins furent improvisés.

Le partage était sincère, joyeux.

Certains villageois en profitèrent pour demander des faveurs au comte, qui, dans la plupart des cas, les refusa.

« On ne peut donner aux gens ce que nous n’avons pas », avait-il confié à sa fille.

Plusieurs heures après avoir quitté le dernier village, sous les acclamations, une brume épaisse se leva.
À mesure que les pas s’enchaînaient, la brume gagnait en densité.

Aelia ne voyait plus les chevilles de son cheval. Et cela la faisait paniquer.

Pourtant, autour d’elle, nul ne semblait s’en inquiéter.

Lordan et Arlietta chevauchaient à ses côtés, bavardant gaiement.

Depuis leur départ de Lordal, sa servante et son garde ne s’étaient plus quittés.

Cela amusait Aelia, qui lançait parfois un sourire moqueur à son amie.

« Il n’y a rien, Lia. Il est juste gentil. Et… charmant », avait soufflé Arlietta. Les deux filles avaient éclaté de rire.

Cela faisait si longtemps qu’Aelia n’avait pas autant ri.

Mais chaque nuit, dans la tente qu’elle partageait avec Arlietta, l’horreur refaisait surface.

Elle n’arrivait pas à se débarrasser de cette vision.

Malia. C’était Malia qu’elle devait voir

À plusieurs reprises, elle en avait fait la demande.

Chaque fois, la réponse avait été la même.

« Ce ne serait pas bon pour toi, ma chérie », lui répondait son père.

Mais qu’est-ce qui était bon pour elle ?

Elle n’en savait rien. Sa vie ne lui appartenait pas entièrement.

Comme toujours.

Quelque chose remua dans la brume. Aelia sursauta.

      — Lia ? s’inquiéta Arlietta, en se rapprochant.

Elle ne voulait sûrement pas voir la jeune comtesse faire une crise.

     — Il y a quoi là-dessous ? demanda Aelia, en fixant le sol.

     — Oh… quelques araignées… et peut-être des rats géants. Ou des esprits égarés, ajouta-t-il d’un ton faussement grave.

Aelia sentit les poils de ses bras se hérisser. Sans s’en rendre compte, elle se mit à sautiller sur sa monture, qui accéléra l’allure.

     — C’est pas drôle ! fustigea Arlietta en direction de Lordan. Lia, calme-toi, il n’y a rien là-dessous. Et puis tu es sur Galette. Que veux-tu qu’il t’arrive ?

La jument hennit doucement, comme pour lui donner raison.  

Aelia lança un regard noir à son garde.

     — Désolé, mademoiselle. Je ne pensais pas à mal.

Un silence pesa quelques secondes.

Puis Aelia soupira.

     — C’est bon... je te pardonne.

Lordan hocha la tête en guise de remerciement et retrouva son sérieux.

Elle avait besoin de lui.

Depuis le jour où elle lui avait demandé de lui apprendre à se battre, Lordan avait toujours été là. Sous le ciel étoilé, à l’abri des regards.

Ses débuts avaient été laborieux.

Mais, chose rare, Lordan avait mis de côté son sarcasme. Patient, concentré, il corrigeait sans relâche ses postures, remettait en place ses jambes maladroites, la guidait sans jamais la brusquer.

Les exercices avaient duré plus d’un mois.

Puis étaient venus les duels.

Lordan les avait tous remportés, un sourire fier au coin des lèvres. Mais cela n’avait pas découragé Aelia. Pas une seule fois, elle n’avait manqué un entraînement.

C’était bien plus excitant que les leçons de Maître Saltar.

Et la peur de se faire surprendre ne faisait qu’ajouter au frisson.

Le claquement des épées en bois résonnait dans les jardins, mais personne n’était jamais descendu.

Lordan lui avait assuré qu’il s’occupait de tout.

Pour une fois elle avait fait un choix. Et elle ne voulait pas que ça s’arrête.

Mais depuis leur départ pour Baltan, l’entraînement était devenu impossible.

Si son père la voyait manier une arme…

Pourtant, elle le sentait : bientôt, elle en aurait besoin.

Et cette pensée lui faisait peur.

Comment une fille de seize ans aurait-elle envie de penser à tuer un autre être humain ?

Alors qu’elle se perdait dans ses pensées une chatouille froide la réveilla. La brume atteignit les pieds d’Aelia.

Epaisse, presque vivante. Comme si elle allait s’élever d’un coup pour l’engloutir et la faire disparaître.

      — On est proches, avertit Alistair.

Enfin, souffla-t-elle intérieurement.

Peut-être que sa robe rouge survivrait à ce voile glacé.

Autour d’elle, le silence devint total.

Plus aucun murmure. Plus aucun bruit de sabots dans l’épaisse fumée grise.

Le paysage s’était réduit à quelques arbres épars et d’immenses roches, noires et silencieuses.

S’il y avait des fleurs, elles restaient invisibles dans cette grisaille.

Aelia jeta un regard à Arlietta et Lordan.

Leurs visages avaient perdu leur assurance.

Eux non plus ne semblaient plus si sûrs qu’il n’y avait rien à craindre.

Dans cette atmosphère insoutenable, ils poursuivirent, sans ralentir.

Le temps semblait suspendu, figé.

Et soudain, la brume, jusque-là tapie au sol, s’éleva.

Épaisse. Opaque.

      — La barrière, souffla un homme dans la troupe.

Derrière ce mur de fumée, plus rien n’était visible. Aelia leva les yeux. Le ciel avait disparu.
Elle se retourna : derrière eux, il était toujours là.

Jamais je ne reviendrais ici, se promit-elle.

      — Comté de Vaelan ! Laissez-nous passer ! lança Alistair, sa voix résonnant dans le brouillard.

Rien.

Un silence épais comme la brume.

Aelia s’apprêtait à interroger son père quand un son de corne, grave et lointain, la fit sursauter.

La brume devant eux commença à se disperser. Lentement.

Sous ses yeux agrandis, un passage s’ouvrait.

      — En avant, commanda Alistair.

La troupe de Vaelan s’engagea dans le passage ouvert.

Ils franchirent une arche de fumée, comme un seuil entre deux mondes. Seul le sol était dégagé, le reste restait noyé sous le voile blanchâtre.

Peu à peu, le bruit régulier des sabots résonna de nouveau, brisant le silence irréel. Un soupçon de vie revenait dans ce lieu figé.

À sa surprise, Aelia trouva l’air plus doux qu’elle ne l’avait imaginé, presque agréable, loin de l’oppression qu’elle redoutait.

Ce comté est vraiment étrange.

Le silence pesait encore sur le groupe. De temps à autre, quelques murmures filtraient.

Arlietta donna un coup de coude à Lordan, sans que la jeune comtesse n’en comprenne la raison.

Le chemin, toujours encadré de brume, montait en pente douce. Les chevaux ralentissaient, leurs flancs luisant d’effort.

Aelia caressa tendrement Galette, murmurant quelques mots pour l’encourager.

Ils tinrent bon jusqu’à ce qu’enfin, la montée s’achève.

Derrière eux, la brume s’était refermée, les coupant du monde qu’ils venaient de quitter.

Face à eux s’élevait une muraille noire, haute et massive, dont les portes étaient grandes ouvertes.

Sur les créneaux flottaient les drapeaux de Baltan : une montagne cernée de brume, dominant un marécage.

Les couleurs de Baltan. Nébélis.

Les livres n’avaient pas menti. Mais même les plus beaux récits ne pouvaient rendre justice à la réalité.

Aelia observa longuement. Cette brume protégeait mieux que n’importe quelle muraille. Même les solides fortifications de pierre noire de Vaelan paraissaient simples en comparaison.

Ici, une armée se perdrait. Privés de repères, les hommes finiraient par sombrer dans la peur et la folie.

Alistair donna le signal d’avancer. La troupe franchit les portes, et aussitôt, des exclamations de surprise parcoururent les rangs.

Devant eux, des dizaines de gardes, alignés en rangs parfaits, les observaient en silence, comme des statues de chair et d’acier.

Mais ce fut ce qu’il y avait derrière eux qui coupa le souffle d’Aelia.

Elle n’avait connu que la capitale de Vaelan et ses villages. Jamais elle n’avait vu une cité comme celle-ci.

Des terrasses d’habitations s’étendaient sur de larges blocs de pierre accrochés à flanc de montagne. Certaines s’élevaient bien au-dessus d’eux, d’autres plongeaient plus bas, perdues dans la brume.

Chaque plateforme était reliée aux autres par des ponts et des escaliers sinueux, formant un labyrinthe suspendu.

Ici et là, des touches de verdure, des jardins suspendus, égayaient la pierre sombre.

Tout en haut, dominant la cité, un large socle circulaire surmontait l’ensemble. C’était là, sans doute, que se trouvait la demeure du comte de Baltan.

Le tout était ceinturé par d’immenses murailles, étage après étage, comme si la montagne elle-même protégeait ses secrets.

Et partout, cette brume, dense et impénétrable, qui noyait l’horizon, ne laissant visibles que les drapeaux flottants de Baltan.

Un homme vêtu de noir les attendait au bout de l’allée.

     — Vos guerriers peuvent conduire les chevaux aux écuries. Nos palefreniers s’en occuperont. Mes hommes les guideront ensuite vers les auberges, déclara-t-il d’une voix assurée.

Alistair fit un signe bref, et ses hommes obéirent sans discuter.

Bientôt, il ne resta plus que lui, le bourru Pristan, Aelia, Arlietta et Lordan.

Deux fidèles guerriers suffiraient à assurer leur protection.

     — Je vous prie de me suivre. Le comte de Baltan vous attend.

Ils entamèrent l’ascension des gigantesques escaliers taillés dans la roche.

Comment ces pierres tiennent-elles ? songea Aelia, intriguée.

La réponse ne tarda pas : des piliers massifs, faits du même matériau sombre que le reste de la forteresse, soutenaient solidement les plateformes suspendues.

Aelia ralentit un instant, fascinée par le paysage vertigineux qui s’offrait à elle.

     — Lia ? murmura Arlietta, qui s’était arrêtée à ses côtés. Lordan n’était pas loin non plus.

     — C’est incroyable, souffla Aelia en clignant des yeux, comme pour graver ces images dans sa mémoire.

     — Je commence à avoir le vertige, plaisanta Arlietta en posant une main sur son front, mimant un évanouissement.

     — Vous avez besoin d’eau ? s’inquiéta Lordan, prêt à lui venir en aide.

Arlietta lança un clin d’œil complice à Aelia, qui leva les yeux au ciel en souriant.

Elle nota que Lordan, bien qu’ayant perçu la comédie, resta près d’elle, vigilant.

      — Nous ferions mieux de ne pas trop nous éloigner des autres, rappela-t-il doucement.

Aelia acquiesça et ils rejoignirent rapidement le groupe.

La montée se poursuivit, rythmée par les explications du guide qui détaillait l’organisation de la cité.

Chaque parterre accueillait ses artisans : là, des forgerons, plus loin, des marchands.
Ils traversèrent le quartier des tailleurs de pierre, l’un des plus essentiels à la survie de Nébélis. Sans eux, la cité aurait depuis longtemps succombé à son propre poids.

Soudain, une petite tour triangulaire surgit, solitaire, perchée sur une passerelle déserte, comme oubliée du reste de la cité.
Alors que le guide parlait des récoltes de fruits et que Lordan égayait la montée de ses plaisanteries, Aelia, saisie par la curiosité, les interrompit.

     — Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en désignant la tour du doigt.

Alistair tourna brusquement la tête vers sa fille, son regard fulminant.

     — Je vous prie de m’excuser. Ma fille a encore beaucoup à apprendre, dit-il d’un ton sec.

     — Ce n’est rien, sourit leur guide. Au contraire, je suis ravi de voir mademoiselle s’intéresser à notre cité.

Avant qu’Aelia ne trouve le temps de s’excuser, elle le reconnut.

C’était lui. Le seigneur Aeldred.

Celui qui avait apporté la lettre du mariage.

Ses cheveux noirs étaient noués à l’arrière par une épingle en forme de montagne, et sa barbe soigneusement tressée d’une façon inhabituelle.

À présent, il la regardait de ses yeux bruns, calmes mais perçants, comme s’il la jaugeait.

Aelia sentit son assurance, déjà si fragile, vaciller.

Elle n’avait pas agi en comtesse lors de leur première rencontre, ni à leur arrivée dans Nébélis.

Les leçons de Maître Saltar lui revinrent en mémoire, et elle regretta de ne pas les avoir mieux écoutées.

Elle inspira discrètement, et tenta de se reprendre.

      — Seigneur, pourriez-vous m’expliquer ce qu’est cette tour ? demanda-t-elle en s’inclinant. Son pied glissa, et elle manqua de trébucher.

Alistair l’observa, interdit, ne sachant s’il devait la gronder ou l’encourager.

Le seigneur Aeldred, lui, éclata d’un rire franc, sans malice.

      — J’allais justement vous l’expliquer, jeune comtesse.

La honte la submergea d’un coup.

Ses joues, en cet instant, devaient être la zone la plus colorée de toute la cité.

Il faudra vraiment que j’écoute mes leçons…

     — C’est le Cercle de Baltan, dit Aeldred, un éclat de fierté dans la voix. Notre plus grand trésor.

     — Ceux qui ont le pouvoir de la brume…, murmura Aelia, les yeux agrandis.

Elle en était certaine : ses réponses l’attendaient dans cette tour.

Je demanderai à Sairen de m’y emmener.

Une main lui saisit le bras. La faisant sursauter.

     — Tu as fait fort, chuchota Arlietta, un large sourire aux lèvres.

     — Ça s’est vu à ce point ? souffla Aelia.

     — Même au cœur de la brume, on l’aurait remarqué.

Aelia leva les yeux au ciel.

Elle n’avait jamais aimé, et ne penserait jamais aimer, ces courbettes ridicules.

     — Ne fais surtout pas ça devant Sairen et son père, la prévint Arlietta.

     — Je trouve que ça a son charme, intervint Lordan d’un ton moqueur.

Un coup de coude bien placé d’Arlietta lui coupa le souffle.

      — Eh ! Ça fait mal ! protesta-t-il en toussotant.

      — Tu l’as mérité.

Aelia sourit malgré elle. Depuis qu’elle connaissait ces deux-là, elle savait qu’ils formaient une paire improbable.

Même esprit, même humour.

Le moment de légèreté passé, ils reprirent leur marche.

Aelia, pourtant, gardait les yeux rivés sur la tour.

Ça la démangeait. Dès qu’elle le pourrait, elle irait.

Mais pour l’heure, mieux valait se tenir droite. L’image de Vaelan était en jeu.

Le guide leur donna encore quelques indications sur les bâtisses de pierre qu’ils dépassaient. Puis ils arrivèrent à la dernière marche.

Devant eux, un immense château, dont une partie semblait s’être enfoncée dans la montagne elle-même.
Deux petites tours encadraient l’entrée principale, veillant silencieusement.

Les gens de Vaelan s’arrêtèrent, bouche bée.

Ils traversèrent une allée bordée de fleurs, un contraste inattendu après tant de roche et de brume.

Aelia sentit un parfum léger lui chatouiller les narines. Serait-ce comme à Vaelan ? Elle en doutait. Mais ces senteurs fraîches, presque joyeuses, apportaient un peu de vie à ce décor austère. 

Des saxifrages aux couleurs variées formaient de petites touffes entre les pierres, mêlées à des edelweiss et quelques campanules bleu pâle, disséminées çà et là.

De chaque côté de l’allée, des gardes en armure noire, immobiles, observaient sans un mot.

Lorsqu’ils atteignirent le bout du chemin, il y eu un moment de silence.

Puis, dans un raclement sourd, les grandes portes du château s’ouvrirent lentement.

Sur le seuil apparut le comte Selvhar, accompagné d’une femme — probablement son épouse — et de deux enfants.

À leurs côtés, droit et silencieux, se tenait Sairen.

Aelia chercha immédiatement son regard.

Mais le garçon gardait ses yeux fixés sur Alistair, le visage impassible.

Le comte fit quelques pas pour descendre les marches.

Il s’avança, un sourire formel aux lèvres.

    — Bienvenue à Nébélis, Alistair Vaelmont, comte de Vaelan, déclara-t-il d’une voix claire.

Il tendit les bras et étreignit brièvement son pair dans une accolade cérémonielle.

Ses yeux glissèrent un instant vers Aelia. Ce bref regard suffit à lui glacer l’échine.

    — Nous avons à discuter, comte Selvhar. Les temps sont en train de changer, déclara Alistair, la voix grave.

Ces mots résonnèrent étrangement dans l’esprit d’Aelia. Comme s’ils parlaient d’elle, sans la nommer.

     — J’ai reçu votre message. Entrons. Je suppose que cette longue marche vous a ouvert l’appétit, répondit Selvhar avec un sourire mesuré.

À la simple évocation de la nourriture, Aelia sentit son estomac gronder. Ses inquiétudes cédèrent la place à un besoin plus terre à terre.

Ils pénétrèrent dans une vaste salle, qu’ils traversèrent d’un pas mesuré.

Aelia promena son regard autour d’elle : des portraits de famille, des paysages de Nébélis et de ses montagnes escarpées couvraient les murs sombres. Quelques meubles de bois épais meublaient les angles, sobres et massifs.

Sous ses pieds, un tapis vert atténuait la froideur des dalles de pierre.

Au fond, deux escaliers s’ouvraient, chacun menant dans une direction opposée.

Sans hésiter, le comte prit le chemin de droite.

Alors qu’ils s’engageaient à sa suite, Aelia leva instinctivement la tête.

Un frisson lui parcourut l’échine.

Un immense serpent sculpté longeait le plafond, ondulant jusqu’à un loup figé dans un combat éternel.

Qu’est-ce que ça pouvait signifier ?

Il lui fallait parler à Sairen, et vite.

Sa mère n’était toujours pas réapparue, mais elle ne pouvait plus attendre : les réponses qu’elle cherchait, pour elle comme pour Arnitan, se trouvaient peut-être ici.

Ils traversèrent d’autres couloirs, où seuls quelques tapis colorés et quelques tableaux brisaient la froideur des murs.

Finalement, on les invita à pénétrer dans une vaste salle à manger.

Une longue table y trônait, déjà couverte de mets fumants. Les odeurs de viande et de légumes lui donnèrent l’irrésistible envie de se jeter dessus.

Heureusement elle n’en fit rien. Qu’en aurait pensé Saltar.

Elle s’installa entre Lordan et Arlietta, remerciant d’un sourire poli leurs hôtes.

Elle attendit le signal de Selvhar pour commencer à manger, retenant avec peine son impatience.

Face à elle, Sairen était là, distant, presque figé.

Elle tenta de croiser son regard.

Me fuit-il ?

Durant tout le repas, elle observa son père et Selvhar converser à voix basse, tandis qu’elle, de son côté, cherchait désespérément à capter l’attention de son futur époux.

Quand le repas prit fin, des domestiques entrèrent, prêts à conduire chacun vers ses appartements.

C’est alors que l’espoir jaillit.

     — Je vais accompagner mademoiselle Aelia jusqu’à sa chambre, déclara soudain Sairen, sans même lui adresser un regard.

     — Très bien, mon fils. Je t’en donne le droit, acquiesça Selvhar.

Sairen hocha la tête, puis fit un geste discret à Aelia.

     — Je viens avec vous, s’invita Lordan, déjà sur ses gardes.

Mais Aelia l’arrêta d’une voix ferme, plus assurée qu’elle ne s’y attendait elle-même

     — Non. Je ne pense pas que quoi que ce soit de dangereux m’attende dans ces couloirs. Je vous retrouverai plus tard.

Lordan pinça les lèvres, mais s’inclina.

     — D’accord, mademoiselle.

Sans un mot de plus, elle tourna les talons.

Mais à peine avait-elle fait quelques pas que les remords la piquèrent. Elle allait se retourner pour s’excuser quand une main, douce et ferme à la fois, se glissa dans la sienne et l’entraîna à travers les couloirs silencieux.

Ses cheveux noirs avaient poussé, juste un peu, depuis leur dernière et unique rencontre.

    — Votre chambre est à quelques pas de la mienne, dit-il d’une voix neutre.

    — On ne se tutoie plus ? demanda-t-elle doucement.

    — Je…

Sa voix trembla. Aelia ne comprenait pas ce qu’il se passait.

Elle voulut alléger l’atmosphère.

    — Ce n’est rien. Nous pouvons toujours nous vouvoyer, comme nos parents, dit-elle avec un sourire maladroit.

    — Non. Ce n’est pas ça…

    — Alors quoi ? souffla-t-elle, plus inquiète qu’elle ne voulait le montrer. J’ai besoin de toi, Sairen. Il faut que j’entre dans la tour du Cercle de Baltan. Nos réponses, notre liberté… elles sont sûrement là-bas.

Un rire bref, presque moqueur, échappa à Sairen.

Aelia fronça les sourcils, blessée.

Ils marchèrent encore quelques instants en silence, avant que Sairen ne pousse la porte d’une chambre splendide.

Un grand lustre illuminait la pièce de mille éclats. Le lit immense semblait l’appeler à se reposer, mais l’heure n’était pas au repos.

    — Je ne peux pas fuir, murmura Sairen. Notre mariage est acté. Nous n’y échapperons pas…

    — Bien sûr que si, répliqua-t-elle avec un sourire confiant. Aide-moi, et je te montrerai comment.

Mais le garçon fuyait toujours son regard.

    — Qu’y a-t-il, Sairen ? Je vois bien que quelque chose te tracasse. Parle-moi.

Il leva enfin les yeux vers elle. Ils étaient emplis d’une sorte de pitié.

    — Pourquoi ce regard, Sairen ? Tu me fais peur...

    — Ils savent… Ils savent qui tu es…

    — Quoi ?!

Une angoisse glaciale la saisit. Et si tout cela n’était qu’un piège ?

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Scribilix
Posté le 05/08/2025
Re,
J'ai beaucoup aimé la description de Nébélis, les détails sont choyés et le rendu est top. Juste, qui est le seigneur Aeldred ? Je ne me souviens pas de lui car le seigneur de Baltan est Selvhar il me semble.
Aussi, bien vu pour les cliffhanger à la fin, on veut savoir ce que Sairen a vu ^^

Quelques remarques de style :
- Les semaines, puis les mois avaient passé depuis l’agression ( j'aurais plutot dit des semaines puis des mois se sont écoulées depuis l'agression)
- Aelia y fut souvent abordée par des enfants et des femmes, les yeux écarquillés devant elle. ( sans le y )
- Pour une fois, elle avait choisi. Et elle ne voulait pas que ça s’arrête. ( peut-etre plus, pour une fois elle avait fait un choix).
- Comment une fille de quinze ans aurait envie de penser à tuer un autre être humain ? ( aurait-elle)
- Lorsqu’ils atteignirent le bout du chemin, un instant de silence suspendit le temps. ( peut-etre un peu too much, j'aurais simplement dit il y eu un moment de silence).
Talharr
Posté le 05/08/2025
Nébélis j'avais dans la tête sa description un moment et quand je l'ai mise à l'écrit j'ai eu peur qu'on s'y perde donc que tu me dises que ça fonctionne, très content aha
Alors pour Aeldred, faut se rappeler du tout 1er chapitre d'Aelia dans le T1. Y avait un monsieur de Baltan qui était venu donnait la lettre pour le mariage avec Sairen. C'était lui. Mais je sais pas si en dessous d'un comte il peut y avoir un seigneur, faut peut-être que je modifie ça. Parce que Selvhar est le comte de Baltan en effet.

Aha oui là aussi ça va s'accélérer . En espérant que ce soit pas trop rapide :)

Merci pour les remarques je modifie ça :)
Talharr
Posté le 05/08/2025
J'ai fait les modifs et j'ai vu que je mettais trompé sur son âge, elle a 16 ans pas 15.
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