CHAPITRE 5 - croque-cirqueules

CHAPITRE 5
- croque-cirqueules -

Marco courut dans la rue, puis, arrivé à la plage, courut sur le sable, droit vers son trou. Il le retrouva facilement, bien qu’il ait été un peu recouvert depuis.

Mais alors qu’il allait y plonger, il se retint et fit plutôt mine de chercher des coquillages alentours. Il fallait rester discret, furtif, ne pas éveiller les soupçons. 

Il jettait des coups d’oeil discrets autour de lui pour tâter le terrain. La plage était presque vide à cette heure. Les ombres se refroidissaient tandis que le ciel et les nuages prenaient des couleurs de plus en plus rosées. Il était un peu tard pour vouloir encore  bronzer, un peu tôt pour venir faire une balade romantique. Un groupe d’enfants profitaient de l’espace ainsi libéré pour jouer au foot. Au loin, un couple promenait son chien. Un courageux nageur faisaient ses dernières longueurs.

Alors Marco se décida. L’air de rien, il se mit à recreuser tranquillement dans son premier trou, en chantonnant pour paraître le plus nonchalant possible. Il faisait encore bon, mais un petit vent s’était définitivement levé sur le lac, jouant dans ses cheveux et rafraîchissant sa peau.

Il n’eût pas à creuser seul longtemps. Des cris au loin, des bruits de course et, sorti de nulle part, déboula à ses côtés en une volée de sable le chien qu’il avait vu promené plus tôt, yeux pétillants et babines relevées, langue pendante de bonheur. Après lui courraient ses maîtres en l’appelant de tout leurs poumons. Le chien, grand, gris, poilu comme tout, avait été pris d’une soudaine envie de participer à la fouille de Marco et s’était mis, lui aussi, à déblayer de ses griffes le fond du trou. Oscar, tel que l’appelaient ses maîtres en tonnant, grattait comme un fou, Marco riait comme jamais. Le duo était heureux, mais leur fouissage commun s’arrêta lorsqu’un ballon perdu vint rouler vers eux et stopper sa course dans leur puits de sable. 

Une sphère blanche, bien ronde, dans leur trou granuleux. Marco et le chien échangèrent un regard perplexe. Les enfants à l’origine du tir perdu commencèrent à appeler et s’approcher pour venir récupérer leur balle. Bon, décidément, raté pour la discrétion se dit Marco. Alors avant que les gamins ne le rejoignent, il prit le ballon et le jetta de toutes ses forces pour le renvoyer à ses propriétaires. Un trait gris jaillit depuis son dos pour courir après. Le chien avait trouvé une nouvelle activité encore plus attirante et ses maîtres s’époumonèrent de plus belle. 

La collaboration avec Oscar se terminerait donc là. Dommage, le cabot était un sacré creuseur.

En quelques coups de pattes seulement, il avait bien élargi la fosse. Marco regarda de nouveau autour de lui. Le nageur avait disparu, enfants et promeneurs courraient désespérément après le plus heureux chien du monde ; c’était maintenant ou jamais.

Il s’accroupit et déposa sur le sable humide, au fond de la cache, une petite boîte. Le récipient, un écrin à bijou, n’était pas à lui. Il l’avait pris, vide, dans la trousse de toilette de sa mère, espérant qu’elle ne se rendrait compte de rien. Le contenu de la boîte était un secret, un trésor trouvé sur la plage et qui retournai ainsi à la plage, mais cette fois bien caché, de telle sorte que lui seul puisse le retrouver.

Marco reboucha le trou. Il sauta sur le sable pour le tasser, déplaça les petits monticules alentour pour rendre au paysage son naturel, effaça ses traces pour dissimuler son acte. 

Puis il se redressa et regarda autour de lui. Il y avait un rocher un peu plus loin qui dépassait du sol. Son gris était ciselé de rouge et de petits coquillages blancs s’étaient accrochés à son flanc il y a de cela fort longtemps. Marco marcha jusqu’à lui tranquillement, en comptant le nombre de ses pas. Treize. Treize pas pour aller du rocher à sa cachette, il allait falloir s’en souvenir ; pour toujours, se dit Marco. 

Il monta sur le rocher et regarda l’horizon. Le soleil commençait à descendre pour de bon, mais il était encore bien loin de toucher l’eau. Oscar avait rejoint ses maîtres, les enfants tapaient dans leurs derniers ballons. Au milieu du lac, l’île de la Tortue était toujours là, sereine, les feuilles de ses arbres doucement animées par la brise.

Marco avait encore un peu de temps devant lui. Il ne voulait pas rejoindre ses parents. Peut-être pourrait-il se promener sur la plage à la recherche de nouvelles écailles, se dit-il. Mais alors qu’il allait descendre de son rocher, ses yeux se posèrent sur une forme étrange, tracée dans le sable. Il s’approcha. Au sol devant lui se dessinait un large cercle, assez grand pour qu’un adulte puisse s’accroupir en son centre sans en toucher les bords. Sa marque était étrange, elle n’avait pas pu être créée par le bout d’un baton, non, elle était faite de nombreuses aspérités, pointillés et fines arabesques. Et il n’y avait pas de traces de pas à son abord. Marco leva la tête pour chercher du regard celui ou celle qui aurait pu l’avoir dessiné, mais il n’y avait plus personne d’autre sur la plage que le groupe d’enfants qui commençaient à ranger leurs affaires pour s’en aller.

Marco laissa ses yeux suivre le dessin, se perdre dans ses tracés. C’était beau, précis et envoûtant. Mais pas seulement. Il se sentit happé par le motif, comme appelé. Il y avait là quelque chose qui dépassait la simple décoration. Il y avait là de la grâce mais aussi un signal, comme un message envoyé à celui qui regardait. 

Puis d’un coup, Marco retrouva ses esprits. Il regarda autour de lui, se demandant d’abord combien de temps il était resté debout ainsi. Puis son attention fut attirée par autre chose ; une forme similaire, un peu plus loin, sur sa droite. Il alla voir et trouva un autre cercle, bien plus grand cette fois, toujours aussi étrangement posé là. Puis il en vit encore un autre à quelques mètres et alla le rejoindre. Ce dernier le mena à un autre, puis un autre encore.

Et c’est ainsi qu’il trouva, près des grands rochers, là où la plage redevient colline, tout un regroupement et enchevêtrements de ronds et d’orbes dessinées. C’était magnifique.

— Toi aussi tu les as vus ? l’interpella une voix derrière lui.
Marco sursauta et se retourna.
Dans son dos se tenait Lili, debout à observer elle aussi le phénomène.
— Je me demande ce que c’est, tu sais toi ? demanda-t-elle.
Marco réfléchit.

— Je crois que ce sont des croques-cirqueules.