CHAPITRE 6 - je vais te dire un secret

CHAPITRE 6
- je vais te dire un secret -

— Des quoi ?
— Des croques-cirqueules.
— C’est quoi ? demanda Lili qui s’était approchée et se tenait maintenant aux côtés de Marco.
— C’est des traces laissées par des extraterrestres. C’est connu, ils viennent et laissent des grands cercles dessinés, souvent dans des champs parce que ça se voit bien dans le blé.
— Pourquoi ils laisseraient des traces ?
— Certains disent que c’est leur vaisseau qui les font en attérissant ou décollant, mais j’y crois pas. Moi je dis c’est pour communiquer. Je pense qu’ils veulent nous dire quelque chose.
Lili se tourna vers lui, l'observant de nouveau de ce regard qui gênait un peu Marco car il ne savait pas bien comment le comprendre. Elle resta silencieuse un moment, puis : 
— Et ce serait pour nous dire quoi ?
— Ben… je sais pas, je lis pas l’extraterrestre.
— Hmm, dommage.
Elle se tourna de nouveau vers les cercles, pensive. Était-ce une lueur d’inquiétude que Marco avait cru percevoir dans son regard ?
— Mais, mais ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas y réfléchir ! reprit-il pour relancer la conversation. Peut-être… peut-être qu’ils disent simplement bonjour ? On pourrait faire un cercle aussi pour leur répondre, tu en dis quoi ?
— Non, je ne crois pas qu’il faille répondre, dit Lili. Je ne pense pas qu’ils nous disent bonjour.
Marco fut surpris d’une telle assurance.
— Ah bon ? Et ils disent quoi alors ?
— Je pense qu’il s’agit de nous prévenir ; de nous prévenir que quelque chose va arriver.
Oui, se dit Marco. C’est ce qu’il avait ressentit aussi en se plongeant dans son premier cercle. Quelque chose va arriver.
— Il va arriver quoi tu crois ? demanda-t-il.
— Je sais pas.

Le visage de Lili s’était contracté ; cette fois, la contrariété y était évidente.

— Qu’est ce que des extraterrestres pourraient bien vouloir nous dire ? tenta Marco. La fin du monde ? La guerre ? Une météorite ? Une météorite ! 
Marco se tourna vers Lili, fier de son idée. Une météorite allait-elle tomber sur le lac de la Tortue ?
Mais son enthousiasme ne fut pas contagieux.
— Je crois pas que ce soient des extraterrestres, dit Lili.
— Ah ? C’est quoi alors ?
— Je crois que c’est la Tortue.
— La tortue ? Quelle tortue ?
— La Tortue, celle du lac.

Marco resta sceptique.
Il était un peu déçu de la direction que prenait la conversation. Cela faisait des années qu’il se demandait pourquoi le lac et l’île s’appelaient le lac et l’île de la Tortue et il savait que ce jeu était une impasse. Mais Lili était nouvelle, se rappela-t-il. Il était logique qu’elle essaye encore.

— J’ai jamais vu de tortue ici, dit-il finalement, je crois pas qu’y en ait.
Mais Lili lui sourit.
— Cherche mieux, dit-elle, moi je crois qu’il y en a bien une. 
— J’ai déjà cherché partout et demandé à tout le monde. Même Bassim il sait pas.
— Il sait pas ou il ne répond pas ?
Elle marquait un point.
— Ben alors elle est où ? s’impatienta Marco.
— Le meilleure façon de se cacher, c’est encore de se mettre sous notre nez, dit-elle.

Marco fut piqué dans sa fierté et une grimace se dessina malgrè lui sur son visage. Mais il devait admettre qu’il était aussi très intrigué. Alors il regarda autour de lui. Les rochers ? Il les parcouru des yeux, mais ne vit rien de plus que de gros cailloux gris échoués là depuis la nuit des temps. Il se retourna vers la plage mais seul le sable et les cailloux répondirent à son regard. Il se braqua vers les bungalows, bicoques de bois dispersées en arc de cercle autour de la plage ; pas de tortue, ni de près ni de loin.

Il regarda l’eau, il regarda les nuages ; il regarda les collines, il regarda l’île, posée au milieu de tout cela.

Et Lili lui sourit.

L'île ? L’île de la Tortue ?

— J’y suis déjà allé plein de fois, j’y ai jamais vu de tortue, répondit Marco aux yeux pétillants de Lili.
Mais le sourire s’élargit encore plus. Alors il regarda de nouveau. Des arbres, perchés sur un grand rocher arrondi par le temps et les pluies. 
— Je comprends pas, elle est où ta tortue ? demanda Marco.
Lili mit finalement fin au suspens.
— Je vais te dire un secret.
Marco écoutait, Lili reprit.
— C’est pas “l’île de la Tortue” le vrai nom, c’est “l’île Tortue”. 
— L’île Tortue ?
— Oui, l’île Tortue. Parce que toute l’île c’est la tortue. Une tortue géante qui est là depuis tellement longtemps que c’est presque depuis toujours. Tellement longtemps que des arbres ont poussé sur son dos.

Marco se tourna de nouveau vers l’île, et il trouva l’idée magnifique.

Il s’avança vers le bord du lac et vint s’asseoir sur un rocher, l’imagination portée vers cette Tortue géante dont le dos dépasserait de l’onde et sur lequel des arbres auraient poussé. Lili vint le rejoindre et s’assit à côté de lui.

L’île était en léger contre-jour et se reflétait dans l’eau frémissante du lac. Au soleil couchant, les plus hautes feuilles de ses arbres brillaient de paillettes dorées, formant un arc de cercle enflammé. Marco pouvait-il vraiment croire en l’histoire de Lili ?

— Elle est belle hein ?
— Oui, répondit Marco.
Puis après un silence : 
— Et donc c’est elle qui écrit sur le sable ?
— Je ne sais pas, dit Lili. Je crois. Je crois que quelque chose ne va pas. Le vent se lève et des signes apparaissent.
— Peut-être que c’est une bonne nouvelle ? tenta Marco.

Mais lui-même n’y croyait pas. Il avait ressenti l’urgence et l’inquiétude lui aussi, lorsqu'il avait été happé par les cercles.
Lili ne répondit pas, inutile.
Puis,

— Tu me crois ? demanda-t-elle. Que l’île est une tortue et qu’elle a besoin de notre aide ?

Après réflexion, Marco se décida.
— Ce serait bien, dit-il.

Lili le regarda et lui sourit, de son étrange regard et de son étrange sourire que Marco ne comprenait toujours pas, mais qu’il commençait à apprécier.