- Une lune a passé depuis qu’un humain vous a choisi, annonça Zaroth. Vous avez suivi des cours. Vous vous êtes entraînés. Voici venue l’heure du premier vol. Normalement, à ce stade, votre lien est assez fort pour que vous puissiez appeler votre cavalier. Faites-le venir.
Farhynia appela sa fourmi malgré la boule qui se formait dans son estomac. Le premier vol ? Maintenant ? Elle faisait systématiquement tomber son mannequin. Elle sentit ses pattes trembler et ne put empêcher sa queue de frapper convulsivement le sol. Maigre consolation : elle était loin d’être la seule dans son cas.
Sa fourmi arriva, sautillante. Elle avait l’air joyeuse d’être appelée. Si elle savait…
Tous les dragons se tournèrent vers Farhynia, les yeux écarquillés. Zaroth lui lança un regard… fier ? Farhynia observa le terrain d’entraînement et comprit : sa fourmi était la seule cavalière présente. Les autres galéraient-ils à faire venir leur humain ? Pour la première fois, Farhynia réussissait une épreuve en première position et quelle réussite ! Aucun autre humain n’apparaissait. Elle venait de les écraser à plat de couture.
Sa fourmi s’arrêta devant elle. Sa main caressa son museau, que Farhynia pressa contre son front. Puis, la fourmi se recula et Farhynia comprit sa question. Pour réponse, elle descendit son cou pour mettre ses épaules proches du sol puis se redressa et battit un peu des ailes, pour de semblant.
La fourmi se décomposa. De rose, son teint devint blafard. Elle se recula en tremblant, mettant les mains devant elle en signe de refus. Farhynia estima que la fourmi avait bien compris ce qu’on attendait d’elle mais elle ressentait, au fond d’elle, la profonde terreur de sa cavalière.
Cavalière ? Pas si elle ne montait pas sur son dos. Farhynia attendit, espérant que la fourmi se calmerait mais alors que les autres cavaliers se présentaient, un à un, sa future cavalière devenait plus blanche et tremblante.
Enfin, le cavalier du dragon blanc à pointes noires arriva. En dernier. Sa cible amoureuse contrôlait aussi mal le lien qu’elle maîtrisait son souffle, et c’était peu dire. Le dragonnier sur le dos de Zaroth bougea les lèvres. Tous les humains écoutèrent avec attention. Ils commencèrent à remuer, sauf la fourmi de Farhynia qui resta immobile, tendue, crispée.
- Ils vont monter, annonça Zaroth. Nous nous rendrons ensuite sur le rocher aux lynx.
L’endroit n’était pas loin mais même ainsi, Farhynia n’était pas certaine d’y arriver. Elle ne tenait pas le mannequin plus de trois coups d’ailes. Alors qu’elle angoissait, elle sentit sa fourmi se renfrogner encore plus. Ressentait-elle ses propres doutes à travers le lien ? Cela ne l’étonnerait pas.
Farhynia se retrouva rapidement la dernière sans cavalier sur le terrain d’entraînement. Tous les autres avaient pris place sur le dos de leur dragon.
- Farhynia ? gronda Zaroth. Ta cavalière pourrait-elle se dépêcher ?
- Elle ne montera pas. Elle ne veut pas.
- Ce n’est pas à elle de décider, grogna Zaroth.
- Je ne la forcerai pas, répliqua Farhynia.
Zaroth s’approcha, toutes dents sorties, attitude menaçante vers la fourmi qui recula en tremblant, les mains en avant, bien maigre défense face au monstre lui faisant face.
- Les humains ne doivent jamais se croire au pouvoir. Fais-la monter !
- Non, s’opposa Farhynia en s’interposant physiquement entre Zaroth et la fourmi.
La dragonne bleue semblait bien insignifiante face à ce géant de plus de quatre fois sa taille.
- Elle a sauvé mon aile, rappela-t-elle. Je ne te laisserai pas lui faire de mal.
Zaroth tiqua puis se tourna vers les étudiants :
- À partir de maintenant, tous mes cours se suivront cavalier sur le dos. Si votre humain n’est pas à sa place, inutile de compter vous présenter à mes leçons. On y va !
À ces mots, il s’envola et les autres le suivirent. La fourmi observa l’envol puis vint se placer entre les pattes avant de Farhynia et se blottit contre elle. Farhynia lui rendit volontiers le geste tendre. Elle enroula ses ailes pour lui faire un cocon. À travers le lien, elle ressentit sa gratitude mais aussi ses excuses et sa profonde détresse. Farhynia tenta de la rassurer, ne sachant trop si cela avait fonctionné.
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Corail n’attendit pas si longtemps que ça. Le bruit des ailes battant dans le vent lui fit lever les yeux. Elle avait tant espéré que Jack ait menti, que ce ne soit qu’une farce, et pourtant… Soixante-sept étaient partis. Corail compta, la boule dans sa gorge grossissant, seulement trente-deux retours. La moitié des cavaliers vomirent à peine le pied posé au sol. Corail s’approcha de l’un d’eux, à genoux, le visage couleur neige.
- Où sont les autres ? interrogea Corail.
- Ils nous mangent, murmura le dragonnier.
- Pardon ? lança Corail, peu certaine d’avoir bien compris.
- Si on tombe, ils nous mangent. Ils ont dévoré Artis.
Corail ignorait qui était Artis. Son ami, probablement.
- Je l’ai vu glisser. J’entends encore son hurlement. J’ai vu son dragon fondre en piqué. Je pensais qu’il allait le rattraper. Au lieu de quoi il l’a attrapé dans sa gueule, a craché le feu avant d’avaler.
Corail aida Artis à se lever et l’homme disparut vers les bâtiments. Un à un, les dragonniers retournèrent vers les bâtiments, hagards. Corail vit les dragons attraper des objets en métal de forme humaine, les jeter habilement par dessus eux puis s’envoler. Corail comprit que c’était ainsi qu’ils s’entraînaient à porter des cavaliers. Riri prit le sien et le jeta par dessus elle mais le mannequin glissa et tomba. Corail comprit que sa dragonne ne parvenait pas à mettre le mannequin. De ce fait, comment s’entraîner ?
Corail grimpa sur la patte de Riri qui la laissa faire. La dragonne reprit le mannequin et l’amena doucement sur son dos. Corail s’en empara et essaya de le mettre en place mais l’objet pesait une tonne. Elle se trouva incapable de le manipuler. Elle descendit, fit face à sa dragonne et lança :
- Je vais chercher Jack. Je reviens.
Corail courut jusqu’aux bâtiments. Nul doute que le jeune homme accepterait d’aider. Corail se rendit à la cabane pour la trouver vide. Il ne se lisait pas non plus à la bibliothèque. Elle le chercha dans tous les coins habituels, sans réussir à lui mettre la main dessus.
Elle finit par se retrouver devant la place centrale, déçue. Les survivants faisaient la fête au son d’une musique entraînante. Ils mangeaient et surtout, buvaient. Pour une fois, Corail ne leur en tint pas rigueur. Vu ce qu’ils venaient de vivre, elle comprenait parfaitement.
- Hé ! Viens là cocotte ! l’interpela un des survivants, visiblement ivre.
Corail recula. Observant autour d’elle, elle constata l’absence de femme. Jack l’avait prévenue : aucune femme ne passait l’épreuve du premier vol. De ce fait, ces messieurs se retrouvaient entre eux. Corail devenait bien trop visible à ses yeux.
- Rejoins-nous, histoire de servir à quelque chose.
- C’est sûr ! Quitte à ne pas devenir dragonnière, autant que tu sois utile. Allez viens !
Corail se retrouva entourée d’hommes puant l’alcool. Son cœur se mit à battre la chamade. Elle ne put s’empêcher de pleurer. Elle voulait disparaître, s’enfuir, retourner auprès des siens. Plus que jamais, elle se demandait ce qu’elle était venue faire dans cette galère. Idée de merde. Elle aurait dû s’en aller quand elle en avait eu l’occasion.
- Laissez-la !
Corail se tourna vers Jack qui venait de briser le cercle pour s’interposer.
- Casse-toi, connard, gronda l’une des brutes. On veut baiser et elle, elle a refusé l’envol.
La honte et la culpabilité de Corail montèrent en flèche. Ils avaient raison. Elle ne méritait pas de se trouver là.
- Jack ! chuchota Corail.
Il ne bougeait pas. Il allait se battre pour la protéger. Les autres le massacreraient. Elle ne voulait pas qu’il lui arrive du mal, surtout par sa faute.
- Dégage de là ! Ceci ne te concerne pas !
- Vous n’avez pas le droit de vous en prendre à un autre dragonnier, rappela Jack.
Corail ignorait que cette loi existât. Ceci dit, cela ne la surprit pas. Si peu survivaient. Mieux valait qu’ils ne s’attaquât pas entre eux.
- Entre dragonniers, en effet, ce qu’elle n’est pas ! accusa l’un d’eux avant de se retourner pour vomir.
Un grondement fit se tourner les têtes de tout le monde, sauf celle de Corail qui avait senti la présence de Riri.
- Elle n’est peut-être pas dragonnière mais sa dragonne vient la secourir. Pouvez-vous en dire autant ? ironisa Jack.
Riri montra les dents et souffla un peu d’air chaud sur les agresseurs ivres. Ils reculèrent.
- Où sont vos dragons ? poursuivit Jack. Allons, dragonniers, appelez-les ! Montrez-nous la puissance de votre lien. Obtenez leur soutien !
Riri descendit la gueule vers l’un des poivrots qui prit ses jambes à son cou, bientôt suivi par tous les autres. Corail sauta sur Riri et s’accrocha à son museau. Riri leva la tête, faisant voler Corail qui explosa de rire avant de retrouver le sol.
- Merci ! Merci ! Merci, Riri ! Et toi, Jack, tu as risqué ta vie pour moi !
Elle lui sauta au cou et blottit sa tête contre son cou.
- Je t’ai cherché partout ! l’accusa-t-elle. Où avais-tu disparu ?
- C’est vrai que tu as refusé le premier vol ? rétorqua Jack.
Corail en perdit tout sourire. Sa culpabilité la frappa de plein fouet. Elle ne put empêcher des larmes de couvrir son visage. Jack la reprit dans ses bras et la berça.
- Hé ! s’exclama-t-il. Je ne pensais pas obtenir une telle réaction.
Corail sanglota entre ses bras, tandis que Riri lui caressait le dos de son museau.
- Quand j’ai compris qu’elle voulait que je la monte, j’ai pris peur, admit Corail d’une petite voix hachée par les sanglots. J’étais pétrifiée. Et puis, le dragonnier a demandé qu’on se dévêtisse pour ne garder que le haut.
- C’est vrai qu’il faut être jambes et pieds nus pour monter, murmura Jack.
Il baissa les yeux et embrassa Corail sur le front.
- Je n’oserais pas dire que je te connais mais je te saisis assez pour imaginer combien te dévêtir doit t’être désagréable.
- Et puis, ils sont revenus, bafouilla Corail. Tu avais raison. Moins de la moitié ont survécu. Aucune femme.
Jack serra la mâchoire.
- Comment a réagi Riri quand tu as refusé ?
- Elle m’a défendu face à l’autre, Zaroth, le connard marron qui a refusé de la soigner, et qui montrait les dents sur moi, raconta Corail en sentant une bouffée de reconnaissance l’envahir.
Elle se tourna de nouveau vers sa dragonne pour l’enlacer.
- Tu ne comptes pas la monter ? interrogea Jack.
Elle comprenait sa position. Lui aurait rêvé de pouvoir monter son dragon. Ce dernier était parti avant de lui donner cette occasion. Qu’elle puisse refuser le décontenançait, sans aucun doute.
- J’avais peur et l’idée de me déshabiller me dégoûtait mais je sentais également sa détresse, indiqua Corail en désignant Riri. Lorsque les autres sont revenus et que les dragonniers sont venus se saouler, j’ai vu les dragons placer des mannequins à forme humaine sur leur dos. C’est ainsi qu’ils s’entraînent. Sauf que Riri n’arrive pas à le placer alors elle ne peut pas s’entraîner. J’ai essayé de l’aider mais le mannequin est trop lourd.
- C’est pour ça que tu me cherchais, comprit Jack. Je vous aiderai avec grand plaisir !
- Tu es un amour ! explosa-t-elle en l’enlaçant encore.
Jack se rendit volontiers sur le terrain d’entraînement. À deux, ils réussirent à placer le mannequin. Riri s’envolait et revenait, l’objet dans la gueule. Jack et Corail le replaçaient puis la laissaient repartir.
- Elle disparaît plus longtemps, non ? remarqua Jack.
- Elle s’améliore. Bientôt, elle sera prête, mais pas moi.
Jack lui envoya un regard interrogatif.
- Jamais je ne me dévêtirai devant quiconque, rappela Corail.
- J’ai peut-être une solution, indiqua Jack.
Corail leva sur lui des yeux éperdus.
- Demain, indiqua Jack. Dors avec Riri et rejoins-moi à l’aube.
Ainsi fut fait. Après que l’un ait dégusté son entrecôte de bœuf et l’autre ses huîtres et son saumon cru, ils se retrouvèrent dans un atelier au premier étage.
- Je vais essayer de te toucher le moins possible, promit Jack. Si certains de mes gestes te déplaisent, dis-le moi et on trouvera une solution.
Corail fronça les sourcils. De quoi parlait-il ?
Il se saisit d’un morceau de craie et sur un mur sombre, dessina rapidement un contour de forme humaine. Il s’empara ensuite d’une cordelette qu’il serra autour de la taille de Corail. Il lui demanda de se coller à un mur puis enroula la cordelette autour de ses poignets, chevilles, cou, épaule. À chaque fois, il ajoutait des symboles sur le mur.
- Qu’est-ce que tu fais ? demanda Corail, pas gênée mais ahurie.
- Je prends tes mesures. Cela me permettra de réaliser un vêtement à ta taille.
- Un vêtement ? répéta Corail.
- J’ai une idée de la forme qu’il devra avoir pour te permettre de monter sans avoir à le retirer. Il te faudra juste retirer tes chaussures.
- Je peux marcher pieds nus, précisa Corail.
Elle préférait même. Devoir mettre ses pieds dans ces choses lui déplaisaient énormément.
- Tu peux faire en sorte que le vêtement masque mes mains et mes pieds, sans que j’ai à porter de chaussures ou de gants ? interrogea Corail.
- J’ai des idées, indiqua Jack. Reste à voir si j’arriverai à les mettre en application.
- Tu sais coudre ?
- Non, dit Jack. Je n’y connais strictement rien. Grâce aux livres, tout s’apprend.
Corail sentit une bouffée de reconnaissance envers Jack monter. Elle le prit dans ses bras et il lui rendit volontiers la marque d’affection.
- Je t’aime, murmura Corail.
- Je t’aime, répondit Jack. Je n’ai jamais aimé comme ça, sans relation sexuelle.
Corail leva un regard inquiet vers lui.
- C’est agréable, indiqua-t-il. Le sexe nécessite une performance. C’est souvent une source de mésentente. Et puis, tu me laisses aller me décharger avec d’autres, même s’il va me falloir attendre un an avant de retrouver des corps féminins.
- Les dragonniers hommes refusent les interactions sexuelles, supposa Corail.
- C’est moi qui les refuse. Je préfère les femmes.
Corail se blottit contre son épaule tandis qu’il lui caressait tendrement le bas du dos.
- J’aimerais faire un peau à peau avec toi, admit Corail. Mais je ne suis pas prête, précisa-t-elle sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit.
- Je sais me montrer patient.
Corail en était certaine : cela ne se produirait jamais. S’il découvrait la vérité, il la rejetterait. Elle ne pouvait pas risquer de le lui dire. Pas avant que sa mission ne soit achevée et pour le moment, ça n’avançait pas. Elle mit de côté ses angoisses et ses regrets pour vivre le moment présent. Elle perdrait Jack, sans aucun doute, alors autant en profiter. Elle le trahissait mais ne voyait pas d’autres options. L’occasion était trop belle pour la laisser passer, surtout pour un amour voué à l’échec de toute façon.
- Quelle couleur ? demanda Jack.
- Pardon ?
- Pour la robe. Quelle couleur ?
- Bleu, répondit Corail. Du même bleu que Riri, afin qu’on ne me voit pas quand je suis sur son dos.
- Tu veux que le vêtement te permette de cacher ton visage ? proposa Jack.
- Tu pourrais faire ça ? s’exclama-t-elle en s’éloignant un peu pour le regarder dans les yeux.
- Une capuche dotée d’un voile amovible. Cela ne me semble pas insurmontable. Le voile pourra être suffisamment opaque pour qu’on ne distingue pas tes traits mais assez fin pour que ta vision n’en soit pas trop altérée. Ça se tente. J’aime bien les défis. Je m’ennuie alors apprendre quelque chose de nouveau, avec un but en plus, me réjouit !
Il n’avait pas besoin de le dire. Ses sautillements, ses yeux brillants, sa respiration rapide, tout indiquait son excitation.
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Farhynia observa sa fourmi. Elle était devenue bleue, coloris parfaitement assorti à ses écailles. On ne distinguait plus rien de son corps, ombre bleue presque invisible. Elle déposa son museau sur son front pour la saluer – à l’emplacement où elle supposa se trouver son front sous le voile. En réponse, la fourmi caressa son museau et Farhynia eut le grand bonheur de sentir la peau de la fourmi sur ses naseaux. Sous les vêtements couvrants, la fourmi proposait sa peau nue ! Farhynia en dansa de joie d’une patte à l’autre.
La fourmi grimpa ensuite sur son dos. Farhynia, habituée, attrapa le mannequin et ouvrit ses canaux de rafraîchissements. Ils furent remplis avant même qu’elle ne lance le mannequin par dessus sa tête.
Farhynia déposa l’objet lourd au sol et se contorsionna pour voir la fourmi sur son dos. Elle s’était mise en position et la regardait fermement. Farhynia sentit sa confiance. Elle ferma prudemment ses canaux de rafraîchissements afin de serrer les jambes nues de sa cavalière, pas trop pour ne pas les broyer. Était-elle prête à voler en la portant sur son dos ? Farhynia se sentit transportée par la confiance que lui portait sa fourmi. Elle se sentait capable d’effectuer un vol d’essai, à condition de voler à allure tranquille et sans mouvement brusque.
Farhynia déploya ses ailes et prit son envol. Elle se retourna pour vérifier. La fourmi se trouvait bien là. Pourtant, elle ne la sentait pas, poids plume comparé à la lourdeur du mannequin. Farhynia glissa sur l’aile et sa fourmi accompagna le mouvement. Le mannequin, poids mort, n’agissait pas ainsi. Quel bonheur que de porter un cavalier vivant !
Farhynia ne put résister à l’envie d’aller se présenter devant Zaroth. Elle savait qu’il donnait un cours ce matin. Elle se posa à côté de lui, tandis qu’il observait Violmen voler non loin. Il lui accorda un regard puis retourna surveiller l’étudiant.
- Elle a fini par accepter de monter, constata-t-il.
- J’ai fait mon premier vol avec elle.
- Très bien. Granit, tu passes à gauche. Calcaire, à droite. Marbre, au dessus. Tu sais reconnaître ces différentes roches ?
- Oui, répondit Farhynia en regardant ce qui, avec les explications, était un parcours.
- Le but est de réaliser le circuit avec ton cavalier sur le dos. Il est prévu pour être simple. Pas de virage serré. Pas de piqué. C’est le niveau débutant. Il doit être réalisé en moins d’un sablier. Mon dragonnier gère le temps.
Farhynia observa les mains de l’homme sur le dos de Zaroth. Le sablier s’apprêtait à se terminer.
- Violmen va échouer, en conclut Farhynia.
- Elle a échoué depuis longtemps. C’est la troisième fois que mon dragonnier retourne le sablier.
- Pourquoi continue-t-elle ?
- Pour finir le parcours, indiqua Zaroth. C’est comme ça qu’on apprend.
Farhynia retroussa ses babines.
- Tu es la suivante. Quand tu ne passes pas, je te conseille de voler avec ta cavalière afin de t’entraîner.
- J’ai faim, indiqua Farhynia.
- Tu pourras aller chasser après ton passage, répondit Zaroth sans animosité dans le claquement de ses écailles. Pose ta cavalière avant. C’est trop tôt pour une chasse montée.
Violmen atterrit devant Zaroth. Le professeur lui tint un long discours, expliquant les erreurs et comment s’améliorer. Puis Violmen s’éloigna pour continuer à s’entraîner en douceur de son côté. Farhynia observa le parcours. Elle ne voyait pas bien où était la difficulté.
Sur un signe de Zaroth, Farhynia s’élança. Elle ne chercha pas à aller trop vite, sachant qu’elle échouerait de toute façon. Personne ne pouvait réussir du premier coup. Elle voulait assurer la sécurité pour sa cavalière.
Gauche. Haut. Droite. Gauche. Gauche. Droite. Farhynia ne voyait pas trop la difficulté. Les vents ici permettaient un vol simple sans distraction. Farhynia se retrouva aux côtés de Zaroth. Le sablier dans les mains du dragonnier en était à la moitié mais impossible de savoir s’il s’agissait du premier, du deuxième, du troisième ou du quatrième retournement.
- Tu as réussi, souffla Zaroth, abasourdi.
- Comment ça ? interrogea Farhynia.
- Tu as fait le parcours dans le temps imparti, précisa Zaroth, ses écailles tremblotantes rendant quelques sons difficiles à interpréter.
Il la fixa dans les yeux et son corps retrouva son calme.
- Tu es déstabilisante, lança-t-il les yeux brillants.
- Je ne vois pas où est la difficulté, indiqua Farhynia. Pourquoi les autres échouent-ils ?
- Les mouvements de vol sont entravés par le cavalier qui ne suit pas les changements. Les humains veulent contrôler et refusent de se plier à notre volonté. Il faut les briser pour les obliger à suivre.
- Ma cavalière s’adapte à moi. Elle glisse avec moi. Sa présence n’est en rien une nuisance, assura Farhynia.
- Tu ne la mérites pas, répéta Zaroth.
Farhynia gronda.
- Tu peux ne pas apprécier, s’amusa Zaroth. Ça ne change rien aux faits : sans elle, tu aurais déjà perdu tout espoir de devenir protectrice lors de cet appel.
- Ton dragonnier, c’est le numéro combien ?
- Soixante-trois, répondit Zaroth. Les trente-et-un premiers sont morts avant la troisième année. Depuis, je n’en ai pas perdu un seul avant d’obtenir le titre de protecteur.
- Tu es protecteur ? s’étonna Farhynia.
- Bien sûr, puisque j’ai un dragonnier sur le dos.
- Tu ne protèges pas, fit remarquer Farhynia avant de baisser la tête.
Elle ne voulait pas l’insulter et venait de se rendre compte que ses propos pouvaient être pris ainsi. Zaroth lui lécha les cornes de la tête en signe de paix. Farhynia s’en trouva rassurée et osa le regarder de nouveau.
- Les missions d’un protecteur sont variées. Parfois, on choisit. Parfois pas.
- Tu as choisi de nous former ?
- Oui.
Farhynia hocha la tête.
- Chavard’all ! lança Zaroth en faisant trembler ses écailles avec force, permettant au son de rebondir sur les pans des collines et ainsi de parcourir de longues distances.
Farhynia ignorait totalement ce que ce son pouvait signifier. Un dragon se posa entre Farhynia et Zaroth, arrivant si vite qu’il ne pouvait pas se trouver bien loin. La jeune dragonne bleue comprit. Chavard’all était le nom du dragon blanc aux pointes noires, celui-là même sur lequel elle craquait.
Elle venait de réussir une épreuve du premier coup, dans un domaine où elle surclassait sa cible. Les dragons valorisaient la puissance. Le moment était idéal.
Sans attendre, elle ouvrit la gueule et empoigna le cou de Chavard’all. Vu sa taille, il aurait pu se libérer de la poigne sans risque. Farhynia sentit la crainte de sa cavalière. Elle la rassura d’une pensée avant de desserrer les crocs. Chavard’all répondit sans attendre et Farhynia se retrouva à son tour le cou enserré entre les crocs de son congénère, à ceci près qu’elle était à sa merci, impuissante face à sa mâchoire puissante.
- Pourriez-vous faire ça en dehors des heures de cours ? gronda Zaroth.
- L’amour n’attend pas, répondit Farhynia et Chavard’all gloussa en retour avant de la lâcher.
- Tu n’es même pas en chaleur, répliqua Zaroth d’un ton méprisant.
- Jaloux ! siffla Farhynia.
Zaroth lui caressa les flancs de sa queue, les pointes effilées glissant sous l’aile. Farhynia sentit sa fourmi se crisper. Pourtant, aucun de ces gestes n’étaient agressifs.
- Peut-être, admit Zaroth. En attendant, si Chavard’all voulait bien se dépêcher d’échouer. D’autres attendent leur tour.
Le dragon blanc s’élança.
- Tu n’es guère encourageant, maugréa Farhynia avant de se rendre compte que son compagnon blanc venait de passer à droite d’un bloc de granit. Il confond les directions ?
Zaroth ricana en retour. Farhynia n’insista pas et laissa le professeur à son cours. Elle fit descendre sa fourmi de son dos puis partit chasser, son estomac grondant de colère.
On passe par des émotions diverses : Corail s'en sortira-t-elle ? Riri réussira-t-elle à ne pas tuer sa primo dragonnière ? (En même temps, si elle mourait, il n'y aurait - peut-être - pas d'histoire) Et tout va bien au final (provisoire, je suis prudente !), ouf, tant mieux !
L'explication de l'échec, fatal, des humains apprentis dragonniers, du fait de leur comportement tant physique que psychologique, est limpide.
Le lien Riri-Corail se renforce, ce Jack se révèle non seulement sympa mais créatif et débrouillard (ah, les bienfaits de la lecture !).
Et puis, Fahrynia triomphe, y compris en amour, que demander de plus ? ! :)
Je suis contente de susciter autant d'émotions car c'est le but, après tout.
Et Chavard'all qui répond positivement à Farhynia ! Quel bonheur en effet ? Va-t-il durer ?
Bonne lecture !