Chapitre 5 - Et j’aime ça, je crois

J’avais rarement partagé de tels moments de joie dans ma vie. Je vivais des instants de bonheur qui me faisaient énormément de bien. Daniela était la meilleure, le seul être humain à m’avoir fait éprouver ce que je ressentais à cette période de ma vie. On passait des moments de plus en plus inoubliables et ça devenait de plus en plus difficile de lui dire au-revoir sous le palier de son appartement. Mon cœur était tout léger et j’avais l’impression que je pouvais encaisser n’importe quoi vu que celle qui se chargeait de son entretien allait toujours prendre la peine de le vidanger.

Je vivais bravement quelque chose qui m’avait pourtant toujours effrayé.

 

- Alors, toi, tu penses que je devrais sortir avec eux ou pas ?

- Bah ! C’est vrai qu’ils passent quand-même leur temps à se plaindre de ton absence et de ton soi-disant manque de considération à leur égard…

- Du coup ?

- Donc, je pense que si tu ne ressens pas tout ce qu’ils te disent, tu pourrais quand-même essayer de les fréquenter un peu plus. Ce sont quand même tes condisciples de classe.

- Curieux !

- Quoi donc ?

- Il y a beaucoup de « quand-même » dans tes phrases.

- ???

- Tu te force de donner ton opinion sur ce sujet. Mais, en vrai, ça ne t’intéresse pas, n’est-ce-pas ?

- Hein ? Quoi ?

En plein dans le mile !

 

- Quand tu répètes sans cesse le même mot la plupart du temps, surtout quand ce n’est pas utile, c’est que tu t’efforce à parler d’un sujet qui ne t’intéresse pas beaucoup ou qui t’agace carrément. Je me trompe ?

Tellement maligne, celle-là ! Je ne l’avais pas vu venir.

 

- Oui… euh… carrément !

- Tu vois ?

- Là, je n’ai fait que reprendre un mot que toi, tu as utilisé dans la conversation. Mais, moi, je ne l’avais pas encore dit.

- Ethan, tu es méticuleux en règles grammaticales et en vocabulaire. Quand il y a une erreur du genre, tu es le premier à t’exprimer. Et là, parce que tu es tellement ennuyé par le sujet, tu fais toi-même ce que tu considères d’ordinaire comme étant une erreur.

- Danny, tes phrases étaient excessivement longues. Je te conseillerais d’éviter d’en faire à l’avenir. Tu pourrais faire des redondances ou des pléonasmes et ça gâcherait sans doute la qualité ainsi que l’importance de ton message.

- Tu vois ? Là, par contre, tu es intéressé quand il s’agit de me porter correction.

- Absolument pas ! D’ailleurs, je pense même très clairement que tu devrais sortir plus avec tes condisciples. Les relations de classe sont supers importantes, mais les relations sociales sont à la base de tout rapport dans la vie. Alors, ce que moi, je te conseillerais serait de faire plus d’activités extrascolaires avec tes amis même si ces activités ne te plaisent pas trop.

- Bah voilà ! Il fallait que je te titille un peu pour que tu causes.

- Pas du tout ! Et, pour ton propre bien, je te conseillerais également d’utiliser davantage le verbe « parler » au verbe « causer ». Le premier est plus courant et noble tandis que le second est vraiment trop vulgaire. C’est la beauté du verbe que tu utilises qui confère une dimension plus importante à ton discours même si ce dernier porte sur un sujet inintéressant.

- Eh ben ! Merci prof ! D’ailleurs, pourquoi tu n’as pas fait dans l’enseignement au lieu d’aller t’embrouiller avec le droit comme tu aimes si bien le dire ?

- C’est une très longue histoire.

- Et, tu m’en parleras plus tard… je sais. Il faut croire que tu préfères donner des leçons de linguistiques plutôt qu’avoir de véritables conversations. C’est moi qui t’ennuies, pas vrai ?

- Je t’interdis de dire ça. S’il y a bien une personne avec qui je serai incapable de m’ennuyer, ce serait sans doute toi. D’ailleurs, ce que je ressens quand je suis avec toi est très loin d’être désagréable. C’est même plutôt très…

- …

 

Au rythme effréné auquel ma phrase s’articulait, je ne me rendais pas compte que j’étais en train de créer un gros malaise. Quand j’étais contrarié, il m’arrivait souvent de m’emporter dans mes propos pour prouver le contraire de ce que pouvait penser les gens. Pourtant, là, tout ce que j’étais en train de dire sur la manière dont je me sentais avec Danny était bel et bien authentique. Je pense, à ce propos, que c’était pour ça qu’un malaise s’était installé. Je disais vrai et Daniela le savait. Elle le savait et c’était tellement véridique et honnête que ça la gênait probablement.

 

- Euh… Désolé si je t’ai embrassé avec ce que j’ai dit, tout à l’heure, poussais-je finalement après être descendu du bus.

 

Après le « petit » malaise que j’avais causé, Danny et moi avions tout de suite fini notre balade au parc. Notre après-midi s’était donc achevé plus tôt que prévu. Nous avions cheminé ensemble jusqu’à l’arrêt de bus dans le plus grand de tous les silences. Je pensais que je venais de tirer un peu trop vite sur une corde sensible et que ni elle, ni même moi, n’étions prêts pour assumer la sincérité de tels propos à ce moment.

- N… non ! Tu n’y es pas du tout.

- !?

- Je ne suis pas embarrassée.

- Ah… ah bon ?

- Oui ! J’ai vraiment adoré ce que tu as dit…

A… adoré ?

 

- Seulement, j’espère que tu le penses vraiment parce qu’en ce qui me concerne, je pourrais bien dire que c’est le cas pour moi.

- Hein ?

La femme… C’est bizarre, cette chose !

 

- Bisous !

Attendez ! Quoi ? Qu’est-ce qu’elle vient d’insinuer ?

Ce soir-là, à la place de l’arrêt de bus, Daniela Chesterfield n’aurait-elle pas implicitement affirmé qu’elle soit d’accord pour qu’il se passe quelque chose entre elle et moi ?

 

Tout à coup, mon ventre se resserra et le malaise que j’avais causé au parc avec mes propos trop engagés se fit éclipsé par la quasi-déclaration d’amour de Danny. J’avais des sueurs froides parce que j’étais étrangement partager entre le doute de ce que j’avais tiré de son message et la peur que j’en ressentais pour ça en retour. Je n’étais pas sûr de ce qui venait de se passer à ce moment-là.

Mais, pourquoi aime-t-elle faire des phrases aussi longues et compliquées ? J’ai rien compris, moi.

 

Partagé entre un doute faiblard et un stress grandissant, je contemplais au loin la femme de ma vie s’éloigner de moi. Elle partait dans une démarche encore plus séduisante sans se retourner, me laissant ainsi languir dans l’appétit le plus insoutenable qu’il soit. C’était la première fois que je me surprenais à la voir comme telle.

Est-ce… est-ce que j’aimais me sentir comme ça ?

O… oui ! Il me semble que toutes ces choses bizarres que je ressens à la seule évocation d’une histoire d’amour entre Danny et moi me retourne les tripes et… et, j’aime ça, je crois.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez