Chapitre 5 - Faucon

Notes de l’auteur : Bonjour ! Et un autre chapitre !
Je vais essayer de tenir le rythme de mise en ligne de un par semaine !

L’ENERGIE DE L’ATOME EST LA SOURCE DE TOUTES LES AUTRES, DISAIT LA FEMME.
C’EST ELLE QUI FAIT BRILLER LE SOLEIL, SOUFFLER LE VENT,
MONTER ET DESCENDRE LES OCEANS

 

-°-

 

Diane se mit à l’abri à la porte de service. Il n’y avait personne sur les toits. Le vent hurlait dans les gouttières, et la pluie tombait par longues averses intermittentes. Ne pouvant rester longtemps sur le seuil, exposée, elle résolut rapidement à redescendre se coucher.

 

Maria l’aidait encore à se préparer pour son entretien lorsque Dimitri frappa à la porte, en avance comme toujours.

— Faites-le entrer. Dit Diane en remontant elle-même ses tresses. Il peut attendre dans le boudoir.

La femme de chambre alla ouvrir la porte et revint après avoir installé son secrétaire particulier dans la pièce d’à côté, et lui montra deux tuniques pliées.

— Mademoiselle portera-t-elle le huipil bleu ou celui avec les fleurs de ceiba ?

Diane considéra le choix en suivant du doigts les peintures archaïques du vêtement bleu. Dimitri était du genre traditionaliste. Si elle voulait l’inciter à faire court, il valait mieux ne pas commencer par lui donner envie de la sermonner.

— Merci Maria, dit-elle en enfilant la tunique bleue. Nous aurons besoin de cacao. Deux tasses. Et des biscuits épicés.

La domestique revint avec la collation avant qu’ils n’aient terminé de vérifier l’intendance de ses propriétés. Diane mâchonnait sa lèvre inférieure en se concentrant de son mieux. Dimitri était attaché à ses chiffres, et rigoureux, il ne passerait pas à un autre sujet tant qu’il ne serait pas certain qu’elle comprenait et validait ses propositions.

Diane jeta un coup d’oeil à l’air renfrogné qu’il arborait. Elle savait qu’il souhaitait qu’elle s’investisse plus, mais compte-tenu de sa position, c’était du temps perdu. Elle aussi aurait bien aimé. Mais si son père ou ses frères avaient ne serait-ce qu’envisagé de lui confier la moindre responsabilité, elle n’aurait pas été ici, cachée dans son boudoir, à déchiffrer des livres de comptes auxquels elle ne comprenait rien.

Elle était reconnaissante au secrétaire de prendre son travail à coeur, mais se devait de rester lucide. On l’avait sciemment tenue écartée des sujets politiques ou administratifs, nul ne s’intéressait à ses activités ou opinions, et, malgré sa trentaine bien passée, Père avait encore refusé une demande en mariage juste avant son décès.

Quoique, dans se nouveau contexte, celui de ses frères qui hériterait profiterait probablement de l’occasion pour « remercier » un de ses soutiens.

Elle se pinça l’arrête du nez entre le pouce et l’index. Une idée peu plaisante.

— Quels étaient les points suivants à l’ordre du jour Dimitri je vous prie, demanda-t-elle en se servant un biscuit.

Le secrétaire releva l’indice et servit le cacao.

— L’agenda de Mademoiselle, répondit-il avec son accent haché. Et l’équinoxe.

Diane soupira.

— A treize heures, vous recevez son excellence le nouvel ambassadeur du chancelier Urussi. Il sera finalement seul, parce que son épouse est enceinte. Son altesse attend de vous que vous l’occupiez entre son arrivée et son entretien avec Monsieur et lui à seize heures. Nul doute qu’il cherchera à évaluer la crise, donc ils le reçoivent à deux. Ensuite Mademoiselle lui tiendra compagnie pendant la soirée. Je vous laisse cette note du cabinet pour vous aider à choisir votre tenue et vos sujets de conversation.

Diane se pencha pour prendre sa tasse de cacao. Merveilleux. Comme si elle allait, en plus, laisser Gabriel décider de ce qu’elle portait.

— Demain midi c’est l’anniversaire du prince Augustin. Son excellence sera encore présent. Le cadeau que Mademoiselle m’a demandé est prêt.

— Merci Dimitri.

L’agréable amertume du cacao lui tira une petite grimace satisfaite, et elle s’étira.

— Enfin, les prêtres disent que les signes sont là. Le jeûne pour préparer l’équinoxe commencera après-demain.

— Concernant l’équinoxe, Dimitri. Faut-il vraiment que je me tienne éloignée ? Habituellement je ne pars pour les Cénotes que la semaine qui suit la cérémonie…

Dimitri ne parut pas surpris, mais prit le temps de réfléchir à ce qu’il allait répondre.

— Je conçois que Mademoiselle souhaite rester. L’équinoxe est une période importante, et le choix du futur roi l’est encore plus…

— Mais ? Coupa Diane.

— Mais je pense que les événements pourraient dégénérer. Et je ne suis pas le seul. Les Egys le pensent, les prêtres le pensent, les domestiques le pensent. Aucun de vos frères n’a pour habitude de céder. Ils montent des coalitions, sèment la discorde parmi les officiers. En ville un marchand de Chinampan m’a dit qu’ils avaient cessé de remplir les greniers à maïs de peur de les voir brûler. Je préférerais vous savoir aux Cénotes.

Diane étudia un instant son air troublé, et se leva, sa tasse à la main. Difficile de refuser d’entendre ses arguments, mais elle n’aimait pas l’idée de se dérober au danger.

Elle s’éloigna un peu vers la fenêtre ouverte, faisant cliqueter ses ongles sur l’émail cuit.

— Parce que j’aurai plus de chances de m’en sortir ?

Trois voitures lourdement chargées attendaient leurs voyageurs au pied du grand escalier.

— Parce que si vos frères s’entretuent, la couronne aura plus de chances de s’en sortir.

Diane fronça les sourcils. Plusieurs familles de prêtres montaient maintenant dans les diligences. Les rats quittaient le navire.

— Mademoiselle ?

— Je vais y réfléchir.

 

La voiture de l’ambassadeur fit son apparition à treize heures sonnantes sur l’étroit pont qui permettait l’accès cavalier depuis le centre ville.

Diane vérifia l’état de sa tunique blanche, rajusta la longue étoffe bleue qui lui serrait la taille et s’assura qu’elle n’avait pas perdu de bijou, surtout la petite boucle en or qui avait tendance à tomber de son nez. Elle n’avait pas regardé la note, mais après ses cinq ans à l’internat, elle n’en avait pas besoin pour savoir que l’émissaire serait ravi.

Elle s’avança sur le perron ouvert à tous vents en frissonnant, soulagée de voir le coche de l’ambassadeur reprendre le galop pour traverser le jardin nord et la cour d’honneur. Peu de temps après, les chevaux passaient les piliers ocelot et s’arrêtaient au pied des marches  sculptées en soufflant.

Tandis que les palefreniers et valets s’activaient, Diane prit son mal en patience. Finalement, un homme aux cheveux grisonnants descendit par la porte ouverte par un domestique.

Oh, misère… même en prenant pour comparaison le valet, dans la moyenne, et pas sa propre, et excessive, personne, il était fâcheusement petit.

Même en se tassant de son mieux il n’aurait d’autre choix que de se tordre le cou pour lui adresser la parole. Heureusement qu’elle avait opté pour une coiffe basse, au moins il n’aurait pas l’impression que l’on se gaussait de lui.

Elle se para de son plus beau sourire, descendit lentement à sa rencontre, ignorant volontairement le coup d’oeil millimétré qui la parcourut, et le salua profondément.

— Mademoiselle, fit l’homme avec un accent encore plus prononcé que celui de Dimitri. C’est un honneur que de faire votre rencontre.

— Votre excellence, répondit-elle d’un ton affable, au nom de l’ensemble de notre famille, je vous souhaite la bienvenue à Chantelli.

D’un geste, Diane l’invita à monter l’escalier, et lui emboîta le pas - prenant soin de rester une marche en-dessous. D’un autre, elle signala au majordome de faire son possible pour limiter l’impact de la différence de taille. En espérant qu’il comprenne.

— L’hiver a-t-il été rude cette année ? Demanda l’ambassadeur en gravissant les dernières marches.

— Nous avons été épargnés, assura Diane en choisissant la formule consacrée. Nos hivers sont bien plus doux que les vôtres.

L’émissaire lui sourit, puis la précéda dans le hall d’honneur en ôtant son manteau et son chapeau pour les confier à son valet.

— Nous vous avons prévu une collation, votre excellence, mais peut-être souhaitez-vous vous rafraîchir avant ?

— Volontiers, opina le petit homme.

— Monsieur Simeon va vous conduire à vos appartements en ce cas, dit Diane en faisant signe au majordome d’approcher. Je vous attendrai au salon des portraits.

Elle resta immobile et souriante jusqu’à disparition complète des chaussures de l’ambassadeur, puis se précipita vers une des gouvernantes du palais qui passait dans le hall.

— Clélia ! Je dois bien faire trois têtes de plus que monsieur l’ambassadeur ! Prenez des gens avec vous, et débrouillez-vous pour remonter sa chaise, baisser la table, peu m’importe, mais faites quelque chose.

 

Diane sortit son carnet et son crayon. Son excellence tardait, autant en profiter.

En outre, il lui devenait nécessaire de se divertir de la vue des plats sur la table et de l’odeur des légumes grillés, qui lui devenaient insupportables de tentation. Et de se distraire des austères et belliqueuses représentations de ses aïeuls. Avait-on idée de peindre, dans une salle de repas, des gens portant des têtes de cadavres en guise de signe de statut ?

Elle les griffonna en leur imaginant des sourires, puis, son invité n’arrivant toujours pas, elle compléta son oeuvre d’une esquisse de son père dans une posture similaire.

Entendant des bruits de conversation s’approcher, elle rangea précipitamment son ouvrage et se leva. L’ambassadeur fit son apparition, après avoir manifestement troqué son trop épais pourpoint noir contre une légère veste bleue rappelant la teinte de sa propre étole.

Ils dégustèrent leurs repas en échangeant quelques mots en urussi, dans la mesure permise par ce qu'elle avait réussi à apprendre à l'internat, voire malgré l'internat.

Le repas se clôt sur un toast à l’entente entre leurs deux nations, et Diane proposa un tour du jardin des fougères, où son excellence s’extasia longuement sur plusieurs spécimens de Chysis qui ne poussaient qu’ici, sur les contreforts de la cordillère.

Lorsqu’elle raccompagna l’ambassadeur vers le palais, l’austère froncement de sourcils du secrétaire de Gabriel les attendait déjà.

— Je suis au regret de devoir vous laisser, votre excellence, annonça Diane. Temporairement, bien entendu. Je vous retrouve ce soir pour le dîner.

 

Dans ses appartements, Diane jeta ses sandales dans un coin et s’assit à sa coiffeuse pour se masser les pieds. L’émissaire lui paraissait intéressant, mais il était difficile d’évaluer ce qu’il savait de la situation à Chantelli, et plus encore d’estimer ce qu’il pouvait en déduire, ou ce que pouvait vouloir son chancelier.

Elle soupira profondément et s’étira. Sa mission consistait à accompagner l’homme le temps de son séjour, si possible s’arranger pour qu’il n’entende rien qu’il ne soit pas censé entendre, et le reste ne la concernait pas.

Diane se servit un verre d’eau, alla chercher l’ouvrage sur l’architecture des palais et châteaux, et s’installa à son secrétaire. Achilles avait dit qu’il faisait mention d’une école d’Egys, et Achilles ne lui avait jamais menti. Elle reprit sa lecture depuis le début, posément, en s’attardant sur les plans expertement dessinés, et la rigoureuse numérotation des pièces.

Passant quelques chapitres pour arriver à son palais, elle suivit du doigt les pièces du rez-de-chaussée. Le salon des portraits portait le numéro 0-124. Elle déplia la page pour regarder l’aile sud, s’émerveillant de toutes les petites pièces où elle n’avait jamais mis les pieds, le long des couloirs de service, ou dans les écuries.

Elle s’attarda sur le deuxième étage, et constata amusée que ses appartements portaient le numéro 2-345 et ceux d’Emma, dans l’aile opposée, le 2-543.

On frappa à sa porte alors qu’elle tournait la page vers le troisième étage.

— Entrez Emma !

La jeune femme poussa la porte du coude, les mains encombrées d’un plateau de cacao et de biscuits, que Diane refusa poliment. Elle avait déjà bien trop mangé ce midi et sa jupe n’était pas adaptée aux excès.

Elles échangèrent un moment autour des plans, s’imaginant des scénarios rocambolesques sur la proximité de tel noble avec les appartements de telle courtisane, une fois pris en considération les raccourcis par les couloirs de service.

Maria vint l’aider à se changer pour le dîner, et, à contre-coeur, elle remit ses chaussures.

A son arrivée dans le grand salon, un huissier l’annonça en frappant sur un gong. Diane se redressa et enfila son masque des occasions. Qu’elle abhorrait traverser ainsi les convives ! La moitié ne faisait même pas un effort pour cesser de discuter, et l’autre la regardait avec des degrés divers de curiosité, mépris, ou pitié.

Gardant la tête haute, elle salua solennellement Gabriel et Cyrill, assis côte-à-côte, tous deux mal à l’aise, et se dirigea vers sa chaise au pied de l’estrade à droite. Peu après, Emma se glissa entre le clavecin et les fresques murales colorées et vint la rejoindre.

En attendant l’ambassadeur, la rumeur des conversations reprit, et Angeline s’assit au clavecin pour entretenir son cortège de suiveuses. Diane se tourna vers l’autre extrémité de l’estrade et fit un signe de tête respectueux à Garance, et un sourire à Augustin, en essayant de filtrer les prouesses techniques d’Angeline pour ne garder que ce qu’Emma disait.

— Ne vous tournez pas trop vite, répéta celle-ci, il y a un Egy dans le carré des dignitaires.

Diane tourna la tête avant d’avoir réfléchi et repéra sans mal un homme grisonnant en uniforme noir et rouge. Non. Trop vieux. Refusant de montrer sa déception, elle sourit à Emma.

— C’est l’un de leurs doyens, je l’ai déjà vu. Ce n’est pas lui.

L’arrivée de l’ambassadeur coupa Angeline au beau milieu d’une trille particulièrement intense, à son grand soulagement. Se levant en même temps que ses frères, elle vit du coin de l’oeil Emma reculer à distance respectable, tandis que le minuscule émissaire urussi traversait à son tour les convives attroupés, suivi de deux domestiques portant les habituels présents diplomatiques.

Diane rongea son frein dignement pendant que son excellence échangeait courbettes protocolaires avec ses frères et Garance, puis constata horrifiée qu’il poursuivait sur sa lancée en se dirigeant vers elle. Gabriel en oublia de fermer la bouche, et Cyrill la transperça du regard comme si elle était responsable de cette idée incongrue.

Elle s’inclina pour rendre à l’homme son salut, mortifiée, et se rassit pendant que les présents s’échangeaient, le coeur battant sous sa tunique. Il était impossible que l’ambassadeur ne sache pas ce qu’il faisait. Et comme si cela n’avait pas suffit, le voilà s’approchant à nouveau, une petite boite dans les mains.Diane se leva à nouveau et saisit le petit objet avec une feinte reconnaissance, les mains tremblantes, et la rangea rapidement dans une poche. Elle était bonne pour être assignée à résidence dans ses appartements jusqu’à nouvel ordre.

On signala que le dîner était servi, et le repas qui suivit fut encore plus long et harassant que d’habitude. La présence d’Emma à ses côtés parvint à peine à la distraire des regards insistants de Gabriel. Se réfugiant dans son repas, Diane fit de son mieux pour ne pas paraître malpolie à l’égard de l’ambassadeur, placé en face d’elle.

En désespoir de cause, l’émissaire finit par prendre congé après deux danses, arguant de la fatigue du voyage. Diane attendit un moment, puis s’excusa à son tour, les pieds douloureux et la nuque raide.

Elle monta lentement les escaliers en se frottant les tempes. Jusqu’à quel point l’acte de l’ambassadeur serait-il mal interprété ? Peut-être aurait-elle dû aller présenter des excuses à Gabriel, quand bien même elle n’y était pour rien.

Diane sortit le petit objet de sa poche et le tourna entre ses mains. De petites baleines parfaitement polies reflétaient les lueurs des lampes murales. Etait-ce juste un cube ? Une fois dans sa chambre elle alluma la lampe du secrétaire et se pencha sur l’objet. A proximité de la face qu’elle identifiait comme le haut, les ondulations de mer brillante cédaient la place brusquement à un ciel uni et dépoli.

Diane poussa dans un sens, puis tourna d’un quart de tour et recommença. Au troisième essai le couvercle coulissa, révélant un petit pendentif représentant un faucon, en métal noir et mat.

 

— Mademoiselle ?

Diane leva à peine la tête du pendentif. Elle le trouvait superbe. Pourtant elle n’appréciait guère les bijoux figuratifs habituellement. Mais celui-ci était fascinant. Peut importait comment elle l’orientait sous la lampe, il ne reflétait pas la lumière. Il était lourd, et presque tiède au toucher.

— Dois-je ranger le linge de Mademoiselle ? Ah, et j’ai retrouvé une de vos étoffes dans une mauvaise pile à la lingerie. Heureusement j’avais brodé vos initiales dessus.

Maria resta un moment immobile, les bras chargés de linge, le temps que Diane comprenne qu’elle s’adressait à elle. Quelle étoffe ?

— La bleue avec les colibris, Mademoiselle, précisa la domestique, qui avait du mal à comprendre son manque de répondant.

— Oh ! Fit Diane en laissant échapper un petit rictus de dépit.

Eh bien, soit Raphaël avait tenu promesse et s’était débrouillé pour que les colibris retrouvent leur propriétaire, soit il s’agissait d’un coup de chance. Dans les deux cas, il n’avait pas l’air d’avoir envie d’être retrouvé. Peut-être aurait-elle intérêt à rendre le livre et baisser les bras. Le moment n’était pas vraiment propice à la chasse aux Egys…

Maria attendait toujours quelque chose de sa part. Diane fit un effort pour se rappeler de la question.

— Mes excuses, Maria. Oui, vous pouvez ranger le linge. Puis aidez-moi à me changer. Je suis nerveuse comme un llama à la tonte. J’ai besoin d’air.

Diane ôta seule sa tunique brodée et sa jupe trop fragile pour les toits, en attendant que sa femme de chambre ne revienne du placard. Elle se laissait jusqu’au jeune. Si d’ici là elle n’avait pas trouvé Raphaël, elle abandonnerait. Après les événements de la soirée, il valait mieux que la confrérie n’aille pas se plaindre à Gabriel qu’elle s’était à nouveau mise à suivre ses membres dans les couloirs.

— Mademoiselle aura-t-elle besoin de tisane, demanda Maria qui finissait de remonter ses nattes au-dessus de sa tête.

— Ce ne sera pas nécessaire, Maria, répondit doucement Diane en s’enroulant un foulard sur la tête. Bonne soirée à vous.

 

Diane s’arrêta sur la terrasse de service, au milieu des draps aux couleurs vives, et alluma la petite lampe à huile qu’elle avait cette fois pensé à apporter. Les nuages s’amoncelaient à nouveau dans le ciel, bloquant la clarté de la lune, et les dalles du toit pouvaient être glissantes les nuits pendant les pluies.

Elle longea prudemment l’axe du toit, s’assit contre sa cheminée, et posa la tête en arrière contre la pierre en soupirant. Devait-elle fuir aux Cénotes ? Entortillant entre ses doigts la fine lanière en cuir accrochée à la veilleuse, Diane tenta de pondérer sa décision. Elle aimait le pavillon, c’était la maison de sa mère. Mais s’y rendre dans ces conditions semblait lâche.

Ni Cyrill ni Gabriel n’avaient envoyé leurs proches dans une de leurs propriétés reculées.

Diane remonta ses genoux sous son menton et se prit la tête entre les mains, la petite lampe lui chauffant désagréablement le mollet. Dimitri avait-il raison de croire que sa vie était en danger ici ?

— Bonsoir Madeleine.

Un hoquet de stupeur lui échappa, et la veilleuse roula sur le toit et alla se briser dans l’obscurité.

Bord de mappemonde. Raphaël.

— Vous voudrez bien éviter d’en faire une habitude. Où êtes-vous ?

— Assis sur votre gauche. Je viens d’arriver. Vous étiez dans vos pensées.

Diane ferma la bouche, tentant de percer l’obscurité. C’était à peine si elle l’apercevait.

— C- Comment va votre blessure ?

Quelle maladresse d’avoir laissé la lampe tomber ! Ou peut-être avait-il usé de sa magie sur elle pour se débarrasser de la lumière ? Il donnait l’impression de nourrir l’obscurité comme une seiche émet de l’encre. Quelle frustration.

— Beaucoup mieux, grâce à vous. Je suis votre obligé.

Raphaël remua, et Diane eut soudain le nez plein de guacamole épicé et de fruits.

— Ne m’en veuillez pas, je n’ai rien mangé de la journée, dit-il d’une voix lasse. Avez-vous envie d’une galette de maïs ?

Diane se frotta le bout des doigts.

— Je vous remercie pour votre offre, mais j’ai déjà mangé plus que ma part pour aujourd’hui.

Ses doigts picotaient. Raphaël était tourmenté. Le fait même qu’il soit assis ici alors que manifestement il l’avait vue avant elle le confirmait.

— J’ai passé une journée éprouvante également, murmura-t-elle.

Si elle se confiait peut-être serait-il tenté d’en faire de même. Il termina une bouchée avant de répondre.

— Que s’est-il passé ?

— J’aime les livres et la peinture, pas me changer quatre fois par jour et faire la conversation à des inconnus. Et ma famille se déchire autour du conflit de succession…

Diane se mordit la lèvre. Elle n’aurait jamais dû en dire autant. Surtout à cet homme qui déployait tellement d’efforts pour ne pas se montrer. Elle s’était pris les pieds dans son propre piège.

Seulement, elle n’avait que peu d’occasions de se plaindre, même à Emma, et l’attention de celle-ci se focalisait ailleurs depuis peu.

Raphaël restait silencieux, mis à part les bruits inhérents à son dîner. Si ça se trouve il n’écoutait même pas vraiment.

— Mes proches veulent que j’aille me mettre à l’abri dans l’une de nos propriétés en province, tenta-t-elle, cette fois en mesurant ses mots. Mais je ne peux pas. Ce serait les abandonner lâchement.

L’Egy posa quelque chose sur la pierre du toit avec un faible bruit mat.

— Mon miroir est décédé. Il a été incinéré ce soir.

Diane inspira brusquement, la main devant la bouche, puis la tendit vers ce qui devait être son épaule, mais Raphaël se déroba.

— C’est affreux, dit-elle en se redressant, l’air indifférente. Je vous présente mes sincères condoléances.

Son intonation avait été bien plus froide que prévu. Elle tripota l’ourlet de son poncho décoloré.

— Ne me touchez pas s’il vous plaît. Ne vous offensez pas, c’est un réflexe de précaution.

— Je n’en prends pas offense, mentit-elle, le regard au loin.

L’Egy resta silencieux, et ne chercha pas à présenter des excuses. Diane soupira.

— Savez-vous ce qu’est un miroir, Madeleine ?

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ClementNobrad
Posté le 20/02/2023
Hello !

Chapitre toujours aussi sympathique à lire, j'ai l'impression qu'on entre un peu plus dans le jeu de cour et que Diane trouve son refuge sur le toit où elle trouvera réconfort auprès de l'assassin. Cette opposition des deux mondes est sympas, deux vies, deux manières d'être, deux intrigues :) au plaisir de lire la suite !

Commentaires dans le désordre ^^ :

Est-ce un hasard que le numéro de sa chambre sur le plan et celui de sa suivante soit le même en miroir ? Un premier indice pour la recherche d'une future pièce peut-être ?

Les frères de Madeleine ont l'air assez détestable. Saurons nous pourquoi ils se comportent de la sorte envers elle ? Pas très bien saisi le pourquoi des animosités. Que ce soit envers eux, ou entre eux également :)

"Diane se tourna vers l’autre extrémité de l’estrade et fit un signe de tête respectueux à Garance, et un sourire à Augustin, en essayant de filtrer les prouesses techniques d’Angeline pour ne garder que ce qu’Emma disait." > J'avoue que l'enchainement de tous ces prénoms m'a un peu perdu ^^ certainement la lecture en épisode séparé de plusieurs jours n'aide pas. Me rappelait plus qui était chacun d'entre eux :)

"dans la mesure permise par ce qu'elle avait réussi à apprendre à l'internat, voire malgré l'internat." Je n'ai pas compris la phrase, le voire malgré l'internat ^^

"comme un llama à la tonte" > lama

"Elle se laissait jusqu’au jeune" > jeûne

"J’aime les livres et la peinture, pas me changer quatre fois par jour et faire la conversation à des inconnus. Et ma famille se déchire autour du conflit de succession" > hmmm je trouve cette réplique pas assez naturelle, trop "forcée" pour donner à l'assassin des informations sur la véritable nature de Madeleine, là elle donne quasiment son identité. Peut-être trouver quelque chose de plus subtil ^^ ça fait pas assez réfléchi de sa part :)

À très vite !
Camille Octavie
Posté le 20/02/2023
> "Cette opposition des deux mondes est sympas, deux vies, deux manières d'être, deux intrigues :) " >> Je suis vraiment contente parce que c'est vraiment le ressenti que je veux donner, il y a deux personnages principaux dans cette saga, pas un qui est le sidekick de l'autre

> " Est-ce un hasard que le numéro de sa chambre sur le plan et celui de sa suivante soit le même en miroir ? Un premier indice pour la recherche d'une future pièce peut-être ?" >> Ici, c'est plus un hasard amusant. Je sais que ces passages pourraient se voir sévèrement condensés pour que l'histoire "démarre" plus vite, donc si ça perturbe trop je mettrai ça sur la liste des sacrifiés ^^

> "Les frères de Madeleine ont l'air assez détestable. Saurons nous pourquoi ils se comportent de la sorte envers elle ? Pas très bien saisi le pourquoi des animosités. Que ce soit envers eux, ou entre eux également :)" >> Ce sont ses demi-frères de secondes noces, la mère de Diane est décédée. Parmi les raisons qui font qu'ils ne l'aiment pas:
- Si on la laisse trop monter elle pourrait revendiquer ce qui lui revient en théorie de droit (c'est elle l'aînée);
- Elle a la facheuse manie de savoir quand on essaie de la pipeauter;
- Leur mère (la belle-mère de Diane) leur a bien monté le cerveau en faisant de Diane le mouton noir.
Tu as aussi effectivement remarqué que c'est aussi tendu entre eux. C'est notamment (mais pas que, mais chut) parce que celui qui doit hériter, Gabriel, est un monsieur "on a toujours fait comme ça et c'est très bien", et ni très courageux, ni très fin, alors que l'autre est considéré par tous comme celui des deux à qui la couronne irait le mieux

> Pour l'enchaînement des prénoms, merci pour la remarque, je vais faire un peu de tri. C'est ma propre "voix off" qui déteint :/

> "dans la mesure permise par ce qu'elle avait réussi à apprendre à l'internat, voire malgré l'internat." Je n'ai pas compris la phrase, le voire malgré l'internat ^^" >> C'est normal, cette phrase est juste, elle est faite pour interpeller. Sans trop vendre la mèche, Diane n'a pas passé un super moment à l'internat, et beaucoup de ce qu'elle sait, elle l'a appris seule.

> "llama" est une liberté orthographique que j'ai prise volontairement ;) c'est plus proche de l'orthographe méso-américaine

> ""J’aime les livres et la peinture, pas me changer quatre fois par jour et faire la conversation à des inconnus. Et ma famille se déchire autour du conflit de succession" > hmmm je trouve cette réplique pas assez naturelle, trop "forcée" pour donner à l'assassin des informations sur la véritable nature de Madeleine, là elle donne quasiment son identité. Peut-être trouver quelque chose de plus subtil ^^ ça fait pas assez réfléchi de sa part :)" >> Merci, je vais relire et voir pour trouver plus subtil. Dans l'idée, elle commence justement par du très réfléchi (puisqu'elle tente de le mettre à l'aise pour qu'il blablate); sauf qu'elle finit par en dire plus que prévu, parce que pour une fois qu'on l'écoute...
Vincent Meriel
Posté le 27/01/2023
Bonjour ! (encore)

Un chapitre chouette, j'aime toujours bien Diane et je trouve la cour assez intéressante (merci, monsieur l'ambassadeur, de mettre un peu le bazar chez ces coqs détestables !).

J'ai été très amusé par la difficulté de Diane à cause de sa taille (la pauvre), et toute l'énergie qu'elle a déployée pour "corriger" cela. C'est très vivant.

Je suis aussi très content de voir qu'elle a pensé à mieux utiliser son livre d'architecture, et la recherche des appartements des nobles et autres idées farfelues était bien trouvée. On en ferait tous de même. Cela rend par contre étrange, le chapitre 3 où elle était un peu perdue.

Sur l'étrangeté, le début du chapitre (le premier paragraphe) ne semble pas très intéressant. On y apprend qu'elle ne fait rien. Et comme il est assez en décalage avec la chronologie du ch4 (de Moebius) certes, je ne sais pas s'il est effectivement très utile.

J'ai bien aimé la partie avec Dimitri aussi, il a mon affection, au final la seule chose étonnante c'est que Diane ne soit pas plus en colère :P (il y a des baffes qui se perdent).

Niveau style, c'est toujours très bien. J'ai juste eu du mal à comprendre le passage sur le choix de la robe. J'ai dû le relire deux fois pour comprendre quel motif elle suivait et surtout laquelle elle prenait.

Bravo du coup et à bientôt !
Camille Octavie
Posté le 30/01/2023
Bonjour ! J'essaie de prendre dans l'ordre ^^
> L'ambassadeur n'a pas fini de mettre le bazar haha
> En fait je me rends compte que sur les passages "livre" précédents, ce qui n'est pas passé, c'est qu'elle n'a pas trouvé le temps / pris le temps, de "mener l'enquête" avec attention :)
> Le premier paragraphe est un reliquat de réécriture où j'ai douté très longtemps de "jusqu'où enlever ?", du coup je me note d'essayer de l'enlever, quitte à trouver un autre endroit pour dire qu'il n'y avait personne sur le toit la veille.
> par curiosité, pourquoi est-ce que Diane serait en colère contre Dimitri ? :)
> je me note aussi que le passage robe n'est pas clair
Encore mille mercis ! :)
Vincent Meriel
Posté le 31/01/2023
Ah, je ne parle pas d'être en colère contre lui, mais contre son placardage. Qu'elle lance sa révolution là !
Camille Octavie
Posté le 01/02/2023
Hahaha ! Pas content ! Pas content ! Pas content !
Ça arrive justement :D
En fait, en idée d'origine, au début elle n'a pas les ressources, et elle le sait (on ne fait pas une révolution avec un secrétaire et une dame de compagnie !). Il y a aussi une part de résignation. Il y a des choses qui sont expliquées au fur et à mesure sur le pourquoi :)
Mais je suis en train de lire Truby et j'ai plein d'idées pour rendre son début d'histoire encore plus "cocotte-minute":
- Et si une chaperone lui est imposée dès qu'elle sort de ses appartements ?
- Et si il y a des endroits du palais où elle n'a pas le droit d'aller ?
- Et si son courrier est systématiquement ouvert et lu avant de lui être donné / d'être envoyé ?
Vincent Meriel
Posté le 03/02/2023
J'ai effectivement considéré qu'elle ne devait pas y croire pour être aussi résignée. Cela me parait assez censé vu sa situation. J'espère qu'elle va réussir à retourner les choses :P
Tes propositions me semblent pouvoir fonctionner, mais entre le fait qu'elle n'ait aucun droit, aucune responsabilités et qu'elle se fasse enguirlander dès que quelqu'un semble la respecter c'est déjà pas mal.
Elly Rose
Posté le 03/12/2022
Bonsoir bonsoir,

Voilà un chapitre qui en dit bien long sans pourtant trop rentrer dans les détails. J'imagine bien que tout ne sera dévoilé qu'au fur et à mesure et j'aime beaucoup la tournure que prenne les événements, autant en ce qui concerne les personnages que sur l'ambiance générale du pays!

J'ai toujours hâte d'en découvrir plus!
Camille Octavie
Posté le 03/12/2022
Merci pour ce gentil retour ! Pas simple de maintenir le suspense sans perdre le rythme... Mais il faut profiter du calme, il ne va pas rester ^^'
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