La neige disparut pour céder la place à des couleurs éclatantes. Cette suivante réussit enfin à se faire remarquer de cette source. Freijat observait leur manège depuis plusieurs lunes. Lui semblait ne pas s’apercevoir que la suivante d’une autre source l’amenait à la rencontrer. Leurs rencontres, apparemment hasardeuses, ne l’étaient pas.
Freijat avait fini par douter de ses suppositions mais finalement, la jeune suivante osa faire le premier pas. Heureusement, car la source, un jeune homme en pleine santé mais le regard vide, ne percevait pas du tout les appels pourtant plus que visibles.
Freijat en fut heureuse pour eux. Au moins vivraient-ils une jolie histoire avant de tomber. Chenoa n’avait pas eu cette chance.
Freijat détourna le regard tandis que les deux s’offraient l’un à l’autre dans une étreinte passionnée. Freijat se demanda un instant ce qui se passerait si la jeune suivante tombait enceinte. La forceraient-ils à avaler un produit faisant passer l’enfant ? Lui prendraient-ils le nouveau né pour l’amener à un village ? N’en avaient-ils tout simplement rien à faire ?
Freijat ne le sut jamais car la source de la jeune suivante périt le premier soir de la pleine lune. Depuis sa fenêtre, Freijat pur voir les supérieurs tuer la suivante : nuque brisée. Au moins la mise à mort était-elle rapide et sans douleur. Pourquoi ne s’en nourrissaient-ils pas ? Freijat n’en sut rien.
Au retour de la neige, Freijat se demanda si son dernier marchait enfin. Sa gorge se serra. Ses quatre petits lui manquaient tant. Ajar en prenait soin, sans aucun doute, mais ils grandiraient tout de même sans leur mère. Tout ça parce qu’elle avait refusé d’épouser leurs pères.
Que faisait Kre-mi ? Elle ferma les yeux et appela ses souvenirs. Elle se revit, marcher main dans la main avec lui. Des larmes inondèrent son visage. Il était heureux. Il fallait qu’il le soit. Sinon, tout cela n’avait aucun sens.
En survivant, Freijat venait déjà d’offrir un répit à Tadi. Que faisait le jeune homme ? À quoi aspirait-il ? Elle n’en savait rien et ne voulait surtout pas savoir. Elle le voyait parfois passer devant sa fenêtre. Rarement. À croire qu’il le faisait exprès. Peut-être.
Il devait la considérer comme folle. Une mutique qui refusait de bouger, passant ses journées à regarder dehors. Freijat posa sa main sur la vitre qui s’embua immédiatement. Elle avait maigri. Les deux morsures quotidiennes l’affaiblissait tant ! Elle peinait à se mouvoir. Le manque d’exercice n’aidait pas.
Elle voulait que ça s’arrête mais refusait d’emmener Tadi avec elle. Chenoa était déjà morte par sa faute. Plus jamais ! Elle survivrait, longtemps, très longtemps, et Tadi vivrait une belle vie. Des innocents ne mourraient plus à cause d’elle.
Freijat entendit la porte de sa chambre s’ouvrir. En plein milieu de l’après-midi ? Tadi ne venait jamais la déranger à cette heure. Il avait vite compris qu’elle ne lui adresserait jamais la parole ni ne sortirait. Il passait tout son temps dehors, ne venant la voir que pour lui apporter de quoi se sustenter ou un vêtement propre.
Son receveur venait-il réclamer une nouvelle dose ? Freijat en soupira d’avance. Elle se tourna vers la porte pour découvrir un supérieur, mais pas celui qu’elle attendait.
- Sahale ? s’exclama-t-elle, surprise de voir son guérisseur attitré.
Elle ne s’attendait pas à sa visite. Il lui sourit.
- Bonjour, Freijat.
- Bonjour, supérieur, répondit la source.
Il s’assit près d’elle, sur le lit, face à la fenêtre, comme elle. L’odeur de terre et de thym l’atteignit, lui rappelant son village, ses enfants, ses sœurs. Freijat fut incapable de retenir ses larmes.
- Tu passes tes journées à regarder dehors ? demanda-t-il.
Freijat hocha la tête.
- Ça t’arrive de sortir de ta chambre ? insista-t-il.
- Toutes les nuits, répondit Freijat.
- Tu sors la nuit ? s’étonna Sahale. Pourquoi ?
- Parce que mon receveur le réclame, indiqua-t-elle sobrement.
- Tadi m’a dit que ta morsure se faisait en milieu de matinée, grimaça Sahale.
- La première, oui. La seconde a lieu un peu avant minuit, dit Freijat.
Sahale se figea. Il transperça Freijat des yeux.
- J’ai dit quelque chose de mal ? Oh pardon ! J’ai oublié de dire « supérieur » !
- Non, non, je m’en fiche, précisa Sahale. Par contre, tu vas venir avec moi.
Il se leva et Freijat fit de même, très inquiète par le ton sombre et désapprobateur de son guérisseur. Il l’emmena le long de plusieurs chemins, sous des arbres. Ils croisèrent de nombreuses personnes mais jamais Tadi. Freijat suivit difficilement mais elle devait bien admettre que sortir lui faisait du bien.
Elle respira l’air piquant, s’amusa de la buée sortant de sa bouche. Son dernier venait de découvrir la neige. Elle l’imagina taper, bâtir, grimacer, grelotter. Il fallait le couvrir ! S’assurer qu’il ait chaud ! Lui donner du… Ce n’était plus à elle de s’en charger. Elle l’avait perdu, comme les autres.
Freijat cessa d’avancer lorsqu’au détour d’un arbre, un bâtiment gigantesque en pierres apparut. Elle leva les yeux, abasourdie. Elle en avait le vertige tout en ayant les deux pieds bien ancrés sur le sol. La cime de l’édifice semblait toucher les nuages. D’une propreté irréprochable, il défiait les cieux.
- Freijat ? lança Sahale.
Elle s’ébroua et rejoignit le supérieur sous une arche majestueuse. Ils traversèrent de nombreux couloirs, leur pas résonnant sur les dalles de pierres. Les lieux se trouvaient ponctués, de ci, de là, de quelques passants. Freijat compta trois supérieurs et une dizaine de serviteurs, du moins supposa-t-elle qu’ils l’étaient, puisqu’ils transportaient des paniers ou balayaient le sol.
Ils finirent par entrer dans une immense pièce au plafond tellement haut que Freijat peinait à distinguer les sculptures qui l’ornaient. L’endroit était éclairé par d’immenses braseros, faisant se mouvoir des ombres sur les murs sombres. Le sol proposait un doux tapis gigantesque. Combien de lunes sa conception avait-elle prise ?
Une vingtaine de supérieurs se trouvaient là, discutant. Freijat se sentit immédiatement de trop : que tout le monde la dévisage n’y était sûrement pas étranger.
Sahale s’avança avec assurance, stoppa devant un homme au visage tendre et au regard sombre. Freijat en frémit. Ce corps relativement jeune reflétait une sagesse intense. L’effet était saisissant. Comme tous les supérieurs, il portait un habit léger laissant ses bras nus malgré le froid glacial.
Sahale s’inclina respectueusement devant cet homme. Freijat se demanda un instant comment elle devait se comporter. Serait-ce impoli de rester debout ? Devait-elle s’agenouiller ? Les conversations cessèrent brutalement tandis que l’homme parlait :
- Sahale ? Ta présence m’honore ! Tu viens si peu par ici pour nous préférer les humains. Et voilà que tu nous en amènes une ! Tu sais que nous avons déjà tout ce dont nous avons besoin. Allons, mon petit, dis-moi ce qui t’amène !
- Freijat, répète à l’Ancêtre ce que tu m’as dit, ordonna Sahale.
La source frémit. Il lui demandait de parler, ici, devant tous ces supérieurs qui la transperçaient du regard ? Elle en pleurait presque. Elle sentait l’urine qui ne demandait qu’à sortir.
- Freijat ! gronda Sahale.
- Je… Je ne sais pas ce que je dois dire, sanglota Freijat.
- Elle semble peiner à tenir debout, remarqua celui que Sahale avait désigné sous le terme « Ancêtre ».
- C’est la raison de ma visite, indiqua Sahale.
- Je suis mordue deux fois par jour, en milieu de matinée et en plein milieu de la nuit, supérieur, dit Freijat, espérant qu’il s’agissait bien de ce que Sahale attendait d’elle.
- Quoi ? lança l’Ancêtre en fronçant les sourcils.
- Où se passe la morsure matinale ? demanda un supérieur qu’elle ne connaissait pas tandis que Sahale se mettait en retrait, comme s’il ne voulait pas participer à l’échange qui suivrait.
- Dans ma chambre, supérieur, répondit Freijat.
- Où se passe la morsure nocturne ? demanda un autre supérieur.
Freijat avait l’impression de se retrouver dans la hutte du lien. Question. Réponse. Sauf que cette fois, les réponses ne se répétaient pas. Les réponses n’étaient pas connues d’avance. Il s’agissait d’un interrogatoire réel, auquel elle avait été préparée, éduquée. On lui avait appris à réagir correctement, à répondre sans réfléchir. Le lavage de cerveau fonctionna à merveilles.
- Dehors, dans la forêt, sous les arbres, supérieur.
- En position d’offrande à chaque fois ?
- Oui, supérieur, répondit Freijat.
- Ton receveur se trouve donc systématiquement dans ton dos ?
- Oui, supérieur.
Un grand silence suivit cette déclaration.
- En théorie, il pourrait donc s’agir de n’importe qui, siffla l’Ancêtre.
La réflexion prit Freijat par surprise. Elle n’avait pas imaginé une seule seconde que la morsure nocturne ait pu être faite par quelqu’un d’autre. Un autre supérieur profiterait d’elle ? Pourquoi ? Ne disposaient-ils pas tous de leur propre source ?
- Je suppose, supérieur, admit Freijat interloquée.
- Mène-nous à l’endroit où tu reçois la morsure nocturne, ordonna l’Ancêtre.
Pas moins de sept supérieurs participèrent à cette randonnée. Freijat peinait à mettre un pied devant l’autre. Elle n’avait pas marché autant depuis bien longtemps et son énergie s’épuisait rapidement. Sahale la soutint, lui prenant la main, l’encourageant de mots gentils. Les autres supérieurs restèrent parfaitement silencieux et aucun ne montra le moindre agacement.
Enfin, ils arrivèrent sur la zone. De jour, l’endroit rayonnait. De nuit, Freijat le trouvait totalement terrifiant.
- Tais-toi, ordonna Sahale et ce bien que Freijat ne parlât pas.
Elle obtempéra. Les supérieurs restèrent immobiles, stoïques, aux aguets, mais de quoi ? se demanda Freijat.
- Il doit dormir, proposa un des supérieurs.
- Il va falloir le forcer à sortir, dit un autre.
Un troisième dégaina un couteau, attrapa le bras de Freijat et taillada. Freijat cria tandis que Sahale la maintenait sans brutalité. Le sang perla et Freijat sentit une terreur l’envahir. Elle allait se faire mordre, c’était sûr ! Un supérieur inconnu apparut devant elle. Elle cligna des yeux. Était-il capable d’apparaître à volonté ? Il grognait et salivait, ses deux canines proéminentes.
Sahale réagit. Il enfonça sa main dans le torse du monstre et en retira un organe. Le démon disparut en fumée, ne laissant derrière lui que ses vêtements. Freijat observa la main de Sahale. Elle ne contenait rien, pas même une goutte de sang.
- Je retourne à la salle du trône avec elle, annonça l’Ancêtre. Amenez-moi ce salopard.
Les six supérieurs hochèrent la tête et disparurent en un claquement de doigts.
- Viens, dit l’Ancêtre.
Freijat le suivit et sans le soutien de Sahale, cette marche fut extrêmement pénible. L’Ancêtre ne l’aida pas mais l’attendit avec calme et tranquillité.
- Tu peux boire et manger, proposa-t-il une fois dans l’immense salle de la grande bâtisse.
Une table proposait divers mets en tout genre. Le tout sentait merveilleusement bon. Elle ne se le fit pas dire deux fois. Elle se remplit le ventre, peinant à se décider entre les couleurs, les saveurs, sucré, salé, épicé ? Il y avait de tout. Lorsqu’elle eut fini, la fatigue la submergea.
- Mets-toi à mes pieds, proposa l’Ancêtre. Tu peux te reposer.
Il était assis sur un haut siège en pierre. Elle se lova sur le tapis doux et malgré le courant d’air froid qui la percuta, s’endormit.
Une douce caresse sur sa joue l’éveilla. Elle eut beaucoup de mal à émerger mais finit par voir la pièce se remplir de monde : que des supérieurs. Combien y en avait-il ? Une trentaine au moins.
Sahale entra avec un de ses compagnons. Ils traînaient le receveur de Freijat qui se débattait vainement. Il fut jeté aux pieds de l’Ancêtre et y demeura sous le regard glacial de ses comparses.
- Tu as rompu la plus basique de nos lois, accusa l’Ancêtre. Qui a le droit d’engendrer ?
- Vous, Ancêtre, dirent ensemble les supérieurs.
Freijat constata que son receveur n’avait pas prononcé la phrase.
- Un de mes petits peut-il engendrer ? insista l’Ancêtre.
- Non, Ancêtre, répondit le groupe.
Le receveur toisa l’Ancêtre.
- Va te faire foutre, insulta-t-il.
L’Ancêtre secoua la tête puis se leva. Il s’approcha du fautif. Freijat sentit l’Ancêtre en difficulté. Il tremblait et serrait les dents. Son acte lui coûtait visiblement. Elle se demanda un instant s’il allait y arriver mais finalement, il plongea sa main dans le torse du receveur qui sembla ne pas en revenir. Freijat le trouva stupide : pensait-il vraiment que l’Ancêtre ne le tuerait pas ? Il devint à son tour poussière, ne laissant que ses vêtements derrière lui.
Les supérieurs avaient une étrange façon de mourir. Pour avoir enterré Chenoa, Freijat savait très bien que cela n’était pas du tout normal.
- Conseil, dit l’Ancêtre avant de reprendre place sur son trône.
Seuls cinq supérieurs restèrent, dont Sahale. Les autres s’éclipsèrent. Freijat constata que des serviteurs entraient, retiraient les vêtements désœuvrés, nettoyaient et remettaient de la nourriture sur la table.
- Cela ne doit pas se reproduire, annonça l’Ancêtre.
- Assurément, dit un supérieur.
- J’attends vos propositions, indiqua l’Ancêtre.
Il y eut un moment de silence puis un supérieur prit la parole.
- Si la morsure se fait au bras, comme chez les Atikamekw, la source pourra voir son receveur et s’assurer de son identité. Cela devrait suffire à régler le problème.
Aucune réponse ne se fit entendre. Il y eut un moment de silence. Un autre supérieur s’exprima :
- On peut rajouter une précision dans le mantra des sources : une seule morsure par jour.
Le silence répondit. Un autre supérieur proposa :
- Le suivant ou la suivante doit être présent durant la morsure. C’est lui ou elle qui s’assure de l’identité du receveur.
Sahale annonça :
- Un supérieur devient superviseur et observe les environs. Il est invisible et a pour rôle de vérifier qu’aucune loi n’est brisée.
Le dernier supérieur lança :
- La morsure doit se faire en présence d’un autre Vampire. Interdiction de se nourrir seul.
- Merci pour vos idées, annonça l’Ancêtre. Tyee, c’est hors de question. Nous priver de mordre à la gorge ? Inimaginable.
Les supérieurs sourirent. Freijat se demanda si cela changeait vraiment quelque chose pour la source. À la gorge ou au bras, cela ne changeait rien, si ?
- Waban, nous n’avons pas tous les même besoins. Certains mordent trois fois par jour, puis plus rien pendant une lune. Une telle restriction serait trop difficile à tenir.
Le dénommé Waban s’inclina respectueusement.
- Kéa, le rôle des suivants et suivantes est déjà difficile. Voir en plus la mort en face risque de les détourner de leur mission initiale. De plus, la morsure est une chose intime. De fait, Ohanko, cela semble rejeter ton idée aussi et pourtant, il y a matière à creuser.
Ohanko sourit, visiblement ravi.
- Je n’aime pas le principe d’obliger à être deux. Après tout, deux peuvent se mettre d’accord pour servir de témoin à l’autre. La trahison sera double et non simple. C’est pire.
Ohanko blêmit devant ce réquisitoire.
- En revanche, le faire devant moi règle le problème. La nouvelle règle est donc : la nutrition se fait ici, dans la salle du trône, en ma présence. Cela devra être rajouté au mantra des sources. « Où une source peut-elle servir de nourriture ? » et la réponse sera « Dans la salle du trône ». Sahale, ton idée me plaît beaucoup. Je vais vous rendre responsables les uns des autres. Si l’un de vous se nourrit ailleurs qu’ici, il sera puni mais vous aussi, tous. Une lune sans se nourrir me semble approprié.
Les supérieurs pâlirent. Freijat sourit. Elle ne serait pas contre une lune de répit. Si l’un d’eux pouvait rompre cette loi, cela l’arrangerait bien.
- Faites diffuser ma volonté, ordonna l’Ancêtre.
Au ton, il était clair que l’échange était terminé. Pourtant, Sahale lança :
- Il faut discuter du cas de Freijat.
La source se crispa. Se retrouver soudain au centre de l’attention lui déplaisait carrément.
- Que veux-tu dire ? demanda l’Ancêtre. Elle va être réassignée, voilà tout.
- Elle sert de nourriture depuis maintenant trois hivers, indiqua Sahale.
Cela faisait-il vraiment autant de temps ? s’étonna Freijat. Elle se plongea dans ses souvenirs. Y avait-il vraiment eu trois floraisons ? Impossible de se remémorer les événements. Elle peinait à assembler les morceaux.
- C’est exceptionnel, compléta Sahale.
- Exceptionnel ? répéta Ohanko. Elle est dans la limite haute, certes, mais elle est loin d’être la seule.
- Sauf qu’elle a reçu deux morsures par jour, rappela Sahale, ce qui équivaut à six hivers sans devenir poreuse.
Poreuse ? répéta Freijat dans sa tête. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?
- Elle est exceptionnelle, j’en conviens, admit Ohanko. Et alors ?
- Elle nous a déjà donné trois sources. Je propose de monter ce nombre à quatre.
Les supérieurs se turent pour réfléchir. Ils voulaient un autre bébé, comprit Freijat. Elle ne voulait pas enfanter mais au contraire, mourir, partir, laisser ce monde derrière. Elle avait envie de hurler, de pleurer, de s’enfuir, de s’enfoncer un couteau dans le cœur. Elle n’en avait pas la possibilité. Les supérieurs avaient toujours tout ce qu’ils voulaient.
- Cet enfant sera une marchandise de très grande valeur, poursuivit Sahale.
- Tu prévois de la vendre ? demanda l’Ancêtre.
- Oui, confirma Sahale. Ne penses-tu pas qu’elle sera désirée ?
- Sans aucun doute, accepta l’Ancêtre. Est-on certain que cela vient bien d’elle ? Le protocole a-t-il été respecté à la lettre ? A-t-elle reçu le même traitement que les autres sources ?
- Non, supérieur, intervint Freijat.
Les regards tournés vers elle lui indiquèrent qu’elle n’était pas censée prendre la parole. Dans la hutte du lien, elle avait appris à ne répondre qu’à une question directe, posée avec son prénom en premier mot.
- Explique-toi, siffla l’Ancêtre clairement mécontent.
- J’ai été mordue par mon premier trieur et je sais que cela n’aurait pas dû se produire, supérieur, indiqua Freijat.
- Je confirme, dit Sahale.
- C’était quand ? demanda l’Ancêtre.
- Après son premier enfant, indiqua Sahale.
- Une morsure en amont permettrait d’améliorer la résistance d’une source ? C’est une théorie intéressante à tester. Ne sachant pas si cela vient d’elle ou de cet écart dans le protocole, j’ordonne que Freijat nous donne non pas une mais trois sources supplémentaires. Sahale, tu vas ramener Freijat à son village et la surveiller. Freijat, tu auras interdiction de révéler quoi que ce soit de ce que tu as pu vivre, voir ou entendre ici. As-tu compris ?
- Oui, supérieur, répondit Freijat qui n’en revenait pas.
Jamais nourriture n’était revenue au village. Elle allait pouvoir revoir ses enfants et peut-être, Kre-mi ! Qui sait, son épouse était peut-être décédée en couche depuis ! Freijat ne put s’empêcher de sourire.
- Ohanko, il faudra tester l’effet d’une unique morsure précoce. Je te laisse monter l’expérimentation.
- Bien, Ancêtre.
Sahale fit signe à Freijat de le rejoindre. Elle sortit de la salle du trône avec lui. La conversation continuerait là-bas sans elle. Elle grimpa sur le traîneau à chiens. Il décolla et à nouveau, Freijat ne vit rien du trajet. Perdue dans ses pensées positives, elle souriait béatement, trop heureuse à l’idée, ténue, de revoir l’amour de sa vie.