Chapitre 5 - Fuite

Les yeux clos, Hazel était dans l'attente d'une suite qui ne vint pas.

« Viiiite ! entendit-il, mon sort de temps n'dure pas plus d'vingt-sept secondes ! Et encore, vu le nombre de ces pustules cramoisies, ça pourrait être plus court. »

Sans encore comprendre de quoi il retournait, le jeune ours se dégagea de ses liens à l'aide de ses griffes et sauta de son perchoir. Il écorcha son pelage au passage. Des scorpions, rendus immobiles par l'incantation du sauveur, furent écrasés. Sans aucun regret, pas même un peu de dégoût, Hazel prit la fuite.

« Par ici ! »

Un bonnet jaune sautillait non loin de lui. Son propriétaire agitait les bras comme s'il essayait de voler.

« Vous ici ? questionna Hazel, surpris. Mais comment...

- Pas l'temps pour la parlotte, Grazol ! Cours ! »

L'ours redoubla d'effort pour fuir. En chemin, il attrapa le lutin et le jeta sur son dos.

Le silence dans la clairière fut de courte durée. Un battement de coeur plus tard, les naïades revenaient à elles.

« Noooooon ! hurla Galerna, attrapez-les ! »

Les talons martelèrent le sol aussitôt, prenant en chasse les deux fugitifs.

Les arbres défilaient en cadence. Les doigts du lutin étaient enroulés aux poils de l'ours. Il devait lutter pour rester arrimé à son compagnon, son corps voletait et rebondissait comme un drapeau flottant au vent. Dans cette posture inconfortable, il tentait tant bien que mal de diriger leur parcours.

« À gauche tout, Izrul ! Clafoutis de gnomes ! Elles sont encore à nos trousses !

- Hazel, je m'appelle Hazel, répondit tout de même l'intéressé entre deux respirations.

- On va pas chipoter maintenant ! C'est pas l'moment ! Prends à droite. Vite ! Au-dessus des troncs couchés ! »

Hazel franchit d'un bond les morceaux de bois morts. Il entendit le lutin marmonner des mots étranges qui n'avaient aucun sens pour lui.

« C'est bon l'ourson, tu peux ralentir un peu l'rythme, j'viens de leur jeter un nouveau sort. Mais c'était mon dernier, ça nous laisse que peu de répit. »

Hazel réduit l'allure et se mit à trottiner.

« Que leur avez-vous fait ? s'enquit-il.

- Crotte de fouine ! Le dos d'ours, c'est pas mon dada, lui répondit-il en grimaçant. Arf, j'ai créé des ombres pour les disperser. Elles seront obligées d'se séparer pour nous retrouver. On devrait gagner un peu d'temps.

- Pourquoi avez-vous dit que c'était votre dernier sort ? N'avez-vous pas vos pouvoirs tout le temps ?

- J'sais pas d'où tu viens toi, mais t'as des actualisations à faire. Nous, les lutins, surtout les Fir Darrig, fonctionnons par lune. Une lune égale trois sorts. Pour en avoir d'autres, ben faut attendre la prochaine.

- Oh. Je vois. Et, elle est loin la prochaine ?

- Dans vingt jours. Disons que nous n'sommes pas dans la meilleure des postures ! »

Ils continuèrent leur route en silence. L'obscurité se faisait plus présente, la forêt revêtait sa parure inquiétante. Au loin, des cris se répercutaient en écho. Hazel accéléra un peu son pas pour être certain de distancer les poursuivantes.

Au bout d'un moment, ils débouchèrent dans une trouée. À travers les branchages plus écartés, les deux compagnons aperçurent le croissant maigrelet de la lune bien haut dans le ciel. La nuit était bien avancée. Les bruits émis par les naïades semblaient s'être arrêtés.

« Pensez-vous que nous leurs avons échappés ? hasarda Hazel Pourrions-nous nous reposer un peu ? Je ne crois pas pouvoir continuer sans boire un peu d'eau fraîche...

- Bien, mais fais vite, d'autres créatures pourraient rôder par ici. »

L'ours s'abstint de le questionner sur ce plan de peur de les faire jaillir d'un buisson. Avec un coup d'oeil au dessus de son épaule, il s'aventura vers la flaque d'eau afin d'étancher sa soif.

Le lutin, un sourire malicieux collé aux lèvres, se mit à glisser sur le dos d'Hazel. Comme sur un toboggan, il longea son épaule et SPLACH ! L'Éclaboussa d'une belle gerbe d'eau glacée. Un grand éclat de rire accompagna le plongeon.

« Elle est bonne, non ? Hein, Bretzel ? » s'esclaffa-t-il.

Ce dernier s'ébroua, il s’apprêtait à montrer ses crocs en représailles lorsqu'il vit une lueur dans le bosquet voisin. Un scintillement étrange. Les sens en alerte, il se concentra sur les fourrés, espérant secrètement s'être trompé. Le lutin, trop occupé à se tenir les côtes tellement il riait, n'avait pas encore perçu le changement d'attitude de l'ours.

Non, ce n'était pas une lueur. Mais deux. Des yeux. Une paire d'yeux les regardait. Conscient d'être repérée, elle s'immobilisa. Mais deux autres apparurent. Et encore deux autres. En tournant la tête, Hazel comprit leur erreur. Une foule de paire d'yeux était dirigée contre eux. Ils étaient cernés. Restait à savoir par qui. Ou par quoi.

Le petit homme, à la tête de son compagnon, saisit que quelque chose ne tournait pas rond. En deux bonds, il grimpa sur son dos, se cramponnant fermement à ses poils. Les plaisanteries étaient terminées.

« Vas y, p'tit gars ! Cours ! » lui assena-t-il.

Hazel s'élança de toute la puissance de ses muscles. En quelques pas, il rejoint les arbres.

Il fut suspendu dans sa course par un corps massif qui s'interposa devant lui. De la puissance à l'état brut se dégageait de cet être. Les muscles bien dessinés, les poils noir lustrés et ces prunelles jaune étincelantes.

« Et bien, et bien, messieurs. Vous alliez quelque part ? » interrogea le loup d'une voix suave.