Peu à peu, les loups sortirent de leur cachette. Six individus, tous avec le même pelage noir, encerclèrent Hazel et le lutin. Le chef de la meute se reconnaissait grâce à sa carrure exceptionnelle. Il les toisait. Sa langue léchait ses babines d'un air envieux, mais son oeil interrogateur semblait attendre une réponse de leur part.
« Alors Papa ! On les mange ? Hein, dit, on les mange ? demanda un jeune loup.
- Patience Lassen, patience, lui répondit une louve, ton père discute avec notre repas.
- Oui, c'est vrai, je l'avoue, j'aime parler avec ma nourriture. J'aime savoir où ils se rendaient. C'est touchant de se dire qu'ils n'iront pas ! 'fin moi, ça me fait un p'tit quelque chose. Alors, où alliez-vous messieurs ? Dites-moi. Puis, notre famille se chargera d'abréger vos souffrances.
- Nom d'une fricassée de larves ! Laissez-nous partir. On s'en allait. L'ourson, c'est pas fameux comme viande, et je n'vous parle pas d'un lutin comme moi. Y'a rien à manger là-dessus !
- Voyons, l'amuse-gueule, ce n'était pas ma question, lui-répondit le père. Ne perdez pas votre salive en babillages inutiles. Répondez-nous, un point c'est tout.
- Bon alors, Papa, j'ai faim ! râla encore le jeune.
- Vous voyez, vous faites attendre mon fils. Et, je n'aime pas ça. Non vraiment, cessez de nous faire languir, dites-le nous, qu'on en finisse. »
Hazel était tétanisé. Il avait une peur bleue des loups. Les ours, eux, ne mangeaient jamais les louveteaux, ce qui n'était pas valable dans l'autre sens. Son corps tremblait comme une feuille.
« Arrête, Frizal, j'en claque des dents !
- Plaît-il ? s'enquit le grand loup, ah oui, c'est vrai, je ne me suis pas présenté. C'est une autre chose que je fais d'habitude. Je suis Larssin, pour vous servir. Mais vous me devez toujours une réponse. »
La horde se regroupait maintenant face aux acolytes, prête à bondir. Les lèvres retroussées laissaient entr'apercevoir des canines aiguisées et destinées à déchirer la chair en un coup.
« Galerna ! Galerna ! Je les ai trouvés, entendirent Hazel et le lutin dans leur dos.
« Par la bave d'un mammouth gris ! Oh non ! Je les avais presque oubliées celles-là ! » sursauta le petit homme.
Toutes les têtes se retournèrent vers la jeune fille qui arrivait en courant. Bien qu’essoufflée, son visage transparaissait de la joie victorieuse de ceux qui ont réussi. Un observateur extérieur aurait pu dire qu'elle n'avait certainement pas encore vue tous les détails de la scène. Mais pour l'heure, d'autres naïades la rejoignirent avec cette même expression de soulagement et de triomphe.
Hazel observa leurs faces joyeuses se décomposer à vue d'oeil.
« Oh, tien donc. Mais ce sera un véritable buffet ! s'exclama le chef des loups, une lueur intense dans le regard. Tu avais faim, fils, te voici servis ! »
Le reste de la meute se mit à grogner. Les naïades, elles, se tendirent comme des arcs.
Sur ces entrefaites, Galerna apparut, haletante et transpirante.
« Où sont ces misérables incapables imbus... »
La reine interrompit son flot de parole quand elle aperçut derrière ses victimes la bande qui les entourait.
« Vous ici ! De mieux en mieux ! Ortzi, dans toute sa splendeur, est d'une telle clémence avec moi. Il ne pouvait pas me faire ça, il ne pouvait pas m'enlever mon heure de gloire sous le nez. Non, il me réservait bien plus. Sa bienveillance m'épate !
- Ha ha ha. Et bien, Madame, je vois que vous n'avez pas perdu votre foi envers votre dieu. Ni votre capacité à tirer des conclusions hâtives, lui répondit le loup. Vous pouvez encore passer votre chemin... ou rejoindre les morceaux de choix que nous dégusterons cette nuit.
- Ils sont à moi ! Ne vous avisez pas de mettre une de vos sales pattes sur ces infects intrus invasifs ! Nous nous chargerons de vous d'abord. Mais ensuite, ils sont promis à une destinée bien plus grande !
- Je crains que nous divergions sur ce point, Madame. L'ourson et son hors-d'oeuvre de compagnon sont à nous ! Nous les avons cueillis en toute honneur. Qui va à la chasse... Mmmh... dis Lyrania, quelle est la suite déjà ?
- Mange de bonne grâce, mon cher, ajouta-t-elle.
- Ah, oui ! Merci, ma douce. Où en étais-je ? Oui, voilà. Ils sont à nous ! Dûment gagnés. »
La démence dans le regard de Galerna était palpable. En transe elle déclama :
« Je comprends, ô suprême des suprêmes ! Nous devons les éliminer une fois pour toutes ! Naïades ! Chargez ! »
Les loups, restés sur la défensive, grognèrent de plus belle. Le choc fut brutal. Les naïades se jetèrent à l'assaut des loups. Ces derniers, toutes dents dehors, affligeaient des coups de crocs à droit et à gauche. La bataille n'était pas bien belle à voir. Les deux clans, bien déterminés à l'emporter, se battaient sans relâche. Chaque morsure prise était rendue par un choc et inversement.
Au milieu de ce carnage, Hazel se recroquevillait. Ses pattes de devant cachant ses yeux, il s’efforçait de ne pas écouter trop attentivement le tapage répugnant alentour. Et sans parler de l'odeur.
« Hé, Hazel, lui chuchota le lutin. On en profiterait p'être pour s'échapper, non ? »
Mais l'ourson, engourdi par la peur, peinait à réfléchir ou envisager de se déplacer.
« Oh, Hazel ! Allez, debout ! On n'est pas arrivé jusque là pour que tu t'dégonfles comme un soufflé décrépit. Bouge tes pattes de là et zou ! En avant ! »
Le lutin tirait le pelage de l'ours pour le faire réagir, sans succès.
« Fiente de dragonne ! Par la barbe de mon grand-père ! Ils sont en train de s'entretuer ! J'ai pas envie de finir en brochette moi ! Vite ! »
Soudain, ce fut clair dans son esprit. Fuir ! Déguerpir de là ! Hazel se leva subitement, désarçonnant son compagnon qui se rattrapa de justesse, et se mit à courir à grandes foulées. Il survola des corps, ne sachant pas bien s'ils étaient vivants ou morts.
Une fois le couvert des arbres atteint, Hazel, en une oeillade, découvrit le carnage qui sévissait. Il détourna les yeux, le coeur révulsé et s'élança, libre, vers l'ailleurs.
« Au fait, dit tout à coup le lutin, je m'appelle Grüd. »