Chapitre 5 : La cabine du capitaine

Le jeune garçon n’eut le temps de répondre au capitaine qu’il se fit tirer en arrière. Sachant que c’était pour le conduire dans les quartiers de l’homme juste sous ses yeux, il se débattit en hurlant et réclamant des explications. Il n’en eut pas, car les deux hommes qui le tenaient étaient bien plus costauds que lui. Le brun partit voir par-dessus bord pour regarder si certains de ses hommes étaient encore vivants.

Arrivé en haut des escaliers menant sous la barre de navigation, les deux hommes jetèrent Morgan par la porte ouverte un peu plus tôt à la volée. Il rencontra rapidement le sol et gémit de douleur en se relevant, quand il entendit la porte se fermer et un verrou s’enclencher.

-Ah non non non !

Morgan se jeta sur la porte et sa poignée afin de l’ouvrir, mais sa peur se révéla vraie. La porte venait d’être verrouillée. Énerve, il donna un grand coup de poing dans celle-ci avant de glisser doucement et de se retrouver à genoux au sol. Une chose sembla l’interpeller. Il palpa davantage le sol à des endroits différents. Il était sec, comme si l’eau de la vague n’avait pas passé la porte de la cabine.

Il se releva, un peu curieux, et trouva diverses affiches accrochées au mur. Il s’approcha et les toucha. Elles aussi étaient aussi sèches que le désert. Il parcourut alors le reste de la vaste cabine. Il trouva d’abord un couchage puis un peu plus loin un immense bureau en bois noir. Pas étonnant au vu du personnage pensa le jeune garçon. Cependant, il fut intrigué par ce qui y trônait. Des cryptages et encore des cryptages. Différentes phrases parfois mal formulées, renforçant l’hypothèse que le capitaine apprenait et essayait de manier l'art des cryptages.

Il remarqua une sorte de cercle qui alignait l’alphabet connu à différents symboles cryptés et le jeune scientifique ne put s'empêcher de ricaner en voyant que celui-ci était incomplet voire faux pour une ou deux lettres. Il ne put en regarder plus, car il entendit des pas monter les escaliers et un cliquetis de verrou qui s’ouvrait. Il pensa pouvoir fuir, mais le brun fut bien plus rapide. Il entra puis referma la porte en un temps record, tel que le châtain avait à peine eu le temps de bouger.

-Bien, c’est bon, tu es calmé sale gosse ?

-Je ne vous permets pas ! Nous sommes très certainement à peu près du même âge.

-Je m’en fiche. Tu es un gamin, ni plus ni moins.

-Je suis sûr que vous avez vingt-six ans !

-Faux gamin, j’en ai trente-et-un.

Le brun retira son chapeau et le pendit à un crochet au mur. Morgan remarqua la plume verte sur ce dernier et tenta de s’approcher pour la récupérer.

-Pas touche gamin !

-Cette plume verte est à moi !

-Non, ça fait des années que je la possède.

-Et moi des années que je l’ai perdue.

-Combien ?

-Seize ans environ.

-C’est à peu près quand je l’ai reçue de Calypso.

-Calypso ?

-Laisse tomber, gamin.

-Il a un nom le gamin !

-Qui est, déjà ?

-Morgan ! Morgan Iros !

-Iros ?

Un blanc s’installa et au bout de quelques instants le capitaine se mit à rire nerveusement. Il continua encore et encore, comme si c’était plus fort que lui. Sur le coup Morgan prit peur et tenta de s’échapper. Il fonça vers la porte et tenta de l’ouvrir, mais il avait oublié que le brun l’avait de nouveau verrouillée donc il tenta de la fracasser. Le capitaine se reprit un peu et remarqua que le jeune homme était en train d’essayer de briser sa porte, créant quelques petites entailles dans celle-ci, ce qui ne lui plut pas. Il se leva et arriva à pas de loups derrière lui. Il lui fit un croche-pied et il tomba au sol. Morgan tenta de se relever, le brun n’eut d’autre choix que de le plaquer au sol face la première.

-Bon, maintenant ça suffit ! Si tu baves sur le parquet, tu auras affaire à moi. Bref, où en étions-nous ? Ah oui le fameux Morgan Iros. Les Iros.

Le brun se pencha vers l’oreille du jeune homme afin de lui murmurer :

-Heureux de te revoir Morgan.

Le châtain se bloqua sous l’incompréhension. Le brun le relâcha, sachant que sous le choc il ne fuirait pas, et il eut raison. Le jeune scientifique s’était juste relevé et s’était tourné vers lui sans rien dire de plus, comme s'il attendait qu'il lui en dise davantage.

-Je vais te raconter une chose Morgan. Cette chose, c’est la vérité.

-Quelle vérité ? Je connais tout de moi et de ma famille.

-C'est ce que tu crois, mais je crains que tu ne te souviennes pas de tout.

-C’est un mensonge.

-Bien, alors d’où viens ta marque PP en dessous de ton omoplate droite ?

-Je…

-Tu ne t’en souviens pas, hein ? Comme tu ne te souviens pas que nous nous sommes déjà rencontrés dans le passé ?

-Quoi ?

-Laisse-moi te dire une chose Morgan. Tes parents étaient des pirates. Enfin surtout ton père.

C’est ainsi que le jeune homme vit son monde, son univers, sa vie basculer. Non, ceci devait être un mensonge. Le pirate mentait pour le déstabiliser, pour qu’il soit à sa merci. Mais quand les yeux bleu océan rencontrèrent ceux couleur eau d’hiver, il avait l’impression que celui-ci disait la vérité. Pourtant, il ne pouvait y croire. Ses souvenirs étaient tels qu’il lui semblait appartenir à une famille normale. Avec des parents bienveillants. Alors comment savoir qui avait raison ? Cet homme qui dit le connaître, ou bien ses souvenirs d’enfance qui ont fait de lui un brillant scientifique et un décrypteur hors norme grâce à son père. Cependant il se rappela qu'il n'avait jamais été reconnu par ses confrères, pour une raison qu’il ignorait.

Un combat faisait rage à l’intérieur du jeune Iros, se souvenant d’un passé qui s’avérait être incomplet, voire factice. Mais pourquoi ?

-Non…Non, vous mentez ! Vous voulez me faire croire tout ça pour que je vous suive et je ne veux pas !

Le jeune châtain tenta alors de partir pour s'éloigner de cet homme qui souhaitait le corrompre. Enfin, c’est ce qu’il semblait penser de lui. Cependant, le capitaine ne l’entendait pas de cette oreille. Il arriva dans son dos, lui fit un nouveau croche-pied et attrapa le bras du garçon avant de le plaquer à genoux contre le mur.

-Vas-tu enfin m’écouter, bordel !

Le plus jeune sentit son échine se courber et la peur monter face à ce ton. C’était comme celui qu’il avait employé quand Morgan avait crié les pourparlers. Ne bougeant plus depuis quelques minutes sans s’en rendre compte, il prit une immense gifle qui le réveilla un peu. En contrepartie, il n’osait plus bouger sachant que ce ton n’annonçait rien de bon. Comme si quelque chose en lui le savait depuis toujours.

Le capitaine, voyant que le plus jeune était maintenant à son écoute, le fit s’asseoir. Plus exactement, il s’assit dans un fauteuil et proposa à Morgan d’en faire de même. Celui-ci refusa d’abord, mais le brun insista, expliquant que ça risquerait d’être long. Ne voulant point recevoir de nouveau les foudres du maître du navire, il prit place sur un autre fauteuil.

-Bien, commençons. Je suis né il y a trente-et-un ans en France. Ma mère se nommait Ariane et était très admirée pour sa beauté.

-Pourquoi me raconter ça ? C’est quoi le rapport avec moi ?

-Je vais en venir à toi après, tu vas comprendre. Ma mère n’avait pas un travail facile. Elle était simplement là pour soulager par la boisson la plupart des hommes arrivant au port. Un jour, un homme quémanda sa présence chaque jour le temps de son escale. Elle l’appréciait fortement et lui aussi. Leur lien se fit plus fort chaque jour passé ensemble. Mais le devoir de l'homme revint vite au grand galop et il dut laisser ma mère. Elle était attristée de son départ, mais il lui promit de revenir. C’est durant cette période que je fus créé. Mon soi-disant père mit plusieurs années à revenir au port où il avait laissé ma mère. Chaque jour, elle regardait au large espérant voir son bateau. Elle serait bien partie avec lui, mais les femmes étaient interdites sur un navire, cela aurait été une malédiction. Même si de nos jours c'est moins évoqué. J’ai vécu ces années avec des histoires sur mon père qui traversait la mer et j’adorais ça. Mais ma mère était loin d’imaginer quelle était sa vraie nature.

-Un pirate.

-C’est exact. Elle avait déjà eu affaire à des matelots ivres en tout genre. Mais elle pensait que c’était comme d’habitude, un général venant d’Angleterre ou d’un autre pays.

-Les tuniques rouges…comme ceux qui attaquent mon pays.

-Tu es cultivé. Je te rassure ton pays sera averti. Tu vivais seulement sur une immense île des Caraïbes.

-Donc ils veulent l’Amérique ?

-Et ils l’auront certainement au vu de leur flotte. Mais on ne peut pas dire que tu es Américain, tu n’as pas vraiment de nationalité.

-Comment ça ?

-J’y viens. Ma mère m’a finalement présenté à mon père et un immense sourire avait pris place sur son visage.

-Quel âge aviez-vous à ce moment ?

-J'avais bien cinq ans. Mon père me fit alors rêver de la mer et me proposa de m’emmener un de ces jours. C’est là qu’un homme entra en scène. Il avait déclaré qu’il devait retourner auprès de sa femme au plus vite. Mon père accepta et décida de m’emmener pour ce court voyage. Ma mère fut d’accord afin que même s'il était pirate, j’apprenne à connaître mon père. Alors nous partîmes.

-Pourquoi au juste ?

-La seule chose que je sais, c’est que l’homme était le second de mon père et médecin redirigé vers la piraterie. Cet homme nous permit, à moi et mon père, d’entrer dans sa maison. On voyait des dizaines de papiers aux signes bizarres qui étaient étalés dans un coin. Puis j’ai entendu un son, des pleurs, j’ai regardé devant moi et une femme était là avec son bébé. Mon père me poussa un peu pour que j’aille le voir et quand il daigna ouvrir ses yeux, il m'a souri. Il avait de magnifiques yeux couleur océan.

-Océan, mais…

-Oui, ce bébé c’était toi Morgan.

-Mon père était le second du vôtre ?

-Oui. J’ai vécu longtemps sur le navire avec ton père qui m’éduquait et je te rendais parfois visite quand tu étais vraiment petit.

-Mais votre mère ?

-Eh bien en partant cette fois-là avec mon père, j’ai appris bien plus tard qu’elle était décédée d'une maladie qu’elle m’avait cachée. Alors ma seule famille restante était mon père, sur le bateau. Puis pour éviter des ennuis, ton père a finalement préféré rester à terre, on l'a donc déménagé sur cette île où tu as grandi. Cependant il travaillait toujours pour le mien, puis à sa mort, c’est pour moi qu'il travaillait. Il était sur un projet qu’il n’a pas pu finir, mais qu’il t’a transmis.

-Le cryptage.

-Oui exactement.

-J’ai juste une question.

-Oui ?

-Pourquoi dites-vous que je n’ai pas de nationalité ?

-Car tu es né sur un bateau.

-Un…bateau ?

-Oui. Ton père avait emmené ta mère sur le navire pour qu’il soit sûr qu’il ait tout ce dont il avait besoin pour l'accouchement. Mais personne n’avait le droit d’entrer, car ta mère se reposait. Quant à la malédiction, le navire étant amarré il n'y eut pas de problèmes. C’est une semaine ou deux plus tard que je t’ai vu pour la première fois.

-Je comprends mieux.

-Mais en réalité, tes parents ont été exécutés par le plus proche pays, pour piraterie. Mais n’étant pas coupable, ils t'ont sûrement juste marqué au fer rouge. D’où le « PP » dans ton dos qui signifie « Parent Pirate ». Si tu n'en as aucun souvenir, c’est sûrement parce que ton esprit l’a effacé pour t’empêcher de trop souffrir.

-Pourquoi n’êtes-vous jamais revenu me voir alors ?

-Car mon père m’emmenait partout et m’éduquait pour que je sois capitaine. Puis il est mort et j’ai hérité de tout. Mais également parce que les Iros avaient été trouvés puis tués sauvagement. Je te pensais mort.

Pour donner suite à cette montagne de révélation Morgan, sous le choc, baissa la tête et sembla réfléchir en passant tous ses souvenirs au peigne fin. Puis il ouvrit la bouche une nouvelle fois pour dire :

-Vous…vous êtes le fils de Barbe Noir.

Un silence pesant prit alors place dans la cabine entre les deux hommes. L’un était subjugué par sa perspicacité, l’autre perdu mais sûr de lui face à cet homme disant le connaître depuis l’enfance. Maintenant que tous deux étaient au courant du passé, que pourrait-il bien se produire à l’avenir ? Quelle était la mission du père Iros avant de mourir ? Ce qui était sûr, c’est que ces réponses ne viendraient qu’à l’avenir.

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