Chapitre Cinq : La meilleure façon de résister à la tentation…c’est d’y céder !
- Je vais mourir, Pierrick. Je vais mourir d’amour…
Pierrick observait Xavier agoniser. L’amoureux transi était venu occuper les quartiers de son meilleur ami, et attendait sa mort sur le lit de ce dernier.
- Je veux sortir avec elle ! s’énerva le comédien en rouant de coups un oreiller. Elle me rend fou ! Elle me rend pervers ! Je vais mourir !
Au lieu de diagnostiquer une importante crise d’enfant capricieux chez le jeune homme, Pierrick avait l’esprit ailleurs. Il s’inquiétait énormément pour son taux de perversion commun avec Xavier.
- Tu es bien certain que je ne suis plus majoritaire ? demanda-t-il, en sueur.
- Absolument certain. Tu as fait une terrible chute d’environ 55 %, et mes parts sont désormais à 65 %.
- Mon taux de perversion est tombé à 35 % ?! Sacrilège !
- Pierrick ! gémit Xavier, blasé. J’ai l’impression que tu t’inquiètes plus pour ton taux de perversion plutôt que pour moi !
- C’est vrai.
- Rappelle-moi pourquoi tu es mon meilleur ami.
- Parce qu’il n’y a que chez moi où tu peux jouer à la Playstation.
- Pas faux… Ça n’empêche pas que tu dois me soutenir !
- Mais si tu tiens tant à sortir avec, pourquoi tu ne sors justement pas avec elle ?
- Parce qu’on parle de Ludivine. Je ne sais pas comment elle réagira si je lui demande de sortir officiellement avec moi. Benjamin avait raison ; cette fille est imprévisible.
Pierrick allait répondre, mais la sonnette de l’appartement retentit.
- T’attends du monde ? s’étonna le comédien, en relâchant la pression sur le coussin.
- Ouais.
Et le monde en question n’était autre qu’Aline, qui fit une entrée fracassante dans la chambre du jeune homme.
- J’ai apporté l’Encyclo des Filles ! s’écria-t-elle, en brandissant un robuste livre de 500 pages.
- Oh non ! se lamentèrent les deux comédiens.
L’Encyclo des Filles représentait le plus terrible de tous les supplices. Elle aimait bien leur faire lire pour se moquer d’eux, et pour essayer de leur faire comprendre les comportements du sexe opposé.
- Salut mon chou ! s’exclama-t-elle en collant un bisou sur le front de Xavier. Comment tu vas ?
- Il va très mal, expliqua Pierrick. Il a été touché par l’étonnante aura séductrice qui s’échappe de notre petite Ludivine.
- Encore Lulu ?
- Tout à fait !
- Tu n’étais pas obligé d’appeler Aline à la rescousse ! grogna Xavier, irrité. C’était une conversation entre mecs, et uniquement entre mecs.
La jeune femme eut un haut-le-corps et fixa durement son meilleur ami. Il arrivait parfois qu’il la blesse sans le vouloir. Elle avait une place particulière dans son cœur. En effet, Aline se situait entre « la meilleure amie » et « la petite amie ». N’étant ni l’une ni l’autre, il était difficile pour Xavier de la considérer telle qu’elle était vraiment. Quelques fois, leurs taquineries se transformaient en flirt, leurs dialogues en confidences, leurs étreintes en caresses, et leurs fous rires en tendres moments complices.
- Puisque ma présence n’est pas désirée, je ne vois pas pourquoi je resterais !
- Mais ne pars pas Aline ! C’est juste que tu ne peux pas comprendre…
Si un regard pouvait assassiner, le comédien serait mort sur-le-champ.
- De mieux en mieux ! Mais tu as raison Xavier, il y a beaucoup de choses que je n’ai jamais pu comprendre chez toi ! avoua la jeune femme, en élevant la voix.
Pierrick leva les yeux au ciel, embêté. La tempête approchait à grands pas. En effet, Aline s’était arrêtée quelques instants pour prendre son souffle, avant d’éclater comme une bombe.
- Je n’ai jamais compris pourquoi tu n’arrêtais pas de t’amuser avec les filles, il y a deux ou trois ans ! Je n’ai jamais compris ce que tu trouvais à Ludivine ! Et heureusement pour vous, que je l’adore Ludivine ! Heureusement pour vous, sinon vous m’auriez entendu ! Je n’ai jamais compris pourquoi t’étais sorti avec une pouffiasse, qui t’a fait tourner la tête et qui t’a laissé tomber comme une vieille chaussette ! Elle aurait mieux fait de crever ! Et quand t’as fait ta dépression nerveuse, j’ai essayé de comprendre, Xavier, j’ai essayé de comprendre, t’entends ?! Le truc avec toi, c’est qu’il faut toujours comprendre ! Mais c’est impossible ! Comment veux-tu comprendre un mec qui ne pense qu’à lui et ses maths, et qui oublie tout le reste ! T’as même oublié qu’on était sortis ensemble, toi et moi ! Et ça, je n’ai jamais pu le comprendre non plus !
Le comédien, pétrifié, ne disait rien. Tandis qu’Aline semblait avoir dit tout ce qu’elle avait sur le cœur, Pierrick toussota, gêné.
- Hum… je vais voir ma frangine… Mary-Lou, attention, je viens vérifier si t’as fait tes maths ! s’écria-t-il en quittant la pièce.
- Moi, je m’en vais, décida la jeune femme, vide de toutes émotions, en attrapant son sac.
Xavier sembla enfin réagir et sauta sur elle pour la retenir.
- Attends !
Debout face à Xavier qui la serrait fort et appuyait sa tête contre son ventre, Aline ne l’écoutait pas bafouiller mille excuses. Elle caressait tendrement les cheveux du comédien, mais son esprit voguait ailleurs.
- Fallait que ça sorte, s’excusa-t-elle dans un murmure.
Il ne dit rien et tomba à la renverse sur le lit, entraînant avec lui sa meilleure amie. Leur étreinte fut interminable. Ni l’un ni l’autre n’avaient envie de se séparer. Il se sentait bien, comme au Paradis. Elle n’avait plus de rancœurs envers lui.
- Aline, je t’aime autant qu’elle, tu sais… mais pas de la même façon…
- Je sais.
Au même moment, Pierrick fit son entrée dans sa chambre, en grognant contre sa petite sœur.
- Elle n’a même pas commencé ses devoirs sur les fractions ! Quand je suis allée la voir, elle jouait aux Petits Poneys au lieu de bosser ! Oh… je vous dérange peut-être ? Vous voulez que j’aille dormir avec ma sœur cette nuit ?
- Tu es irrécupérable, commenta Xavier, lassé.
- Vous ne me laissez pas trop le choix.
- Évidemment, c’est toujours de notre faute ! ironisa Aline, en se calant un peu mieux contre le jeune homme.
Pierrick ne répondit pas et se lança à la recherche des manettes de sa console vidéo. Il fouilla dans ses placards, dans ses tiroirs et jeta un œil sous son lit. En vain. Pas le moindre bouton d’une manette en vue.
- Putain, mais elles sont passées où ?
- Je suis contente que tu prennes conscience que c’est important de ranger ta chambre.
- Ta gueule Aline.
- Toi aussi mon chou.
- Excusez-moi, mais j’aimerais bien qu’on revienne sur notre sujet de conversation principal, interrompit Xavier.
- Ah oui, ta Lulu, rappela Pierrick, à quatre pattes sur sa moquette.
Il s’arrêta un instant et souleva le tapis pour voir si ses manettes ne s’y cachaient pas en dessous.
- Ta Lulu, elle est bien adorable, mais c’est pas mon genre.
- Tant mieux.
- Je préfère les brunes.
- D’accord, mais il y en a une que tu ne toucheras pas, lança le comédien à son meilleur ami, avec un air entendu.
- Qui ça ? Aline ? s’étonna Pierrick, en se relevant, le jean recouvert de poussières. Je n’ai certainement pas l’intention de sortir avec elle ! Elle pourrait me dévorer pendant mon sommeil, cette lionne !
- T’oublies que la lionne est dans ta chambre Pierrot, nota la jeune femme, avec amertume. Tu mériterais que je t’assomme avec l’Encyclo des Filles, n’est-ce pas Xavier ? Xavier ?
Le comédien avait l’esprit ailleurs. Pierrick le pinça pour le faire sortir de sa torpeur.
- Ben alors Xav’, c’était quoi cette absence ? s’étonnèrent ses deux amis. À quoi tu pensais encore ?
- À Lulu. Je l’aime encore plus que Caroline. Et pourtant, elles sont franchement différentes.
Si Aline avait eu tout l’équipement nécessaire à portée de main, elle aurait incendié Xavier pour les mots qu’il avait prononcés. N’ayant ni huile, ni allumette, elle se contenta de le gifler.
- La prochaine fois que tu parles de cette chienne…
- C’est comme si t’étais mort, termina Pierrick, sans perdre son humour.
- Je suis sérieux, Aline, fit Xavier en se massant la joue. Je l’aime encore plus que Caro.
La jeune femme eut un mouvement de recul, et ouvrit la bouche. Aucun son n’en sortit, et elle avait étrangement pâli.
- À ce point ? demanda Pierrick, pour une fois sérieux.
Pour toute réponse, le comédien hocha silencieusement la tête. Aline eut du mal à se remettre de cette nouvelle.
- Qu’est-ce que tu lui trouves ? voulut-elle savoir, une fois le choc passé.
- Je ne sais pas, répondit-il sincèrement.
- Elle est immature.
- Mais elle est aussi adorable et mignonne à croquer.
- Tu oublies une chose, Xav’. Tu as 20 ans !
- Pas encore !
- Bientôt !
- Et alors ?
- Elle n’en a que 17 !
- Et alors ? répéta Xavier, énervé. Qu’est-ce que ça peut faire, trois ans de différence ?!
- Tu es presque adulte, et c’est encore une ado ! Je dirais même qu’elle est encore une enfant dans sa tête ! Ça ne peut pas coller Xav’, rends-toi à l’évidence ! Vous allez à la catastrophe, et je ne veux pas te ramasser une seconde fois à la petite cuillère !
- Tu te fais du souci pour rien, Aline, intervint alors Pierrick, qui n’avait rien dit jusque-là. À ma connaissance, Ludivine n’est pas une centrifugeuse. Elle ne va pas le transformer en compote.
- Qu’est-ce que t’en sais ?
- Tu vois bien qu’ils se plaisent, ça ne sert à rien de tenter quelque chose ! Si ça se passe bien, tant mieux pour eux, si ça tourne mal, tant pis ! Xavier, tu es conscient de ce que tu fais quand même ?!
Il ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait. Aline avait raison. Ludivine et lui étaient trop différents. Pourtant, il avait très envie d’essayer, même si ça n’aboutissait à rien.
- Peut-être bien que je vais à la catastrophe, remarqua-t-il, c’est fort probable même. Mais je l’aime, et même plus que Caro, je vous l’ai dit.
- Ne prononce pas son nom, siffla Aline.
- J’ai envie de m’occuper d’elle. Peut-être que je lui apporterais un peu de maturité. Ou alors, ce sera elle qui m’apportera quelque chose de plus.
- J’aime pas quand tu te donnes cet air intelligent Xavier, c’est démoralisant, remarqua Pierrick. Mais bon, vu que tu nous exaspères depuis plus d’une heure sur ta romance avec Ludivine, tu n’as qu’à sortir avec elle et on n’en parle plus !
- J’aimerai bien.
- Alors tu sais ce qu’il te reste à faire, termina Aline en tapotant sur le genou de son meilleur ami.
Ce dernier poussa un long soupir, qui fut accentué par la sonnerie de son téléphone portable. Xavier se rassit immédiatement sur le lit, pressé de parler à Ludivine (il espérait que ce fût elle), mais il se figea en lisant le nom de la personne qui le contactait.
- Liz ?! s’étrangla le comédien.
- Ta sœur ?! s’écrièrent Pierrick et Aline, stupéfaits.
Xavier était aussi étonné qu’eux. Et pour cause ! Sa sœur ne l’appelait jamais.
- Soit l’appartement a pris feu, soit ma mère est dans un état critique à l’hôpital… Qu’est-ce que je fais ? Je réponds ?
- Tu devrais.
- Bon… allô ? fit-il, anxieux, en décrochant.
La chambre tomba dans un silence pesant… jusqu’à ce que Xavier explosât.
- Ah c’est pas vrai, putain ! Non, non, non ! Tu te débrouilles, t’es une grande fille ! Non, j’ai dit !… Ne cherche pas des excuses, ça ne sert à rien ! Seigneur… mais qu’est-ce que tu peux être chiante quand tu t’y mets !… Tu sais Liz, je viens de me souvenir d’une chose importante : tu m’emmerdes !
Il raccrocha brutalement et se laissa tomber sur le lit de Pierrick, énervé.
- Cette conne voulait que je lui file de l’argent pour aller faire du shopping ! Mon Dieu, je n’y crois pas ! Je dois halluciner, c’est pas possible !
- Du calme, Xavier, du calme !
- Je ne peux pas. Je ne peux pas.
- Tu veux peut-être que je te lise un passage de l’Encyclo des Filles pour te relaxer ? proposa Aline, connaissant très bien la réponse.
- Certainement pas ! hurla le jeune homme.
Pendant que Xavier murmurait mille menaces adressées à sa sœur, Pierrick s’inquiétait de plus en plus pour les manettes de sa console vidéo.
- Et si… ?
- Qu’est-ce que tu dis Pierrot ? demanda Aline.
- Putain… quelle conne… quelle conne… je vais la tuer… vouloir prendre du fric… à son propre frère… qui a bossé comme un malade pour le gagner… j’hallucine… continua Xavier, toujours perdu dans des pensées noires concernant sa sœur.
C’est alors que Pierrick eut une illumination. Si une ampoule avait jailli au-dessus de son crâne, personne ne s’en serait étonné.
- Mary-Lou ! hurla-t-il en sortant en trombe de sa chambre.
Dix minutes plus tard, il revint devant ses deux meilleurs amis, ses manettes dans une main, sa petite sœur âgée de neuf ans dans l’autre.
- Elle les avait planquées sous son lit ! Franchement, Mary-Lou, t’abuses !
Celle-ci ne prit même pas la peine de lui tirer la langue. Un sourire rêveur apparut sur son visage dès qu’elle aperçut Xavier, dont elle était secrètement amoureuse. Cela dit, ce n’était un secret pour personne, pas même pour le concerné, qui lui adressa un petit signe de la main. Elle lâcha la main de son frère pour se ruer sur le comédien.
- Xavier, tu me désespères ! Non seulement tu t’es approprié Aline et Ludivine, mais ça ne te suffit pas, et il te faut aussi ma frangine !
- Ta sœur est la seule qui puisse me consoler de mon mal d’amour, expliqua ce dernier, tandis que Mary-Lou s’installait confortablement sur ses genoux.
- Je te remercie Xavier… ironisa Aline. Tu es très adroit avec moi aujourd’hui.
- Et si tu arrêtais de tout prendre au pied de la lettre ?
- J’aimerai bien, mais tu ne m’en donnes pas vraiment l’occasion.
- Oh s’il vous plait, ne recommencez pas… supplia Pierrick, qui ne souhaitait pas revivre la même scène que tantôt.
Ses deux amis se turent, gênés. C’est Mary-Lou qui brisa le silence en demandant à Xavier s’il pouvait l’aider à faire ses devoirs. Comme celui-ci se faisait toujours un plaisir de réfléchir et travailler pour les autres, il accepta. La petite fille partit jusqu’à sa chambre pour y chercher son cahier, et revint à toute allure pour s’installer contre son amoureux.
- Ah des fractions ! Génial !
- Tu m’expliques Xavier, hein, tu m’expliques ?
- Bien entendu Mary-Lou.
- Bon l’intello, fais vite, je me languis de t’écraser à Pro Evolution Soccer 2008 ! lança Pierrick, en commençant à brancher ses manettes. Au fait, tu dors ici cette nuit Aline ?
- J’sais pas.
- Oh allez, un petit effort ! Ça ne sera pas marrant de dormir sans toi ! Puis mes parents ne rentrent que demain, alors on pourra se faire une raclette pour manger si ça vous dit !
- Oh oui ! s’écria Xavier, dont la mère ne faisait jamais de raclettes. Une raclette ! Une raclette ! J’adore les raclettes !
- On le saura…
- Allez Aline, reste pour la nuit ! trépigna le comédien.
- Travaille Alcatraz ! répliqua l’intéressée.
Le jeune homme grogna et se replongea dans le devoir de maths. Les exercices furent résolus en trois minutes, et Mary-Lou avoua avoir tout compris.
- C’est vrai, ce mensonge ? demanda son grand frère.
- Oui, oui, répondit-elle, alors qu’elle n’avait rien compris aux fractions malgré les explications claires du comédien. Xavier, c’est le plus fort !
Après cela, Pierrick invita son meilleur ami à oublier Ludivine un instant via une partie de Playstation. Pendant ce temps, Aline lisait le l’Encyclo des Filles à Mary-Lou.
- Aha ! Tu peux toujours te vanter d’avoir des 20 en maths, mais tu ne me surpasseras jamais à la Play ! ricana-t-il, bien heureux de le battre au moins dans un domaine.
Résultat : 3 à 9 en faveur de Xavier.
- Putain ! Mais comment ça se fait que tu… Non ! Merde ! Je ne suis pas d’accord ! T’es pas censé être un intello en jeux vidéo !
Un peu plus tard, Pierrick se transforma en cuisinier et prépara la fameuse raclette que Xavier attendait avec impatience. La fin de la soirée se passa très bien, si ce n’était que Mary-Lou fit un caprice parce qu’elle voulait dormir avec son amoureux.
- Dans ta chambre ! s’était écrié Pierrick. Mon lit est assez grand pour trois, mais pas pour quatre.
- Je veux Xavier !
Xavier sauva la situation en proposant à la fillette de lui lire une histoire si elle consentait à dormir dans sa chambre. Évidemment, Mary-Lou accepta et partit se coucher sans broncher, le jeune homme sur les talons.
Après avoir papoté et rigolé pendant plus de trois heures, Xavier, Pierrick et Aline décidèrent de se coucher à leur tour. Ils restèrent en caleçon pour la nuit, et la jeune femme ne garda que ses sous-vêtements et un T-shirt de Xavier. Ils se blottirent l’un contre l’autre, Aline à moitié assoupie sur Xavier, et Pierrick collé à elle pour chercher un peu de chaleur.
- Pierrot ! T’as les mains glacées ! pesta la comédienne.
- Je peux savoir où tu as encore mis tes mains ?
- Nulle part Xavier, nulle part… répondit l’intéressé d’un air innocent.
C’est ainsi qu’ils s’endormirent. Xavier, avec Ludivine hantant son esprit ; Aline, donnant des coups de pieds inconscients à Pierrick ; et ce dernier, rêvant de filles en bikinis.
- Je veux dire que ce qu’on peut réellement tenir pour une folie, parfaitement, c’est de s’efforcer de faire le contraire, c'est-à-dire d’en créer de vraisemblables afin qu’elles paraissent vraies. Mais permettez-moi de vous faire observer que si c’est là de la folie, c’est pourtant l’unique raison d’être de ce métier.
Tristan, personnage en quête d’auteur, observait avec sournoiserie Simon, prétendu directeur d’un théâtre. À côté de lui, la Belle-Fille ne se sentait pas bien. Ce n’était pas normal qu’elle soit si pâle, qu’elle ait envie de vomir et qu’elle ait des vertiges. Peut-être que la Belle-Fille était malade. Peut-être qu’elle avait mangé trop de chocolats. Peut-être qu’elle faisait à ce moment-là une crise de foie. Probablement même que la Belle-Fille était interprétée par Ludivine en personne.
- Oh… papillons… s’étonna la comédienne, ahurie.
Des jolis papillons blancs, comme elle n’en avait jamais vu auparavant. Des papillons blancs qui prédisaient un prochain malaise.
- Euh… c’est pas dans le script ça, remarqua Pierrick, les yeux rivés sur le scénario.
Pirandello n’avait pas aussi prévu que la Belle-Fille tomberait dans les pommes, ni que Grégoire la rattraperait à temps, ni même que Benjamin et Xavier accourraient paniqués auprès d’elle.
- Qu’est-ce que tu as mangé dernièrement ?
- Chocolats…
- Crise de foie, diagnostiquèrent-ils d’une même voix, peu surpris.
- J’vais vomir… gémit Ludivine, blanche comme un linge.
- Si tu veux Lulu, mais pas sur mes nouvelles baskets, s’exclama Pierrick en se reculant.
Madame Suzette avait prévenu le parrain de la jeune fille. Ce dernier arriva en trombe à l’école de théâtre, catastrophé à l’idée de retrouver sa filleule mal en point.
- Ludivine ! Qu’est-ce que t’as encore fabriqué ?!
- Crise de foie, expliqua Benjamin.
- Aha ! s’exclama Romain, triomphant. Bien fait pour toi Lulu, bien fait ! Ça t’apprendra à te gaver de chocolats ! Je te l’avais dit, que tu serais malade à force de manger n’importe quoi, je te l’avais dit !
- Chocolats… répéta la jeune fille, d’un air rêveur.
Romain avait jugé bon de renvoyer Ludivine chez ses parents pour trois jours. Ces derniers lui avaient infligé un régime strict, sans biscuits, sans chocolats. La comédienne avait très mal vécu ses repas à bases de fruits, légumes et laitiers, mais c’était le prix à payer pour rentrer à Paris en pleine forme. Et comme elle avait promis à Xavier de ne pas manger de sucreries, elle s’était tenue à carreaux pour vite le revoir.
À son retour à la capitale, Ludivine s’était montrée très sage avec sa gourmandise, du moins, en apparence. Les cours avaient repris tranquillement, mais Aline l’avait déjà surprise en train de manger des barres chocolatées. Par bonté, elle n’en avait pas touché un mot à Xavier, gardant ainsi pour elle la cachette de la réserve de la jeune fille (la poche au fond de son sac).
Ce dernier n’avait toujours pas réussi à coincer Ludivine. Il n’avait pas une minute à lui. Benjamin harcelait ses élèves à coup de scénarios et d’études de textes. Ils n’avaient toujours pas fini l’œuvre de Pirandello.
- Nous n'avons d'autre réalité que l'illusion, et vous feriez bien, vous aussi, de vous défier de votre réalité, celle que vous respirez et que vous sentez en vous aujourd'hui, car elle est destinée demain, tout comme celle d'hier, à se révéler une illusion.
Tristan ne comprenait pas ce qu’il disait. Peu importe. Il chercherait à comprendre plus tard. Pour le moment, il fallait donner la réplique à Simon, toujours affecté comme directeur de théâtre.
- Allons, bon ! Et pendant que vous y êtes, ajoutez donc que vous-même, avec la pièce que vous venez me jouer ici, vous êtes plus vrais et plus réels que moi ! riposta ce dernier, ironique.
- Mais sans l'ombre d'un doute Monsieur ! répondit très sérieusement Tristan.
- Vraiment ?
- Je croyais que vous l'aviez compris depuis le début.
- Plus réel que moi ?!
- Puisque votre réalité peut changer du jour au lendemain…
- Bien sûr qu'elle peut changer, parbleu ! Elle change sans arrêt, comme pour tout le monde !
- Mais pas pour nous, monsieur ! Comprenez-vous ? C'est là toute la différence ! Mais notre réalité ne change pas, elle ne peut changer, elle ne peut pas être une autre, jamais, parce qu'elle est déjà fixée : elle est celle-ci et pour toujours (c'est terrible, monsieur !) : une réalité immuable qui devrait vous donner à tous le frisson quand vous vous approchez de nous !
- Stop ! s’écria Benjamin.
Tristan et Simon s’arrêtèrent, heureux de pouvoir à nouveau souffler. Leur professeur tourna un instant autour d’eux, en silence, avant d’exposer ses critiques.
- J’attends de vous un peu plus de dynamisme ! Simon, tu dois être partagé entre la fureur et la stupéfaction ! Tu n’y crois pas, à ce que te dit le Père ! Tu n’y crois pas, mais au fond de toi, tu sais qu’il a raison ! Et toi, Tristan… ta réalité est une triste réalité ! Alors, fais en sorte qu’on le remarque !
- Jamais content, grognèrent les deux comédiens, quand leur professeur eut le dos tourné pour ordonner à Claire d’arrêter de bavarder.
Heureusement pour la Section A, la sonnerie annonça que le cours touchait à sa fin, et que la journée était pliée.
- C’est chouette, on commence à 13 heures demain. On va pouvoir dormir ! Génial ! s’extasia Pierrick, avant de tomber subitement dans le cafard. Merde ! Je vais devoir accompagner Mary-Lou à l’école… Pas moyen de faire la grasse matinée !
- Tu as une petite sœur ? s’étonna Ludivine.
- Ouais, et je m’en passerais bien.
- Moi, j’ai un petit frère, fit-elle, ravie. Elle a quel âge ?
- Neuf ans.
- Comme le mien.
Pierrick resta perplexe.
- Dis donc toi, tu n’essaierais pas, par le plus grand hasard, de caser ton frangin avec ma frangine ?
- Non. Mais maintenant que tu le dis, mon petit frère est un très bon parti. Déjà, tu peux avoir confiance parce que je suis sa sœur. Et il est gentil comme moi. Et il est adorable comme moi. Et il est mignon…
- Comme toi, termina Xavier qui passait par ici à ce moment précis.
Rougissante, elle ne répondit pas et sortit son téléphone portable de sa poche. Après quelques manipulations, elle montra à Pierrick la photo de son petit frère. Xavier s’était rapproché pour regarder.
- Ben dis donc Lulu ! Il te ressemble ! sifflèrent les comédiens, stupéfaits.
- Qui ressemble à qui ? intervint Aline, qui arrivait à son tour.
Elle jeta un œil sur l’écran du mobile de la jeune fille.
- C’est ton p’tit frère ? En effet, il te ressemble ! Comment il s’appelle ?
- Mathis.
- Il est trop mimi !
Le petit garçon était bel et bien la copie de Ludivine. Il avait le même visage doux et empli d’innocence et de naïveté, d’étonnants yeux bleus et une touffe de cheveux blonds vénitiens. Sans oublier la même lueur malicieuse dans ses prunelles. Xavier souriait de toutes ses dents. Ce petit frère là était vraiment très attachant.
- On peut regarder les autres photos Lulu ? demanda-t-il en arrachant le téléphone des mains de son meilleur ami.
- Ouais, ouais, marmonna l’intéressée, en rangeant ses affaires dans son petit sac.
Découvrir l’entourage de Ludivine était passionnant. Pierrick fut le premier à témoigner son enthousiasme.
- Ouah ! Mazette ! Mais qui est donc cette nana si sexy en bikini au bord de la plage ?! Ludivine ! Je veux son nom et son numéro de téléphone ! Tout de suite !
- Hein ? Qui ça ? s’étonna la comédienne, en levant le nez pour voir de qui il s’agissait. Ah. C’est une copine. C’était cet été, à la mer.
- À la mer ? répéta Xavier, d’un air rêveur.
- Lulu, je veux ses coordonnées. Je ne peux pas laisser passer une fille drôlement bien foutue sous mon nez ! Franchement, Xav’, t’as vu ses…
- Pervers ! s’écria Aline, arrachant des mains le téléphone de son meilleur ami. T’as pas honte de fantasmer comme ça ! En plus, cette petiote a l’âge de Ludivine ! C’est du détournement de mineur !
- Elle fait plus que son âge, quand on voit ses formes !
- Obsédé !
- Roh, Aline, je sais que tu es jalouse, mais tu sais aussi ma chérie, que les nanas en bikini, c’est mon grand fantasme !
- Tu m’exaspères Pierrot. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?
- Ce que tu veux. Je suis à ton entière disposition. Et là, je sais à quoi tu penses… Perverse !
Xavier profita de l’inattention de ses deux amis pour reprendre le téléphone de Ludivine, et continuer à regarder les photos. L’une d’elles notamment attira son regard.
- C’est ton père Lulu ? voulut savoir le jeune homme.
- Hein ? De quoi ? Qui ça ? Ah. Ah oui, c’est mon papa, fit Ludivine, en reposant son sac rempli à bloc.
Elle et son frère lui ressemblaient tant. Ils avaient volé l’ensemble des gènes de leur père. Aline et Pierrick s’étaient arrêtés de se chamailler et observaient eux aussi la photo. Le visage de Jean-François Dodero était celui d’un honnête homme et d’un père attentif ; il paraissait à la fois distant et bienveillant. Xavier remarqua derrière l’homme blond une femme dans l’ombre.
- Et derrière, c’est ta mère ? demanda-t-il, les yeux fixés sur le sourire malicieux qu’il avait réussi à distinguer.
- Oui, c’est ma mam… Maman ?! s’écria Ludivine, en sortant de sa torpeur.
Elle ouvrit d’immenses yeux ronds et sauta sur Xavier pour lui arracher l’appareil des mains. Celui-ci, surpris, manqua de tomber à la renverse.
- Ouais, ouais, c’est ma mère, s’exclama-t-elle, gênée, en glissant sèchement son portable dans sa poche.
- Je ne l’ai pas bien vue.
- Pas grave. Bon, je dois y aller. Bisous les amis, à bientôt !
La jeune fille s’éloigna, laissant les trois comédiens toujours surpris par son drôle de comportement. Xavier fut le premier à reprendre ses esprits et fila à sa poursuite. Il ne réussit à la coincer seulement dans le hall d’entrée de l’école.
- Lulu, attends ! Faut qu’on parle, toi et moi !
- Ah ? s’étonna-t-elle, ne sachant pas à quoi s’attendre.
- Autour d’un bon chocolat chaud, ça te dit ?
Il sourit malicieusement, tandis qu’elle acquiesçait. Jamais, ô grand jamais, elle ne se permettait de refuser à l’appel d’un chocolat chaud.
Ils choisirent de s’installer confortablement dans un petit bar chaleureux, placé entre leur école de théâtre et l’Opéra Garnier. Ils s’étaient chamaillés pour obtenir la place à côté de la fenêtre et Ludivine avait gagné la manche. Quand leurs chocolats chauds arrivèrent, Xavier lui confia enfin ce qu’il le tracassait.
- Tu sais, tu m’avais dit il y a quelques semaines qu’on sortirait ensemble.
- Euh ? Ah bon ? Ah… oui… peut-être que je l’ai dit… je crois, oui… mais j’ai dit aussi que je ne voulais pas que ça se fasse tout de suite.
- Pas tout de suite, c’est vrai, mais tu l’as dit. Et ne mens pas, j’ai une excellente mémoire. Par contre, je ne peux pas te forcer si tu n’as pas des sentiments pour moi.
- Mais si… je t’aime… avoua-t-elle avec difficulté, après un long silence. J’ai envie d’être avec toi, mais j’ai peur.
- Peur de quoi ? demanda doucement le jeune homme.
- Peur que ce soit différent.
S’en suivirent dix minutes de silence, où ils burent leur chocolat chaud, plus gênés que jamais.
- C’est sûr… dit Xavier, lorsque sa tasse fut vidée. Pour moi aussi, ce sera différent. Mais j’aimerai quand même ces moments. Je t’aime comme tu es.
Rouge comme une écrevisse, Ludivine sourit timidement. C’est alors qu’une lueur malicieuse apparut dans le regard du comédien.
- Et si je t’embrassais ?
Elle perdit instantanément sa couleur, et il éclata joyeusement de rire.
- Allez Lulu…
- Non !
- Si ! Comme ça, tu te souviendras que j’attends avec impatience de sortir vraiment avec toi ! Tu ne peux pas refuser ! Ceci un ultimatum !
- Juste un bisou alors, concéda-t-elle, après un silence.
- Un bisou sur la bouche, compléta Xavier.
- Tout simple.
- Avec la langue.
- Sans la langue.
- Un vrai baiser.
- Un baiser de théâtre.
- Non, Ludivine ! Un vrai baiser sur la bouche avec la langue ! Je ne reviendrai pas dessus !
- Y’a trop d’options ! Je ne veux pas !
- Dès fois, tu mens très mal. Tu veux.
- Non. C’est toi qui essaies de retourner la situation à ton avantage.
- Tu n’as pas le choix.
Il approcha son visage du sien, et Ludivine ferma immédiatement les yeux, sentant le pire à venir. Ses lèvres se posèrent sur son petit nez. C’était chaud et humide. Et très court. Quand ses paupières se rouvrirent, Xavier luttait contre le rire.
- C’était ça un vrai baiser sur la bouche avec la langue ? demanda-t-elle naïvement, en clignant des paupières.
- Non, je ne crois pas, répondit le jeune homme, lorsqu’il retrouva son sérieux. En réalité, ça ressemble plutôt à ça.
Encore mieux que le sucre. Encore mieux que le chocolat. Encore mieux que le caramel. Encore mieux que le Nutella. Encore mieux qu’un cours de théâtre. Encore mieux qu’un baiser de cinéma. Plus réel, plus sincère…et mieux que tout. Ludivine avait perdu tout repère. Elle ne se souvenait de plus rien. Elle savait juste que les baisers de Xavier étaient les plus délicieuses des gourmandises. Des gourmandises qu’on ne pouvait malheureusement pas acheter dans les distributeurs de bonbons de l’école de théâtre. Elle ne pouvait pas savoir que le jeune homme ressentait plus ou moins la même chose de son côté, à la différence qu’il s’agissait de règles arithmétiques et métaphysiques.
Ils ne voulaient pas arrêter ce baiser qui était désormais le leur. Mais il fallait bien qu’ils reprissent leur respiration s’ils ne désiraient pas mourir asphyxiés.
- Encore, réclama la jeune fille, en respirant une bouffée d’air.
- Non, non, Lulu, il ne faut plus, s’exclama le comédien, frustré de devoir s’arrêter si vite.
- Pourquoi ?
- Parce que tu veux attendre. Alors, on va attendre.
- Ah oui, c’est vrai…
Il y avait un certain regret dans sa voix. Elle aurait été prête à abolir ce délai d’attente. Mais Xavier tenait toujours ses paroles, et si elle avait demandé un peu de temps, alors elle aurait le temps qu’il lui faudrait.
- La prochaine fois, soupira le jeune homme, qui regrettait aussi.
- La prochaine fois, répéta Ludivine, déterminée.
La prochaine fois ne tarda pas. Durant la semaine qui suivit, Ludivine ne cessait de repenser au baiser qu’elle avait échangé avec Xavier. Elle n’attendait plus qu’une nouvelle sortie avec lui pour lui sauter dessus. Elle ne pourrait pas résister plus longtemps. Leur semaine fut chargée par leur étude de Six personnages en quête d’auteur. Si chargée que Xavier n’eut pas une seconde à lui pour inviter la jeune comédienne à sortir avec lui un dimanche. Heureusement, la pièce de théâtre touchait à sa fin.
- Il est mort ! Pauvre garçon ! Il est mort ! Quelle histoire ! s’écria Claire, terrifiée devant Xavier allongé au sol.
- Mais non, il n'est pas mort ! C'est de la fiction ! De la fiction ! Ne vous laissez pas avoir ! contra-attaqua Grégoire, en éclatant de rire.
- Fiction ? Non : réalité ! Réalité ! Il est mort !
- Non ! Fiction ! Fiction !
- Comment, de la fiction ! C'est la réalité, messieurs dames, la réalité ! s’exclama Tristan d’une voix tonitruante.
- Fiction ! Réalité ! Allez au diable, tous autant que vous êtes ! hurla Simon, exaspéré, toujours dans la peau du Directeur du théâtre. Lumières ! Lumières ! Ah ! C’est la première fois qu'une chose pareille m'arrive ! Ils m'ont fait perdre une journée de travail ! Vous pouvez disposer ! Que voulez-vous qu'on fasse, maintenant ? Il est trop tard pour reprendre la répétition. À ce soir ! Eh, électricien ! Éteins tout !
Les autres comédiens s’éloignèrent en poussant de grandes exclamations, excepté Ludivine, qui resta avec Simon. Ce dernier fit mine de s’étaler sur le sol.
- Crénom ! Laisse au moins un service, que je voie où je mets les pieds !
Il sortit à son tour, laissant la jeune fille derrière lui, qui riait comme un démon. Elle s’arrêta quand Benjamin leva la main.
- C’est fini ? demanda-t-elle, pleine d’espoir.
- Oui. J’ai trouvé ta fin plutôt pas mal, mais tu aurais dû rire plus fort, quitte à faire exploser les… Hey ! Ludivine ! Dis plutôt que t’en as rien à foutre !
Elle partait déjà voir Xavier sans l’écouter. Le jeune homme était encore allongé, les yeux fermés. La comédienne s’agenouilla auprès de lui et lui tapota le ventre pour lui signaler sa présence.
- T’es vraiment mort ?
- Fiction. J’ai la flemme de me lever. Bon endroit pour faire dodo.
- Dodo ? répéta Ludivine.
Dodo étant le mot magique, elle s’allongea contre lui pour profiter de ce moment.
- J’y crois pas ! s’exclama Pierrick, venant vers eux. On n’est pas à la maternelle, les enfants ! Relevez-vous, bon sang ! Vous n’allez pas passer la nuit le nez dans la poussière quand même ?!
- Hum, répondirent Xavier et Ludivine, d’un commun accord.
- Allez gros feignant, allez grosse feignasse ! Ah mais je m’en fous, je vous traîne jusqu’à votre loge par les pieds s’il le faut !
Et sans plus attendre, il saisit les chevilles de son meilleur ami et le tira de toutes ses forces. Terrifiée de se le faire enlever sous son nez, Ludivine se retourna sur le ventre pour s’accrocher au comédien, et être tirée avec lui.
- Je ne t’abandonnerai pas Xavier !
- Merci, répondit-il simplement, les yeux à nouveau fermés, bercé par sa glissade.
- J’en peux plus ! Vous êtes trop lourds tous les deux ! Je lâche l’affaire !
Et il lâcha par la même occasion les pieds du jeune homme, qui retombèrent dans un bruit sourd sur le sol.
- Aïe, commenta Xavier.
Après avoir passé dix minutes allongés sur le parquet, Benjamin darda son venin et ils furent contraints de se relever et de quitter dare-dare la salle. Ils étaient restés un petit moment dans le couloir, tandis que Pierrick les rejoignait une seconde fois.
- J’ai froid, bredouilla Ludivine, se blottissant contre Xavier.
Ce dernier haussa les sourcils, amusé, et jeta un regard entendu à son meilleur ami.
- J’en ai marre qu’on me remballe à chaque fois ! Mais j’ai compris, je m’en vais… soupira-t-il en s’éloignant à la recherche d’Aline pour la taquiner.
- Dis, tu me portes jusqu’à la loge ? demanda-t-elle quand ils furent seuls.
- Oh non, Lulu, je suis trop fatigué pour porter quoique ce soit !
- Allez !
Elle essaya de grimper sur son buste, mais elle retombait dans une glissade à chaque tentative. Voyant que l’effort physique ne marchait pas, elle fixa le jeune homme avec des yeux de cockers.
- Non, non, non, Lulu…
- J’aime pas quand tu me dis non !
- Je n’aime pas non plus, mais je suis obligé.
- Mais…
- Dis-moi, coupa Xavier, tu fais quelque chose dimanche ?
Un grand sourire éclaira le visage de Ludivine, et elle oublia instantanément son projet d’escalade.
- Oui ! Oui ! répondit-elle, en sautillant de joie.
- Ah, fit-il, déçu.
- Euh… En fait, je voulais dire : non, non ! Je ne fais rien du tout, corrigea la jeune fille, après avoir pris conscience de son erreur. Mais oui, oui, je veux bien sortir avec toi dimanche !
- J’en reviens pas ! Tu réponds à ma question, avant même que je la pose !
- Oh.
Ludivine se sentit mal à l’aise. Si Xavier n’avait pas eu l’intention de lui poser cette même question, elle se serait non seulement trahie, mais aussi ridiculisée comme jamais.
- Dimanche, à 11 heures chez toi alors ? demanda malicieusement le comédien.
Xavier avait toujours été ponctuel, le contraire même de Ludivine. Lorsque le dimanche tant attendu arriva, il fut devant sa porte à l’heure pile. Il sonna une fois. Deux fois. Trois fois encore. La jeune fille restait silencieuse, et le comédien commençait à s’inquiéter. Il pressa une quatrième fois la sonnette, et Ludivine ouvrit enfin.
Les yeux à demi fermés, les cheveux emmêlés, vêtue de son très fameux pyjama à nounours, il ne faisait aucun doute qu’il l’avait réveillée en plein sommeil… et qu’elle avait oublié leur rendez-vous.
- Oh ? s’étonna-t-elle en découvrant Xavier sur le pas de sa porte.
- Bonjour Lulu, ne serait-il pas onze heures ?
- Peut-être mais… dodo…
Tout en bâillant à s’en décrocher la mâchoire, elle laissa entrer le jeune homme dans l’appartement et partit se recoucher.
- Ludivine ! Hey oh ! s’exclama-t-il, tandis qu’elle s’enfonçait déjà sous les couvertures encore chaudes. On était censés sortir ensemble aujourd’hui !
- Moui… moui… réveille-moi dans une demi-heure… dodo…
Xavier resta bouche bée. C’était bien la première fois qu’une fille lui jouait un tour pareil. Malgré cela, il l’écouta et s’assit à côté d’elle sur le lit pour la regarder dormir. Il la réveilla comme prévu une demi-heure plus tard. Elle semblait de meilleure humeur et plus disposée à sortir avec lui. Après s’être habillée, elle voulut prendre son petit-déjeuner.
- N’y compte pas ! s’écria Xavier en l’empêchant d’ouvrir ses placards. Il est midi moins le quart. Si tu manges maintenant, tu n’auras plus faim après.
- Lâche-moi ! J’ai faim !
Il résista. Pas question de perdre davantage de temps à cause de l’estomac de la jeune fille. Ce qu’il ne savait pas, en revanche, c’était que le manque de petit-déjeuner la rendait de (très) mauvaise humeur.
- On y va ! décida-t-il en la poussant hors de l’appartement.
- Tu m’énerves ! Je veux manger ! J’ai faim ! Je te déteste !
- Mais bien sûr ! Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu !
- Certainement qu’elle met le chocolat dans le papier alu ! Sinon comment on ferait pour conserver le chocolat ?
Sur le chemin du Mac Donald’s, Ludivine se montra absolument infernale. À chaque fois qu’ils passaient devant une boulangerie ou un chocolatier reconnu, elle faisait mine de s’évanouir pour qu’ils achètent quelque chose à grignoter.
- Oh… je me sens mal… manger… murmura-t-elle, les jambes flageolantes.
- Arrête ta comédie Lulu. Je n’y crois pas une seconde.
Xavier fut bien content d’arriver au fast-food. Ludivine s’était jetée sur la serveuse pour obtenir des potatoes, des nuggets, un jus d’orange, un muffin au chocolat… et un Sunday au caramel. Cette dernière avait vu le moment où la comédienne lui arrachait la tête pour que la commande fût passée plus rapidement. Le jeune homme, en gentleman, insista pour payer l’addition. Ludivine refusa d’abord, mais il ne se laissa pas démonter. Étant donné que le service entier d’un menu chez Mac Donald’s ne devait pas durer plus de cinq minutes, ils abrégèrent leur prise de tête, et Xavier paya finalement la note.
Une heure plus tard, l’estomac de Ludivine était au Paradis (ce qui semblait normal, après l’engloutissement d’un muffin et de deux Sunday d’affilés (elle avait mangé celui de Xavier)). Son humeur était donc au beau fixe, et son compagnon l’invita à se promener dans l’air froid parisien. Ils marchèrent ainsi jusqu’à la grande roue.
- Ça te dit de faire un tour là-dessus ? proposa le jeune homme.
- Tu crois qu’elle va tomber à cause de tout ce que j’ai mangé à midi ?
- Bien sûr que non. Tu seras comme une plume pour elle. Allez viens.
- Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Je pourrais éventuellement être très légère en ressortant, vu que j’ai le vertige et que je sens que je vais vomir.
- Tant pis si t’as le vertige, tant pis si tu vomis. Tu ne peux pas louper ça.
Il l’avait donc forcée à monter sur la grande roue (et avait de nouveau payé l’addition, malgré les protestations de la comédienne). En deux tours, Ludivine avait acquis de très bons repères géographiques.
- C’est la Tour Eiffel ! s’exclama-t-elle en pointant le monument.
- Facile à reconnaître.
- Et elle est où ma maison ?
- Là-bas, répondit Xavier, en pointant la Tour Montparnasse.
Il se retourna, et désigna l’autre côté de la ville, et plus précisément la butte Montmartre.
- Et là, c’est chez moi. Et là-bas, à la sortie de la ville, porte de la Chapelle, c’est Aline. Et au sud-ouest d’Aline, y’a Pierrick. À gauche de chez Pierrick, c’est l’école de théâtre. Et là-bas, les gratte-ciels tout au fond, c’est là où tu t’es pommée la dernière fois.
- Ouah ! s’exclama Ludivine, surexcitée par tant de découvertes. C’est trop beau ! Et en plus, je n’ai même pas envie de vomir !
Après être descendus de la grande roue, ils se mirent d’accord sur le choix d’un film et partirent à la recherche du cinéma le plus proche. Ils en trouvèrent un plutôt moderne. Ludivine réussit à payer les deux places avant Xavier, et en tira une satisfaction personnelle. Ils s’installèrent au fond de la salle, l’un à côté de l’autre. Les lumières s’éteignirent et le film commença. Tout se déroulait normalement, comme si c’était deux simples amis au cinéma. Jusqu’à ce que Ludivine, ne tenant plus sur son siège, voulut s’installer à quatre pattes sur les genoux de Xavier. Cela prit du temps, car la salle était plongée dans l’ombre.
- Lulu, je ne vois rien.
- Attends…
- Aïe !
- Mais…
- Cale-toi là, et ne bouge plus.
- Mais je suis mal assise ! se plaignit la jeune fille, en se trémoussant davantage.
- Aïe !
- Bon, vous la fermez, oui ou merde ?! s’écria une personne dans la salle.
Les deux comédiens se turent. Ludivine était assise de profil sur les genoux de Xavier, et cachait pleinement son champ de vision.
- Je vois que dalle. Lulu, tourne la tête, chuchota le jeune homme.
- Non.
- Si.
- Non.
Il l’obligea à changer de position, mais elle bougea à nouveau dix minutes après. Durant la première partie du film, ils ne cessèrent de remuer et de se plaindre. Au bout d’un moment, Ludivine parut en avoir assez de la situation. Elle se blottit donc du mieux qu’elle le put contre Xavier et délaissa totalement le film. Il crut d’abord qu’elle s’était endormie. Elle était près de lui. Plus près qu’il ne pouvait l’apercevoir à cause de l’obscurité. Mais elle ne dormait pas. Il sentit son petit nez contre sa joue. Il sentit son souffle chaud.
Et elle l’embrassa. Ce n’était qu’un effleurement, mais c’était bien réel. Elle recommença plusieurs fois, et très vite, ils ne pensèrent qu’à ces petits baisers. Quand Xavier voulait aller plus loin, Ludivine se reculait, patientait quelques secondes, et pressait à nouveau ses lèvres contre les siennes. Il devina les règles du jeu rapidement. Ils continuèrent à s’embrasser ainsi jusqu’à ce que les lumières se rallument. Le film était terminé.
Les deux amoureux furent aveuglés, quand bien même ils avaient les yeux fermés, et la jeune fille se hâta de se reculer. Elle retrouva toute sa pudeur et sa timidité qu’elle avait perdues dans l’obscurité.
- Le film est déjà fini ? s’étonna-t-elle, blottie contre Xavier.
- Apparemment.
- Oh… Et c’est quoi la fin ?
- Aucune idée.
Les personnes se levaient de leurs sièges et les observaient étrangement. Les deux comédiens furent les derniers à quitter la salle. Sur le chemin du retour, Ludivine resta silencieuse, et l’on aurait cru qu’elle avait été frappée par une grande tragédie. Son compagnon le remarqua et voulut lui redonner le sourire. Il fit le pitre, lui raconta des bêtises et lui avoua qu’il s’était déjà trompé à l’addition « trois plus trois ». Il sauta par-dessus les petits poteaux au risque de s’étaler sur le sol, cogna sur les panneaux de circulation, et marqua un panier dans une poubelle avec un mouchoir en papier. Il fut même le premier à crier « chocolat ! » quand ils passèrent devant un chocolatier réputé.
- Seigneur Ludivine, tu es malade ou quoi ? s’exclama-t-il, alors qu’il marchait en équilibre sur un mur élevé.
- Hum.
- Hum, répéta Xavier.
- Hum.
- Tu boudes ?
- Hum.
- Je sais ce qui se passe Lulu. Tu fais la gueule parce que je n’y suis pour rien quand tu m’as embrassé tout à l’heure. Et comme tu ne peux pas reporter la faute sur moi… ben, tu fais la gueule.
Ludivine laissa échapper un grognement qui fit sourire le comédien.
- Je te connais Lulu, je te connais… s’exclama-t-il en lui pinçant la joue. Quoique tu m’as bien surpris tout à l’heure…
Elle restait impassible. Ses sourcils étaient froncés, et son visage avait perdu toute joie de vivre, tout signe d’immaturité. Elle donnait même l’air d’être plus âgée.
- Allez, je n’aime pas quand t’es comme ça, fit Xavier, en marchant à reculons devant elle. Je te préférais tout à l’heure… Quand j’y repense, quelle audace !
- Tu dis n’importe quoi, marmonna-t-elle.
Il n’eut pas le temps de répondre, car il trébucha sur une poubelle et manqua de tomber à la renverse.
- Et en plus, tu es ridicule, ajouta sérieusement Ludivine.
- Pourquoi te sens-tu obligée de gâcher cette journée qui avait très bien commencé, cette journée si merveilleuse, si ensoleillée, si…
Sans plus attendre, comme s’il portait la poisse sur son dos, des trombes d’eau se déversèrent sur eux. Il pleuvait des cordes. Ils se regardèrent dans les yeux et éclatèrent de rire ensemble. En moins de deux minutes, ils étaient mouillés jusqu’aux os. D’un commun accord, ils firent la course, main dans la main, jusqu’à l’appartement de Ludivine.
Arrivés chez elle, les deux comédiens soupirèrent de soulagement et ôtèrent leurs vestes ruisselantes d’eau. Il n’en fallait pas plus pour que la jeune fille retrouvât le sourire. En l’observant, Xavier ne put s’empêcher de la comparer à un fruit défendu. Mais il avait résisté depuis déjà trop longtemps à la tentation. Elle était là, devant lui, les cheveux en bataille, le teint frais, les yeux brillants, le visage fendu en deux par un sourire éclatant. Il repéra ses lèvres et fondit en piqué droit sur elle pour l’embrasser. À pleine bouche, cette fois. Les préliminaires avaient assez duré.
La nuit venait de tomber. Ludivine était blottie dans les bras de Xavier et comptait y rester. Allongés tous les deux sur le lit (elle n’avait pas de canapé), leurs visages ne s’étaient pas séparés de plus de quinze centimètres depuis qu’ils étaient rentrés de leur promenade. Ils avaient passé presque trois heures en tête-à-tête.
- Je dois y aller Ludivine, déclara le jeune homme, prenant son courage à deux mains pour se séparer d’elle.
- Quoi ?! Hein ?! Ah non ! Pas question ! Je ne veux pas ! Tu restes là ! Et pourquoi d’abord ? Pourquoi tu ne peux pas rester ? Pourquoi tu t’en vas ? C’est vraiment indispensable ? Et moi ? Je ne suis pas indispensable ?
Xavier leva les yeux au ciel, tout en essayant de se relever, tandis que la comédienne s’accrochait désespérément à lui.
- Je dois rentrer chez moi.
- Non ! Je t’invite à rester ici !
- Ma mère…
- Tu peux l’appeler et la prévenir que tu dors chez moi.
- Je n’ai pas mes affaires…
- C’est pas grave !
- Ni mes affaires de cours. Si j’arrive à l’école sans rien demain, Benjamin m’assassinera sauvagement.
- C’est pas grave ! répéta Ludivine, entêtée. On lui inventera un bobard !
- N’insiste pas.
Pour le faire culpabiliser, elle laissa couler quelques larmes (sans doute de crocodile). Déconcerté, il prit son visage entre ses mains et déposa un minuscule baiser sur son nez.
- J’aimerais bien t’amener avec moi, mais je ne préfère pas que tu rencontres ma drôle de famille tout de suite… Je ne veux même pas que tu voies l’endroit où j’habite.
- Mais pourquoi ?
En règle générale, il ne répondait pas à cette question. Comme il s’agissait de Ludivine et de sa bouille à croquer, il devait lui dire la vérité, lui dire qu’il était pauvre. Il ne savait pas, en revanche, qu’elle connaissait déjà sa situation.
- J’ai honte, tu comprends. Parce que chez moi, c’est très… Comment dire ? C’est très différent, parce que je n’appartiens pas à la même classe sociale que toi.
- N’importe quoi, grogna la jeune fille.
- Tu ne peux pas comprendre. Mon immeuble part en brioche. On a cinq ampoules dans l’appartement. Deux fenêtres. On a du mal à payer l’électricité, la bouffe et le reste. Ma mère n’arrive pas à obtenir le Revenu Moyen d’Insertion. Ma sœur ne fout rien de ses journées, et donc, ne travaille pas et ne ramène pas des sous. Les petites économies que j’ai pu ramasser grâce à une dizaine de petits boulots me permettent juste de me prendre en charge. C’est ça que tu veux connaître Ludivine ? C’est ça que tu veux voir ? demanda-t-il doucement.
- Non, répondit-elle en se blottissant contre lui. Mais je voudrais vivre ça avec toi.
- Et tu ne le vivras pas.
- Oui, mais moi, je t’aime.
- Et alors ?
- Ben alors…, voilà.
Xavier réussit à obtenir la permission de retourner chez lui, à condition de faire attention sur le chemin, de l’appeler en arrivant et de se revoir. La dernière exigence ne devrait pas poser de problèmes, étant donné qu’ils avaient cours le lendemain.
- J’essaierai d’être en avance, promit Ludivine. Comme ça, tu pourras me faire un gros câlin. Et je l’aurais mérité, parce que je me serais levée plus tôt que d’habitude exprès pour toi. Et t’oublies pas de m’appeler dès que t’es chez toi hein ?!
- T’inquiète pas.
- Tu dois garder du forfait pour me souhaiter bonne nuit.
- J’y veillerai.
- Et la prochaine fois, tu viendras dormir, et tu m’apprendras à cuisiner.
- Promis.
Ils s’étreignirent, s’embrassèrent encore et se séparèrent difficilement. Ludivine eut beaucoup de mal à le laisser franchir le pas de la porte. Pour se consoler, elle compta le temps qu’il leur restait avant de se revoir.
- À dans quatorze heures… dit-elle tristement, en lui adressant un signe désespéré de la main.
Dans la rue, le comédien ressentit un vide immense. Il regrettait de ne pas pouvoir rester avec la jeune fille pour le restant de la nuit. S’il ne s’était pas retenu, il serait remonté en courant jusqu’à chez elle. D’un autre côté, cette journée avec Ludivine l’avait enchanté, et il s’en allait avec le cœur léger. Même Caroline n’avait jamais fait naître en lui un sentiment de béatitude aussi fort. Marchant lentement vers Montmartre, un air rêveur collé au visage, Xavier souriait. Il se sentait bien.
Extra Un : La Tragédie du Biscuit
Ludivine valdinguait entre les rayons d’un supermarché. Elle poussait un caddie, jusque-là presque vide, et jetait parfois des coups d’œil inquiets derrière elle. Lorsqu’elle arriva au rayon Biscuiterie, un grand sourire illumina son visage, et elle s’empressa de tendre la main vers les boîtes de biscuits les plus proches. La jeune fille remplit ainsi son caddie de tout ce qu’elle trouvait délicieux à la vitesse d’un éclair, sans tenir compte des prix affichés.
- Barquettes à la framboise… Pailles d’or… Oursons… Nutella… Chocolat blanc, noir, au lait, au caramel, aux noisettes, au biscuit, à la noix de coco… Coquelicots à la fraise… Cracottes au chocolat… énuméra-t-elle en tendant mille fois le bras vers les étalages.
Quand elle eut fini de descendre le long du rayon, son caddie était rempli à ras bord. Après un dernier coup d’œil derrière elle, elle se dirigea en toute hâte à la caisse. Hélas, son parrain surgit de nulle part et lui bloqua le passage.
- Aha ! Ludivine ! Je te tiens !
La comédienne opta pour un air coupable.
- S’il te plaît Romain…
- Non ! Non ! Et non ! Tu m’as semé dans tout le magasin, j’ai eu un mal de chien à te retrouver ! Alors, pour la peine, tu vas reposer tout de suite ces cochonneries !
- Mais c’est ma réserve pour le mois… balbutia tristement la jeune fille.
- Tu vas te rendre malade Ludivine, et je ne plaisante pas !
- Mais non, mais non…
- Oh que si ! Donne-moi ce chariot !
- Essaie un peu de me le prendre ! menaça la blonde en montrant les dents.
Après une bataille acharnée, Romain réussit à lui prendre de force le caddie, et se dirigea d’un pas rapide vers le rayon Biscuiterie. Cependant, l’intrépide Ludivine se jeta de tout son long sur le chariot pour empêcher son parrain de reposer les trois tonnes de paquets biscuits.
- Non ! Non ! hurla-t-elle comme une furie. Tu ne toucheras pas à mes biscuits ! Non ! Non ! À l’aide ! Au feu ! Au meurtre !
- Arrête Lulu !
- Non ! Non ! Au secours !
Énervé, Romain sortit son téléphone portable dernier cri de sa poche. La jeune fille sentit une immense menace planer au-dessus de sa tête, et s’arrêta instantanément de hurler à la mort.
- Très bien. Tu l’auras voulu. J’appelle tes parents.
La bouche de Ludivine forma un O stupéfait, mais elle eut tôt fait de se ressaisir et brandit, à son tour, son propre portable.
- Attention Romain… j’appelle Xavier.
- Maman, j’ai peur ! se moqua son parrain.
- Ben oui, que t’as peur ! Mon Xavier, il est trop fort ! Il m’aime, lui, au moins ! Il me défend toujours, lui ! Il me gronde pas quand je fais une bêtise ! Et d’abord, là, j’ai pas fait de bêtises !
Romain ne l’écoutait pas et composait déjà le numéro de ses meilleurs amis.
- Allô Jeff ? Oui, c’est moi.
- C’est du bluff ! s’exclama Ludivine, qui n’y croyait pas une seconde.
- Ta fille me fait des misères.
- C’est du bluff ! Le coup du téléphone, je le connais !
- Figure-toi que Mademoiselle a décidé de remplir son caddie de biscuits pour le mois à venir ! Y’a rien d’autre ! Pas de viandes, pas de poissons, pas de légumes, pas de féculents !
- C’est pas vrai ! J’ai pris aussi du jambon cru et du saucisson !
- Rien d’autre, j’te dis !
- Arrête de jouer la comédie ! Je sais très bien que y’a pas de communication !
Elle s’approcha et écouta s’il y’avait la ligne au téléphone. Apparemment, oui. Elle entendait même son père s’énerver à l’autre bout du fil.
- Faut que j’appelle Xavier, faut que j’appelle Xavier, murmura-t-elle, paniquée, en fouillant dans le répertoire de son portable.
Xavier était sa dernière solution, sinon elle serait morte d’ici peu, tuée par son propre père. Hélas, elle n’eut pas le temps de le contacter, car son parrain lui tendit son téléphone mobile.
- Ton père a deux mots à te dire. Bon courage Lulu. Je t’aimais bien, dans le fond…
- Non… supplia-t-elle en prenant l’appareil à contre-cœur.
Bien entendu, son père n’avait pas du tout été content, et le lui avait fait comprendre. Il avait exigé d’elle qu’elle repose tous ses paquets de biscuits.
- Oui Papa… répondit tristement Ludivine, en reniflant.
- Bravo Jeff ! s’écria Romain, à côté, heureux comme un pape.
- Mais avant, je veux l’avis de Maman ! réclama-t-elle. Je sais qu’elle est de mon côté, elle ! Dis-lui !
- Oh non, pas sa mère !
La mère de Ludivine lui avait transmis sa passion des biscuits. La jeune fille avait bon espoir que son caddie survive si elle intervenait, mais son père lui avait confié qu’elle n’était pas à la maison.
- Qu’est-ce qu’elle fait à San Francisco alors que mes biscuits sont en voie de disparition ? demanda la comédienne, déçue.
Après avoir raccroché, Ludivine constata avec horreur qu’elle devait abandonner ses biens dans le supermarché, et partir sans eux.
- Papa a dit que je pouvais les garder, mentit-elle alors, avec un dernier espoir.
- Mon œil ! rétorqua son parrain.
Avant qu’il ne rajoutât autre chose, Ludivine s’était enfuie en courant avec son chariot plein à craquer de biscuits.
- Ludivine, reviens ! ordonna Romain, en se lançant à sa poursuite.
- Au secours ! À l’aide ! Mon méchant parrain veut me prendre mes biscuits ! hurla la jeune fille dans tout le magasin.
Tous les clients se retournèrent sur leur passage. Elle avait toujours eu le don de le mettre dans les situations honteuses les plus inimaginables.
- À l’aide ! Sauvez-moi ! Sauvez mes biscuits !
Malgré quelques difficultés, Ludivine réussit à semer son parrain et percuta de plein fouet un jeune homme avec son caddie.
- Oh Pierrick ! s’exclama-t-elle, en le reconnaissant. Tu tombes à pic Pierrick, olala !
Pierrick, accompagné de sa conquête du moment, se massait le genou droit, qui lui était très douloureux. Il n’encaissait pas des chariots tous les jours.
- Ben alors Lulu ! Qu’est-ce qui t’arrive ? s’étonna-t-il, en cachant une grimace de douleur.
- Faut que tu m’aides ! C’est une question de vie ou de mort !
Sans plus attendre, elle le força à prendre le caddie des mains, et s’empressa de fouiller dans petit sac en bandoulière pour en sortir son porte-monnaie.
- Tu vas acheter ça pour moi ! décida la comédienne en lui tendant un billet de 50 euros.
- Hein ? Acheter tout ça ?!
- Oui, s’il te plait Pierrick ! Je vais mourir sinon !
- Bon, d’accord. Je t’attendrai à la sortie du magasin.
- Oh merci, merci, merci ! Je t’adore Pierrot, je t’adore !
Ludivine fit claquer deux grosses bises sur les joues du jeune homme (ce qui arracha également un grognement à sa petite amie) et partit en courant dans la direction opposée. Malheureusement encore pour elle, elle tomba nez à nez avec son parrain. Celui-ci empoigna son bras pour ne pas la perdre une nouvelle fois.
- Tout va bien ! assura la jeune fille.
- Il est passé où, ton chariot ?
- J’ai tout remis à sa place.
La nouvelle soulagea Romain. Il allait pouvoir faire les courses tranquillement, et offrir à sa filleule des repas bien équilibrés et bons pour la santé.
- Romain, ça ne sert à rien de faire les courses. Je viens toujours manger chez toi. Et dès fois, j’achète des pizzas à la boulangerie. Pourquoi dépenser plus que ce que je consomme ? demanda philosophiquement Ludivine, ne désirant pas avaler des légumes durant le mois entier.
- Et si tu devenais autonome ? riposta l’intéressé.
Elle ne répondit pas et chercha de nouvelles excuses pour empêcher son parrain d’acheter de la nourriture.
- Romain, je te dis vraiment que ce n’est pas nécessaire de prendre tout ça. Mes placards sont pleins à craquer, je ne manque de rien… sauf de biscuits.
- Bien tenté, Lulu. Mais c’est toujours non.
Cependant, à force de réfléchir, Romain se rendit compte qu’elle n’avait pas tout à fait tord. Pourquoi acheter à manger, alors qu’il y avait déjà de quoi nourrir la troupe entière de la Comédie Française dans les placards de Ludivine ?
- D’accord, je capitule, soupira-t-il enfin, à la suite d’un nouvel assaut de sa filleule.
- Ouais !
- Mais tu as intérêt d’avaler tout ce qui se trouve chez toi !
Elle sourit de toutes ses dents et en fit la promesse à son parrain. Ils quittèrent le magasin, Romain soulagé, et Ludivine suspicieuse de retrouver ses biscuits. À la sortie du supermarché, Pierrick et sa petite amie les attendaient. En découvrant le caddie rempli à ras bord, Romain s’énerva aussitôt.
- J’attends des explications, Lulu !
- Ben… y’en a pas… dit la comédienne, à court d’idées. Je voulais mes biscuits… et je les ai eus ! Et toc !
Ils recommencèrent à se disputer en public. Elle tenait absolument à garder ses biscuits, alors que son parrain voulait les ramener au magasin et se faire rembourser. Gênés, Pierrick et sa petite amie ne disaient rien.
- Je veux les garder ! Je veux les garder ! Je veux les garder !
- Non, Ludivine !
- Si ! Je te promets que je ne mangerai pas tout d’un coup comme la dernière fois… et puis, si tu ne veux pas que je les garde, je dirais à Maman que tu me maltraites et que t’es méchant avec moi, et que tu ne m’aimes pas… et que je suis gentille, mais que tu ne t’en rends pas compte… et que tu…
Pierrick admira la méthode de Ludivine pour faire capituler son parrain. L’efficacité était époustouflante. Fallait-il que la mère de la comédienne soit terrifiante pour que Romain rende si vite les armes ?
- Je suppose que je n’ai pas le choix, grogna-t-il, les bras croisés.
- Tout à fait ! approuva Ludivine, ravie.
L’humeur du parrain en question était en chute libre. Il détestait lorsqu’elle le menait par le bout du nez, et pire encore, lorsque sa mère était derrière elle.
- Quand j’vais dire ça à Jeff… quand j’vais lui dire ça… marmonna Romain.
Ludivine remercia comme il se devait Pierrick, en lui offrant une belle tablette de chocolat au biscuit. Puis elle lui dit au revoir, de même qu’à sa petite-amie.
- J’ai mes biscuits, j’ai mes biscuits, j’ai mes biscuits ! chantonna Ludivine, en poussant joyeusement son caddie vers la voiture de son parrain.
- Et bien moi, j’ai eu la honte de ma vie ! s’écria Romain, toujours énervé. Et je peux te dire que je ne suis pas prêt de revivre la Tragédie du Biscuit !
Mon avis, tu le connais déjà : je garde un souvenir chocolaté de tes petites graines de comédiens *o*
*câââlin*
Je suis tout le contraire de Ludivine ; les sucreries m'écoeurent très vite. Pfiou ! Comment fait-elle ?! Elle est infernale, quand elle s'y met ! Et la scène du cinéma .... Xav', es-tu vraiment sûr de ce que tu fais, là ? huhu... Parce que les bisous toute une journée, c'est bien gentil, mais.... quand il va falloir passer au quatre-heures... J'espère qu'elle ne va pas te faire le coup du caddie à toi aussi. Pauvre de toi, sinon !
Chapitre sympa, l'adolescence dans toute sa splendeur, jusqu'à l'écoeurement des petits gâteaux. Mais, là, c'est pas de ta faute, c'est moi, hein. Alors, rassures-toi, je continue ma lecture dès demain. J'apprécie toujours autant.
Hum hum...pour le goûter de Xavier...étant donné que je suis assez pudique, il n'y aura rien d'explicite. ^^" Puis, comme c'est un bon garçon, Ludivine sera peut-être plus conciliante. ^^"
Bref, encore merci pour tes commentaires. Bisous-bisous !
Je lis très peu en ce moment -pas bien- mais ça ne m'empêche pas d'être habitée par ta plume : je pense souvent à cette ambiance chaude, amicale, pétrie des bonnes choses de la vie, ainsi que de ses petites épines. C'est quand on lit une histoire comme la tienne qu'on a envie de savourer l'existence dans tout ce qu'elle offre ^^Reponse de l'auteur: Et ben, merci ! ^^ Je peux te dire que tu as pigé plus vite que moi ! xD Je viens de voir à l'instant 2 mails sur ma messagerie ("oh j'ai des amis !"), et c'était justement Shishoune qui m'annonçait l'extrait, et toi qui me donnait la réponse en commentaire. J'ai même pas eu le temps de réfléchir, tu vas trop vite ! xD
Enfin, merci encore. ;)
On se sent bien dans cette histoire, comme dans un bon lit douillet : c'est tout tendre, souvent drôle, parfois mélancolique. Et mystérieux ! Quid de la maman de Ludivine ? o_O Elle m'intrigue, celle-là (et à en juger par la réaction du parrain, elle a l'air redoutable ^^'). Encore une fois, un joli morceau de lecture !Reponse de l'auteur: Re-re-re-remerci ! xD *offre une tartine de nutella à Cristal*
La maman de Lulu ? C'est la maman la plus adorable qui soit (ne pas écoutez Romain, ce dernier tourne toujours tout à son avantage...xD). Elle a de quoi t'intriguer, mais c'est fait exprès, parce que c'est un des "secrets" de Lulu. ^^" Enfin, voilà. Merci pour toutes tes reviews, qui me font toujours autant plaisir. Biyouuu !
Donc, je disais donc, j'aurais jamais cru que Xavier et Aline avait une relation aussi ambigüe, comme quoi, c'est pas au bout de 4 chapitres qu'on connaît les personnages (et c'est quelque chose que tu fais trop bien je trouve, on a toujours l'impression qu'on connaît bien les personnages alors que non, c'est comme pour Lulu est tous ses anciens copains, je l'aurais jamais cru d''elle ça, ma pov tite Lulu, je t'imaginais plus sainte-nitouche).<br />
Ensuite, Xavier est enfin passé à l'attaque avec Lulu ! J'aime bien ses manières de bousculer un peu Lulu sans pour autant être méchant. Ca lui va bien je trouve. Par contre, j'aurais jamais pensé que Lulu pouvais être aussi... "chiante" avec le coup du "je vais me recoucher" et ensuite "je veux manger à tout prix", pauvre Xavier, ce n'est pas vraiment de tout repos avec elle. <br />
Pour terminer, j'ai beaucoup aimé l'extra, il m'a bien fait rire, mais qu'est-ce que je n'aurais pas aimé être à la place du parrain ^^<br />
Donc voili voilou, plus rien à dire, et j'ai retrouvé tout ce que j'avais voulu dire, à part que j'attend la suite avec impatience (ha bon?). Pluchi !Reponse de l'auteur: Je suis contente que ça ait marché cette fois ! ^^ Alors pour commencer : je cache bien mon jeu, t'as vu, Xavier et Aline, c'est pas du pipeau ! Et d'ailleurs, tu ne sais pas tout ! xD (dans le chap que je suis en train d'écrire, qui est le chap des Révélations avec un R, Xav' va en surprendre plus d'un).
J'ai commencé à écrire un extra Xavier/Aline pour montrer un peu leur histoire, comment ils se sont rencontrés, etcetera...J'ai bientôt fait tout le tour de la psycho des personnages, mais pas encore hein...ça prendra fin avec les parents de Ludivine. En fait, je pars du principe que, dans la vie réelle, on n'apprend pas à connaitre les gens en un jour, une semaine, ou deux mois...Là, c'est pareil. Quand tu connaitras Xavier comme si c'était ton propre fils (exagérons un peu), ce sera déjà la fin de l'histoire.
Pour Ludivine, en fait, comme je le disais la dernière fois, elle a eu une période où elle voulait sortir avec des garçons pour avoir un peu de tendresse. Après la rupture (je dirai pas "traumatisante" mais presque) avec son ex, elle s'est repliée sur elle-même...et c'est devenu la (presque) sainte-nitouche que l'on connait. Bon, par contre, elle a toujours été aussi "lourde"...XD C'est même "lourd" d'écrire quelques uns de ces dialogues...mais c'est Lulu, quoi ! XD
Bref, j'ai fait long ! xD Merci beaucoup pour cette reviews que j'ai bien apprécié. Promis, je mets la suite dans un jour ou deux...^^
Bisous !