Amélia avait passé la soirée à fulminer. Elle avait tourné en rond dans sa chambre comme un lion en cage jusqu’à l’arrivée d’Emily. Quand la sorcière avait croisé le regard de son amie, toute la colère et la rancœur qu’elle avait ressentie à l’égard de sa mère ou d’Aven s’évaporèrent. Elle fondit en larmes dans les bras de la fée, s’excusant entre deux sanglots bruyants. Emily l’avait bercé une partie de la soirée, après l’avoir aidé à se changer et Amélia finit par s’endormir, épuisée.
Le lendemain matin, l’adolescente, de bien meilleure humeur, avait royalement ignoré sa mère tout au long de la matinée avant de s’installer dans le grand salon, un livre à la main. Elle lui en voulait encore terriblement et refusait d’entacher sa gaieté en écoutant de nouveaux sermons de sa part.
Amélia se trouvait donc assise à une petite table, sous la lumière du soleil qui filtrait à travers l’immense baie vitrée. Elle lisait un livre passionnant sur l’histoire d’Aurora et ses enfants quand Emily entra dans la pièce.
La jeune fille s’approcha de la sorcière, hésitante. Du coin de l’œil, Amélia la voyait passer d’un pied sur l’autre, serrant les pans de sa robe de domestique avec anxiété.
– Amélia ? finit-elle par demander.
La sorcière leva le nez de son roman et observa longuement la fée. Emily continuait de se tortiller, mal à l’aise. Elle semblait hésiter à lui parler, ce qui était une première pour elle. Généralement, l’adolescente n’avait pas sa langue dans sa poche quand elles n’étaient que toutes les deux. Le sourire d’Amélia vacilla quelque peu, soudain envahie par l’inquiétude. Qu’est-ce que son amie pouvait bien vouloir lui demander de si important pour qu’elle se mette dans des états pareils ?
– Oui, Emily ? répondit-elle en posant son livre. Qu’y a-t-il ?
– Je voulais… Je voulais te demander la permission de me retirer pour l’après-midi. Je sais que ce n’est pas professionnel et que je te le demande à la dernière minute, mais…
– Tu voudrais aller rendre visite à ta famille ? comprit Amélia avec un sourire compatissant.
– Oui… Je… j’ai trouvé un nouveau livre pour ma petite sœur et j’aimerai beaucoup lui offrir en personne. Elle a toujours adoré les livres et… bref, je voudrais le lui remettre en main propre. Mais je serai rentré pour dix-huit heures au plus tard ! s’empressa-t-elle de préciser en serrant plus fort encore les poings sur sa robe.
Amélia retint à grand peine un soupir de soulagement, alors ce n’était que ça ?
– Emily, appela-t-elle.
La fée releva des yeux timides vers Amélia. La sorcière se leva en souriant et prit les mains de son amie dans les siennes.
– Bien sûr que tu peux y aller. Et comme ça, tu pourras me ramener quelques bonbons de la Confiserie Tinkles. En toute discrétion, bien sûr, ajouta-t-elle avec un clin d’œil.
Emily en eut les larmes aux yeux. Elle se jeta au cou d’Amélia et la serra de toute ses forces dans ses bras.
– Merci Amélia ! Merci beaucoup ! Je te promets de revenir vite !
– Doucement Emily, rigola la sorcière en s’écartant pour essuyer une larme qui roulait sur la joue de son amie. On se voit tout à l’heure, d’accord ?
– D’accord, renifla la jeune fille. Encore merci !
Puis elle s’éloigna rapidement. Amélia entendit ses pas résonner dans le hall alors qu’elle gravissait en toute hâte le grand escalier jusqu’au troisième étage où se trouvait les chambres de bonnes pour aller se changer. Quelques instants plus tard, Azriel entra dans le salon, accompagné de M. George. Le majordome poussa le fauteuil roulant jusqu’à la table où s’était installé Amélia avant de s’écarter.
– Je viens de croiser Emily, lança Azriel en feuilletant le livre qu’avait abandonné sa sœur. Je ne l’ai pas vu sourire autant depuis que tu lui as offert ce bouquet de violette-chantantes de chez Magifleur pour son anniversaire.
– Je viens de lui donner son après-midi. Elle voulait rendre visite à sa famille, expliqua Amélia en s’asseyant à côté de son frère.
– Mademoiselle ! s’exclama le vieil homme en s’avançant d’un pas. Si votre mère apprend cela, elle sera furieuse.
– Calmez-vous, M. George, sourit Amélia. Elle m’a promis de revenir pour dix-huit heures au plus tard. Et puis… sa famille lui manque, alors c’était une chance pour moi de lui faire plaisir.
Azriel prit la main de sa sœur dans la sienne et lui sourit.
– Mademoiselle, vous êtes… sanglota le vieux majordome. Vous êtes la jeune sorcière la plus généreuse qu’il m’ait été donné de rencontrer.
– Allons M. George, souffla Amélia avec douceur alors qu’Azriel lui offrait un mouchoir.
Le vieil homme se moucha bruyamment avant de relever des yeux humides vers la jeune fille.
– Toutes mes excuses, renifla-t-il. Je m’en vais de ce pas vous apporter du thé.
– Oh, et une assiette de ces délicieux biscuits à la cannelle et au chocolat, s’il vous plait !
Amélia fixa son frère les sourcils froncés alors que le majordome s’en allait déjà en se mouchant. Azriel se tourna vers elle, elle croisa les bras.
– Quoi ? J’adore ces biscuits et je ne vois pas en quoi ça pourrait me rendre encore plus malade.
– Tu es un vrai gamin, soupira Amélia non sans un sourire.
– Je te retourne le compliment, petite sœur.
Amélia passa les heures qui suivirent à jouer aux échecs avec son frère et M. George qu’elle avait invité à prendre le thé avec eux dans le salon. Le vieux majordome prit bientôt la place d’Amélia devant l’échiquier face à Azriel, se creusant les méninges face à l’adolescent qui souriait sereinement. Le jeune homme avait sans doute plusieurs coups d’avance et s’amusait beaucoup à faire tourner en bourrique ce pauvre M. Gorge.
Amélia, elle, grignotait des biscuits en poursuivant sa lecture. Tout était si calme quand Azura n’était pas là. Sa mère les avait prévenues le matin même qu’elle serait absente pendant toute l’après-midi. Amélia ne savait pas où et pourquoi sa mère était partie et s’était bien abstenue de lui poser la question. Elle lui en voulait toujours pour le dîner de la veille et n’était pas prête à lui adresser la parole de sitôt.
La jeune fille était en train de s’énerver en se rappelant la scène de la veille quand les portes du salon s’ouvrirent en grand, faisant sursauter Amélia, son frère et M. George qui renversa à moitié l’échiquier.
Une femme fit alors son entrée. Grande, le visage rond et une peau de pêche, Luvenia arborait un large sourire en posant ses beaux yeux marrons sur le petit groupe. Ses longues boucles blondes étaient relevées en un chignon élaboré parsemé d’épingles à cheveux à l’extrémité en forme d’étoiles argentées. Derrière elle se trouvaient sa fille Arya et son époux Eras ainsi que leur enfant Galena.
– Bonjour la compagnie ! lança joyeusement la sorcière en écartant les bras, les yeux pétillants. Nous voilà enfin de retour à la maison !
Amélia abandonna aussitôt son livre et bondit sur ses pieds pour se jeter au cou de sa tante. Luvenia la serra dans ses bras et la fit tournoyer avant de se tourner vers Azriel. L’adolescente en profita pour se tourner vers sa cousine qu’elle embrassa chaleureusement.
– Tu as l’air en forme, nota Amélia avec un sourire.
– Tu as remarqué, répondit-elle amusée.
Un peu plus petite que sa mère, Arya était tout aussi belle. Elle avait hérité de Luvenia ses grands yeux marron brillant, son teint de pêche et ses cheveux aux boucles blondes. Tout ce qu’elle avait gardé de son père était de légères tâches de rousseurs qui parsemaient son nez et ses joues et cette minceur dont Luvenia ne possédait que la taille de guêpe. Seules quelques cernes assombrissaient un peu ses traits, traces à peine visibles de son accouchement récent.
Le regard d’Amélia glissa alors sur l’enfant qui babillait joyeusement dans les bras de sa mère. Le bébé aux yeux d’un bleu étincelant tendait déjà ses petites mains potelées pour toucher le visage de la sorcière. Elle était tout simplement magnifique. Amélia lui sourit avant de se tourner vers le père de cette dernière.
Un peu en retrait derrière Arya, Eras souriait timidement. Amélia le serra dans ses bras, heureuse de le revoir. Plus grand qu’elle de deux bonnes têtes, Eras était aussi grand qu’élancé. Ses traits étaient incroyablement fins alors qu’il arborait une peau pâle, des cheveux d’argent et des yeux d’un bleu envoûtant dont sa fille avait vraisemblablement hérité.
– Comment vas-tu ? demanda-t-elle.
– Oh, je pense que ça va, dit-il d’une petite voix.
– Le pauvre a failli perdre une main pendant l’accouchement, rigola Luvenia en prenant la tasse de thé que lui tendait M. George.
– Tu exagères maman, rouspéta Arya, je ne l’ai pas serré si fort que ça.
– Ma chérie, ses doigts sont devenus violets, fit-elle remarquer en soupirant, l’infirmier qui nous accompagnait a même dû le soigner. Eras est beaucoup trop gentil pour te le dire, voilà tout.
Amélia vit Eras rougir furieusement et baisser la tête. Elle passa une main dans son dos, compatissante. Sa cousine Arya avait hérité du tempérament de feu de sa mère, l’une comme l’autre avait souvent tendance à se montrer un peu trop enthousiaste de temps en temps – pour ne pas dire tout le temps. Tout le contraire de sa sœur aînée Nausicaa, qui était le calme et la discipline incarné ou de leur cadet Roman qui était aussi patient et réfléchi que Luvenia était impulsive.
La famille prit place autour de la petite table basse de bois poli.
– Comment va Galena ? demanda Amélia alors qu’Arya déposait le bébé dans les bras tendus d’Azriel. Maman a dit que les guérisseurs de l’hôpital ont voulu la garder en observation un moment.
– Oh, elle va très bien, sourit Arya en prenant place dans le fauteuil à côté de l’adolescent. Elle avait un peu de mal à respirer. Anita est même passée l’examiner et il semblerait que ce ne soit rien de grave.
Galena essayait d’attraper les doigts fins d’Azriel, un large sourire aux lèvres et riait à la moindre grimace qu’il faisait. Amélia pensa qu’il aurait pu être un père formidable s’il en avait eu le temps…
L’adolescente eut soudain l’envie de se donner des claques et se força à penser à autre chose. Ce n’était pas le moment de penser à cela !
Repoussant le plus loin possible ses sombres réflexions, Amélia se tourna vers sa tante.
– Ses pouvoirs de sylphide se sont manifestés un peu plus tôt que prévue, expliqua Luvenia en prenant place à côté d’Amélia. Elle s’est un peu étouffée en jouant avec l’air autour d’elle, voilà tout.
– C’est ma faute, soupira Eras en se tortillant dans son fauteuil. Elle a hérité d’une partie de mon patrimoine hybride. Je pensais que l’essence des Moonfall serait assez puissante pour le diluer, voir le faire disparaître complètement. Je me trompais…
– Tu n’y es pour rien, mon chéri, répondit Arya avec fougue. Le fait qu’elle soit en partie sylphide n’est pas grave, je te l’ai déjà dit : ça la rend unique.
– Écoute un peu ton épouse, le rabroua Luvenia en portant sa tasse à ses lèvres.
– Elle a raison, renchérit Amélia en se tournant vers Eras. Arrête un peu de te dénigrer, les hybrides ne sont pas des monstres, ceux qui le pensent sont des idiots.
– Des ignorants, corrigea Azriel sans lever les yeux.
Amélia l’ignora.
– Si les hybrides sont mal vu c’est uniquement à cause des mauvaises langues, poursuivit la jeune fille. Ne te fit pas aux regards des autres, sourit-elle finalement, ils ne comptent pas.
– Elle a raison, poursuivit Luvenia qui reposa sa tasse sur la table basse. Tu devrais être fier d’être un hybride. En tout cas, je le serai si j’en étais une. Les hybrides sont comme des passerelles entre les différents enfants d’Aurora. Et chacun d’entre vous est unique quand nous autre – « sang-pur » – sommes tous identiques.
Il jeta un regard timide à Amélia qui regardait d’un air rêveur la petite Galena dans les bras de son frère.
– Mais Azura…
– Ne fais pas attention aux propos de notre mère, lui répondit Azriel en relevant ses yeux pâles sur lui. Elle n’a pas eu la chance de grandir dans une famille très ouverte d’esprit. Mais j’ai bon espoir qu’elle apprenne un jour qu’hybrides et fées ne sont pas les pestiférés qu’elle a appris à mépriser.
Eras sourit, se détendant enfin et l’après-midi se poursuivit dans la joie et la bonne humeur.
Les heures filèrent et Amélia, qui s’était levé pour voir la petite Galena de plus près, s’amusait à présent à faire apparaître des papillons de toutes les couleurs au-dessus de sa tête. Le bébé s’amusait à essayer de les attraper à main nue, riant aux éclats quand les insectes colorés explosaient en confettis tout autour d’elle quand elle parvenait à les toucher. Au bout d’un moment, elle commença même à jouer avec l’air pour rapprocher les papillons de ses doigts minuscules. Elle n’arrêtait pas de gazouiller joyeusement et semblait fascinée par les yeux d’or d’Amélia.
– On dirait qu’elle t’aime bien, sourit Arya en se penchant vers Azriel pour replacer la couverture autour de sa fille.
– Tout le monde aime Amélia, ricana Azriel, c’est pathologique.
L’adolescente lui asséna une tape réprobatrice derrière la tête et Azriel explosa de rire, suivit de sa sœur et de tout le monde dans la pièce. Même M. George esquissa un sourire derrière son épaisse moustache.
– Emily n’est pas là ? demanda Eras en regardant autour de lui alors qu’Arya reprenait Galena dans ses bras.
– Elle est partie voir sa famille, répondit Amélia en retournant s’asseoir à côté de Luvenia.
– Si tard ? s’étonna sa tante.
Amélia leva les yeux vers l’horloge du salon et pâlit. Elle se releva d’un bond, se précipita sur M. George et arracha presque de sa veste la précieuse montre à gousset qu’Azriel lui avait offert trois ans plus tôt. En voyant l’heure, Amélia blêmit davantage. Elle était à l’heure, alors où se trouvait Emily ? Ce n’était pas normal, quelque chose clochait.
À présent blanche comme un linge, Amélia se tourna vers la grande baie vitrée qui donnait sur le jardin. Un frisson glacé lui parcouru le dos.
– Amélia ? s’inquiéta Luvenia en se levant lentement. Tout va bien mon ange ?
– Non…
Elle avait laissé échapper ce mot dans un souffle à peine audible. Tous les regards étaient braqués sur elle et tout le monde dans la pièce commença à s’inquiéter de voir la jeune fille dans un tel état. Jamais ils ne l’avaient vu aussi anxieuse.
Au dehors, la nuit commençait déjà à tomber. Elle se retourna vers l’horloge. Au même instant, celle-ci sonna les coups de dix-huit heures.
Autrement, j'ai adoré ce chapitre. Tu nous emporte dans ton histoire avec une facilité ahurissante, et avec ça, nous nous régalons.
Deux petites coquilles pour la route ;)
- Elle fondit en larme (= larmes)
- Je me suis un peu - je l'avoue - mélanger les pinceaux avec tout les personnes différentes. C'est à remédier.
En espérant t'aider !
Puisse ton imagination fleurir comme une rose :)
Pluma.
En ce qui concerne les personnages je vais voir ce que je peux faire pour que ce soit peut-être un peu plus clair, mais je ne garanti rien ^^'
En tout cas, merci pour ton commentaire x)
Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite de ce chapitre te plaira tout autant ;) Pour être honnête j'hésite à le poster tout de suite ou attendre demain.
Merci pour ta "petite remarque" je n'avais pas vu cette erreur ^^' je vais aller la corriger tout de suite et tu as tout à fait raison, Azura comme tous mes personnages vont bien sûr évoluer. Quant à Luvenia, je me suis vraiment amusé à l'écrire, c'est sûr qu'avec elle on ne s'ennui jamais ! x)