Floritane était très inquiète pour un de ses œufs. Alors que les deux premiers s’ornaient jour après jour d’une multitude de craquelures fines, veineuses, qui parcouraient l’ensemble de leur surface et laissaient transparaître une membrane verte d’aspect gluant, le troisième œuf n’était fendu que sur sa partie supérieure, de plusieurs cercles concentriques autour d’un unique point d’impact, à son sommet. Elle avait compris que le petit dragon à l’intérieur ne s’étirait pas dans différentes directions comme ses deux frères, mais se contentait de donner des coups de museau – du moins c’est ce qu’elle imaginait – vers le ciel. Lorsqu’il s’agitait ainsi, et qu’elle était certaine qu’aucun homme des lacs ne l’observait, la dragonne ployait son cou immense pour venir placer ce curieux œuf entre ses deux yeux circonspects. Elle observait ainsi le haut de l’œuf se soulever à intervalles réguliers, dans une danse presque rythmique, entraînant à sa suite quelques cercles de coquille, qui s’écartaient les uns des autres, maintenus ensemble par la membrane élastique. Mais les petits coups étaient si faibles que jamais, pensait-elle, son petit ne parviendrait à sortir seul. Or, il était primordial pour un dragonnet de naître seul.
Le jour se levait. Une pluie fine était tombée toute la nuit, et le rocher sur lequel ils étaient piégés était toujours mouillé. Les trois œufs étaient agités. Floritane sentait leur faim, leur besoin d’espace. Elle toucha délicatement du museau les deux œufs craquelés, comme pour encourager ses petits, puis reporta son attention sur le troisième. Une fois de plus, le haut de l’oeuf montait brièvement de quelques centimètres, puis retombait. Elle poussa un gémissement de crainte, et malgré l’angoisse que cela lui provoquait, continua d’observer ce petit battement faible. Le chapeau de coquille montait, redescendait. Soudain, et avec une brutalité qui la fit bondir sur ses quatre pattes, la partie supérieure de l’œuf fut projetée dans les airs par un jet d’eau puissant. Des gouttes retombèrent sur sa gueule, et elle s’ébroua avant de pouvoir découvrir le visage de son premier né : deux yeux ronds et bleus, un museau pointu, un corps tout en longueur qui bondit hors des quatre débris de coquille restant pour aller chercher le contact de sa mère, puis celui de l’eau du lac dont il s’abreuva goulûment. Floritane, le retint d’une patte, et le dragonnet manifesta sa frustration avec des couinements aigus. Elle ne pouvait pas le laisser plonger dans le lac. En tant que dragon des forêts, sa peur de l’eau est viscérale ; pourtant, elle savait qu’elle avait tort d’essayer de l’en protéger. Elle avait compris du premier coup d’œil qu’il n’était pas comme elle, et qu’il faudrait qu’elle aille contre sa nature pour le laisser aller explorer ces flots inquiétants qui n’étaient pour elle que danger et mystère. Mais pas maintenant. Pas encore. Du bout de ses dents, elle saisit le dragonnet et s’allongea en le plaquant contre son cou. Ravi, il s’agita en la gratifiant de coups de langues, de coups de griffes, et en mordillant ses écailles. Il débordait d’énergie. De bonheur. Sur cette île, il n’était pas prisonnier comme elle. Il était dans son élément. Elle décida de le nommer Lacnéo, car c’était un dragon des grands lacs, le premier à naître dans son milieu naturel depuis des millénaires.
Au même moment, dans une yourte des plaines du sud, une humaine d’une quinzaine d’années criait de terreur. De ses mains s’échappaient des torrents d’eau, qui coulaient sur ses vêtements et sa peau puis se déversaient autour d’elle, inondant son logis.
J'aime toujours autant. Je trouve l'épisode de la naissance vraiment adorable et la sollicitude de la dragonne touchante. Est-ce que ce dragonnet sur une île ne serait pas à demi dragon des grands lacs ? Il me semble que sa nature intrépide et sa jeunesse vont le pousser à partir à la rencontre d'autres personnages et lui permettre de conquérir sa propre liberté, d'abord, puis celle de tous les dragons.
Je m'arrête ici pour aujourd'hui parce que tout de même, j'ai à faire ce soir, mais j'ai vraiment hâte de lire la suite,
A très bientôt, donc !
"Est-ce que ce dragonnet sur une île ne serait pas à demi dragon des grands lacs ? Il me semble que sa nature intrépide et sa jeunesse vont le pousser à partir à la rencontre d'autres personnages et lui permettre de conquérir sa propre liberté, d'abord, puis celle de tous les dragons."
-> j'aime bien ta supposition :) à moi de rendre les lignes du destin de ce petit dragon un peu sinueuses tout de même !
cela dit, si effectivement il y a d'autres dragons aux alentours cela promet de belles surprises :)
Oui c'est vrai que je n'offre pas de vision claire du nombre de race différente de dragons, de qui les détiens, etc... à aucun moment. Je le dévoile au fur et à mesure. C'est un choix qui peut perdre un peu, donc n'hésite pas à me dire si l'univers manque de transparence ou de lisibilité par rapport à ça :)