Chapitre 5 : La Tour de Verre

ROYAUME DE GALVIN

Depuis quelques semaines, le roi Amalric de Galvin s'était trouvé fort contrarié. La Table des Sept approchait à grands pas, et les préparatifs pour la traversée de la Mer avaient à peine débuté, sachant qu'il devait embarquer dans son navire de la flotte royale dans moins d'une semaine. Le roi de Galvin, contrairement aux autres souverains possédant un siège à la Table, se devait de partir avec une grande prévoyance car la croisière sur la Mer Tumultueuse était lente et rude. Tous les employés et domestiques de la Citadelle Bleue s'activaient chaque jour de l'aube au crépuscule, mais rien n'y faisait ; la quantité de vivres, d'eau, de cidre, d'armements – pour parer une attaque pirate –, était si colossale que chaque chargement, chaque rangement paraissait interminable.

Tous les conseillers du roi lui soufflaient la même solution, à laquelle il était demeuré imperméable, mais plus les jours passaient, plus il voyait venir l'instant où il devrait déclarer forfait. La Mer n'avait jamais été aussi déchaînée, comme si Elle s'opposait fougueusement à cette réunion historique. Et si toutes les précautions n'étaient pas prises à temps, ils seraient obligés de voguer rapidement et dangereusement, risquant à tout instant un naufrage meurtrier.

— Votre Majesté, gémit son Premier Conseiller alors qu'il accourait vers lui, manquant de peu de s'empaler sur la table du Conseil tant il était essoufflé et maladroit. La cinquante-sixième cargaison d'eau vient d'être perdue en mer ! Il nous est impossible de nous procurer autant d'eau pure en si peu de temps, j'ai bien essayé de contacter tous les gérants de puits de la capitale, mais nous les avons déjà vidés ! Sans eau, c'est tout notre équipage que nous condamnons. Majesté, je vous en supplie, vous le savez bien, il ne reste qu'une solution. Vous devez l'appeler.

Le roi Amalric jeta un regard fatigué à son conseiller par dessous sa longue mèche blonde. Dans un soupir exténué, il rassembla les parchemins contenant les listes de produits et équipements nécessaires à l'expédition et se leva de sa chaise tout aussi mollement.

— Très bien, accepta-t-il enfin, après des semaines de lutte, tirant un sourire soulagé à son Premier Conseiller qui entrevoyait enfin le bout du tunnel. Faites appeler la maîtresse dresseuse. Qu’elle me conduise à la Tour de Verre.

— Bien sûr, Votre Majesté, s'empressa de répondre le petit homme, alors qu'il se prosternait dans une révérence si basse que son gros ventre bedonnant frôlait presque le sol. Tout de suite, Votre Majesté. Adyl ! cria-t-il soudain en direction de la porte.

Un jeune homme se précipita à l'intérieur de la salle du conseil, les joues rouges et l'oeil hagard. Il réceptionna tant bien que mal la lettre que lui tendit le Conseiller et disparut aussi vite qu'il était arrivé.

Quelques minutes plus tard, de lourds coups résonnèrent de l'autre côté de la porte de verre.

— Entrez.

La porte s'ouvrit sur une femme à la taille immense, aux cheveux blonds-roux si longs que leurs pointes côtoyaient ses chevilles, et aux yeux très clairs, mélange harmonieux de jaune et de vert. Elle était vêtue d'un pantalon aux jambes évasées et d'un veston aux épaules droites qui ressemblaient à s'y méprendre à un uniforme de la Marine Royale, à l'exception de leur aspect ; ils semblaient avoir été taillés dans de l'écaille de serpent. Son attirail était aussi exotique que son nom. Elle était connue à la Citadelle Bleue et à la capitale comme Maîtresse Zadila.

La femme salua le roi d'un hochement de tête sobre et prit la parole d'une voix grave qui semblait provenir des profondeurs de la terre.

— Suivez-moi, Altesse.

Et les battants de verre poli se refermèrent dans un crissement derrière la silhouette élancée du roi. Ce dernier suivit la femme à l'apparence de reptile sans broncher. Elle lui fit prendre un escalier fait de pierre volcanique qui s'enfonçait dans les bas-fonds du château, et le guida vers une porte de métal arrondie, pour disparaître ensuite dans un couloir bas plongé dans une obscurité totale, où résonnaient des bruits apaisants de gouttes d'eau stagnante. Tout ce parcours pour finalement gravir encore des marches raides, incrustées dans la roche. Arrivée au sommet, la femme fit coulisser une trappe en enclenchant un mécanisme à l'air complexe, dissimulé dans un renfoncement de la pierre parfaitement invisible dans les ténèbres ambiantes. À la suite de Maîtresse Zadila, le roi pénétra dans une large pièce de forme carrée baignée de lumière. Lorsque son regard clair et fragile fut enfin habitué aux rayons aveuglants, il crut un instant que ses yeux lui jouaient un tour. Un magnifique tour de magie.

La Tour de Verre, connue du royaume tout entier, mais où personne n'avait jamais pénétré exceptée la propriétaire des lieux, cachait en réalité un jardin luxuriant enfermé dans une immense cage de verre. Entre ces murs de ciel vivaient arbres géants aux branches biscornues, fleurs éblouissantes de couleurs, herbe d'un vert scintillant et bassins peuplés de poissons fluorescents. L’air était saturé d’une chaude humidité qui donnait envie de s’allonger au sol pour ne plus jamais se relever. Des senteurs de bourgeons fraîchement éclos se mêlaient à l’odeur entêtante de terre mouillée. À chaque foulée, Amalric avait la douce impression que ses pieds s’enfonçaient dans un nuage de mousse. Un mystérieuse brise qui semblait venir de nulle part et de partout à la fois soulevait quelques petites mèches tout autour de son visage.

Aux quatre coins où les pans de verre se rejoignaient pour former des murs, un espace ouvert sur l'extérieur au niveau du sol permettait l'écoulement de l'eau des quatre rivières qui se croisaient au centre de ce paradis prisonnier. Et c'est ainsi qu'était née l'image populaire de la Tour de Verre dans l'esprit du peuple de Galvin, se dit le roi Amalric. Cette tour gigantesque surplombant la Mer Tumultueuse dont les vagues s'élevaient parfois si haut dans les airs qu'elles venaient rencontrer les quatre cascades s'échappant du sommet de la cage de verre.

— C'est magnifique, ne put-il s'empêcher de remarquer.

— Suivez-moi.

Elle avait ignoré le compliment comme s'il l'incommodait, et elle s'engagea sur un petit ponton de bois traversant un cours d’eau. Elle l'emmenait vers le centre du jardin où la végétation se faisait plus dense.

Le roi Amalric suivit sa guide jusqu'à une petite clairière située entre quatre immenses arbres aux feuillage touffu et flamboyant et enclavée entre les quatre rivières aux flots chuchotant et riant au rythme du courant. Zadila siffla entre deux de ses doigts et le son perçant et aigu inspira un juron au roi qui s'empressa d'appliquer ses mains sur ses oreilles. Il fut interrompu dans son geste lorsqu'un animal au corps scintillant apparut entre les arbres. Ses écailles blanches et grises brillaient sous l'éclat du soleil sublimé par le verre tandis qu’il se posait à quelques mètres des humains. Le roi eut un mouvement de recul par pur réflexe et écarquilla les yeux de stupéfaction quand il vit la Maîtresse poser une main apaisante sur la tête de l'animal qui ferma les paupières de contentement. Le roi n’aurait su dire s'il s'agissait d'un serpent ou d'un dragon ; la bête avait une taille trop imposante pour être le premier et un corps trop fin pour être le second. Pourtant, il possédait bien des ailes et une large queue qui balayait l'air autour de lui avec force.

— Qu'est-ce que…

— Approchez-vous.

— Comment ? s'écria le roi, manquant s'étrangler devant l'assurance de la femme qui semblait mieux comprendre les bêtes que les humains. Alors là, certainement pas ! Il va…

— Elle est encore jeune, elle ne vous fera aucun mal.

Le roi décida de prendre son courage à deux mains et de faire confiance à la Maîtresse dresseuse qui était après tout réputée pour son osmose totale avec toutes les espèces animales et en particulier les reptiles. Il avança tout doucement, pas à pas, jusqu'à se placer aux côtés de Zadila.

— Comment pouvons-nous être sûrs que cette bête est bien sa création ?

— Ça ne fait pas de doute, répondit Zadila d'un ton sans appel alors qu'elle caressait le museau de l'animal qui émettait des petits grognements de bonheur. J'ai tout de suite senti sa trace. La marque de sa magie est très reconnaissable. L'eau est présente partout dans ce dragon. Pour l'instant, ses écailles sont blanches car elle n’est encore qu'une enfant. Les dragons sont très lents dans leur croissance. Mais dès qu'elle commencera à se rapprocher de la cinquantaine d'années, son corps virera vers le gris. Vers cent ans, elle passera par le marron, puis par un orangé cramoisi, et elle prendra sa véritable couleur à l'âge adulte. Vers deux cents ans, elle sera d'un rouge écarlate.

— Je comprends, dit simplement le roi, estomaqué par la connaissance de la Maîtresse dresseuse, qu'il observait avec fascination tandis qu'elle faisait courir ses grandes mains sur les oreilles de la bête. Mais comment savez-vous si ce… dragon parviendra à la retrouver ? Et à lui livrer notre message ?

— Je ne le sais pas. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est à l'origine de la naissance de ce dragon. Directement ou indirectement, difficile à dire. Mais sa magie a créé ce dragon, ça ne fait aucun doute. Et un dragon retrouve toujours son créateur. Donnez-lui votre missive.

Le roi de Galvin adressa un regard abasourdi à la femme vêtue de vert, qui lui répondit par un hochement d'épaules indifférent. Comprenant qu'elle ne se chargerait pas de sa mission à sa place, le roi prit une profonde inspiration et franchit les quelques pas qui le séparaient encore du jeune dragon. Arrivé sous sa tête, il eut le souffle coupé lorsque les yeux d'or du dragon se posèrent sur lui. Il crut un instant que la bête se sentait menacée ou énervée par sa présence, mais le regard doré était si doux, si bienveillant qu'il trouva le courage de lui tendre la lettre cachetée.

— Noble dragon, apporte ce message à ta créatrice, je te prie, dit-il d'une voix hésitante, ne sachant pas bien comment s'adresser à un dragon, mais Zadila dodelina de la tête comme pour l'encourager, alors il continua d'un ton plus ferme. Le roi requiert sa présence à la Citadelle Bleue.

Pendant quelques secondes qui lui parurent interminables, le dragon blanc aux yeux d'or le fixa comme pour jauger de sa sincérité, puis d'un mouvement brusque et si rapide qu'il en fut invisible à l'oeil nu, il saisit la lettre entre ses dents et d'un puissant élan de ses pattes arrières, il se propulsa dans les airs. Le roi manqua de hurler, voyant le jeune dragon se rapprocher de plus en plus du plafond de verre, il ferma les yeux quand l'impact lui parut imminent… mais tout ce qu'il entendit fut le rugissement euphorique du dragon lorsqu'il déploya ses ailes immaculées haut dans le ciel. Ahuri, Amalric se tourna vers Zadila, qui était non loin de lui, contre un mur, en train de tourner une manivelle qui, il venait de le comprendre, lui avait permis de soulever le plafond de verre. Dans un grand bruit sec et résonnant, la plaque de verre se referma de nouveau au-dessus de leur tête.

— Un dragon vole extrêmement vite, surtout s'il est jeune comme celle-ci, annonça Zadila en se tournant vers son souverain. C'est une affaire de quelques heures. Je vous ferai appeler lorsqu'il reviendra avec elle.

— Hm… Je vous remercie, répondit le roi sans grande conviction, mais lorsqu'il vit la femme aux yeux d'un jaune dérangeant s'éloigner, il eut soudain une envie irrépressible de prolonger ce moment. Attendez, Maîtresse Zadila ! cria-t-il tout en s'élançant à sa suite. Si cela ne vous dérange pas, je préférerais attendre ici.

La Maîtresse dresseuse fronça ses sourcils de feu mais accepta néanmoins. Peu importe la requête qui lui était formulée, elle paraissait ne pas en mener large.

— Comme vous voudrez. Si vous avez besoin, je serais à l'entrée.

— Je vous remercie.

Sans attendre, le roi se rendit de nouveau dans la petite clairière et se laissa choir dans l'herbe fraîche et chaude, dans un long soupir de délectation. Le Royaume de Galvin était principalement composé de glaciers et de terres sèches et arides, jamais il avait connu si belle nature. Il avait ouï dire qu'en Elesther, de tels jardins et forêts luxuriantes étaient fort répandus mais jamais il n'avait pu s'y rendre. Et maintenant que sa soeur cadette, Danae, qui avait jadis été reine d'Elesther, était décédée en donnant naissance à son héritière Marina, il n'avait plus la force ni la foi de se rendre dans ce pays qui avait vu mourir sa soeur. Cette soeur avec qui il avait passé si peu de temps, dans sa jeunesse, alors qu'elle… Elle, cette sorcière, avait toujours été aux côtés de Danae, et pourtant…

Lentement, sournoisement, il se laissa sombrer dans les limbes du sommeil. Et fut réveillé quelques heures plus tard par une voix aussi tranchante que l’acier.

— Vous m'avez fait appeler, roi Amalric de Galvin.

L'homme aux cheveux blonds bondit de surprise et se retrouva dans une position bien inconfortable, ses genoux écrasés sous ses cuisses, et sa longue mèche rebelle aplatie sur ses yeux. À quelques centimètres de lui, de longues jambes recouvertes d'un jupon bleu pâle, et en relevant la tête, il découvrit ensuite une taille fine, un torse tout aussi menu recouvert d'un étrange tissu de ce même bleu, si fin qu'il semblait fait de poudre de nuage, des épaules raides, un cou strict et ce visage aux traits fins et durs qui avait bercé son enfance. Les yeux de glace transpercèrent son corps tout entier, comme mille lames de couteaux acérées s'enfonçant dans son dos, tandis que les lèvres pâles, presque translucides demeuraient fermement closes. Il n'y avait pas de doute possible. C'était bien elle, la sorcière qui l'avait élevé, qui avait élevé sa soeur Diane et qui avait passé tout son temps libre à se quereller avec sa soeur cadette Danae, avec autant d'ardeur que de complaisance, sans que jamais personne n'en comprenne la raison ni l'attrait. Elle n'avait pas disparu, elle n'était pas morte. Elle était revenue, et elle semblait plus dure et insensible que jamais.

— Kiryana, murmura-t-il comme pour lui-même, peinant à se relever, sans jamais quitter des yeux le visage de marbre. Bénie soit la Mère, vous êtes venue.

Alors que la sorcière demeurait parfaitement immobile face à lui, ne daignant pas offrir une réponse à sa remarque, il remarqua un mouvement derrière elle, et il se trouva presque soulagé de trouver le dragon blanc allongé dans l'herbe aux pieds de sa créatrice. Comprenant vite que la femme au visage impassible attendait une explication, il obéit à l'ordre silencieux, véhiculé très clairement par le regard polaire de la sorcière.

— Je vous remercie d'être venue, Kiryana. Nous vous croyions disparue pour toujours. Depuis que vous vous êtes volatilisée en même temps que Danae, après avoir été bannie par mon père…

Toujours aucun mot, aucune réaction, aucun mouvement de la part de la femme aux cheveux de neige. Ses cheveux, remarqua le roi avec curiosité, étaient d'ailleurs retenus dans un chignon haut laissant couler deux longues mèches à l'avant, de part et d'autre de son visage blafard. Amalric continua son discours d'une voix de plus en plus ébréchée par l'incertitude, chaque mot paraissant le rapprocher un peu plus de la colère froide et blanche de la sorcière.

— Je suis désolé de vous avoir fait appeler de la sorte, tenta-t-il, son ton adouci à la fois par la crainte et par un sincère regret. Mais je n'avais plus le choix. Mes hommes ne parviendront pas à préparer la flotte à temps pour le long voyage qui nous attend jusqu’en Indeya, qui doit débuter dans cinq jours. Le ciel est cruel et instable et la tempête nous a déjà fait perdre une bonne partie de l'eau et des vivres dont nous disposions. Je n'ai plus ni le temps ni les moyens de faire venir d'autres hommes. Les denrées se sont raréfiées, les lacs sont gelés et l'eau pure est introuvable. Les vents sont impitoyables, la Mer – bénie soit-elle – est plus enragée que jamais. Je ne peux faire cette traversée sans mettre en danger mes marins et moi-même. Nous ne pourrons survivre ce voyage sans une aide extérieure. Sans votre aide.

Kiryana demeura parfaitement coite face au roi qui tremblait presque d'appréhension à l'idée que la sorcière bleue puisse refuser de lui porter secours. Puis, elle tendit une main sur le côté et presque instantanément, le jeune dragon s'avança vers elle pour y loger sa tête dans un grondement sourd et satisfait. Malgré l'attitude chaleureuse et attendrissante de la créature, la femme au regard de verre ne montra aucune réaction et si Amalric se fiait à ses lèvres pincées, il pourrait même croire que ce geste d'affection l'ennuyait quelque peu. Pourtant, les yeux de nacre ne le quittaient plus et l'éclat qui les faisaient luire comme un miroir au soleil les rendaient un peu plus menaçants encore. Enfin, Kiryana prit la parole, de cette voix froide et apathique qui lui avait si souvent donné des ordres alors qu'il n'était encore qu'un petit prince têtu et insouciant.

— J'accepte de vous accorder mon aide.

Le roi Amalric ouvrit de grands yeux ébahis. Jamais il n'aurait cru qu'elle se laisserait convaincre si facilement, elle qui était si cupide, si avare de bonté. Il se souvint alors des longs arguments qu'elle échangeait jadis avec son père, pendant lesquels celui-ci devait expliquer la situation de milles et unes manières, jusqu’à ce qu'apparaisse un avantage aux yeux de la sorcière pour qu'elle accepte enfin de prêter main forte au roi à qui elle avait pourtant juré allégeance.

— Mais en échange, j'exige une contre-partie.

Il poussa un soupir face à l'aplomb de la femme en bleu, qui s'était à présent détournée de lui pour caresser l'encolure du petit dragon blanc, la tête haute et la mâchoire serrée, comme si elle ne doutait pas un instant de son acceptation. Et elle avait malheureusement raison. Comment avait-il pu imaginer un instant qu'elle accepterait de l'aider sans compensation ?

— Que voulez-vous en échange ? demanda-t-il à contre-coeur, sachant pertinemment qu'il ne pourrait de toute façon en aucun cas refuser sa demande, et conscient que la sorcière l'avait deviné.

— Vous m'amènerez avec vous en Indeya pour la Table des Sept, dit-elle de ce ton dur et coupant qu'il lui connaissait si bien, il s'apprêtait à acquiescer quand elle continua, à sa plus grande surprise. Faites de moi votre Attendante à la Table.

Cette fois-ci, le roi se retrouva bouche bée devant l'audace et le culot de la sorcière.

— Mais… Mais… Attendante à la Table, vous voulez dire… bégaya-t-il misérablement, tentant d'interpréter le haussement de sourcil dédaigneux qu'il se voyait opposer. Assister aux débats, siéger à la Table à mes côtés, mais…

— Exactement.

— Mais… Pourquoi ?

— Cela ne vous regarde pas, trancha Kiryana. Mais si cela vous bouleverse tant, sachez qu'il y a à la Table des Sept une personne… que je dois rencontrer.

Amalric sut à cet instant qu'il était parfaitement inutile, voire dangereux de l'interroger sur l'identité de cette personne. De manière automatique et logique, il pensa tout de suite à sa soeur benjamine, Diane, puisque celle-ci avait été éduquée par la sorcière tout comme lui et qu'elle siégeait à présent à la Table en tant que reine des Ospales, mais son intuition lui soufflait que c'était là une fâcheuse erreur que de penser ainsi. Alors il se tut et fit la seule chose qui lui était permise de faire, pour son royaume et pour son peuple.

— Marché conclu.

Et pour la première fois depuis son arrivée, la glace brute dans les yeux de Kiryana sembla fondre pendant l'espace de quelques secondes.