Je dû questionner plusieurs employés pour trouver où se terrait cet avocat. Tout en marchant vers la salle de réunion des surveillants, lieu que l’on m’avait indiqué, une certaine nervosité s’empara de moi.
J’avais bien quelques questions à poser à ce drôle de bonhomme, mais j’espérais que mon interrogatoire serait réussi et que j’apprendrais des choses intéressantes. Je ne voulais pas décevoir Gallant, surtout pas après avoir entraperçu toute la colère qu’il était capable d’exprimer.
Nos informations jusqu’à présent étaient encore bien trop maigres pour émettre un quelconque jugement.
Je toquais doucement à la porte, puis entrais sans y être invité.
Là, dans cette petite pièce sombre sans autre éclairage que quelques lanternes au plafond, je vis Lysandre Coligny attablé au milieu de la salle. Le jeune homme releva la tête d’un dossier qu’il était en train de consulter.
Une lueur d’énervement passa dans ses yeux, puis il soupira. Sans faire mine de m’accueillir, il contracta la mâchoire et retroussa ses lèvres en un mauvais rictus, dévoilant des dents parfaitement blanches. J’ignorais ce dont cet homme était capable en tant qu’avocat, mais, en terme de combativité, je ne doutais nullement de sa force.
- Que voulez-vous ? Aboya-t-il.
Sans me laisser intimider par son agressivité, je lui offris un large sourire, avant de venir m’assoir juste en face de lui.
- Bonjour, maître Coligny, dis-je calmement. Je suis-
- Je sais qui vous êtes, me coupa-t-il en croisant les bras. On ne parle que de vous, dans cette prison. Pourquoi être venu ici ?
- Si l’on ne parle que de nous, ici, alors je suppose que vous connaissez très bien les raisons de notre présence. Mais vous, pourquoi être encore ici ? Votre client est mort depuis deux jours, maintenant.
- Je vous ai posé la question en premier. Pourquoi être venu ? William Rapin est mort. Mort, vous m’entendez ? On ne défend pas un mort, il n’en a pas besoin.
- Vous vous trompez lourdement. Même les morts ont droit à la justice, afin de restaurer leur mémoire.
- Vous sous-entendez que le tribunal s’est trompé ? Que Rapin était innocent ? Pourtant, toutes les preuves l’accablaient.
- Et vous, alors ? Vous étiez son avocat. N’étiez-vous pas censé être convaincu de son innocence ?
Coligny émit un rire qui ressemblait plus à un étranglement. Il se pencha en avant.
- Hé, l’Anglais, laissez-moi vous apprendre quelque chose. Le devoir d’un avocat n’est pas tant de prouver l’innocence de son client, d’autant plus quand toutes les preuves l’accablent. Son travail, c’est de réduire la peine au maximum.
- L’on m’a parlé de votre incompétence durant le procès, rétorquai-je. Il paraît que vous avez alloué vos services pour une maigre somme, et tout cela pour perdre de façon bien médiocre.
- Je n’ai pas perdu, s’énerva l’avocat. Rapin a évité la peine de mort, non ? J’appelle cela une victoire.
- Oui, mais il paraît que cela est entièrement dû à son attitude d’homme brisé, et non en vos qualités oratoires.
- Il y a beaucoup de paraître et d’ouïe-dire dans vos accusations. Mais que savez-vous réellement ?
- Peu de choses, il est vrai. Mais j’espère que votre collaboration dans cette enquête nous éclairera davantage. Vous n’avez pas répondu à ma première question, maître Coligny. Pourquoi êtes-vous venu ici ? Non seulement le procès est terminé depuis bien longtemps, mais en plus de cela votre client est mort. Qu’aviez-vous encore à faire avec lui, pour justifier votre présence en ces lieux ?
Lysandre Coligny ne répondit pas tout de suite. Il me sonda longuement du regard, à la recherche de je ne sais quoi. Je soutins son regard, mal à l’aise.
Puis l’avocat se mordit la lèvre inférieure et baissa les yeux vers le sol de marbre, ayant apparemment trouvé quelque chose de plus intéressant à observer.
- La paperasse, chuchota-t-il.
- La paperasse ? M’étonnai-je.
- Oui, la paperasse. Nous sommes en France. Les problèmes administratifs, c’est notre fléau quotidien. J’étais venu ici pour régler quelques affaires. En tant qu’avocat de Rapin, j’ai dû répondre à quelques questions. Rien de très important. Et c’est terminé, maintenant. Je vais rentrer chez moi, je n’ai plus rien à faire ici.
Aussitôt dit, il se leva, se dirigeant à grandes enjambées vers la sortie.
- Attendez ! M’exclamai-je en me levant à mon tour. Nous n’en avons pas terminé !
Mais il n’attendit pas.
Sortant de la pièce, je le suivis à mon tour. De haute taille, l’avocat avançait bien plus rapidement que moi. J’ai dû presque courir pour le rattraper. Il ne daigna même pas tourner la tête.
- Pourquoi ne voulez-vous pas répondre à mes questions ? Demandai-je en le talonnant. Votre réticence vous accuse plus qu’elle ne vous sauve...
- Vous n’avez qu’à parler à mon avocat, répondit-il en esquissant un sourire.
- Conversons un instant, voulez-vous ?
- Nous avons déjà parler. Je ne sais même pas pourquoi vous êtes venu me voir. Je n’ai rien à vous dire.
- Attendez !
Mais il ne réagit toujours pas.
J’arrêtai de le talonner, le laissant continuer son chemin.
Autour de nous, des surveillants ainsi que des visiteurs patientaient dans la salle d’attente de l’accueil, chacun s’affairant à leurs affaires.
L’avocat se dirigeait dangereusement vers la sortie.
Je pris une longue inspiration, puis je hurlai presque :
- Vous l’avez tué !
Le monde se figea.
Coligny s’arrêta net, me tournant le dos.
Employés et visiteurs levèrent les yeux vers moi, l’air effarés. Satisfait de l’effet provoqué, je repris d’une voix forte :
- Vous avez tué William Rapin, et c’est pour cela que vous êtes pressé de vous enfuir. Vous êtes un meurtrier.
Les yeux jonglaient entre l’avocat et moi, attendant la suite.
Lysandre Coligny se retourna lentement. Rouge de fureur, ses yeux pétillaient d’une lueur féroce.
Il adressa un sourire forcé aux gens autour de nous, comme pour les rassurer. Puis, en trois enjambées, il me rejoint. M’empoignant violemment par le bras, il m’entraîna dans un dédale de galeries dont je ne reconnus aucun recoin.
Il arrêta notre course lorsque nous arrivèrent dans un passage désert, un couloir étroit et mal éclairé.
- Lâchez-moi, lui ordonnai-je.
Sourd à ma demande, il me plaqua contre le mur, et mis son visage à quelques centimètres du mien. La poigne sur mon bras se resserra, tandis que son haleine chaude agressait mes narines.
- Lâchez-moi, répétai-je.
- Vous osez mettre ma réputation d’avocat en jeu ? Me traiter d’assassin, devant tout le monde ?
- Ne vous inquiétez pas, je suis sûr que personne parmi eux ne vous connaît...
- Vous allez m’écouter bien attentivement, enfoiré.
Offusqué par sa brutalité, je m’apprêtai à répliquer. Mais je n’en eu pas le loisir.
De sa main libre, il me prit par le col de ma chemise, et me claqua une nouvelle fois contre le mur. Ne m’attendant pas à cette seconde offensive, je ne pu me préparer au choc, et mon crâne frappa durement contre le béton.
- Je n’ai pas tué Rapin, pesta l’avocat. Comment aurai-je pu faire ? Je ne suis pas le genre d’homme à collectionner les poisons. Je ne me balade pas avec de l’arsenic dans les poches.
- La serre, déglutis-je avec difficulté. Je suis certain que l’on peut en trouver, là-bas.
- Vous pensez que madame Guerrin laisse traîner ses poisons ? Il s’agit de poisons, pas d’une petite fleur quelconque. Alors quoi, je me serrais introduit dans la serre pour y voler de l’arsenic ? Et après ? Comment aurai-je pu forcer Rapin a l’avaler, hein ? Je lui aurai dis “tenez, un peu d’arsenic vous fera le plus grand bien” ! Vous êtes complètement fou, l’Anglais !
- Peut-être madame Guerrin vous a-t-elle délibérément offert le poison. Peut-être collaborez-vous ensemble. Quand au moment propice pour offrir le poison, ce pouvait être durant n’importe lequel de vos rendez-vous. Une boisson, un aliment... Les cachettes pour y dissoudre le poison ne sont pas difficiles à trouver.
Une lueur nouvelle passa dans les yeux de l’avocat. Cela ressemblait, à s’y méprendre, à... de l’effroi.
Lentement, il retira sa poigne de mon col, puis sa main de mon bras. Il recula de quelques pas en secouant la tête.
- Ce n’est pas moi, dit-il. Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait. Je suis innocent. Les accusations que vous portez à mon encontre sont graves. Je suis un homme de loi, pourquoi irai-je assassiner mon propre client ? Cela ne fait aucun sens...
- C’est à moi de trouver du sens dans les actes criminels. Il y a toujours un sens pour l’assassin, même si cela nous paraît insensé. Croyez-moi, je trouverai un sens à votre acte.
- Je ne l’ai pas tué ! S’emporta l’avocat.
Il semblait maintenant complètement terrifié.
- Ce n’est pas moi ! Répéta-t-il.
- Connaissez-vous un certain Albin Nozière ? Demandai-je soudainement.
- Que... Quoi ? Oui, oui... J’ai entendu Rapin le mentionner une fois ou deux, c’est tout... Je ne l’ai jamais rencontré en personne...
- Savez-vous pourquoi William Rapin demandait après cet Albin ?
- Non, je vous dis qu’il l’a seulement mentionné en disant qu’il devait lui parler, c’est tout. Peut-être... peut-être que c’est cet Albin qui aurait pu tuer Rapin, non ?
- Albin Nozière et William Rapin ont été séparés très tôt de leur cellule, et ont chacun été envoyé en cellule d’isolement. Difficile de concevoir comment Nozière aurait pu le tuer...
Coligny ne répondit pas. Il baissa les yeux, passa une main nerveuse dans ses cheveux.
- Je n’ai rien fait, chuchota-t-il.
- Pardonnez-moi cette brusquerie, mais vous m’apparaissez comme le suspect idéal. La seule chose dont je doute encore, c’est la raison qui vous aurait pousser à commettre ce meurtre.
L’avocat releva la tête, puis la secoua énergiquement.
- Ce n’est pas moi !
- Alors qui, maître Coligny ? William Rapin craignait qu’on ne l’assassine dans cette prison. Or, il était seul, dans une cellule isolée des autres détenus. Les seules visites qu’il recevait provenait de monsieur Caron, sa femme madame Guerrin, les surveillants Morel et Rolland, ainsi que vous-même. Si Rapin craignait autant qu’on l’assassine malgré cette forteresse, c’est qu’il angoissait à l’idée que ce soit quelqu’un à l’intérieur qui commette le crime. C’est l’un de vous qu’il craignait, c’est évident. Mais qui ?
- Et le directeur, alors ? Fit la voix suppliante de Coligny. C’est un homme cruel et sadique, il aurait très bien pu tuer Rapin !
- Je vois mal le directeur s’embêter à empoisonner un détenu à petit feu. S’il devait tuer, ou s’il l’a même déjà fait, ce sera à l’aide de ses poings.
Coligny ne répondit pas. Il baissa à nouveau la tête, les épaules affaissées. Il ne ressemblait plus du tout au molosse agressif que j’avais confronté un peu plus tôt.
A dire vrai, j’ignorais complètement s’il était coupable. Mais, en le provoquant ainsi, en insinuant en lui le doute et la peur, j’espérais le pousser à commettre quelque faute.
L’esprit de ma proie ainsi perturbé, j’estimais ma tâche accomplie.
Je tournais les talons et passais à côté de lui, prêt à rejoindre l’entrée de la prison.
En remontant le long couloir, je sentis peser sur moi le regard de l’avocat.