Chapitre 6 : La Dame de la Serre

Par Rouky

Gallant pénétra dans l’enceinte au milieu de la cour. A peine les portes refermées derrière lui, il fut pris d’une quinte de toux.

La serre était entièrement dévorée par des centaines de plantes et de fleurs. L’air était lourd, chaud, pesant, étouffant.

Il n’avait qu’une envie : déguerpir de là le plus vite possible.

Il se fit violence pour ne pas tourner les talons, et continua à marcher tout droit. De toute manière, il n’y avait qu’un seul chemin à emprunter. Longue et étroite, parsemée de plantes qu’il fallait enjamber, l’allée l’emmena jusqu’à une petite salle sans porte.

Les plantes avaient ravagées la pièce qui faisait certainement office de bureau. Dans les recoins où la nature ne s’était pas imposée, c’était des piles de dossiers qui s’amoncelaient çà et là.

- Bonjour, fit une voix derrière le détective.

Gallant sursauta en se retournant. Il s’en voulut de ne pas avoir prêté plus d’attention à son environnement.

Devant lui se tenait une dame d’un âge avancée. Pas plus de cinquante ans, devina-t-il. A peu près comme le directeur.

La femme, vêtue d’une longue robe verte, et dont les tempes commençaient déjà à grisonner, observait Gallant avec un certain enthousiasme. Ce dernier lui rendit son plus beau sourire, et esquissa une petite courbette.

- Pardonnez mon intrusion, madame. Je suis le-

- Le détective, oui, je sais.

Sa voix était douce, calme, au timbre chaleureux.

- Vous êtes venu enquêter sur la mort de ce pauvre Rapin ? Demanda-t-elle.

- Tout à fait, madame. On m’a dit que vous lui rendiez souvent visite.

- C’est plutôt lui qui venait ici, à dire vrai. Moi, je préfère rester dans ma serre. J’évite les sombres couloirs de cette prison du mieux que je peux...

- Madame, me permettez-vous de vous poser quelques questions ?

- Non, je vous l’interdis.

Devant le regard interloqué de Gallant, la dame éclata de rire.

- Je plaisantais, allons ! Allez-y, posez-moi toutes les questions que vous voudrez.

- Je... je vous remercie, madame. Mais, dîtes-moi, j’aimerai d’abord savoir une chose : pourquoi avoir décidé de créer une serre ici-même, au sein d’une prison ?

- Ah, ça ? L’homme est un enfant de la nature, voyez-vous. Je pense que c’est la société qui la rendu si... dangereux. Si abject. Seule la nature peut apaiser les esprits, évitant les drames les plus affreux. Malheureusement, les détenus présents ici ont déjà commis l’irréparable. Mais, en leur offrant un espace aussi naturel que ma serre, je permets à leur esprit tourmenté de s’apaiser, et de demander pardon pour les erreurs qu’ils ont commis. Vous n’avez qu’à voir cela comme un prêtre qui viendrait recueillir les confessions des condamnés. Au lieu de leur offrir un Dieu, je leur offre un retour à leur racine, au plus près de Mère Nature.

- Je... comprends. William Rapin avait-il l’habitude de venir ici ?

- Au début de son incarcération, non. Mais, à force de lui demander de venir, il a fini par accepter. Sa présence ici lui faisait le plus grand bien. Il ressortait toujours plus apaisé qu’à son entrée.

- Venait-il accompagné ?

- Oui, toujours. C’était un individu dangereux, apparemment. Quand il venait, c’était souvent avec Maxime Rolland, un agent pénitentiaire.

- Quelques jours avant sa mort, on m’a apprit que vous aviez demandé à le voir. Pourquoi cela ?

- Pour lui parler, tout simplement. Je savais qu’il était tourmenté par la mort de sa femme et de sa fille. Je voulais lui faire comprendre que le seul moyen d’expier ses fautes, c’était de renouer avec ses racines naturelles.

Le sourire figé de madame Guerin inquiétait Gallant. On aurait dit qu’elle contractait ainsi son visage pour ne laisser transparaître aucune émotion.

- Madame Guerin, reprit le détective, vous collectez bien des poisons, non ?

- Oui ! J’ai longtemps étudié la botanique, et je me suis spécialisée plus particulièrement dans le domaine des poisons. Mais aucun détenu n’avait accès à ma malle, si c’est ce que vous insinuez. Moi seule en avait la clé et l’accès.

- Les poisons ont donc disparus du coffre ?

- Je l’ignore. Enfin, je suppose que oui, apparemment.

- Comment pouvez-vous l’ignorer ?

- Eh bien, les agents qui ont enquêtés ont pris ma malle ainsi que tous les poisons qui se trouvaient dedans. J’ignore lequel a été subtilisé.

- Mais... l’autopsie ne vous a rien révélé ?

- Allons, jeune homme, je n’ai pas demandé les détails. Le rapport n’a pas été rendu public, de toute façon. Et j’étais bien trop horrifiée par la situation pour réellement me demander quel poison l’on m’avait volé. Mais c’est de l’histoire ancienne, maintenant. Ce pauvre garçon s’est suicidé...

- Il a été assassiné. Avec de l’arsenic.

Gallant épia la réaction de la dame, qui ne tarda pas à venir. Mais ce n’était pas celle qu’il attendait.

Madame Guerin se départit enfin de son sourire figé. Elle exprimait maintenant une moue réprobatrice. Croisant les bras, elle dévisagea Gallant des pieds à la tête avec un air de mépris.

- Nous y voilà donc, dit-elle. Vous avez déjà rencontré mon mari, je suppose.

- Vous parlez de ce directeur cruel qui torture ses prisonniers ? Attaqua Gallant. Oui, j’ai déjà eu le malheur de le rencontrer.

- Espèce de sale petit merdeux, cracha Guerin. Qui irait se plaindre de la condition de ces hommes ? Ce sont des criminels, ils ne méritent aucune pitié.

- Ce n’est pas à vous d’en décider. Il y a peut-être même des innocents dans ce lot, que la justice a accusé sans plus de preuves, comme pour Rapin. Parmi eux, je suis sûr qu’il y en a aussi qui regrettent leurs actes. C’est contre la valeur des hommes que de torturer ainsi ses semblables.

- Si ce n’est pas à moi d’en décider, pourquoi vous, vous en auriez le droit ?

- Il y a quelques instants, vous me contiez comment un détenu pouvait expier ses fautes en-

- Tss ! Pesta Guerin.

Elle sortit un étui à cigarettes, en prit une, puis l’alluma sous le regard médusé de Gallant.

- Nous sommes dans une serre, s’étonna le détective. Allumer du feu ici, c’est insensé ! Faites tomber cette cigarette, et c’est-

- Taisez-vous, vous m’ennuyez, le coupa une nouvelle fois madame Guerin. Je vous parlais d’expier ses pêchés car je pensais que vous resteriez sur l’hypothèse du suicide. Mais je vois bien que vous voulez accuser mon mari. Vous ne verrez donc aucun inconvénient à ce que je défende mes semblables.

- Êtes-vous en train de m’avouer que Bénédicte Caron est coupable ?

- Coupable de bien des choses, oui, mais pas du meurtre de Rapin.

- Vous admettez donc qu’il s’agit d’un meurtre.

- On a rarement vu un suicidé qui ingurgite l’un des poisons les plus douloureux pour se donner la mort. Ce n’est pas logique.

- Si ce n’est pas votre mari qui l’a tué, alors qui ?

Madame Guerin inspira longuement une bouffée de cigarette, puis souffla la fumée sur le visage du détective. Gallant se recula en toussotant.

- Je l’ignore, répondit enfin Guerin.

- Cette serre ne servait pas à apaiser l’esprit des prisonniers, je me trompe ?

- Vous ne vous trompez pas.

- Vous vous en serviez comme d’un laboratoire ? Pour tester toutes sortes de plantes et de poisons sur les détenus ?

- Vous êtes perspicace ! Si cela peut vous rassurer, je les droguais avant de commencer mes expériences, afin qu’ils restent tranquilles. Et puis, à leur réveil, ils ne souvenaient de rien.

- C’était pareil, avec William Rapin ?

- Oui, à quelques détails près.

Affichant un grand sourire, madame Guerin poursuivit :

- Nous ne le droguions pas. Bénédicte voulait le laisser éveillé, afin qu’il ressente toutes les douleurs que nous lui infligions. Mais jamais je ne lui ai injecté de l’arsenic, je vous l’avoue. Après tout, il a massacré sa femme et son bébé, c’était bien mérité.

- Vous êtes complètement cinglés, votre mari et vous, fit un Gallant médusé. Je vous ferai arrêter.

- Vous pouvez toujours essayer ! Nous recueillons dans cette prison certains des pires criminels du pays, et nous recevons des subventions de riches députés. Soyez en certain, nous sommes intouchables. Aucun homme politique n’irait jouer sa carrière pour sauver des déchets de l’humanité.

- Mais moi, je ne suis pas un homme politique. Je n’ai aucune carrière à perdre. Je vous ferai arrêter. On verra comment se comporte votre mari une fois qu’il sera de l’autre côté des barreaux.

- Faites attention à ce que vous dîtes, jeune homme. Vous êtes dans notre forteresse. Tentez quoi que ce soit, et peut-être finirez-vous comme ce pauvre William Rapin.

Elle s’avança encore un peu, chuchota au visage du détective :

- Vous irez brûler en enfer, comme lui.

Gallant écarquilla les yeux, médusé, le souffle court. Ne comprenant pas sa réaction, Guerin haussa un sourcil.

- Maintenant, continua-t-elle en se reculant, je crois qu’il serait préférable que vous repartiez d’ici.

- Oui, je le pense aussi, répondit Gallant d’une voix chevrotante.

Le détective tourna les talons, les poings serrés.

Cette fois, il ne prit pas la peine d’enjamber les plantes. Il écrasa lourdement quelques hortensias en sortant de la serre.

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