Chapitre 5 - Le noyé du Ressac

Notes de l’auteur : Bonjour,

Poursuite de cette histoire...

TW : Attention si vous êtes sensibles aux plaies, au sang, aux aiguilles...

Melska attendit que les deux chevreaux de Blanche tiennent debout et tètent, et sortit de l’enclos. L’attrait de ses couvertures ne la leurra pas. Tant qu’elle n’aurait été au bord du Ressac vérifier, elle se sentirait mal.

Alors elle vérifia la longueur de sa chandelle, et prit la direction du fleuve. S’il était mort, tant mieux. Elle préviendrait le fermier en prétextant que les nouvelles lui avaient fait oublier ça. Et puis peut-être que quelqu’un d’une ferme voisine l’avait trouvé et récupéré depuis.

L’esprit de la lune devait attendre qu’elle se décide à y retourner car son visage encore rond sortit des nuages dès qu’elle passa les vergers.

Et s’il était encore vivant. Que devait-elle faire ?

Melska s’arrêta, les sourcils froncés. Le Ressac était un bras mort de l’Ove. Et l’Ove se formait à Confluence. “En ch’mise de nuit” disaient les rumeurs.

Elle hésita à faire demi-tour, essuya la transpiration de son front. Pourvu qu’il soit mort.

Le noyé était toujours là, en partie sous le drap. Les ombres de la bougie sur le tissu se tortillaient comme si les esprits du dessous eux-mêmes les dessinaient.

Melska s’efforça de ne pas trembler, poussa du pied la botte qui avait bougé.

Rien.

Rien mais mou. Elle en avait vu, des cadavres. Et au bout d’un moment c’était raide comme un bout de bois.

Elle posa sa chandelle sur une pierre pour tirer le drap.

– Oh et merde, lâcha-t-elle en reprenant la chandelle.

Elle en aurait le cœur net. Tout de suite. Elle saisit la botte droite et tira. La chaussette gonflée d’eau vint avec.

La macule. Pourpre. Juste sous la cheville.

Melska voulut reculer, se prit les pieds dans un galet et s’étala dans les cailloux. Elle resta un instant là, assise au milieu du contenu de son tablier.

Sa main glissa vers sa propre chaussure. Elle n’avait pas besoin de vérifier. Mais elle vérifia quand même.

Elle se mit à ramasser ses affaires frénétiquement, glacée. Tant pis, elle le laisserait mourir. Sa main se posa sur le manche de son couteau. La flammèche de la chandelle se refléta sur la lame.

Melska peina à avaler sa salive. L’esprit du vent souleva les petites mèches dans sa nuque.

La voix de sa mère résonna dans sa tête.

“Ils doivent pas savoir.”

Ses doigts se refermèrent sur le couteau.

“Personne doit savoir”

Melska hésita, le souffle court. Fixa la marque sur son pied. Le visage livide de l’homme.

Elle rajusta sa prise sur le couteau. Fit chauffer la lame sous la flamme. La plaqua sur son pied. Cria en silence.

L’odeur et la douleur tordirent ses tripes.

 

*

 

Melska poussa, tira, à la peine. Il était bouillant de fièvre, glissant de transpiration. Pesait presque plus que le chariot de fumier.

Sa brûlure suintait malgré un bandage de fortune, son pied peinait à la soutenir.

Reposant les épaules de l’inconnu par terre, elle s’étira le dos, chassa les larmes qui revenaient sur ses joues. Le fleuve déposait souvent des branches, ici. Et elle avait le drap.

Trouver deux branches assez longues et pas trop fragiles fut facile. Confectionner un travois en les croisant lui prit du temps, et elle dût le réparer à plusieurs reprises sur le chemin détourné qu’elle emprunta pour rejoindre les ruines du temple.

La dernière ascension la laissa exsangue.

– Par tous les grands esprits. J’perds la tête, souffla-t-elle en se laissant tomber au fond du temple, derrière l’autel sous lequel elle avait caché l’homme.

A défaut d’être au chaud, ici personne ne venait. Et le toit qui tenait encore entre les deux pans de l’immense roc fendu le protégerait de la pluie.

Melska roula sur le côté et se rassit. Elle dénoua son tablier et sortit tout ce qu’elle avait.

Deux racines de consoude. Un couteau sale. Un chiffon pas plus propre. Un reste de chandelle vacillante. Une cordelette. Sa poche de couture.

Pas grand chose, mais elle avait trop peu de temps avant l’heure du réveil pour se risquer à aller chercher plus.

Elle retira à l’inconnu son manteau, le roula et marcha dessus pour en retirer le plus d’eau possible. Puis elle fit de même pour la chemise rouge de sang, laissant l’homme en braies.

Melska inspecta la plaie, passa une main sous l’épaule du blessé pour tâter l’autre côté. Ça saignait encore, mais trop peu. Elle pencha l’oreille devant son nez, manqua de ne pas entendre le faible sifflement d’une respiration. Un rire nerveux secoua ses épaules.

– J’aurai dû t'achever au lieu d’me cramer le pied…

Au loin, un chien aboya. Son cœur accéléra. Elle devait absolument être à l’enclos avant le réveil des autres.

– J’sais pas pourquoi j’fais ça… marmonna-t-elle en tirant une aiguille et du fil à coudre, z’avez aucune chance de vivre… vous pouvez m’attirer que des ennuis…

Il lui fallut longtemps pour refermer la plaie du devant, penchée sur la blessure pour tenter d’y voir. Le fil plein de sang collait, l’aiguille coinçait dans la peau.

L’esprit de la lune s’était caché. Lui restait-il une heure ou à peine quelques minutes ?

– Si vous vous en sortez, remerciez ma mère… c’est bête hein messire ? devoir la vie aux pratiques des marnants. Après avoir fait tout c’qui faut pour nous faire disparaître…

Elle ne refermerait pas la plaie du dos. Il fallait qu’elle reste ouverte pour que le mal puisse couler. Elle cassa un bout de racine de consoude et la mâcha jusqu’à avoir une pâte molle. L’amertume remplit son nez.

Melska coinça la pâte sous la langue trop pâle de l’homme, en mâcha un autre morceau en se levant. Elle ne pouvait pas rester à surveiller. Elle reviendrait. Quand elle pourrait.

Elle étala le reste de pâte de consoude sur la plaie cousue et l’autre, derrière l’épaule. Faute de mieux, elle recouvrit l’inconnu du drap qui avait servi pour le travois, avec par-dessus la chemise et le manteau humides.

A aucun moment le noble n’avait repris connaissance. Même pas sursauté à cause de l’aiguille.

Elle boitilla jusqu’à l’autel, posa une main sur l’autel et ferma les yeux. Quelques oiseaux pépiaient, déjà. 

– J’vous le laisse, souffla-t-elle à l’attention des esprits. J’sais pas pourquoi vous m’l’avez mis dans les pattes mais j’vous ai écouté. Alors j’compte sur vous pour me garder des ennuis.

 

*

 

– Melska ?

Elle s’étira dans la paille.

– Eh ! Tu t’sens mal ?

Melska se fit violence, s’assit et secoua la tête pour rassurer Pareski, accroupi devant elle.

– J’ai juste peu dormi. Ninette a eu trois petits.

Ce qui n’était pas faux. Elle baissa les yeux. Juste pas complet.

Elle allait se lever quand il l’arrêta.

– Attends. Désolé pour hier. T’as raison c’est pas une bonne idée. J’veux pas aller faire la guerre ou je sais pas. C’est juste que j’voudrais mieux pour toi qu’les coups d’bâton et dormir dans le fumier.

Melska se serra contre lui. Les larmes lui piquèrent les yeux.

– J’t’en veux pas, renifla-t-elle en s’essuyant les joues du dos de la main.

Il restait du sang sous ses ongles. Elle cacha ses mains dans son tablier et sanglota de plus belle.

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