Le village d'Odgovor, au bord du lac Lohora, était réuni au grand complet sur le seuil de la maison de Gdül, le chef du village. Ce dernier, noyé dans un flot de mains levées et d’interpellations incessantes, essayait vainement de ramener le calme dans l’assemblée.
– S’il-vous-plaît, s’il-vous-plaît, enfin ! Je vais répondre à toutes vos questions ! Mais avant tout, je tenais à vous dire. La rumeur est un poison qui se répend trop vite dans nos lacs, et dont chacun semble s’abreuver goulûment. Laissez-moi donc en revenir aux faits avérés.
Gdül avait enfin réussi à obtenir l’attention d’une bonne partie de l’auditoire. Il monta debout sur un banc de pierre et déplia devant lui un long parchemin qui reprenait la chronologie des récents évènements.
– Le rapport du jour 142 de cette année signale un comportement inhabituel de Floritane. Elle se tient légèrement plus loin du sol que d’habitude et garde une de ses pattes fermée. Tous les rapports qui suivent signalent à leur tour une position plus tonique et une des quatre pattes soit fermée, soit cachée. Le rapport du jour 146 note également qu’elle porte moins son regard sur l’horizon, et davantage sur son environnement proche.
Gdül s’éclaircit la voix et pris une grande inspiration avant de passer au sujet épineux :
– Ce qui m’emmène à la fameuse missive du jour 148. Des messagers, en provenance de notre ville mère, nous informent que, je cite, « des incidents sont à déplorer dans plusieurs autres clans. Merci de maintenir le plus haut niveau de vigilance et de signaler toute agitation inhabituelle qui conduirait à la mise en danger des gardiens. »
Des chuchotements inquiets s’élevèrent immédiatement dans la foule, et il dut lever la voix pour commenter :
– Comme vous pouvez l’entendre, il n’est pas question ici d’évasion de dragons, ni de mort d’hommes. Notre Reine bien aimée nous enjoint uniquement à la prudence, ce qui veut dire que nous n’allons pas négliger les remarques de nos guetteurs, mais nous n’allons pas non plus paniquer et continuer à voir partout des signes annonciateurs de catastrophe !
Le chef du village s’interrompit pour mesurer les effets de son discours. Autour de lui, les villageois commençaient déjà à commenter et à douter de chacune de ses déclarations. L’émissaire de la reine, arrivé plus tôt dans la mâtinée, n’en ratait pas une miette. S’il ne parvenait pas à se montrer plus convaincant, il aurait vite des nouvelles désagréables de la capitale. Avec un soupir d’exaspération, Gdül enroula le parchemin et le tendit au scribe chargé de tenir à jour le registre et les feuilles de route. En s’adressant à lui, mais suffisamment fort pour que tout le monde l’entende, il déclara :
– A partir d’aujourd’hui, nous ferons brûler trois barils de tissus imbibés d’huile le matin, et trois autres le soir.
Des applaudissements s’élevèrent tout autour de lui. C’est tout ce qu’attendaient les villageois. Des directives d’urgence pour calmer le dragon, et ainsi pouvoir enfin dormir sans penser au pire.
– Et ce soir, ajouta Gdül, lorsque la combustion aura fait effet, des plongeurs s’approcheront jusqu’à quinze mètres de Floritane afin de découvrir ce qu’elle nous cache.
Les acclamations laissèrent place à un long silence abasourdi. Jamais les plongeurs ne s’étaient approchés d’aussi près. Quelques-uns d’entre eux, présents dans l’assistance, s’échangèrent des regards interloqués. Gdül commença à craindre d’être aller trop loin dans ses mesures de précautions, et ne voyait pas comment faire marche arrière face à toute la population réunie. C’est alors que la voix d’un homme à peine sorti de l’enfance s’éleva, exempte de toute appréhension :
– Je me porte volontaire, chef.
Un tonnerre d’applaudissements s’éleva alors, face au courage exemplaire de ce jeune. Même les autres plongeurs, se croyant épargnés, l’acclamèrent abondamment.
– Merci, Stëban, dit le chef avec révérence, tu honores ton clan et la mémoire de tes parents.
Gdül avait recueilli Stëban dix-sept ans plus tôt, lorsque ses parents, plongeurs tous les deux, avaient péri lors d’une mission risquée en plein cœur de l’hiver. C’était lui qui avait donné l’ordre de maintenir l’expédition malgré des conditions météorologiques déplorables, et sa culpabilité l’avait poussé à prendre soin du petit orphelin de six ans comme s’il s’était agi de son propre fils. Il ne lui avait jamais rien caché du rôle qu’il avait joué dans la mort de ses parents, et pourtant, Stëban ne s’était jamais rebellé. Il avait souhaité devenir plongeur à son tour, et depuis, il suivait chacun des ordres de son chef avec une obéissance et une minutie qui dépassait tout ce que Gdül aurait pu imaginer et espérer. Alors, pour toutes ces raisons, il lui était impossible d’accepter.
– Cependant, repris Gdül, je ne peux t’accorder cette mission. Elle revient à des plongeurs expérimentés, qui ont une grande conscience du danger que peut représenter une telle proximité avec un dragon des forêts, même affaibli. Ekdöl, Mahäl, cette lourde tâche vous revient, et je sais que vous vous en montrerez dignes.
Les seuls applaudissement qui résonnèrent furent ceux de l’émissaire de la reine, ce qui laissa à Gdül un air amer en bouche. Les deux plongeurs désignés s’inclinèrent respectueusement. Si Stëban, ainsi écarté, serra les poings, il ne laissa rien paraître de sa frustration. Il courba également la tête avec déférence, et attendit que la foule se disperse pour entrer dans la bâtisse d’un pas tranquille. Ce n’est que lorsqu’il fut seul qu’il se précipita jusqu’à sa chambre.
Dès qu’il y fut, il tira l’épais rideau qui lui servait de porte, et fit les cent pas pour se calmer. Gdül l’avait écarté de cette mission, de cette occasion tant attendue d’aller percer le secret de Floritane. Cela ne le surprenait pas vraiment, le vieux chef avait toujours été trop protecteur avec lui, se laissant bercer par ses apparences d’enfant calme et discipliné, sans voir le torrent de rage et de détermination que cette surface tranquille cachait. En revanche, il avait du mal à avaler qu’il puisse sous-entendre que d’autres plongeurs aient une meilleure conscience que lui du danger que Floritane pouvait représenter. N’était-ce pas lui, privé de ses parents à cause de cette dragonne, le mieux placé pour savoir qu’il s’agissait d’une bête furieuse et meurtrière ?
Lorsqu’il en eut assez de tourner en rond, il se figea, pris quelques respirations profondes ainsi qu’une résolution importante, puis s’installa à son bureau de pierre pour faire ce qu’il faisait de mieux pour canaliser sa colère : étudier, réfléchir, analyser, croiser les données. Il ouvrit devant lui son épais carnet de notes, parcourant les pages remplies de notes, de croquis, de suppositions diverses, jusqu’à la toute première page. Celle qu’il avait écrite cinq ans plus tôt, au début de son enquête, sans imaginer un instant qu’elle lui prendrait autant de temps et qu’elle le mènerait aussi loin, vers des théories aussi audacieuses. A cette époque, seule la volonté de comprendre ce qui avait pu arriver pour que ses parents, deux plongeurs qualifiés et prudents, ne reviennent pas ce fameux soir, dix-sept ans plus tôt. A cette époque, il n’était pas encore question pour lui de devenir un expert sur les dragons, leur mode de vie, leur anatomie, leurs spécificités, leurs capacités. A cette époque, il n’était pas encore question pour lui de se venger.
Stëban relut toutes ses notes sur les rapports de l’époque sur la dragonne et sur les éléments de contexte qu’il avait pu retrouver en interrogeant les différents protagonistes de l’affaire. Son intuition ne faisait que grandir au fil des pages qu’il consultait. Quelque chose d’important se passait. L’élément qui lui échappait depuis toutes ces années était peut-être là, à quelques centaines de mètres de lui. Il ne tenait qu’à lui d’aller découvrir de quoi il s’agissait. Stëban referma alors le livre d’un coup sec. Sa décision était prise.
Je suis juste pas bien sur de moi, c'est bien des humains là ? Et il y a pour le moment un ou plusieurs dragons gardés par les nomades du déserts (je suis super nul pour retenir les noms désolé!) ; un dans la caverne des nains et la dernière sur une sorte d'île ?
Je crois que je suis juste un poil perdu sur l'espèce de chaque dragon, qui les gardent et quels sont les accords inter raciaux concernant cette garde ? à voir s'il faudrait un petit récap politique à un moment pour les personnes comme moi haha
Petite coquille:
repris Gdül --> reprit
Il y a aussi une fois où Reine a une majuscule et ensuite c'est écrit en minuscule
Pour le reste, c'est toujours très bien !
Oui ce sont bien des humains ici ; et en effet les dragons qu'on a croisé pour le moment sont Desrum (dragon du désert), gardé par les nains des profondeurs, Floritane (dragon des forêts) gardée par les humains du Royaume des Grands Lacs et les trois dragons des lacs gardés par la tribu de poursoliens d'Ondine et compagnie.
La partie politique et les éclairages sur les rapports entre les clans arrive plus tard, pas trop tard j'espère :)