Chapitre 5 : Le retour de l'inspecteur

Par Rouky

Au moment où je passai dans le hall principal, je croisai justement le détective en train de descendre les escaliers. Revêtant aujourd’hui un complet bleu roi, il n’avait pas pris la peine de se coiffer, ses cheveux noirs en parfait désordre. Ses yeux rougis étaient plissés, visiblement agressés par la présence lumineuse du soleil.

- Gallant ! M’exclamai-je avec une pointe d’accusation. Vous avez enfin terminé votre grasse matinée...

- Il n’y a rien de plus apaisant que le sommeil, Thomas. Le sommeil, c’est sacré. Bien plus sacré qu’un petit-déjeuner anglais.

Je m’apprêtai à répondre, mais il leva la main pour m’interrompre.

- Avant que vous ne m’accusiez d’une quelconque transgression à l’égard de la bienséance londonienne, auriez-vous l’amabilité de me raconter votre investigation de la matinée ? Car j’ose espérer que vous avez instiguer, n’est-ce pas ?

Je lui rapportais en détail ma conversation avec Victoria dans le jardin, puis avec Emily dans l’atelier. Pendant que je lui parlais, ses yeux se fermèrent, et il inclina le menton contre sa poitrine. A la fin de mon récit, il ne bougea pas plus qu’il ne me répondit.

- Êtes-vous endormi ? Demandai-je. Pardi, vous êtes bien jeune pour être aussi fatigué !

- Et vous, répondit-il en rouvrant les yeux, vous êtes bien jeune pour user d’aussi vieilles expressions !

Je rougis en détournant la tête, tandis qu’il passait une main dans ses cheveux pour tenter de les coiffer au mieux.

- Dîtes-moi, reprit-il, vous n’avez pas interroger Victoria sur sa relation avec son père ? Dans tous les récits que nous avons pu entendre jusque là, hormis les dernières révélations d’Emily, il y a toujours un grand absent : Mark Andrew !

- Non, je n’ai pas pensé à interroger mademoiselle Victoria là-dessus. A vrai dire, je ne voulais pas la déranger plus que nécessaire.

- La déranger de quoi ? Vous disiez qu’elle se reposait dans le jardin quand vous êtes venu la voir.

- C’est exact. Mais elle n’avait d’yeux que pour le jardinier. Je ne me voyais pas lui deman-

- Le jardinier ? S’étonna Gallant. Mais, Thomas, il fallait commencer par là ! Est-elle amoureuse du jardinier ?

- Je l’ignore...

- Et vous ne l’avez pas interrogé plus que cela ? S’agit-il d’une simple amourette ? Peut-être sa relation avec lui est-elle plus développée qu’on ne pourrait le croire ! Thomas, quel mal vous a pris ? C’est évidemment sur le jardinier que vous auriez dû tourner l’interrogatoire ! Vous auriez même dû aller l’interroger, lui !

Le feu me monta aux joues, et je me surpris à lui rétorquer violemment :

- Facile à dire pour vous ! Plutôt que de passer toute la matinée à dormir comme une marmotte malgré la mort d’une pauvre dame, vous auriez pu vous réveiller pour m’aider à mener l’enquête ! Je vous rappelle que c’est vous qui êtes qualifié en tant que détective, pas moi !

Un ange passa, et je regrettai instantanément la hargne de mes paroles.

J’ouvris la bouche, prêt à m’excuser, mais Gallant fit claquer sa langue en secouant la tête.

- Touché, dit-il. Vous avez raison, je ne peux pas vous blâmer pour ma propre incapacité. Vous m’en voyez navré. Cela ne se reproduira plus, je vous le promets.

Il effectua une petite courbette, ce qui ne fit qu’accroître mon sentiment de culpabilité.

- Mais non, voyons, je suis-

Je ne pu terminer ma phrase. La porte du manoir s’ouvrit.

Un domestique laissa entrer Red Sharp. Impeccablement vêtu d’un complet violet, l’air vivifiant et enjoué de l’inspecteur Anglais contrastait violemment avec la paresse de Gallant. Honteusement, je ressentis une pointe de colère envers le détective Français, frustré à l’encontre de sa nonchalance.

En nous voyant au pied de l’escalier, l’inspecteur sourit de toutes ses dents. Un sourire mauvais, à faire frémir malgré le soleil matinal. Un sourire qui me fit froncer les sourcils, qui éveilla ma méfiance.

- Messieurs ! Rugit l’homme en s’avançant vers nous.

Gallant, manifestement encore mal réveillé, plaqua une main sur son oreille, agressé par la voix tonitruante du nouvel arrivant.

Sharp s’arrêta juste devant nous. Bien qu’il se forçait à sourire, ses yeux, eux, reflétaient toute son aversion à notre égard.

- Je viens vous apporter deux nouvelles, messieurs, déclama-t-il. Tout d’abord en ce qui concerne le poison. Le légiste est formel : Madame Catherine Boleyn a été empoisonné à l’aide de feuilles de laurier rose, qui ont été écrasées en fine pellicule de poussière, avant d’être versé dans le thé de madame. Elle a ingéré une quantité mortelle, et en est probablement morte au bout de quatre ou cinq heures. J’ai cherché d’où pouvait venir ces feuilles de laurier rose, mais aucune pharmacie alentours ni aucun commerce n’en vendent. Je n’ai rien trouvé.

- Comme c’est étonnant, murmurai-je entre mes dents.

Sharp me fusilla du regard.

- Je vous remercie pour ce précieux renseignement, intervint Gallant. Qu’en est-il de la deuxième information ?

Sharp ne lui répondit pas tout de suite.

Il continua de me dévisager quelques secondes, avant de lentement tourner les yeux vers le détective.

- J’ai pu m’entretenir avec Maître Carnot, reprit-il. J’ai pensé que vous seriez intéressés de connaître les dispositions testamentaires de Madame Boleyn.

- Bien sûr ! S’exclama Gallant en faisant un pas vers Sharp. Dîtes-moi tout, je vous en prie !

- Son héritage était parfaitement équilibré entre ses quatre enfants. Chacun devait hériter d’une somme généreuse. Quant à son mari, elle ne lui laissait qu’une part assez médiocre, qui ne lui aurait même pas suffi à continuer d’entretenir ce manoir. Avec ce décès, c’est la ruine qui attendait Mark Andrew.

- Catherine Boleyn n’avait-elle donc aucun amour pour son mari ? Questionna Gallant. Pourquoi l’avoir épousé si elle ne l’aimait pas ?

A mon insu, j’éclatai de rire en même temps que Sharp. Gallant s’empourpra en haussant les sourcils.

- Quoi ? Qu’ai-je dis ?

Sharp et moi-même parvînmes à contrôler notre fou rire. L’inspecteur dit alors au détective :

- J’ignore comment cela se passe au pays des grenouilles, mais ici, Détective, dans notre bonne et respectable société, on ne se marie pas par amour. Catherine Boleyn ne s’est pas mariée par amour.

- Quand elle a épousé Mark Andrew, expliquai-je, il était un homme riche. Ce n’est qu’après leur mariage et le décès de ses parents qu’Andrew s’est retrouvé dans la ruine. Mais hors de question de divorcer pour autant. Il ne faut pas faire tomber les masques.

- Ah... Se contenta de répondre Gallant en détournant la tête.

- Bref, reprit Sharp. Sachez enfin que Catherine Boleyn avait confié à Maître Carnot qu’elle souhaitait changer ses dispositions en ce qui concernait Victoria et Sebastian. Il semble qu’elle allait les retirer de son testament, ou tout du moins baisser drastiquement leurs revenus. Voilà, je crois que c’est tout ce que j’avais à vous dire. Sur ce, vous passerez le bonjour à Andrew de ma part.

Il s’inclina, prêt à partir.

- Attendez, ordonna Gallant.

Sharp se figea, pencha la tête sur le côté.

- Quoi ? Demanda-t-il.

- Je voulais simplement vous poser une question. Quand nous sommes arrivés ici, hier soir, vous rechigniez à nous laisser mener une enquête. Vous ne nous avez montré que du mépris. Vous auriez très bien pu nous laisser dans l’ignorance quand au poison et au testament. Au lieu de cela, non seulement vous nous avez fourni de précieuses informations, comme je vous l’ai demandé hier, mais en plus de cela vous êtes venu en personne pour nous renseigner. Vous auriez pu envoyer un simple agent de police.

- Je n’ai pas entendu de question, grenouille, grommela Sharp.

- Pourquoi nous aider, après nous avoir tant méprisé ?

- Hmmm...

Sharp posa son regard sur moi.

- Disons que j’ai reçu de nouveaux ordres.

- Tu travailles donc bien pour quelqu’un ! L’accusai-je. Est-ce que cette personne a un lien quelconque avec la mort de madame Boleyn ?

- Non, absolument pas. Son lien dans cette affaire n’a aucun rapport avec Boleyn. Inutile de fouiner dans des affaires qui ne te concernent pas, Laon.

- Alors pourquoi avoir voulu camoufler ce meurtre en suicide ? Continuai-je.

- Tu poses beaucoup trop de questions, chuchota Sharp en s’éloignant de quelques pas. J’ignore qui a commis ce meurtre, tout comme mon supérieur l’ignore. Mais il voudrait bien le savoir. Alors remettez-vous au boulot.

Puis il fixa Gallant sans cesser de reculer.

- Mais ne te méprends pas, grenouille. Je vous aide parce que j’y suis sensiblement invité à le faire. Je ne vous porte ni dans mon estime, ni dans mon cœur. Je vous ai donné toutes les informations que j’avais en ma possession. Maintenant, je vous laisse. Passez une bonne journée.

Il tourna les talons et sortit du manoir.

Je poussai un soupir de colère et me tournai vers Gallant. Maintenant bien réveillé, le détective m’offrit un large sourire.

- Votre ami nous a livré de précieuses informations.

- Ce n’est pas mon ami.

- Nous devrions aller trouver Lennox Boleyn. Je pense que son témoignage peut nous offrir beaucoup de choses.

- Mais, son frère lui a ordonné de ne rien dire à propos de quoi que ce soit. Ce jeune homme ne nous dira rien.

- Il suffit de le brusquer un peu, et je suis sûr que la vérité éclatera. Il est à bout de nerfs, nous n’avons qu’à lui faire croire que nous approchons de la vérité, et le tour est joué.

- Approchons-nous vraiment de la vérité ?

- Un peu plus à chaque information ! Mais dîtes-moi, Thomas, que pensez-vous que le jeune Lennox cherche à nous cacher ?

- Ma foi, c’est justement cela le problème, nous ignorons ce qu’il nous cache.

Gallant me décocha ce regard qui sous-entendait que la réponse était pourtant évidente.

- Quelque chose que seul Sebastian et lui-même savent, et que personne d’autre ne sait. Ou du moins, quelque chose qu’ils pensent que quelqu’un d’autre ne sait.

- Que voulez-vous dire ?

- Pour le moment, je dis juste qu’ils nous cachent un secret qui, pour eux, n’est connu que d’eux. Or, nous avons maintenant connaissance de tous les problèmes auxquels était confronté madame Boleyn. Et les frères savaient bien que leurs sœurs allaient parler en ce qui concerne l’histoire de cœur de Sebastian, ou le refus de Lennox d’aller en Amérique. Alors, qu’est-ce qu’il reste comme part de mystère dans cette affaire, que nous ignorons mais que eux savent ? Réfléchissez.

- Le poison ! Répondis-je fièrement. Ils doivent savoir quelque chose quand au poison !

- Exact. Je suis prêt à parier qu’ils en savent long sur sa présence dans le manoir. Et, s’il ‘agit en réalité d’un autre secret, celui-ci est assez important pour qu’ils ne souhaitent pas l’ébruiter dans cette affaire. Dans tous les cas, il nous faut les approcher.

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