"Alors voici comment nous allons présenter les résultats," annonça Leïla, debout devant l'écran qui projetait un tableau Excel aussi complexe qu'une partition de Bach jouée par un orchestre de statisticiens. "Soixante-deux pour cent de réussite aux concours, quarante-huit pour cent d'intégration effective dans les formations d'élite, et un taux de persévérance post-intégration de quatre-vingt-trois pour cent."
Rachid, qui manipulait son stylo entre ses doigts avec la dextérité d'un croupier vétéran, hocha la tête. Il portait ce jour-là un costume bleu nuit identique à celui de leur première rencontre. Leïla s'était souvent demandé s'il en possédait plusieurs exemplaires, comme ces personnages de dessins animés dont la garde-robe immuable trahit la nature fictive.
"Impressionnant," commenta-t-il. "Surtout quand on sait que les chiffres réels sont de trente-huit, vingt-deux et soixante."
"Ce ne sont pas des mensonges," précisa Leïla. "Juste une question de cadrage méthodologique. Nous excluons des statistiques les candidats qui se sont désistés avant la phase finale de préparation, et nous comptabilisons les intégrations partielles comme des succès."
"Bien sûr." Le sourire de Rachid avait cette qualité particulière des joueurs professionnels – un mélange de complicité et d'appréciation technique face à une belle manipulation. "La grande magie des chiffres. Transformer un échec relatif en triomphe quantifiable sans jamais techniquement mentir."
Un an s'était écoulé depuis leur pacte, cette alliance clandestine forgée dans l'ombre des millions ministériels. Un an à jongler entre comptabilité officielle et réalité du terrain, entre les métriques exigées par leurs bailleurs et les besoins concrets des jeunes qu'ils prétendaient servir.
"Le ministre sera présent à la réunion du comité de pilotage," poursuivit Leïla. "Aurélie veut des résultats 'inspirants' qui justifieront non seulement le renouvellement mais l'extension du programme."
"Et comment va notre comptabilité parallèle ?"
Leïla fit glisser un dossier non étiqueté vers lui. "Nous avons réussi à rediriger environ six cent mille euros vers des bourses directes et des programmes non déclarés. Les fonds transitent par trois associations satellites et reviennent sous forme de 'dons anonymes'."
"Un beau schéma de blanchiment vertueux," commenta Rachid avec une admiration non dissimulée. "Kafka rencontre Robin des Bois."
"Et ton addiction ?" demanda-t-elle abruptement, observant ses pupilles, ses mains, les signes microscopiques qu'elle avait appris à détecter.
"Sous contrôle." Il soutint son regard sans ciller. "Je joue encore, mais uniquement avec mon propre argent, des sommes raisonnables. La thérapie aide."
Elle savait qu'il mentait. Pas complètement, mais suffisamment pour qu'elle perçoive cette légère vibration dans sa voix, ce micro-ajustement postural que les joueurs appellent un "tell" – ce détail qui trahit le bluff. Elle choisit néanmoins de ne pas le confronter. Pas aujourd'hui. Leur équilibre était trop précaire, leur complicité trop nécessaire à la survie du système parallèle qu'ils avaient construit.
Tu deviens complice de son addiction pour alimenter la tienne, Leïla. L'observatrice lucide qui ferme consciemment les yeux – quelle délicieuse ironie.
"Bonjour à toi aussi, Noureddine. Toujours aussi perspicace dans tes interventions."
Je constate simplement que tu as franchi un nouveau seuil. Tu ne te contentes plus de voir le système, tu participes activement à sa perpétuation tout en te racontant que tu le subvertis.
"La pureté morale est un luxe que je ne peux plus me permettre," murmura-t-elle. "Pas si je veux vraiment aider ces gamins."
Rachid la regarda avec curiosité. "Tu lui parles encore ? À ton... ami intérieur ?"
"Il n'est pas mon ami. Plutôt un juge particulièrement intransigeant qui habite sous mon crâne."
"J'aimerais avoir ce genre de conscience," dit-il avec une mélancolie inattendue. "Quelqu'un qui me rappelle constamment mes compromissions. À la place, j'ai juste ce vide qui se remplit uniquement quand les cartes sont distribuées."
Cette confession imprévue flotta entre eux, créant un de ces moments de connexion authentique qui perçaient parfois la façade de leur relation professionnelle. Puis le téléphone de Leïla vibra, rompant l'instant.
"Aurélie arrive dans dix minutes avec la délégation scandinave," annonça-t-elle après avoir lu le message. "Il est temps de déployer notre grand spectacle de cirque méritocratique."
"Je prépare les confettis statistiques."
La délégation du ministère de l'Éducation finlandais déambulait dans les locaux de Nouveaux Horizons comme un groupe de touristes méticuleux dans un musée d'art contemporain – mélange de curiosité polie et d'incompréhension fondamentale devant ce qu'ils observaient.
"Et voici notre espace de co-working solidaire," présentait Aurélie, resplendissante dans son tailleur anthracite qui criait "sérieux professionnel" tout en murmurant "conscience sociale". "Les jeunes y développent leurs projets entrepreneuriaux tout en bénéficiant d'un mentorat personnalisé."
Leïla observait la scène avec un détachement clinique. L'"espace de co-working solidaire" n'était qu'une salle informatique standard, rebaptisée la veille après qu'Aurélie eut décrété que "laboratoire numérique" sonnait trop 2025. Les "mentors" étaient des bénévoles qui apparaissaient principalement lors des visites officielles. Quant aux "jeunes entrepreneurs sociaux", c'étaient les mêmes étudiants qui, la semaine précédente, avaient été présentés à une délégation américaine comme des "digital natives en reconversion vers les métiers d'avenir".
"Impressionnant," commenta la ministre finlandaise, une femme à la chevelure argentée et au regard acéré. "Et quels sont vos indicateurs de performance pour évaluer l'impact réel de ces dispositifs ?"
"Excellente question !" Aurélie s'illumina comme si on venait de lui offrir la réplique parfaite. "Leïla, notre directrice des programmes, a justement développé une méthodologie innovante d'évaluation d'impact. Leïla ?"
Projetée sous les projecteurs, Leïla s'avança, clé USB en main contenant la présentation préparée avec Rachid – ce chef-d'œuvre de manipulation statistique éthiquement ambiguë.
"Notre approche repose sur une triangulation multi-factorielle," commença-t-elle, déployant sur l'écran des graphiques aux courbes ascendantes aussi rassurantes que fictives. "Nous croisons des indicateurs quantitatifs classiques avec des évaluations qualitatives longitudinales qui nous permettent de saisir l'impact transformationnel au-delà des simples métriques de réussite académique."
Les mots coulaient de sa bouche avec une fluidité déconcertante, cette novlangue techno-sociale qu'elle avait appris à manier comme une virtuose. Chaque terme était techniquement défendable tout en étant fondamentalement vide, chaque concept suffisamment abstrait pour résister à toute tentative de vérification concrète.
Tu excelles dans l'art de dire rien avec éloquence, Leïla. Une vraie poètesse du néant administratif.
La délégation hochait la tête avec une approbation croissante. Même la ministre finlandaise, initialement sceptique, semblait impressionnée par cette avalanche de méthodologie sophistiquée. Seul un jeune attaché à lunettes rondes conservait un froncement de sourcils persistant.
"Et ces chiffres," intervint-il soudain, pointant une section spécifique du tableau, "ils excluent les abandons en cours de programme ?"
Un silence infinitésimal. Une nano-seconde de panique que seul Rachid, au fond de la salle, sembla percevoir.
"Ils reflètent notre cohorte qualifiée," répondit Leïla sans ciller. "Les participants qui démontrent un engagement substantiel avec le programme complet."
"Donc vous ne comptabilisez pas les échecs."
Ce n'était pas une question mais une constatation, délivrée avec cette franchise nordique qui ignorait les subtilités de la diplomatie latine.
"Nous adoptons une perspective centrée sur la réussite," intervint Aurélie avant que Leïla ne puisse répondre. "Notre méthodologie valorise les parcours positifs plutôt que de stigmatiser ceux qui, pour des raisons souvent extérieures à notre action, ne parviennent pas à compléter le processus."
L'attaché ouvrit la bouche pour insister, mais la ministre posa une main apaisante sur son bras. Le message silencieux était clair : nous sommes invités, nous ne sommes pas venus auditer. La politesse internationale prit le pas sur la rigueur statistique.
La visite se poursuivit, Aurélie orchestrant ce ballet de Potemkine avec la précision d'un metteur en scène le soir de la première. Chaque espace avait été soigneusement préparé, chaque "bénéficiaire" briefé sur son rôle, chaque panneau d'affichage garni de témoignages inspirants et de photographies stratégiquement diversifiées.
Rachid glissa discrètement à côté de Leïla pendant que la délégation admirait une exposition de "projets innovants" (assemblée la veille par l'équipe).
"Notre ami finlandais a l'œil," murmura-t-il. "Il ferait un excellent joueur de poker."
"Ou un terrible," répondit-elle. "Il ne sait pas quand se taire."
"Les meilleurs joueurs savent quand poser les questions qui déstabilisent. C'est parfois plus important que de cacher ses propres cartes."
Cette remarque resta avec Leïla pendant le reste de la visite, comme un caillou inconfortable logé dans sa chaussure. Elle observait maintenant le spectacle avec un dédoublement encore plus prononcé que d'habitude – analysant non seulement la mise en scène d'Aurélie mais sa propre participation à cette mascarade.
Quand était-elle passée de l'observatrice lucide à l'architecte complice ? Quand avait-elle transformé son regard critique en outil de perfectionnement du système qu'elle méprisait ?
Depuis que tu as goûté au pouvoir, même limité, même subversif. L'addiction la plus insidieuse n'est pas celle de Rachid au jeu, mais la tienne à l'illusion d'impact.
Le soir même, assise sur le canapé de Édouard pendant que Rayan, désormais âgé de six ans, s'absorbait dans un jeu vidéo éducatif sur tablette, Leïla lui raconta la visite de la délégation finlandaise, n'omettant ni la présentation truquée ni son malaise croissant.
"J'ai l'impression d'être devenue exactement ce que je dénonçais il y a trois ans," conclut-elle. "Une illusionniste sociale qui manipule des chiffres pour créer l'apparence de progrès."
Édouard, qui corrigeait des copies à l'autre bout du canapé, releva la tête. À quarante-quatre ans, ses tempes grisonnantes et les rides aux coins de ses yeux lui donnaient cet air de sagesse usée qui contrastait avec l'enthousiasme juvénile qu'il conservait pour ses sujets de prédilection.
"Tu te souviens de ce que je t'ai dit quand on s'est rencontrés ? Sur le fait de faire un peu plutôt que rien du tout ?"
"Je me souviens surtout que tu avais une chemise avec un bouton manquant et que tu as renversé ton café en gesticulant trop vigoureusement à propos de Montaigne."
Il sourit. "Preuve que ton sens de l'observation était déjà affûté. Mais ma question est sérieuse."
"Bien sûr que je m'en souviens. Tu disais que le système ne peut pas être changé frontalement, qu'il faut l'infiltrer et le transformer de l'intérieur, même imparfaitement."
"Et c'est exactement ce que tu fais. Tu détournes des ressources, tu crées des espaces de protection pour ces jeunes."
"Tout en perpétuant la mascarade qui justifie l'inaction systémique." Elle secoua la tête. "Je ne suis pas certaine que le remède ne soit pas pire que le mal. Nous créons l'illusion que le système fonctionne, ce qui empêche toute réforme fondamentale."
Édouard posa ses copies et vint s'asseoir plus près d'elle, posant une main sur son genou avec cette tendresse simple qui était devenue leur langage physique par défaut.
"Tu sais ce que j'ai remarqué chez mes élèves ces dernières années ? Ils sont de plus en plus obsédés par les notes, les classements, les évaluations. Pas pour apprendre, pas même pour réussir vraiment, mais pour la validation elle-même. La métrique est devenue l'objectif."
"La quantification comme drogue," murmura Leïla, suivant son raisonnement.
"Exactement. J'ai un élève brillant, Thomas, qui a développé un système pour calculer précisément le minimum d'effort nécessaire pour obtenir chaque note. Il optimise son 'retour sur investissement cognitif', comme il l'appelle. Il est si obsédé par ses algorithmes qu'il a complètement oublié pourquoi il étudie en premier lieu."
Leïla jeta un regard vers Rayan, absorbé par son jeu éducatif. L'application émettait de petits sons de félicitation à chaque bonne réponse, une étoile dorée apparaissant sur l'écran. Le visage de son fils s'illuminait à chaque récompense virtuelle, cette validation instantanée et vide.
"Rayan," appela-t-elle doucement. "Tu aimes ce jeu ?"
Il leva à peine les yeux. "Oui ! J'ai déjà gagné vingt-trois étoiles !"
"Et qu'est-ce que tu apprends ?"
Cette fois, il marqua une pause, fronçant les sourcils. "Des... trucs sur les animaux ? Je crois ?"
La réalisation frappa Leïla comme une gifle. Son fils, à six ans à peine, montrait déjà les signes de cette addiction aux métriques, cette obsession de la performance quantifiable déconnectée de tout contenu réel.
"Je vois ce que tu veux dire," dit-elle à Édouard, la gorge serrée. "La fascination pour le chiffre qui remplace l'intérêt pour la substance."
"C'est l'addiction fondamentale de notre époque," confirma-t-il. "Pas les substances, pas le jeu, pas même le pouvoir traditionnel. Mais cette dépendance à la validation quantifiée, à l'illusion de progression mesurable."
"Et Nouveaux Horizons est devenu un pourvoyeur institutionnel de cette drogue," compléta Leïla. "Nous créons des chiffres de réussite artificiels qui nourrissent la dépendance du ministère à montrer des progrès, qui alimentent la dépendance d'Aurélie à la reconnaissance professionnelle, qui entretient la dépendance de nos financeurs à l'idée qu'ils font le bien."
"Pendant que Rachid..."
"Joue littéralement, transformant cette addiction métaphorique en dépendance concrète aux cartes et aux probabilités."
Édouard hocha la tête, le regard grave. "Et toi, Leïla ? Quelle est ton addiction dans cette chaîne ?"
La question la prit au dépourvu, non par sa nature mais par sa précision chirurgicale. Elle resta silencieuse un long moment, observant Rayan qui avait abandonné son jeu pour feuilleter un livre illustré – retour à la substance plutôt qu'à la métrique.
"Mon addiction," dit-elle finalement, "c'est peut-être de croire que voir le système clairement suffit à m'en libérer. Que ma lucidité me protège de la contamination."
"Alors que..."
"Alors que la lucidité est peut-être la plus raffinée des drogues. Elle donne l'illusion de la distance critique tout en créant une dépendance à cette position d'observatrice."
Bravo, Leïla. Tu commences enfin à me comprendre.
"Je ne cherche pas ton approbation, Noureddine."
Pourtant, c'est exactement ce que tu cherches. La validation de ton créateur, la confirmation que tu es bien le personnage lucide que j'ai conçu.
Cette remarque frappa Leïla par sa justesse terrible. N'était-ce pas là sa quête fondamentale ? Être reconnue comme celle qui voit, qui comprend, qui décrypte ? Son dialogue permanent avec Noureddine n'était-il pas une forme de dépendance narrative, un besoin constant de confirmation de sa propre exceptionnalité ?
"Leïla ?" La voix de Édouard la ramena au présent. "Tu dialogues encore avec ton ami invisible ?"
"Il n'est pas mon ami," corrigea-t-elle automatiquement. "Et il vient de me faire réaliser quelque chose d'important."
Elle lui expliqua alors sa théorie naissante – comment sa propre addiction à la lucidité, son besoin de rester dans la position privilégiée de l'observatrice, constituait peut-être l'obstacle le plus fondamental à un véritable changement.
"C'est comme si j'étais accro à la méta-perspective," conclut-elle. "Je critique le système tout en tirant une satisfaction narcissique de cette critique, ce qui m'empêche finalement d'agir véritablement pour le transformer."
Édouard l'écoutait avec cette attention totale qui était sa marque de fabrique, sans l'interrompre, sans tenter de relativiser ou de la rassurer prématurément.
"Tu sais ce qui est fascinant ?" dit-il finalement. "Tu es peut-être la seule personne que je connaisse capable d'une telle auto-analyse sans complaisance. Cette lucidité que tu décris comme une prison est aussi ta plus grande force."
"Une force qui m'isole."
"Qui t'isole mais qui pourrait aussi devenir ton outil de libération, si tu l'utilises non pas pour observer mais pour transformer."
"Comment ?"
"En appliquant cette lucidité non pas au système dans son ensemble, cette abstraction massive que personne ne peut véritablement changer seul, mais à des situations concrètes, des personnes réelles."
Rayan s'approcha d'eux, son livre à la main. "Maman, c'est quoi une 'extinction de masse' ?"
La question, si innocemment posée, figea Leïla un instant. Son fils de six ans lui demandait d'expliquer la disparition cataclysmique d'espèces entières, ce concept qui résumait à lui seul la capacité humaine à détruire par négligence systémique.
"C'est quand beaucoup d'animaux et de plantes disparaissent en même temps," répondit-elle finalement, choisissant la simplicité sans mensonge. "Comme les dinosaures il y a très longtemps."
"Et pourquoi ça arrive ?"
"Parfois à cause d'un grand changement dans la nature, comme un météorite. D'autres fois..." Elle hésita, cherchant les mots justes. "D'autres fois, c'est parce que les êtres vivants ne font pas attention à ce qui se passe autour d'eux avant qu'il ne soit trop tard."
Rayan considéra cette réponse avec le sérieux absolu des enfants confrontés aux grandes vérités. "Comme quand on regarde trop les écrans et qu'on oublie de voir le monde ?"
Leïla et Édouard échangèrent un regard stupéfait. Cette analogie, parfaite dans sa simplicité enfantine, résumait exactement leur conversation sur l'addiction aux métriques qui remplaçait l'attention au réel.
"Exactement comme ça, habibi," confirma Leïla, une émotion inattendue serrant sa gorge. "Tu as tout compris."
Rayan hocha la tête, satisfait de sa perspicacité, puis retourna à son livre, laissant les adultes dans un silence empreint d'émerveillement.
"Une réponse à ta question de 'comment'," murmura finalement Édouard. "Voilà comment la lucidité devient transformation – en la transmettant, en la rendant accessible, en la partageant avec ceux qui pourront l'utiliser."
La réunion du comité de pilotage s'était transformée en célébration anticipée. L'évaluation à mi-parcours du programme "Excellence Pour Tous" avait été jugée "extrêmement positive" par le ministère, largement sur la base des chiffres manufacturés par Leïla et Rachid. Le ministre lui-même, homme politique à l'ambition inversement proportionnelle à sa connaissance du terrain, parcourait la salle en distribuant poignées de main et promesses de soutien accru.
Quatre jours plus tôt, un rapport flash du “Groupe Impact 2035” – rédigé en sous‑main par l’équipe de campagne d’Aurélie – avait atterri sur le bureau du ministre : il lui fallait, avant juin, “une vitrine nationale d’égalité réelle” pour contrer les attaques du parti Vert‑Social. Financer massivement Nouveaux Horizons, soudain star des JT grâce à son taux de réussite miraculeux, cochait toutes les cases médiatico‑politiques.
"Une augmentation de budget de quarante pour cent pour la phase deux," annonçait-il à qui voulait l'entendre. "Ce programme est l'exemple parfait de notre politique d'excellence inclusive."
Leïla se tenait en retrait, observant ce théâtre institutionnel avec un détachement renouvelé. Trois jours s'étaient écoulés depuis sa conversation avec Édouard, trois jours de réflexion intense sur sa propre complicité dans ce système d'addiction collective aux métriques vides.
Aurélie fendait la foule dans sa direction, rayonnante dans son triomphe professionnel. "Nous avons réussi," murmura-t-elle en atteignant Leïla. "Sept millions supplémentaires sur trois ans. De quoi étendre le programme à trois nouvelles académies."
"Félicitations," répondit Leïla, son ton parfaitement calibré pour masquer son ambivalence. "Une belle victoire."
"Notre victoire," insista Aurélie. "Tes présentations ont été déterminantes. Le ministre a spécifiquement mentionné ta 'méthodologie innovante d'évaluation d'impact'."
"Ma méthodologie innovante de manipulation statistique, tu veux dire."
Aurélie tiqua légèrement, puis sourit comme si Leïla avait fait une plaisanterie. "Toujours aussi brutalement honnête. C'est ce qui fait ton charme... dans les bons contextes."
Elle s'éloigna vers un groupe de hauts fonctionnaires, laissant Leïla seule avec son malaise croissant. Rachid apparut à ses côtés, un verre de champagne à la main qu'il n'avait pas touché – un accessoire plutôt qu'une boisson.
"Victoire sur toute la ligne," commenta-t-il, son regard balayant méthodiquement la salle. "Notre système parallèle va pouvoir s'étendre considérablement."
"Est-ce vraiment une victoire, Rachid ? Ou simplement la perpétuation d'une illusion collective ?"
Il la dévisagea, surpris par cette remise en question. "Nous aidons concrètement des jeunes avec les fonds détournés. C'est réel, pas illusoire."
"Mais le système dans son ensemble, cette machinerie qui transforme la souffrance sociale en métriques, qui remplace l'action par la quantification... nous le renforçons plus que nous ne le subvertissons."
Rachid resta silencieux un moment, pesant visiblement ses mots. "Tu sais ce qui est fascinant dans le poker, Leïla ? Ce n'est pas vraiment un jeu de cartes. C'est un jeu d'information imparfaite. Tu dois prendre des décisions optimales avec des données incomplètes."
"Et ?"
"Et personne n'a jamais transformé un système avec des données parfaites. Le changement réel advient toujours dans l'incertitude, dans la zone grise où l'on agit sans garantie de résultat."
Cette perspective la frappa par sa justesse. N'était-ce pas précisément son addiction ? Cette quête impossible de clarté totale, de compréhension parfaite avant l'action ? Cette position d'observatrice qui attendait d'avoir la certitude complète – une certitude qui, par définition, n'arriverait jamais ?
"Je crois que je dois apprendre à jouer un autre jeu que celui de l'observation perpétuelle," dit-elle finalement.
"Tous les jeux comportent des risques," répondit Rachid. "Mais seuls ceux qu'on accepte de jouer peuvent être gagnés."
À cet instant précis, dans un timing presque trop parfait pour être accidentel, le ministre s'approcha d'eux, flanqué de son directeur de cabinet et d'un homme que Leïla ne reconnut pas immédiatement.
"Madame Tazi ! L'architecte de cette méthodologie remarquable !" s'exclama le ministre avec cette jovialité fabriquée des hommes politiques en représentation. "Je tenais à vous présenter personnellement Monsieur B., notre consultant chapotant l'Observatoire National de l'Innovation Sociale. Il est très intéressé par votre approche d'évaluation d'impact."
L'homme tendit une main soignée vers Leïla. Et c'est alors qu'elle le reconnut – un visage plus âgé, plus poli par les années, mais indéniablement celui de Farid. Son ex-mari, le père de Rayan, l'homme qui avait disparu de leurs vies pour poursuivre son ascension corporatiste, se tenait maintenant devant elle sous l'identité de "Monsieur B".
"Madame Tazi," dit-il avec une politesse glaciale qui masquait à peine sa propre surprise. "Vos travaux sur la quantification de l'impact social sont... remarquables."
Le choc passé, Leïla sentit une vague de clarté l'envahir. Voilà donc où Farid avait atterri avec InnovCorp – à la tête d'un organisme gouvernemental chargé de... mesurer l'innovation sociale. L'homme qui avait optimisé sa vie personnelle jusqu'à l'anéantir était maintenant celui qui évaluait l'efficacité des programmes censés réparer les dégâts causés par ce même système d'optimisation.
La boucle était parfaite, l'ironie cosmique absolue.
"Monsieur B.," répondit-elle avec un calme qui surprit même Rachid à ses côtés. "Quelle... coïncidence."
"Vous vous connaissez ?" demanda le ministre, ravi de cette connexion inattendue.
"Nous avons... collaboré par le passé," répondit Farid avant qu'elle ne puisse parler. "Dans un autre contexte."
"Excellent ! Alors vous pourrez reprendre cette collaboration. Monsieur B. souhaite adapter votre méthodologie à l'échelle nationale. Un nouveau standard d'évaluation pour tous les programmes d'excellence inclusive."
Leïla sentit le sol vaciller sous ses pieds. Non seulement sa "méthodologie" truquée allait être promue nationalement, mais elle devrait collaborer avec Farid – cet homme qui incarnait tout ce qu'elle méprisait et qui, par une ironie cruelle, était maintenant positionné comme l'architecte des métriques sociales au niveau gouvernemental.
"Ce serait... instructif," parvint-elle à articuler.
Le ministre, satisfait d'avoir créé cette connexion, s'éloigna déjà vers d'autres invités, laissant Leïla et Farid dans un face-à-face glacial, Rachid observant discrètement la scène.
"Tu as bien réussi," dit finalement Farid, sa voix basse pour éviter d'être entendu des autres. "De critique du système à architecte des métriques qui le perpétuent. Une évolution... fascinante."
"Et toi, de père absent à évaluateur des programmes qui tentent de réparer les dégâts causés par des pères absents. La symétrie est presque artistique."
Un muscle tressauta dans la mâchoire de Farid – ce tic nerveux qu'elle connaissait bien, seule fissure dans son masque de contrôle.
"Comment va Rayan ?" demanda-t-il, changeant brusquement de sujet.
"Il va bien. Il excelle en mathématiques, en lecture, en sciences. Tous tes indicateurs préférés sont au vert."
Le sarcasme n'échappa pas à Farid, mais il choisit de l'ignorer. "J'aimerais le voir."
"Maintenant tu t'y intéresses ? Après quatre ans d'absence ?"
"Les circonstances ont changé. Ma position s'est stabilisée. Je peux maintenant offrir..."
"Des métriques de paternité ?" le coupa Leïla. "Un indice de qualité relationnelle ? Un tableau de bord de développement émotionnel ?"
Farid pâlit légèrement sous l'attaque, puis se recomposa. "Toujours aussi mordante, Leïla. Mais nous ne sommes plus en conflit. Nous sommes désormais... des collègues. Travaillant dans le même écosystème."
Cette formulation, cette réduction de leur histoire complexe à une simple relation professionnelle, cristallisa soudain pour Leïla toute l'absurdité du système dans lequel elle s'était enfoncée. Ce monde où les relations humaines étaient quantifiées, où les émotions étaient transformées en indicateurs, où la réussite était séparée de toute substance réelle.
"C'est exactement ça le problème," dit-elle finalement. "Nous avons tous transformé la vie en écosystème professionnel, les personnes en données, les expériences en métriques. Et maintenant, nous sommes tous accros à cette abstraction, incapables de toucher le réel."
Farid la fixa, déconcerté par cette sortie philosophique inattendue. "Je ne suis pas sûr de comprendre où tu veux en venir."
"Non, tu ne comprends pas. Et c'est peut-être ça, ta véritable addiction – cette incapacité fondamentale à voir au-delà des chiffres, à ressentir plutôt qu'à mesurer."
Farid recula imperceptiblement, comme si la vérité crue de cette remarque l'avait physiquement atteint. "Nous avons tous nos mécanismes de fonctionnement," répondit-il avec une distance clinique. "Les tiens ne sont pas plus vertueux que les miens, simplement... différents."
"La différence, c'est que je vois les miens," répliqua-t-elle. "Et toi, vois-tu réellement tes propres chaînes, ou les confonds-tu toujours avec des médailles ?"
Rachid, qui observait l'échange avec l'attention concentrée d'un joueur évaluant ses adversaires, intervint enfin. "Monsieur B, je crois que le ministre vous fait signe."
C'était un mensonge, mais un mensonge habile qui offrait à Farid une sortie honorable d'une conversation qui devenait trop personnelle pour ce contexte professionnel. Farid acquiesça gravement, visiblement soulagé.
"Nous reprendrons cette discussion dans un cadre plus... approprié," dit-il à Leïla avant de s'éloigner vers le ministre qui, effectivement, commençait maintenant à le chercher du regard.
"Merci," murmura Leïla à Rachid quand ils furent seuls. "Tu viens de sauver le cocktail d'un incident diplomatique."
"Les bonnes parties de poker se gagnent aussi en sachant quand se coucher," répondit-il avec un demi-sourire. "Mais ce n'était pas seulement pour préserver l'ambiance. C'était pour te protéger."
"Me protéger ?"
"De toi-même. Tu étais sur le point de dire des vérités trop brutales, trop personnelles. Et dans ce milieu..." Il balaya la salle du regard. "Les vérités personnelles peuvent devenir des armes politiques."
Elle l'observa avec une curiosité renouvelée. "Tu es plus sage que ton addiction ne le laisse paraître, Rachid."
"L'addiction n'est pas l'absence de sagesse, Leïla. C'est parfois précisément la conscience claire de nos chaînes, accompagnée de l'incapacité à les briser malgré cette lucidité."
Cette formulation la frappa comme une révélation – une définition qui s'appliquait non seulement à la dépendance au jeu de Rachid, mais aussi à sa propre relation avec la méta-conscience, avec cette position d'observatrice qu'elle ne parvenait pas à abandonner malgré sa compréhension de ses limites.
"Mes anciens thérapeutes parlaient toujours de déni," poursuivit Rachid, sa voix prenant un ton plus intime. "Comme si le problème était que je ne voyais pas mon addiction. Mais c'est l'inverse : je la vois parfaitement. Je comprends exactement ses mécanismes, ses racines, ses conséquences. Et pourtant..."
"Et pourtant tu continues de jouer," compléta Leïla.
"Comme tu continues d'observer sans agir. Comme Aurélie continue de construire des façades institutionnelles. Comme Farid continue de tout quantifier."
"Comme Nouveaux Horizons continue de produire des chiffres plutôt que des changements réels," ajouta-t-elle, la gorge serrée par cette vérité.
Un serveur passa, proposant des coupes de champagne qu'ils déclinèrent tous deux d'un même geste. Autour d'eux, la célébration battait son plein, une centaine de personnes s'auto-congratulant pour des réussites largement fictives, un édifice entier construit sur des métriques déconnectées de la réalité qu'elles prétendaient mesurer.
"Tu sais ce qui est le plus troublant, Rachid ? Ce système ne survit pas malgré notre lucidité, mais grâce à elle. Notre conscience critique devient un alibi, une façon de nous dire que nous ne sommes pas complètement dupes."
"La méta-conscience comme opium intellectuel," acquiesça-t-il. "Je connais bien ce mécanisme. Au poker, on appelle ça 'l'illusion du joueur sophistiqué' – cette croyance que comprendre les probabilités nous protège de leur tyrannie."
"Alors que faire ? Comment sortir de cette boucle ?"
Rachid resta silencieux un long moment, son regard suivant Farid qui naviguait maintenant dans la salle avec l'aisance pratiquée d'un homme habitué aux cocktails de pouvoir.
"Peut-être," dit-il finalement, "que la sortie ne se trouve pas dans plus de compréhension, mais dans une forme d'action que nous n'avons pas encore envisagée."
"Comme quoi ?"
"Je ne sais pas, Leïla. Si je le savais, je ne serais plus addict." Il eut un sourire triste. "Mais j'ai l'intuition que la réponse a quelque chose à voir avec ce que ton fils comprenait instinctivement l'autre jour – cette idée que trop regarder les écrans nous fait oublier de voir le monde."
Sur ces mots, il s'excusa et s'éloigna vers un groupe de fonctionnaires ministériels, laissant Leïla seule avec cette réflexion troublante.
Tu approches d'une vérité dangereuse, Leïla. L'addiction fondamentale n'est peut-être pas à la substance, au jeu, ou même au pouvoir, mais à la médiation elle-même – cette couche d'abstraction qui nous sépare du réel.
Pour une fois, la voix de Noureddine ne l'irrita pas. Elle résonnait plutôt comme la confirmation d'une intuition qui prenait forme en elle depuis la conversation avec Édouard, depuis la remarque innocente mais profonde de Rayan sur les extinctions de masse.
Son regard balaya la salle, s'arrêtant sur chaque personne présente – le ministre jovial, Aurélie rayonnante, Farid calculateur, Rachid observateur, et tous ces fonctionnaires, consultants, évaluateurs qui gravitaient autour du programme "Excellence Pour Tous". Aucun d'eux ne semblait réellement concerné par les jeunes eux-mêmes, par leurs besoins concrets, leurs aspirations véritables. Tous étaient absorbés par les métriques, les indicateurs, les statistiques – cette couche d'abstraction qui avait remplacé la réalité qu'elle était censée représenter.
Et n'était-elle pas elle-même prise dans le même piège ? Sa lucidité, sa position d'observatrice, n'était-elle pas simplement une autre forme de médiation, une autre façon d'éviter le contact direct avec le réel ?
Tu y es presque, Leïla. La question n'est plus de savoir comment voir plus clairement, mais comment agir malgré l'impossibilité d'une clarté parfaite.
Une serveuse passa près d'elle, portant un plateau chargé de canapés minutieusement dressés – petites architectures culinaires plus conçues pour l'esthétique que pour le goût. Parfaite métaphore de ce qui se jouait ici : l'apparence primant sur la substance, la forme écrasant le fond.
Leïla prit soudain une décision. Elle sortit discrètement son téléphone et envoya un message à Édouard : "Besoin de sortir de la matrice. Toi, moi, Rayan – week-end improvisé, destination inconnue. Tu es partant ?"
La réponse arriva presque immédiatement : "Toujours. Quand ?"
"Demain," répondit-elle sans hésitation. "Je prends une journée de congé impromptu."
Elle rangea son téléphone et, pour la première fois de la soirée, se servit une coupe de champagne. Pas pour célébrer le succès illusoire du programme, mais pour marquer sa propre petite révolution intérieure – cette décision impulsive qui rompait avec son habituelle analyse exhaustive avant toute action.
Aurélie l'aperçut et se dirigea vers elle, rayonnante. "Enfin tu te joins à la célébration ! Je commençais à m'inquiéter."
"Ne t'inquiète pas pour moi, Aurélie. J'expérimente une nouvelle approche."
"Oh ? Et laquelle ?"
"L'action avant la compréhension parfaite. Un concept révolutionnaire, n'est-ce pas ?"
Aurélie la fixa, perplexe devant ce qui lui semblait être une énigme sans contexte. "Je ne suis pas certaine de comprendre."
"Exactement," sourit Leïla. "Et c'est parfaitement acceptable."
Elle but une gorgée de champagne, savourant la confusion d'Aurélie plus que les bulles. Quelque part dans cette salle, Farid continuait probablement d'expliquer comment quantifier l'impact social. Rachid observait peut-être les dynamiques de pouvoir avec l'œil expert du joueur de poker. Le ministre planifiait sans doute déjà comment capitaliser politiquement sur le "succès" du programme.
Mais Leïla, pour la première fois depuis longtemps, n'observait plus la scène avec son détachement habituel. Elle ressentait – la texture du verre entre ses doigts, l'effervescence du champagne, l'absurdité comique de cette célébration du vide, et surtout, cette sensation nouvelle d'anticipation face à un week-end non planifié, une action décidée impulsivement, sans l'habituelle analyse paralysante.
De retour chez elle ce soir-là, elle trouva Rayan endormi sous la garde attentive de la voisine. Après avoir raccompagné cette dernière, elle s'assit au bord du lit de son fils, observant son visage paisible dans la pénombre.
"Nous partons à l'aventure demain, habibi," murmura-t-elle. "Sans plan, sans objectif mesurable, sans indicateur de performance. Juste... être."
Elle sortit les deux cartes de tarot qui l'accompagnaient depuis si longtemps : La Papesse, l'observatrice silencieuse, et La Justice, la trancheuse implacable. Puis, dans un geste qui surprit même Noureddine au point de le réduire au silence, elle en ajouta une troisième : Le Mat (ou Le Fou), ce voyageur insouciant qui marche vers l'abîme sans regarder où il met les pieds, symbolisant le saut dans l'inconnu, l'acceptation du risque, la confiance dans l'imprévisible.
"La Papesse observe que nous sommes tous architectes du vide," murmura-t-elle, reprenant intentionnellement le titre du chapitre que Noureddine écrivait à travers elle. "La Justice tranche que cette architecture est insoutenable. Mais c'est peut-être Le Fou qui détient la clé – ce courage d'avancer sans garantie, cette acceptation de l'incertitude comme seule certitude véritable."
Bien joué, Leïla. Tu commences à réécrire ton propre personnage.
"Non, Noureddine. Je commence simplement à accepter que même les personnages les plus lucides ont besoin, parfois, de cesser d'observer pour commencer à vivre."
À travers les rideaux entrouverts de la chambre de Rayan, la lumière de Paris dessinait des ombres mouvantes sur le mur. Demain, ils quitteraient cette ville, ces métriques, ces abstractions. Demain, ils toucheraient le réel, quel qu'il soit. Une expérience sans garantie, sans résultat mesurable.
Le premier pas, peut-être, hors de l'addiction collective à la mesure, vers une relation plus directe, plus authentique avec le monde.
En attendant, les trois cartes veillaient sur le sommeil de Rayan – la Conscience, la Justice, et cette nouvelle venue, la Folie nécessaire pour échapper aux pièges de la raison pure.
Ce soir à Paris, la papesse observait les architectes du vide continuer leur œuvre illusoire, la justice pesait le poids terrible de cette illusion collective, mais le fou – ce merveilleux idiot – dansait déjà vers une autre possibilité.