Chapitre 5
L’incendie
Enfin arrivés à Jakar, Célia et Albin s’étaient rapidement enfermés dans leur chambre. La visite de l’orphelinat n’était prévue que pour le lendemain. Hava alla dans la sienne et, après ce long périple, se retrouver dans le calme d’une chambre d’hôtel avait quelque chose de surréaliste. Etendue sur son lit, elle fixait le plafond depuis plus d’une heure à la recherche du sommeil, mais il ne venait pas. Elle voulait tellement revoir le deuxième homme de la caverne. Il était près de dix-huit heures, quatorze heures en France, mais malgré la fatigue, son corps refusait toujours de s’endormir. Finalement, lassée de cette lutte, elle finit par se lever.
Elle sortit dans le couloir de l’hôtel, c’était un complexe étonnement moderne pour un endroit si reculé. Elle voulait s’acheter une canette au distributeur automatique qu’elle avait repéré dans le hall. Quand elle y arriva, elle aperçut le guide plus loin dans le hall. Il se dirigeait vers la sortie. Sans savoir pourquoi, elle se mit à le suivre. Junjie avait un drôle de comportement avec elle depuis qu’il l’avait vu et elle avait la sensation qu’il lui cachait quelque chose. Elle était bien décidée à savoir ce que c’était.
C’était la première fois qu’elle suivait quelqu’un. Elle ne savait pas à quelle distance se trouver pour ne pas être vue, mais aussi ne pas le perdre. De peur d’être trop proche, elle attendit quelques secondes avant de sortir. Une fois dehors, elle s’avança un peu sur un vieux sentier en mauvais état. Elle chercha Junjie partout, mais ne trouva pas de trace de lui. Elle allait revenir sur ses pas quand elle aperçut une petit ouverture dans les buissons qui longeaient l’hôtel. Celle-ci donnait sur un petit escalier. Elle descendit quelques marches et remarqua un petit groupe d’hommes un peu plus bas. Ils étaient habillés avec des tenues traditionnelles.
Junjie était parmi eux. Hava le reconnue facilement de dos car il détonnait avec sa tenue à l’européenne. Il discutait avec l’un des hommes costumés. Elle se rapprocha encore un peu, dans l’espoir d’entendre leur conversation. Quand elle fut assez proche, elle se cacha derrière un arbre.
***
Junjie avait grandi dans l’orphelinat de la ville, la cabute. Il y était arrivé dès les premiers jours de sa vie, mais, malheureusement, il n’avait pas été adopté bébé. Après plusieurs années, il avait compris qu’il ne le serait jamais. Les futurs parents qui venaient n’avaient d’yeux que pour les poupons. Il ne comprenait pas pourquoi. Lui détestait la présence de ces petits êtres si dépendants. Il fallait tout faire pour eux : les nourrir, les déplacer, les changer… Il avait vu des centaines de parents venir à l’orphelinat sans un regard pour lui.
Les années ont passées, et un jour, durant l’année de ses dix ans, un évènement grave était arrivé. Il avait plu toute la journée et les enfants de l’orphelinat étaient restés enfermés toute la journée dans la pièce principale. Comme à chaque fois dans ces cas-là, l’énervement des bébés était à son paroxysme. Ils pleuraient et les nurses étaient débordés.
Junjie et ses amis Karma et Neten avaient réussi à échapper à la surveillance des adultes. Ils s’était isolés sous les toits. Ils avaient repéré quelques mois plus tôt un trou dans un mur derrière un toilette condamné. Avec une grande dextérité, ils parvenaient, en passant par ce passage improvisé, à escalader par l’intérieur des cloisons jusqu’aux combles. Ils s’y retrouvaient dès qu’ils en avaient l’occasion.
Karma avait le même âge que lui. Il avait toujours des supers idées pour embêter les gardiennes. Il adorait par exemple fabriquer des boules puantes avec des œufs qu’il perçait à l’aide d’une aiguille. Il en gardait quelques-unes dans les combles pour les envoyer sur les gardiennes en temps voulu. Neten avait huit ans. Il était plutôt mature pour son âge et il aimait suivre ses camarades dans leurs jeux car il s’ennuyait avec les enfants de son âge.
Ils essayaient d’allumer une cigarette que Karma avait volé dans le sac de madame Chang. Le jeune garçon tentait fébrilement d’allumer la dernière allumette du paquet qu’il avait depuis longtemps. Il avait demandé aux autres de se serrer pour protéger le frêle morceau de bois du moindre souffle du vent. Les trois enfants observaient le petit bout rouge comme si ça avait été un oisillon qui venait de tomber d’un nid et qui était d’une infinie fragilité.
Les rôles étaient définis : Karma devait allumer l’allumette, Junjie devait placer la cigarette sur le feu et aspirer pour l’allumer. Et Neten devait faire écran de son corps pour protéger des courants d’air. Karma se saisit de l’allumette, et après un dernier coup d’œil à ses camarade, il se décida enfin. Il la frotta et elle s’enflamma facilement. Tous les trois regardaient la flamme chancelante et Junjie approcha délicatement la cigarette. Il prit une bouffée qui le fit tousser, ce qui éteignit l’allumette. Karma alla le disputer quand il aperçut de la fumée s’échapper. La cigarette était encore allumée. Ils fumèrent chacun leur tour tout en toussant à chaque bouffée, ce qui les fit rire.
— J’espère qu’il fera beau demain… dit Karma. Ça me gonfle de rester enfermer.
— C’est clair ! répondit Junjie. Heureusement qu’on peut venir ici. Tu imagines si on devait rester en bas, avec les autres ? Je déteste la cabute quand il fait ce temps-là !
— C’est clair. Tu me donnes la cigarette ? demanda Karma en tendant la main.
— Non, c’est au tour de Neten.
Junjie se retourna et appela le plus jeune garçon qui s’était écarté après sa dernière bouffée pour tousser. Neten était devant un œil de bœuf légèrement fendu à respirer de l’air frais pour retrouver son souffle. Il déclina la proposition, prétextant qu’il leur laissaitt pour leur faire plaisir.
— Cool, ça va en faire plus pour nous, chuchota Karma en remettant la cigarette dans la bouche.
Junjie entendait de façon étouffée le bruit et l’agitation qu’il y avait deux étages en dessous. La quiétude du lieu était juste perturbée parfois par leurs expirations enfumées, encore accompagnés parfois de toussotements.
— Elle est bizarre la nouvelle, hein ? demanda Junjie qui cherchait un sujet de conversation.
La nouvelle, c’était une petite fille, à peine plus grande qu’un bébé, qui était arrivée la veille à la cabute.
— C’est clair, tu as vu ses cheveux ? répondit Karma d’un ton sarcastique. On dirait une vieille ! Elle va rester longtemps à la cabute elle…. Au moins jusqu’à avoir l’âge où c’est normal d’avoir des cheveux blancs comme ça.
Ils adoraient parler des enfants qui avaient encore moins de chances d’être adoptés qu’eux. Ça les rassurait de savoir qu’ils n’étaient pas les seuls en manque d’amour. Ils avaient même planifié de fonder un foyer des rejetés de la cabute quand ils seront plus grands… Et plus ils y seraient nombreux, mieux ce serait. Ils continuèrent à discuter des autres enfants, estimant leur potentiel à quitter les lieux dans un avenir plus ou moins proche quand Neten les appela. Il observait au loin par la fenêtre.
— Hé, les gars ! Y’a des parents en bas ! En plus, c’est des blancs ! On y va ?
— Laisse tomber ! répondit Junjie. Le temps qu’on descende, ils auront déjà choisi… En plus on risque de se faire griller la planque.
— Ouais, tu as raison, répondit Neten.
Il mit le front sur la vitre et ne parla pluss pendant quelques secondes. Junjie ne distinguait que ses cheveux, mais il était persuadé que son jeune ami pleurait. Il tourna la tête vers Karma qui tentait de fumer la cigarette jusqu’au bout, mais il n’en restait plus grand-chose. Il poussa un hurlement quand il finit par se bruler avec le filtre. Junjie se leva pour voir s’il allait bien quand Neten cria à nouveau.
— Hé, ils partent déjà ! Ils n’ont pris personne. Ça se trouve, ce n’était pas des parents…
Junjie et Karma, qui se frottait les doigts, se rapprochèrent de leur ami pour observer à leur tour.
— Tu en as déjà vu beaucoup toi, des blancs qui venaient ici pour visiter ? Bien sûr que c’était des parents, mais ils n’ont pas trouvé leur bonheur… Y’a pas beaucoup de bébés en ce moment.
— Ça se trouve, on aurait eu notre chance, souffla Neten.
Ils savaient tous les trois que ce n’était pas le cas, mais ils ne pouvaient pas s’empêcher d’avoir un pincement au cœur à chaque fois que des parents partaient sans eux. Ils commençaient à retourner vers le centre de la pièce pour jouer aux dominis quand Karma s’écria :
— C’est qui lui ?
Il désignait du doigt un homme qui rentrait seul dans l’allée de la cabute. Il y avait deux choses étranges à cela. Déjà, il n’y avait pas d’homme qui travaillait dans l’établissement. Ensuite, lui aussi était blanc. Les garçons observèrent la cour en silence. Soudain, leur attention fut attirée par autre chose de très préoccupant : il régnait dans l’air une très forte odeur de brulé.
Tous trois tournèrent la tête vers l’endroit où ils venaient de fumer : ils n’y avait pas le mégot. . Il avait dû tomber dans l’un des nombreux interstices du plancher. Une fumée épaisse commençait à monter des étages inférieurs. Elle passait aussi par le trou dans la cloison par lequel ils étaient passés. Tous les trois étaient terrifiés. Ils étaient pris au piège, et personne ne savait où ils étaient.
Karma retourna à la fenêtre, saisit un bâton qui trainait par terre et cassa la vitre. Il se pencha, et expliqua à ses camarades que c’était possible de sauter sur le toit de la cabane attenante. Sans attendre l’assentiment de ses camarades, il disparut par l’ouverture. Junjie se précipita. Il aperçut Karma de dos qui cherchait déjà un moyen de continuer sa descente. L’écart avec la plateforme en contrebas devait être de moins de deux mètres, mais ça lui parut insurmontable. Neten lui passa devant et descendit lui aussi avec une facilité déconcertante.
Junjie était désormais seul dans la pièce et la température continuait à monter. Malgré le danger, il n’osait pas descendre. Il se retourna pour chercher une autre issue à tâtons dans la salle. Il savait qu’il y avait une porte, mais avec toute la fumée, il ne la trouvait pas. Il finit par se résoudre à retourner à la fenêtre et à tenter sa chance. Mais il était complètement désorienté, et il ne savait plus où se elle se situait. Il longea les murs, mais ses forces l’abandonnaient. Il ne parvenait plus à respirer. Il s’affaissa contre la paroi, sentant ses forces l’abandonner.
Soudain, des mains l’agrippèrent et le tirèrent sur le côté. Il réunit le peu de forces qui lui restaient pour se relever péniblement.
— Viens mec, qu’est-ce que tu fous ?
Karma était revenu pour le sauver. Enfin, Junjie sentit de l’air frais sur son visage : ils étaient revenus à la fenêtre. Neten les attendait plus bas. Il était inquiet, mais un sourire illumina son visage quand il les aperçut. Karma aida Junjie à descendre sur la plateforme. La descente était moins difficile qu’il ne l’avait pensé grâce aux goutières. Enfin au sol, Junjie se retourna et vit son orphelinat, sa maison, en feu. Comment était-ce possible ? Étaient-ils les seuls survivants ? Comment pourrait-il vivre avec ce poids sur les épaules ?
L’eau de la pluie lui fit du bien après la fournaise du grenier. De plus, elle masquait ses larmes. Ils n’avaient pas partagé une parole depuis qu’ils étaient descendus. Soudain, ils entendirent quelqu’un crier leurs noms. Il se levèrent et se précipitèrent dans la direction d’où provenait la voix. Après avoir contourné le bâtiment principal, ils retrouvèrent madame Fong qui les prit dans les bras quand elle les aperçut.
— Oh mes enfants, j’étais…
Mais elle ne parvint pas à finir sa phrase. Ses derniers mots s’étaient évanouis dans des sanglots incontrôlables. Junjie regardait par-dessus l’épaule de madame Fong qui s’était agenouillée pour les prendre dans ses bras.
Quelques jours plus tard, le bilan de l’incendie fut d’un mort et un disparu. Le corps de Madame Ping avait malheureusement été retrouvé dans les décombres et il n’y avait aucune trace d’une petite fille arrivée quelques jours plus tôt.
Une petite fille aux cheveux blancs…
***
Hava ne parvenait pas à entendre ce que son guide disait. Elle se rapprocha doucement. Mais ses pieds écrasèrent une petite branche, ce qui attira l’attention de Junjie. Quand il l’aperçut, il se mit à courir vers elle. Hava prit peur et tenta de fuir mais il était trop rapide. C’était trop tard. Il se jeta sur elle, la projetant violemment au sol. Elle le repoussa et se releva, furieuse.
— Ça ne va pas la tête ou quoi ?
— C’est comme ça que tu me remercie de t’avoir sauvé la vie ?
Il pointa quelque chose derrière eux du doigt. Hava suivit la direction indiquée, et c’est alors qu’elle la remarqua : une flèche. Elle était exactement à l’endroit où elle se tenait quelques secondes auparavant. Junjie reprit en souriant :
— Tu voulais te faire tuer ou quoi ? Te mettre aussi près d’une cible !
Hava ne comprit pas de quoi il parlait. Elle observa autour d’elle quand elle la remarqua, posée sur l’arbre derrière lequel elle avait essayé d’espionner son guide. Ils se relevèrent, et elle frotta la poussière qu’elle avait sur les vêtements. Elle chercha aux alentours d’où pouvait venir cette flèche, mais elle ne trouva pas d’archers.
— Mais qui a tiré ? finit-elle par demander, incrédule.
— Regarde.
Il désignait un petit mont, de l’autre côté de la route. Hava dû se concentrer pour apercevoir au loin un petit groupe d’hommes aux côtés d’une autre cible qui paraissait toute petite à cette distance.
— Ils sont en plein match. Vous vous seriez pris la flèche dans la tête si je n’étais pas intervenu.
— Vous voulez dire que c’est les personnes qui sont tous là-bas qui visent la minuscule cible qui est là ? Mais ils sont si loin ! Comment ils font ?
— C’est grâce à des années d’entrainement. Le tir à l’arc est un sport ancestral ici. Tous les hommes le pratiquent de la naissance à la mort. Regarde, c’est au tour de Yundu de tirer.
Un homme en robe s’avança et visa en direction du ciel. Son arc, étonnement moderne, contrastait avec sa tenue traditionnelle. Après de longues secondes, il laissa partir sa flèche qu’il accompagna en chantant et en dansant. Elle resta quelques secondes en l’air avant de redescendre. Les hommes de l’autre côté se mirent à danser et tous ceux qui étaient du côté d’Hava se mirent à crier de joie.
— Super, il l’a touché ! s’écria Junjie.
— Mais comment vous le savez ? Vous arrivez à le voir d’ici ?
— Bien sûr que non ! Mais quand ils dansent, ça veut dire que le tireur a touché la cible. Sinon il montre de quel côté la flèche a atterri. Viens, recule. C’est leur tour.
Hava regarda ce balai bien roder se prolonger. C’était un spectacle dépaysant. Elle trouvait cela rafraichissant de voir ces archers se réjouir de la réussite de leurs adversaires quand ils touchaient la cible, ou les aider en leur indiquant l’ajustement à faire s’ils la rataient. C’était très altruiste. A la fin de la partie, le joueur avec lequel discutait Junjie à son arrivée se rapprocha d’elle et lui parla dans un français très correct.
— Bonjour mademoiselle, je m’appelle Karma. Je suis un ami de Junjie.
— Salut, moi c’est Hava.
— Enchanté. Mais sais-tu que ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons ?
— C’est vrai ? Mais comment c’est possible ? C’est la première fois que je reviens depuis que je suis enfant.
— Je sais. C’est justement à ce moment-là que Junjie et moi t’avons vu.
Junjie parut gêné par la révélation de son ami. Hava voulait en savoir plus, mais les autres joueurs de l’équipe vinrent en chantant et en dansant leur proposer de partager leur boisson. Karma et Junjie déclinèrent poliment la proposition de leurs coéquipiers et ils s’éloignèrent avec Hava. Quand ils furent isolés, les deux garçons lui racontèrent leur histoire à l’orphelinat. Comment ils avaient croisé Hava à l’époque.
— Vous êtes sûrs que c’était moi ? s’interrogea-t-elle.
— Il n’y a pas eu beaucoup de petites filles aux cheveux blancs qui sont passés à la cahute… répondit pensif Karma.
Karma s’alluma une cigarette. Il proposa à ses amis de la partager mais tous les deux déclinèrent. Junjie n’en avait plus touché une depuis l’incendie. Ils repartirent en direction de l’hôtel. En chemin, Karma reprit :
— Par contre, on ne savait pas que tu avais été adoptée. Tu es un véritable petit miracle !
— Pourquoi ?
— Parce que madame Fong avait dit que tu avais disparue dans l’incendie… On te croyait morte.
Junjie, Karma et Hava étaient arrivés dans le hall de l’hôtel. Toujours aucune trace d’Albin et Célia, ils dormaient surement encore. On ne récupère pas aussi facilement d’un tel périple à vingt ans qu’à quarante-cinq. Ils s’assirent au restaurant de l’hôtel et les garçons commandèrent du suja, un thé au beurre salé et du kewa datchi, un mélange de pomme de terre et de fromage. Hava se contentât d’une bouteille d’eau minérale. Quand la serveuse revint avec les plats, les garçons essayèrent de lui faire gouter le kewa datchi, mais l’aspect ne convainc pas la jeune fille qui ne se risqua pas à y mettre les lèvres.
Ils lui expliquèrent qu’ils avaient quitté l’orphelinat dès qu’ils avaient pu et qu’ils habitaient ensemble depuis. Ils n’avaient pas pu se résoudre à quitter la région qui les avait vu grandir. Ils étaient devenus tous les deux guides depuis que le pays s’était ouvert au tourisme. Ils étaient considérés comme les meilleurs de la région pour les français. Madame Fong, qui adorait la France, leur avait enseigné la langue au cours de leur long séjour à l’orphelinat.
Hava les écoutait attentivement. Elle passait un bon moment, mais une question lui brûlait les lèvres. Elle n’osait pas les interrompre, mais elle profita d’un des rares moments de silence pour la poser.
— Karma, tu as dit tout à l’heure que vous m’aviez déjà vue quand je suis passé à l’orphelinat. Mais vous pensiez que j’étais peut-être morte dans l’incendie. Pourquoi ? Je n’ai aucun souvenir de cette époque.
Karma et Junjie s’observèrent. A l’évidence, ce qu’ils avaient à dire n’était pas facile.
— Lors de ce fameux incendie dont on t’a déjà parlé, commença Junjie, il y a eu deux personnes qui ont disparues : la directrice et toi. On a retrouvé le corps de madame Ping le lendemain, mais jamais le tien. Maintenant on sait pourquoi.
— J’étais comment à cette époque ? Tout ce que j’en sais, c’est ce que m’en ont raconté mes parents.
— On ne sait pas. Tu n’es restée qu’un jour ou deux à l’orphelinat.
— Si peu ?
— Oui, confirma Karma. Un sherpa t’a ramené de la montagne. Je me souviens bien de ce jour-là. J’étais convoqué chez Ping. J’avais du encore faire une bétise, comme souvent. Elle me disputait quand quelqu’un a tapé à la porte. Elle ne voulait pas être dérangée mais les coup se sont faits insistants. Elle a été ouvrir, avec l’intention d’expliquer à l’intrus sa façon de penser, et je t’ai vu derrière la porte, accompagnée d’un homme. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi sale. On aurait dit qu’il sortait d’une crotte d’éléphant. Il avait l’air blessé aussi, il boitait et il avait du sang séché un peu partout. Il a commencé à se disputer avec madame Ping et il est parti en te laissant. Il a dit qu’il n’avait pas d’autre solutions, et qu’il allait revenir te chercher plus tard.
Hava ne savait quoi penser. Elle aurait tant aimé avoir des réponses sur cette période. Comme tous les orphelins, elle aurait aimé savoir d’où elle venait, et pourquoi elle s’était retrouvée dans un orphelinat. Elle aurait aimé se souvenir d’où elle venait. Où était-elle avant que ce sherpa ne la ramène ? Elle avait encore un millier de questions à poser mais Junjie coupa court à la conversion.
— Bon, je sais que cette histoire est passionnante, mais on la poursuivra demain, annonça-t-il en se relevant. Nous allons avoir une journée chargée, c’est le début du festival. Il faut que tu dormes Hava. Tes parents sont au lit depuis plusieurs heures, et demain, ils ne comprendront pas pourquoi nous sommes épuisés. Enfin, toi tu as encore l’excuse du décalage horaire…
Les deux guides se levèrent, comme pour donner corps à ce que venait de dire Junjie. A contrecœur, Hava se leva elle aussi et les salua. Elle retourna dans sa chambre en trainant les pieds. Mais une fois arrivée, elle s’affala sur le lit, comme si toutes ses forces l’abandonnaient d’un coup. Elle sentit le sommeil s’abattre sur elle et elle s’endormi rapidement.
Comme d’habitude, elle se retrouva dans la caverne. Elle s’avança jusqu’à la salle, mais cette fois, elle ne trouva personne.
Coquille :
"Il adoré par exemple fabriquer des boules puantes" --> Il adorait