Chapitre 6
Le festival
Hava traversa le début de la journée du lendemain comme un fantôme. Le manque de sommeil et le décalage horaire avaient finalement eu raison de son énergie. Elle se força à sourire quand ils partirent visiter le village. Célia et Albin avaient l’air heureux de retrouver cet endroit si précieux pour eux. Junjie, lui, ne se dépareillé pas de son éternel sourire et il y avait de quoi. Au-delà des maisons qui semblaient sorties d’un film d’aventure d’un autre âge et de chemin de terre poussiéreux, les décors étaient extraordinaires pour quelqu’un ayant grandi en France. Les montagnes, omniscientes, étaient magnifiques. Elles étaient décorées ce matin d’une brume matinale qui ressemblait à une robe de mariée. C’était comme si le paysage s’était paré de ses plus beaux habits pour les accueillir. Le guide était très en forme et il avait une anecdote pour chaque villageois qu’ils croisaient. Tous souriaient sur leur passage et leur offrait des petits cadeaux. Il n’était pas fréquent d’avoir des visiteurs dans ce coin reculé.
Après quelques centaines de mètres, le chemin, qui lui avait semblé abimé jusqu’à là, devint encore plus abrupt et inhospitalier. Un peu après le village, ils quittèrent le sentier et continuèrent leur marche à travers champ. Malgré la fatigue, Hava ne pouvait s’empêcher de s’émerveiller devant le spectacle qu’elle avait devant elle. Les montagnes en fond, de la verdure, des champs de fleurs sauvages au premier plan et des eaux tourbillonnantes un peu plus bas. Tout cela formait un arc en ciel de couleurs très loin de ce qu’elle était habituée à voir. Célia se rapprocha du champ de fleurs. Elles étaient grandes et rouges.
— Oh ! Des rhododendrons sauvages, c’est magnifique ! s’écria Célia.
Hava se baissa pour en ramasser un qu’elle fixa à son serre-tête qui était aujourd’hui décoré par des oiseaux. Son attention fut alors attirée par autre chose. Dans les fleurs, des papillons butinaient. Ils étaient très gros. Il y en avait des centaines, elle n’en avait jamais vu autant. Elle se baissa pour les observer de plus près. Elle tendit la main pour en toucher un quand soudain, un papillon noir et jaune se posa sur son doigt tendu. Il ne ressemblait pas du tout aux autres, il était beaucoup plus gros. Elle plia le bras pour l’observer de plus près, mais elle poussa un petit cri qui le fit redécoller. Elle devait avoir rêver. C’était la première fois qu’elle en voyait un comme ça. Elle le chercha parmi tous les autres mais ne le retrouva pas.
Hava se retourna et s’aperçut que ses parents et Junjie s’étaient éloignés. Elle se releva et leur courut après. Elle les rattrapa juste au niveau d’un petit bâtiment. Elle allait passer à côté quand Junjie lui cria dessus.
— Non ! Arrête-toi !
Elle faillit hurler de peur. Elle s’était bloquée, un peu comme une statue. Elle avait peur d’avoir marché sur une mine qui n’attendait qu’un mouvement de sa part pour exploser. Elle regarda le guide, prête à le disputer. Mais elle vit à son visage qu’il l’avait stoppée pour une bonne raison. Il avait fait demi-tour pour lui expliquer.
— C’est un chorten, un monument bouddhiste. Il est sacré. Il est INTERDIT de le contourner par la droite ! Sinon, les démons sont en colère…
Hava se retint de rire à son air grave. Il avait tellement insisté sur le mot « interdit » qu’elle s’était crue revenue au collège quand on se balade dans les couloirs entre les cours.
— Ok, désolée.
Hava contourna le petit bâtiment du bon côté. Dessus était disposés un nombre impressionnant de petites statuettes sur le côté. Elle interrogea son guide.
—C’est quoi toutes ces statues ?
— Ce sont des tsa-tsa, des chortens d’argile. Ce sont des offrandes de personnes pour protéger le chorten ou ceux qu’ils aiment.
Hava observa toutes ces petits objets si fragiles en se demandant comment ils pouvaient protéger qui que ce soit. Son regard fut attiré ensuite par autre chose qu’elle avait déjà avant dans le village : des centaines de triangles en tissu. Il y en avait de toutes les couleurs : des blancs, des verts, des jaunes…
— Et tous ces morceaux de tissus, ils ont aussi un but ?
— Oui, bien sûr ! Ce sont des drapeaux de prière. Eux aussi, ils sont sacrés. On raconte que le vent qui les caresse emmène avec lui les vœux les plus secrets des personnes qui les ont suspendues jusqu’aux dieux. D’ailleurs, si tu écoutes le bruit du vent qui les caresse, tu les entendras peut-être.
Hava trouva ces histoires très jolies. Ils rejoignirent Célia et Albin qui les attendaient. Junjie leur désigna un peu plus loin le monument vers lequel ils se dirigeaient. C’était un temple, le Tamshing Lhakhang.
— Dépêchez-vous, nous allons rater la distribution.
Il avait dit cela d’un ton volontairement intriguant. Même si elle n’avait pas envie de lui montrer que ça avait fonctionné, Hava se demandait bien se quoi il voulait parler. Ils arrivèrent dans la cour du temple. Ils s’assirent aux côtés d’une foule déjà nombreuse. Les personnes les regardaient avec bienveillance. Il y avait plus d’une centaine de personnes.
Après plus de vingt minutes, une agitation se fit entendre, suivis par des applaudissements. Hava tendit le cou pour en connaitre la raison. Des moines, en robe rouge, passaient voir chaque personne. Ils étaient une douzaine, se déplaçant par trois. Un moine distribuait des assiettes, un autre tenait un grand plat et un troisième servait les personnes qui étaient assises.
— Les moines du temple font une distribution de riz pour que l’on partage un repas avec eux, expliqua Junjie. C’est une tradition ici pour fêter le dernier jour du printemps. On ne pouvait pas rater ça ! Et après, il y aura le dernier jour du festival. Vous verrez, ça vaut le coup d’œil aussi.
Hava ne trouvait pas ça aussi passionnant que son guide. Sa vie en France lui manquait. Ses amis, ses écrans, les magasins… Perdu dans ses pensées, elle suivait les moines du regard quand elle le remarqua : le chauffeur de taxi. Il était assis un peu plus loin. Un groupe de moine le servait. Quand les moines passèrent à ses voisins, il tourna la tête vers elle. Lui aussi l’avait repérée. Le chauffeur parla à l’oreille de son voisin qu’Hava n’avait pas repéré avant. Pourtant, cet homme détonnait. En effet, à l’exception de Célia et d’Albin, c’était le seul caucasien présent dans l’assemblée. Il avait un air antipathique qui glaça le sang d’Hava. Lui aussi l’observait d’un air qu’Hava n’apprécia pas.
Un prête lui attira l’attention. Il lui dit quelque chose qu’elle ne comprit pas. Voyant que ses paroles n’avaient pas d’effet, le religieux lui tendit une assiette et parti en bougonnant. Un autre suivit de près et remplit l’assiette d’une grosse boule de riz. Elle la dévora en quelques minutes. Elle ne s’en était pas rendu compte, mais son corps était affamé. Quand elle regarda en direction de l’homme et du chauffeur, elle s’aperçut qu’ils avaient disparus.
Peu de temps après, une musique lancinante se fit entendre.
— Ah, ça, y’est, c’est le début du festival, annonça Junjie. On ne peut pas venir au Bhoutan sans participer à ça. Vous verrez… Vous vous en souviendrez !
Le festival se déroulait dans une autre cour du temple. Tous les convives se levèrent et se dirigèrent par une grande arche dans un nouvel espace intérieur. Hava observait les jeunes moines qui regardaient la scène de fenêtres presque au niveau des toits. Ils n’avaient pas le droit de participer à l’évènement, mais ils voulaient tout de même regarder le spectacle.
Devant elle, des danseurs tous plus colorés les uns que les autres se dandinaient au son de la musique. Hava ne l’appréciait pas. Les sons étaient si monotones, si prolongés, qu’ils la plongeaient dans une langueur triste. Junjie lui avait expliqué que c’était l’effet des dungchens qui ressemblaient à de grosses trompettes. Hava repensa aux vuvuzelas de la coupe du monde en Afrique du sud qu’elle avait détesté. Elle se sentait encerclée par ces sons qu’elle n’avait pas l’habitude d’entendre. Elle s’éloigna un peu pour ne plus entendre ce bruit quand elle se sentit basculer vers l’avant, manquant de tomber.
Elle se retourna. Elle avait été poussée par un homme déguisé d’un costume rouge et d’un masque affreux. Il tournait autour d’elle dans une danse ridicule. Comme elle ne réagissait pas, il s’éloigna pour aller importuner d’autres spectateurs. Dans son dos, Junjie rigolait.
— Je peux savoir ce qu’il y a de drôle ?
— Rien, tu aurais dû voir ta tête…
— En même temps, c’est qui lui ? Pourquoi il se permet d’embêter tout le monde comme ça ?
— C’est un Antsara. C’est un peu… Comment vous appelez ça déjà ? Ah oui, un clown. Il est là justement pour amuser les spectateurs avant et pendant le spectacle. Il se moque de tout le monde pour nous faire rire.
Hava ne le trouvait pas drôle… L’Antsara lui avait fait mal. Elle sentait encore son épaule douloureuse là où il l’avait poussée. Mais elle n’eut pas le temps de ronchonner trop longtemps car d’autres danseurs arrivaient sous les applaudissements du publique.
Des personnages s’alternèrent devant eux, dans des danses toutes aussi particulières les unes que les autres. Ils étaient parés de magnifiques costumes très colorés avec des masques aussi terrifiants qu’attirants. Junjie tentait de les initier aux subtilités de cet art. Il leur expliquait que chaque danse racontait une partie de l’histoire de grand saint indien Guru Rimpoche, mais Hava n’arrivait pas à se concentrer.
Elle ne se sentait pas bien, sans doute à cause du riz qu’elle avait mangé. Pendant que Junjie et ses parents assistaient à la danse du cerf, elle s’écarta un peu pour aller prendre l’air. Elle se rendit sur la première place du temple. Un petit vent frais lui caressait les joues. Malgré cela, Hava ne se sentait toujours pas mieux, au contraire.
Elle marcha encore quelques pas avant de chuter lourdement. Elle était au sol, à demi-inconsciente. Elle voulait appeler à l’aide, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Après quelques secondes, elle se sentit soulevée. C’était sans doute Albin qui venait de la retrouver. Elle ne connaissait personne d’aussi fort que lui. Elle se laissa faire, comme quand elle était petite. Mais la voix qu’elle entendit n’était pas celle d’Albin. Elle essaya d’ouvrir les yeux, mais ils restaient désespérément clos. Elle reconnut la voix du chauffeur de taxi. Il parlait en français avec un accent à couper au couteau :
— Vous avez vu, je vous avais bien dit que j’avais réussi à la piquer.
C’était donc ça qu’elle avait ressenti quand l’Atsara l’avait poussé : elle avait été empoisonnée. C’était le chauffeur de taxi qui s’était déguisé pour la piéger. Hava ne parvenait toujours pas à ouvrir les yeux, ni même à bouger. Elle ressentait ce qui se passait autour d’elle : les mouvements de son corps en l’air, la mauvaise odeur de transpiration de l’homme qui la portait, son cœur qui battait doucement, le vent sur ses joues… mais elle ne parvenait pas à réagir.
Elle entendit le bruit d’une portière que l’on ouvre et elle se sentit posé lourdement sur un siège. Elle allait être amenée loin d’ici. Une rançon allait être exigée pour sa libération… Elle ne verrait peut-être plus jamais Albin et Célia.
C’est marrant les pensées qui viennent dans ces moments-là. Celles d’Hava les ramenaient en France. Elle se voyait dans sa chambre, allongée dans son lit. Elle n’avait pas rendu la vie facile à ses parents. Elle n’avait pas toujours eu un bon caractère, elle ne leur avait apporté que des problèmes... Ils avaient fait énormément de sacrifices pour la ramener ici, au Bhoutan… Finalement c’était mieux comme ça. Il valait mieux qu’on ne la retrouve jamais. Son esprit était maintenant dans la caverne qui, comme la veille, était vide.
Elle se concentra pour revenir dans le moment présent. Elle essaya encore d’ouvrir les yeux. Le poison devait faire déjà moins effet car ses paupières commençaient à s’entrouvrir et elle distinguait de la lumière. Elle avait perdu toute notion de temps. Depuis quand l’avait-on posée sur ce siège ? Une minute ? une heure ? Elle se concentra, elle ne ressentait aucun mouvement autour d’elle quand soudain… elle entendit des bruits assourdis par la carrosserie. Des bruits de coups. Des personnes se battaient.
Les effets du médicament s’estompaient. Elle le savait car elle sentit son cœur qui s’accélérait. Elle commençait à se ressentir vivante. Elle arrivait à bouger le bout des doigts. Ses yeux étaient ouverts, mais elle voyait flou. Finalement, la portière par laquelle on l’avait déposée sur le siège s’ouvrit. Elle regarda dans sa direction, mais ne distingua pas les traits de la personne qui l’avait ouverte.
— Venez, dépêchez-vous, ils ne vont pas tarder à revenir avec des renforts !
C’était la voix de la grotte, celle qu’elle connaissait mais qu’elle n’avait pas reconnu. Hava essaya de parler, d’expliquer qu’elle ne parvenait pas à bouger, mais aucun son ne sorti. L’homme avait dû le comprendre car il se saisit d’elle et la porta à l’extérieur de la voiture. Il se mit à courir, lesté du poids d’Hava. A travers le faible rayon de lumière qui parvenait à son iris, barré par quelques larmes qu’elle ne pouvait pas essuyer, elle distingua la silhouette d’un homme avec des cheveux longs qui courait à côté d’eux. Elle venait d’être enlevé à nouveau par deux autres hommes, dont un qu’elle voyait dans ses rêves depuis des mois et l’autre qu’elle était de sûre de connaitre. Après quelques secondes, l’homme qui la portait s’arrêta et il la posa délicatement assise contre un mur.
— Nous sommes à l’abri ici pour le moment. J’attends que vous retrouviez quelques forces puis nous irons chercher de l’aide.
C’était l’autre homme qui avait parlé. Hava connaissait cette voix… Elle essaya de prononcer quelque chose, mais seuls des sons incompréhensibles sortirent. Malgré cela, elle sentait ses forces revenir doucement. Elle rouvrit doucement les yeux. Cette fois-ci elle reconnut l’homme qui venait de parler. Effectivement elle le connaissait, mais que faisait-il là ?
C’était Père-Noël, le sans abri de son village.
Quelques coquilles :
Elle devait avoir rêver --> rêvé
Perdu dans ses pensées --> perdue
Un prête lui attira l’attention --> prêtre
ça, y’est --> ça y est
sous les applaudissements du publique. --> public
Elle allait être amenée loin d’ici --> emmenée