Chapitre 5 - Lucem Extinguere - Partie 1

L’utilisation de la magie, bien que tolérée, doit être scrupuleusement encadrée.
Il est absolument interdit de nuire à autrui ou, plus grave encore, à l’État,
de quelque façon que ce soit, en faisant usage de sortilège.
Les contrevenants se verront inculpés et leur sentence immédiatement appliquée.

L’enquête, l’arrestation, et les termes de la sentence sont confiés aux services du Renseignement.
Quant aux modalités d’exécutions, ils sont laissés à la discrétion du Seigneur Vice-baron Delachaise.

Extrait du Code du Baron
Régissant les bonnes mœurs en Baronnie.

 

 

La soirée était déjà bien entamée et Silas et Pousse – mais surtout cette dernière - terminaient péniblement le contenu de leurs bols. La petite fille repoussait, à petits coups de cuillère, les quelques derniers petits pois, mous et solitaires, abandonnés au fond du sien. Silas savait que bientôt, la phrase fatidique sonnerait la fin du repas. Celle-ci, effectivement, ne tarda pas à poindre. Pousse souffla entre ses deux joues gonflées.
—     J’ai plus faim, papa.
—     Ça va, tu as bien mangé. C’était bon ?
La fillette releva deux yeux ouverts comme des billes, cherchant à savoir si son père lui faisait une blague. Mais elle ne perçut dans le visage de ce dernier que l’attente sincère d’une réponse.
—     Les lardons étaient biens.
Depuis le passage de Saria, et surtout de sa tourte à la daube, Silas tentait de fournir des efforts culinaires. Sans pour autant mettre de côté son plat signature - les éternels petits pois bouillis - il tentait des expériences nouvelles. Ce fut ainsi que les petits pois se retrouvèrent accompagnés dans la marmite. Parfois, ils partageaient l’endroit avec des champignons – le résultat ne fut pas à la hauteur des espérances – parfois, avec des lardons, ou des morceaux de saucisses. Pousse se lançait alors dans un patient exercice de tri. Les bouts de viandes étaient prélevés avec minutie et ingurgités sans plus de cérémonie. Ne restaient alors que les fameux petits pois, que la fillette ingérait dans un concert de soupirs ennuyés.
—     Demain, j’essaierai avec des carottes, décida Silas. Tu m’aides à débarrasser ?
Pousse glissa le long de sa chaise. Une fois sur ses deux jambes, elle se saisit des bols, pendant que son père ramenait les gobelets et les couverts.
—     Dépose tout dans l’évier.
L’homme passa devant la fenêtre de la cuisine. Dehors, aux ténèbres naissantes se mêlaient une bruine froide qui obscurcissait davantage le triste décor.
—     Un temps parfait pour une enterrement, jugea pensivement le fossoyeur.
C’est alors qu’il distingua, parmi les volutes de brouillard, trois silhouettes qui s’approchaient. Trois silhouettes particulièrement courbées et qui se déplaçaient avec lenteur.
Les sourcils de Silas se froncèrent.
—     Aïe, aïe aïe… Pourvu que… non… non, pas à gauche. Et merde.
Entendant que quelque chose se passait, Pousse apparut à ses côtés avec une vitesse que seuls les enfants, mus par une insatiable curiosité, sont capables d’atteindre.
—     Qu’est-ce qu’y a ? qu’est-ce qu’y a ? qu’est-ce qu’y a ? Papa ? Qu’est-ce qu’y a ? Pourquoi t’as dit un gros mot ? Papa ?
Silas savait que lorsque sa fille se lançait dans un tel manège, il était impossible de l’arrêter à moins de lui fournir une réponse.
—     On a de la visite, grommela-t-il. Je me demande bien ce qu’elles veulent.
En vérité, non, il ne se demandait pas du tout ce que les trois visiteuses lui voulaient. Tout ce que la scène lui inspirait, c’était la venue de la promesse d’un ou plusieurs ennuis. Il les scruta encore un peu, alors qu’elles passaient le portillon, et puis, au fur et à mesure qu’elles remontaient l’allée, avec lenteur, ses épaules à lui s’affaissaient davantage de seconde en seconde, avec la même inexorable et inarrêtable lenteur.
—     Viens avec moi, invita-t-il sa fille.
Ils se dirigèrent ensemble vers la porte d’entrée, dans le concert de soupirs entonné par Silas.
—     C’est qui ? C’est qui ? C’est qui ? Dis papa, c’est qui ? C’est qui, papa ?
—     Les vieilles, grogna le fossoyeur.
Les yeux de la petite fille s’illuminèrent. De la visite ! Voilà bien qui romprait l’ennui.
—     Tatie Hortensia, tatie Ésmeranda et tatie Mégane ? Trop bien !
À son enthousiasme répondit le regard désabusé de Silas. Il se dit qu’il était temps. Il posa la main sur la poignée, lança un dernier soupire accompagné d’une dernière hésitation et enclencha le mécanisme.

La porte grinça, avant de pivoter lentement. Un courant d’air froid et mouillé s’engouffra dans le vestibule. Silas grimaça, non pas en raison des mauvaises conditions climatiques qui s’invitaient chez lui, mais parce que sous le porche se dressaient comme trois statues (rappelons que les gargouilles sont aussi une forme de sculpture) les trois vieilles. Elles lui lançaient toutes les trois le même regard mi-aveugle, mi-accusateur.
—     Mesdames, se réjouit-il avec une fausseté polie. Quel bon vent vous amène !
—     Quel bon vent ? Tu te moques de nous ? renifla Hortensia. Tu vas nous laisser encore longtemps poireauter là, à nous transir de froid sur ton perron, voleur de pommes ? Faut-il vraiment qu’on t’implore pour nous mettre au sec ?
Silas s’écarta. Les trois vieilles défilèrent devant lui, le nez haut, dans une danse agitée de cannes heurtant le plancher. Elles étaient toutes les trois en grand uniforme, des gilets par-dessus des chandails eux-mêmes recouvrant un ou plusieurs cardigans. Des couches de laines, de tissus, au motifs géométriques sombres et austères tombaient jusqu’à leurs bottines aux semelles épaisses et crottés. On pouvait aussi distinguer un certain nombre de jupons et peut-être ce qui s’apparentait à un tablier, pour enfin apercevoir l’élément primordiale, l’extrémité usé par le temps d’une longue robe noire. De plus, en raison du froid, ce n’était pas un mais trois foulards qui ceignaient leurs chevelures grises. Sans rien demander, elles prirent place autour de la table, chacune sur l’une des trois chaises qui l’entouraient.
Silas leur emboita le pas et, puisqu’il n’y avait plus de place disponible pour s’asseoir, resta debout, les bras croisés.
—     Ça sent les petits pois trop cuits, remarqua Hortensia.
Un vague hochement de tête des deux autres confirma ses dires.
—     Heureusement que j’ai apporté quelque chose pour la petite, marmotta Ésmeranda.
Elle plongea sa main décharnée dans une poche profonde de son accoutrement, pour un extraire un torchon visiblement bien garni.
—     Pousse, appela-t-elle. J’ai les madeleines que tu apprécies tant.
La petite fille s’approcha en sautillant. Tout sourire, elle joignit les paumes de ses mains face à la vieille dame. Cette dernière y déposa une bien jolie gourmandise, dorée à point, aux fragrances fort appétissantes.
—     Merchi tatie Échmé ! Ch’est un délich ! remercia l’enfant tout en mastiquant la première bouchée.
Les trois vieilles partagèrent un sourire amusé.
—     En voilà une enfant polie, et avec bon appétit ! Ça fait plaisir à voir ! Prends encore des madeleines, n’hésite pas. Ésmeranda les a cuisinées exprès pour toi, l’invita Hortensia.
Silas ne partageait pas le moins du monde l’enthousiasme de sa fille. Était-ce parce que lui n’avait pas le droit aux madeleines appétissantes ? Ou alors était-ce parce qu’il était debout, prostré contre un des murs de son propre salon ? Eh bien, il ne s’agissait rien de tout cela. Il décida qu’il était temps d’en venir au fait.
—     Vous êtes bien sûr les bienvenues, toutes les trois, maugréa-t-il. Que nous vaut l’honneur de votre visite ? Vous avez bravé un bien mauvais temps pour nous…
—     Cesse donc tes salamalecs, fossoyeur. On sait que t’es pas ravi de nous voir, grimaça Mégane.
Silas se raidit. C’était la première phrase qu’elle prononçait. Bien qu’il s’imaginât bien que les vieilles n’étaient pas venues pour faire un brin de causette dans sa chaumière, le ton tranchant le fit frémir. C’était une sorcière, après tout. Il le savait, il en avait la preuve, il l’avait vue à l’œuvre. Bon. C’était pour aider Pousse, mais les dieux savaient de quoi d’autre cette vieille était capable. Lui, en revanche, ne pouvait que le deviner et son imagination, dans ce domaine comme dans tant d’autres, ne lui disait rien qui vaille.
—     Quel genre d’hôte es-tu donc, jeune voleur ? Tu restes planté là, à prendre racine comme un vieil olivier, au lieu de nous proposer un peu d’eau de café ? Nous avons fait notre part, non ? en apportant des gourmandises. Dois-je te rappeler que nous sommes frigorifiées et qu’une boisson chaude réchauffera nos vieux os ? siffla Hortensia.

Silas resta les bras ballants.
—     Heu… baragouina-t-il. Oui, bien sûr, je m’en occupe tout de suite !
Il allait s’en retourna quand Hortensia l’arrêta.
—     Attends ! Non. Tu serais bien incapable de faire de la bonne eau de café. Ésmé va s’en charger. Tu veux bien, Ésmé ?
La vieille hocha la tête.
—     Comme disait ma grand-mère, commença-t-elle, si tu veux que quelque chose soit bien fait, fais le toi-même.
Silas étouffa un cri de rage. Ces vieilles ! Ce qu’elles pouvaient être agaçantes quand elles s’y mettaient ! Puis, in petto, avec un soupçon de malice, il se demanda bien lors de quel siècle la fameuse phase avait pu être prononcée, étant donné l’âge des différentes protagonistes. Cette pensée-là, il la garda bien pour lui, se jurant de la ressortir à Colomban, persuadé que ce dernier apprécierait à sa juste valeur cette petite note d’humour.
La vieille se leva, passa devant lui le nez haut.
—     La cuisine est bien par-là, j’imagine ?
—     Heu, oui.
Il lorgna alors sur la chaise laissée vide mais, avant même que cette pensée ne se concrétisa réellement dans son esprit…
—     Tu ne comptes quand même pas voler la chaise d’une vieille dame sans défense, n’est-ce pas, jeune Picsapin ? Ma pomme ne t’a-t-elle pas suffi ?
Silas soupira. Pour être tout à fait exact, il s’agissait bien davantage d’un soupir intérieur, mais un peu d’air lasse s’échappa néanmoins de sa bouche.
—     Notre présence t’ennuie ?
Il se contracta.
—     Ho non non, pas du tout, pas du tout, voulut-il la détromper. J’ai grande hâte de connaître le motif de votre présence, à toutes les trois… en même temps…
La vieille Hortensia se tourna vers sa consœur Mégane, l’air à la fois satisfait et grave. Les deux femmes partagèrent un regard appuyé.
—     Bien. On n’est pas venues pour rien, t’imagines bien.
Le fossoyeur hocha la tête.
—     J’imagine bien, oui.
Ce fut Mégane qui déclencha les hostilités.
—     Où en est l’apprentissage de l’enfant ?
Silas se décontracta. Ce n’était donc que ça ! Il suffirait de leur dire la vérité, et le tour serait joué. Tout le monde s’en repartirait, et cette affreuse soirée prendrait fin.
—     Elle sait à peu près lire, désormais, dit-il. - il n’eut même pas à mentir ! – Je comptais justement l’accompagner chez Malak la semaine prochaine, pour qu’elle puisse y continuer son enseignement.
La vieille opina imperceptiblement.
—     Voilà une bonne chose.
—     Oui, reprit Hortensia, une bonne chose.
Dans le dos du fossoyeur, depuis la cuisine où une casserole d’eau chauffait :
—     Une très bonne chose ! Où est le café ?
—     Dans le placard, sur vot’ gauche, indiqua-t-il. Oui, oui, Pousse et moi avons hâte d’en finir. N’est-ce pas, Pousse ?
La petite hocha la tête, sans rien ajouter si ce ne fut quelques bruits de mastication. Elle en était à sa troisième madeleine et ne comptait certainement pas s’arrêter en si bon chemin.
—     Bon ! Bon, bon, bon, continua le fossoyeur. Eh bien, c’est parfait ça, si tout le monde est content !

Silas espérait, suppliait les dieux, les déesses et tout le panthéon qu’il connaissait d’êtres plus ou moins divins que tout cela s’arrêtât maintenant. Il ne le savait pas encore, mais il était encore loin du bout du tunnel.
—     J’apporte le café ! Attention, c’est chaud !
Ésméranda trottina devant lui, avec trois tasses fumantes. Elle les disposa devant ses deux consœurs, et prit la dernière pour elle. Dans le silence le plus total – hormis la fillette qui mangeait toujours – et dans un même mouvement, elles se mirent à souffler presque imperceptiblement sur la vapeur qui s’élevait depuis les tasses emplies de liquide marron clair.
—     Tu fréquentes une femme.
Hortensia avait lâché cette phrase, non comme une question, mais comme s’il se fut agi d’une constatation. Silas fronça les sourcils.
—     Non.
Il avait répondu sur le même ton d’une affirmation sans contestation possible.
—     Ha ? s’enquit Hortensia. La jeune femme qui sert actuellement au Poney Pochtron n’en est pas une ?
Comment savaient-elles ?
—     Vous m’espionnez ?
Les trois vieilles s’entre-regardèrent.
—     Bien sûr que non ! les défendit Ésméranda. Pourquoi voudrais-tu que nous t’espionnions ? Nous savons écouter, c’est tout.
—     Et voir, aussi, ajouta Mégane.
Ésméranda hocha la tête.
—     Oui, et voir. Et nous t’avons vu en compagnie d’une femme, accusa-t-elle.
Silas mobilisa l’entièreté de ses cellules grises. Elles se rangèrent en rang de batailles serrées, prêtes à l’assaut.
—     Chez moi ?
—     Oui, chez toi.
L’homme allait partir dans une colère noire mais il croisa à temps le regard de Pousse. La petite fille le dévisageait, s’inquiétant de sa réaction. Il ne voulait pas lui causer du souci. Il respira un grand coup.
—     Et donc ? Une dame n’a-t-elle pas le droit de franchir ma porte sans éveiller vos reproches ? Vous désapprouvez ? Vous trouvez cela inconvenant ? Sachez toutes les trois que je n’ai pas grand-chose à faire de vos jugements. Oui, d’accord, elle est venue ici, et sans chaperon de surcroit ! Et alors quoi ? Vous allez me gronder ?
Il croisa ses bras encore plus fort. Quand bien même lui non plus n’avait pas apprécié la visite de Saria – enfin… ses sentiments à ce sujet étaient toujours ambivalents – il ne supportait pas qu’on vînt chez lui le lui reprocher. Surtout ces trois-là.
—     Tu te méprends, fossoyeur, le détrompa Mégane. Nous ne t’accusons pas de fréquenter une femme.
—     Bien que celle-ci soit un peu jeune pour toi, continua Ésméranda.
—     Et trop jolie, acheva Hortensia.
La vieille lui lança un regard perçant.
—     Nous ne parlerons pas non plus du fait que ton deuil est à peine entamé. Et que tout cela est fort inconvenant, non. Nous n’en parlerons pas.
À ces derniers mots, les yeux de Silas furent à deux doigts de s’extraire de leurs orbites.
—     Moi, ch’aime bien m’dame Charia, intervint Pousse. Elle est chentille.
La petite fille souriait, absolument imperturbable aux quatre paires d’yeux qui venaient de se poser sur elle. Elle mordit dans un bout de madeleine à pleine dent.
—     Ton papa et toi avez bien le droit d’inviter de gentilles dames chez vous, se radoucit Hortensia. Ce qu’il y a… - elle détacha son regard de la fillette pour le poser lourdement vers Silas – C’est qu’elle est pas du coin.

« Voilà donc le fond du problème » comprit le fossoyeur.
—     Et donc ? grogna-t-il.
La cheffe du couvent soupira et porta la tasse à ses lèvres fines et crevassées de rides profondes, avant de la reposer, devant elle.
—     Ton eau de café est exquise, comme d’habitude, Ésmé. Dommage que le café de Picsapin ne soit pas à la hauteur de ta préparation… - ce dernier répondit d’un grognement - Pour en revenir à notre affaire, fossoyeur, comme je te le disais, cette jeune femme n’est pas du coin. On ne la connait pas, et toi non plus. La seule chose qu’on a pu apprendre d’elle, c’est qu’elle travaille dans ce lieu de perdition qu’est le Poney Pochtron et que, je cite, elle a un fessier d’enfer. Pardonne-moi mes propos. Nos sources sont à l’image de ceux qui fréquentent cet endroit détestable. Cela ne donne pas beaucoup de renseignements quant à sa probité et cela ne nous rassure pas. Nous avons donc préféré venir jusqu’à chez toi pour te prévenir.
L’homme redressa la tête, les sourcils en accent circonflexe.
—     Me prévenir ? Mais de quoi ? C’est juste une personne gentille qui a trouvé un emploi dans la taverne locale, qui est nouvelle à Calmélieu et qui cherche à se faire des fréquentations ! Ça ne va pas plus loin ! Par la Peste !
Mégane se redressa. Tout à coup, elle parut plus grande, moins vieille, bien plus impressionnante. Silas se ratatina contre le mur.
—     Je vais en venir au fait, puisque tu sembles ahuri ou bien que tu fais exprès de ne pas comprendre. As-tu déjà rencontré des agents du Vice-baron, jeune Picsapin ? Sais-tu à quoi ils ressemblent ? – l’homme fit non de la tête – Ha ? Vraiment ? Eh bien saches que nous non plus, nous n’en avons jamais croisés. Pourtant, nous savons qu’ils existent, qu’ils sont continuellement parmi nous, et que parfois, ils agissent. Dès lors, il y a des disparitions, des gens qui du jour au lendemain se retrouvent inculpés de magie contre le Baron, et qui finissent mal. Figure-toi qu’ils ne frappent pas à ta porte en agitant leurs beaux uniformes, qu’ils te demandent aimablement si tu ne connaitrais pas un magicien ou une sorcière et qui s’en retournent poliment dans leurs vastes bureaux en s’excusant du dérangement. Non. Ils ne font pas ça. Et toi, tu es bien mal placé si d’aventure ils te prenaient pour cible. Tu dois agir avec prudence, avec une extrême prudence. Il en va de ta santé à toi, de celle de ta fille… et de la nôtre. Je ne dis pas que la jeune serveuse est forcément un agent des renseignements. Mais si c’était le cas, sa profession ne serait pas indiquée à la peinture rouge sur son front. Me suis-je bien fait comprendre ?

Silas, hébété par le discours de la sorcière, ne put qu’acquiescer en baissant le menton. Hortensia se leva également.
—     Bien. On a dit ce qu’on avait à dire. Fais bien attention, fossoyeur. Allez les filles, on y va.
Les deux autres lui emboîtèrent le pas, dans le même concert de cannes.
Ésméranda tendit le torchon – bien moins garni que lors de son arrivée – à Pousse.
—     Tiens, ma chérie, c’est pour toi.
La porte s’ouvrit, laissant entrer un courant d’air plus froid et plus humide encore que tantôt. Le silence s’abattit ensuite comme une chape de plomb sur le salon. Pousse contemplait d’un œil vide la porte qui venait de se refermer.
Silas, qui n’avait pas bougé du mur, serra les poings. Il se sentait humilié, venant de se faire vilipender comme un marmot.

« Le pire, pensa-t-il, c’est qu’elles ont raison. »

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