Chapitre 5: Mafia italienne, chats²—ah, plus de chats².

Par Milo.rd

Chapitre 5: Mafia italienne, chats²—ah, plus de chats².

ˢᵘᵖᵉʳᶰᵒᵛᵃ

 

<<- Je suis un peu nerveuse…Avoua Chiara. Claire était en train de sortir sa guitare de son étui, assise en tailleur sur le bord de la fontaine. Sa camarade était debout sur ses deux jambes, crispée. La brune passa la sangle de sa guitare autour de son cou habilement, avant de reporter son attention sur elle, insondable.

- Pourquoi ? Questionna-t-elle, en dépit du fait qu’elle connaissait déjà la réponse.

En réalité, elle-aussi. Elle avait déjà joué devant un public, bien sûr; par exemple, lors des concerts de fin d’année (auxquels Félix avait autoritairement inscrit leur groupe), des compétitions entre lycées qu’ils n’avaient jamais remportées (Félix…) et autres représentations très divertissantes et tout-à-fait consenties (…). En revanche, elle n’avait encore jamais joué dans la rue.

Quelques curieux leur lançaient des regards en coin scrutateurs plus ou moins discrets en les dépassant. Deux, trois personnes maximum. Il n’y avait jamais beaucoup de passage sur cette place. Elle était surtout connue pour ses fontaines, qui étaient déjà arrêtées, en prévision de l’hiver. Les températures commençaient à refroidir, graduellement. Pas encore assez toutefois pour décider la musicienne à revêtir le pull qu’elle gardait dorénavant roulé en boule dans le fond de son sac, ou pour décourager Chiara de porter sa jupe longue blanche doublée de mousseline, laquelle bruissait contre ses mollets au moindre souffle de vent. Seules quelques feuilles mortes délaissées venaient chercher refuge contre la mosaïque noire carrelant le fond du bassin vide.

- Tu sais bien...Jouer devant des inconnus...Hésita son interlocutrice en se grattant la joue, incertaine. Je sais que c’est moi qui ai proposé de faire ça, et je ne regrette pas…Mais je me dis que finalement, ce n’est peut-être pas une bonne idée…

Un ange passa. La musicienne acquiesça d’un mm songeur, le regard perdu dans le vide. C’était suffisant pour qu’elle comprenne. Comment définir cela ? Être conscient de nos moindres défauts, de notre présence qui désharmonise un équilibre rigoureux. Le sentiment de se noyer dans le regard des autres, parfois critique et malveillant. Parfois critique et malveillant, seulement pour nous, car interprété de la mauvaise manière: chaque personne de la foule vous méprise alors. Seul face au monde, prêt à vous happer à la moindre erreur. Claire passa sa main derrière sa nuque en se penchant en arrière, émettant de nouveau un mmmm plus appuyé et concerné, cherchant ses mots.

- Tu as juste peur, en fait. Asséna-t-elle finalement en plissant les yeux. Chiara.

Ce n’était définitivement pas ce qu’elle voulait dire.

L’interpellée se renfrogna, émettant dans le même temps un semblant de gasp dramatique.

- Quoi ?! Pas du tout ! S’offusqua-t-elle en posant la main sur son cœur, avant de prendre une expression exagérément peinée. Je ne te pensais pas aussi sournoise, Claire. Je suis…Vraiment dévastée par la découverte de ton double-visage…!

Claire fixa son interlocutrice, désabusée. Le coin de ses lèvres tiqua imperceptiblement. Pitié.

- D’accord. Accepta-t-elle néanmoins seulement placidement. Partons, dans ce cas. C’est contre-productif de te forcer. On essaiera un autre jour…-

- Non !

Chiara dérapa jusque devant elle dans un crissement aiguë de semelle, les bras écartés comme pour l’empêcher de s’enfuir.

- C’est bon, je vais le faire ! Assura-t-elle farouchement, résignée, alors que ses mèches blanches dérangées par son mouvement brusque retombaient devant ses yeux en un rideau éparse inégal. On va le faire ! Si tu tentes de t’enfuir, je te plaque au sol. Menaça-t-elle encore en l’attrapant par les épaules résolument, les yeux plongés dans les siens.

Claire esquissa un sourire en coin, amusée. Mh.

Elle laissait passer pour cette fois le fait qu’elle ait (encore) annexé son espace vital.

- Pourquoi tu appuies autant sur le on ? C’est louche, j’aime pas.

- Tu t’es engagée. On est ensemble dans ce foutoir. Lui rappela son interlocutrice assurément, ses mains toujours sur ses épaules. Camarade.~ Chantonna-t-elle suavement, un large sourire fendant son visage.

- Je me sens menacée.

- Pfu.

Chiara pouffa. Claire la contempla quelques instants, silencieuse. Elle ne savait pas vraiment comment elle avait fait mais, visiblement, elle lui avait donné du courage (?). Tant mieux. La volleyeuse était plus naturelle lorsqu’elle riait avec son air idiot bienheureux que lorsqu’elle se tourmentait, avec son air idiot appréhensif. Dans tous les cas, elle avait un air idiot. La brune reporta son attention sur la place en se râclant la gorge, embarrassée.

- Enfin. Comme tu veux. Dans tous les cas…Fais le pour toi, pas pour les autres. Tu sais, comme tu l’as dit l’autre jour…Reprit-elle pour ramener sa concentration à elle, laquelle avait déjà commencé à dériver. C’est peut-être la seule fois de ta vie que tu fais quelque chose comme ça. Alors, donne tout, ou ne le fais pas. Enfin, je ne te dis pas de ne pas le faire, hein, et je ne veux pas te mettre la pression. Fais ce que tu peux, enfin, pas dans le sens où tu ne peux pas faire plus, mais dans le sens où…-

- Est-ce que tu m’encourages, là ?

- Ou…Ouais. Désolée.

- Pourquoi tu t’excuses ? C’était juste pour être sûre. C’est mignon, en fait.
- Ce n’est pas… ?!

- Il doit certainement exister un juste milieu entre toi qui t’excuses tout le temps, et moi qui ne m’excuse jamais. Je me demande ce que c’est, maintenant.

-…Je pars. Décréta lassement la musicienne, exaspérée.

- Non, s’il te plaît ! C’est bon, j’y vais.>>

La musicienne eut une moue circonspecte. La volleyeuse semblait toutefois avoir compris le message, et par quelques magies obscures, il semblait l'avoir motivée (?). Chiara sortit son instrument avec timidité et, laissant la boîte à ses pieds, souffla longuement pour rassembler son courage. Elle leva le tambourin…

Et se dégonfla. La lycéenne se laissa choir de nouveau rigidement sur le bord de la fontaine, comme si rien ne s’était jamais passé.

<<- Ahah-ah…Tu ne veux pas…En faire une toute seule pour commencer…? Questionna-t-elle d’une voix blanche, livide, son instrument sagement posé sur ses genoux.

- Attends, quoi.

- Fais-le, toi. Répéta son accompagnatrice du même ton, premier degré.

- Pardon ?!>> S'exclama Claire, tombant des nues devant le culot de son amie.

Chiara passa ses bras autour d’elle sans prévenir. Les cordes de la guitare émirent des notes dissonantes en frottant contre ses vêtements. Et puis, elle frotta sa tête contre la sienne, l’étranglant presque tant sa prise était forte.

<<- S'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît ! Martela-t-elle d'un air suppliant tragique. Je suis une jeune fille to-ta-le-ment désemparée ! Insista-t-elle, le menton levé vers elle pour lui adresser des yeux de chien battu.

Le ciel de ses iris était si près. Chiara ne semblait pas réaliser la proximité entre elles; Claire devait quasiment loucher pour voir son visage—qu’elle ne voulait pas voir, de toute façon.

- Je vois ça...Maugréa la brune, la bouche sèche.

Elle la repoussa d’une main tout en esquivant obstinément son regard, totalement impassible.

Une voix intérieure criait en elle depuis quelques minutes. Si elle devait résumer ce qu’elle disait, cela rendrait quelque chose comme: aaaaaAAAAAAAAAA ?! La guitariste ferma les yeux, en intense concentration pour ne rien laisser paraître. Voir les étoiles dans ceux de sa camarade faisait palpiter son cœur douloureusement.

C’était l’apocalypse.

- Cha veut dire ouich ? Hasarda son interlocutrice, sa joue pressée contre sa paume déformant sa voix.

- Ça veut dire non. Soupira la brune, consternée.

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa…La voix continuait d’hurler, mais n’était plus qu’un fond sonore dérangeant, du même genre qu’un acouphène. La volleyeuse changea de stratégie, se détachant (enfin) d’elle.

- J’ai payé ton repas. Argua-t-elle en la pointant du doigt d'un air accusateur.

- Je te ramène tous les soirs.

- Je te donnerai du lait à la fraise…?>>

Un ange passa; un nouveau. Peut-être le paradis organisait-il une sortie scolaire.

<<- Est-ce que tu es en train d’essayer de m’acheter avec du lait à la fraise…?>> Répéta Claire dubitativement pour s’assurer d’avoir bien entendu.

Chiara piqua un fard, mais conserva son air sérieux, déterminée. La guitariste souffla par le nez pour ne pas soupirer carrément. Sérieusement

<<- Tu sais quoi ? OK. Arrête juste de faire cette tête, c’est bizarre. Abdiqua-t-elle en emmêlant ses doigts avec ses cheveux lassement, exténuée. Mon Dieu, ce que tu ne me fais pas faire…

Un large sourire étira les lèvres de sa camarade, qui leva les pouces dans sa direction, ravie.

- You got this !

La musicienne lui retourna un regard torve appuyé. Le culot de cette fille, vraiment...Elle soupira profondément, ses épaules s’affaissant. C’était bientôt terminé. Se réconforta-t-elle pour se donner du courage. Après ça, une case de plus: une case de moins.

La lycéenne inspira encore calmement pour pouvoir faire abstraction de son environnement, et surtout de la personne agaçante (dont le nom ne sera pas citétousseChiaratousse) installée à côté d’elle. Par quelque miracle inespéré, elle y parvint.

Seulement alors commença-t-elle à gratter sa guitare. Des notes mélodieuses vibrèrent dans l’air.

Chiara sonda les alentours avec enthousiasme, cherchant le regard des passants qui leur accordaient de brefs coups d’œil avant de poursuivre leur route. Son visage curieusement rayonnant de fierté et d’excitation attirait plus l’attention que la prestation de la musicienne en elle-même.

Cette dernière jouait sans se préoccuper de son énergie débordante, repliée dans son propre univers, inatteignable. Ses doigts faisaient vibrer les cordes avec justesse, selon une mélodie bien définie.

La jeune fille aux cheveux blancs profita de sa concentration pour examiner ses traits plus en détail, sans risquer sa moue circonspecte (automatique maintenant) embarrassée de ‘’wtf, Chiara’’.

Dans la vie de tous les jours, ils étaient toujours tirés.

Elle remarqua que son amie avait de discrètes taches de rousseur sur le nez, et un grain de beauté au-dessus de la paupière. Plusieurs, en fait, qui formaient une Petite Ourse sur sa peau. Comme pour trouver la constellation dans le ciel de minuit, il fallait observer soigneusement son visage pour l’apercevoir.

Quelques mèches de ses cheveux tombaient devant ses yeux, et bougeaient en même temps qu'elle. Elle réalisa alors qu’elle la fixait d’un air inquiétant, et papillonna des paupières avant de détourner hâtivement le regard, gênée.

Une vieille dame passa devant elles. Elle s’arrêta un instant pour fouiller dans son sac. Chiara reporta son attention sur elle, soulagée d’avoir un autre sujet d’observation pour se changer les idées. Elle l’observa sortir une pièce pour la laisser tomber dans l'étui de guitare au sol, avant de lui adresser un sourire bienveillant. La volleyeuse lui rendit avec un engouement croissant, radieuse. Claire venait de gagner une pièce ! Elle se retint d'interpeller son amie pour lui dire, étant donné qu'elle interprétait une musique...À sa demande. Heureusement, Claire termina peu après. Chiara trottina aussitôt vers l'étui de guitare pour récupérer le bout de métal scintillant, sa jupe ondulant contre ses mollets.

<<- Claire, regarde ! S’enthousiasma-t-elle en lui présentant la pièce, la saisissant entre deux doigts.

L’interpellée esquissa un sourire en coin discret, émettant un heh grave railleur pour toute réaction. Le soleil se répercutant contre le métal le fit briller brièvement, lui donnant des airs d’item spécial trouvé dans les jeux vidéo.

- W-o-w, une pièce.

Chiara roula des yeux.

- Ce n’est pas qu’une pièce. Corrigea-t-elle très sérieusement, les sourcils froncés. Ça représente le sourire d'une vieille dame.

- C’est totalement illogique.

La volleyeuse tira la langue à son attention.

- Non, c’est poétique.

- C’est…Pareil…?

- Quoiqu’il en soit, celui-là est pour moi !

Elle glissa la pièce dans sa poche. Claire haussa les épaules, tirant distraitement sur les cordes de son instrument.

- Comme tu veux. Accepta-t-elle. J’ai déjà le tien, ça me suffit.>>

Chiara suspendit ses mouvements, surprise. Oh. Elle la fixa intensément, ses joues se teintant progressivement d’un rouge pâle faisant détonner d’avantage le bleu de ses yeux arrondis.

La guitariste releva la tête, son attention captée par son regard.

<<- Un problème ?

La volleyeuse tressaillit, sortie abruptement de ses pensées. Un ah ! serré lui échappa. Elle secoua cependant la tête négativement pour la détromper, ses mèches blanches glissant contre l’arrête de son nez.

- Non, non. Pas le moindre. Enfin bref !>>

Elle se détourna prestement pour s’avancer d’un pas, dans un bruit de cymbales de son instrument serré entre ses mains. Ses oreilles étaient écarlates.

<<- Récoltons pleins de sourires !>> Se motiva-t-elle, déterminée, en le brandissant au-dessus d’elle comme Simba l’avait été dans le roi lion.

Seul son dos était visible pour la guitariste. Cette dernière esquissa un sourire discret.

Et elle, elle avait le sien.

<<- Alors, combien ?

- Ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est les sourires qu’on a récolté ! Chantonna avec conviction la jeune fille, triant les pièces qu’elles avaient récoltées dans sa paume gaiement.

- Combien. Répéta son amie, blasée.

Sa guitare était déjà rangée dans son étui, lui-même sanglé dans son dos. Le soleil commençait à descendre dans le ciel, inondant les alentours d’une lumière dorée chaleureuse allongeant leurs ombres sous leurs pieds.

-…Soixante-quinze centimes.

- Pff…- Kof, kof.

Claire rigola; elle se détourna, simulant une quinte de toux sèche pour ne pas vexer son interlocutrice. Peine perdue.

- Arrête de rire ! S’indigna cette dernière en la frappant de son tambourin, rouge de honte. Pourquoi tu es comme ça ?!

Tidlingling.

- Ow ! Protesta la brune en se cachant dans ses bras, hilare. D’accord, j’arrête, désolée !

- Espèce de malotrue ! Tu n’es pas du tout désolée !

- Non, c’est vrai.>>

Tdlingling—lingling.

<<- Aïe !>>

■ "Donner un concert de rue".

 

Claire s'affala sur son pupitre.

- Mon dieu…Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Questionna Cassiopée, consternée.

- Je suis exténuée.

- Comment c'est possible ? Interrogea-t-elle, perplexe.

Elle avait suspendu ses mouvements pour la dévisager, de ce même air scrutateur qu’elle prenait toujours lorsqu’elle examinait un problème. La musicienne enfouit son visage dans ses bras; plus car la gravité était plus forte que sa volonté que pour se dissimuler, bien qu’il y ait de ça, aussi. Ce serait plus simple si elle pouvait simplement téléverser ses pensées dans l’esprit de la malgache; or elle ne le pouvait pas, et pire, elle ne choisissait même pas celles qui se trahissaient sur son visage. Cassiopée avait la désagréable habitude de lire en elle comme dans un livre ouvert, surtout dans les moments où elle ne voulait absolument pas qu’elle le fasse; nul besoin de lui faciliter la tâche, donc.

- J'ai fait beaucoup de choses, cette semaine. Grommela-t-elle d’une voix monotone étouffée par sa position.

- Comme ? S’intrigua son amie.

Claire leva quelque peu la tête pour la regarder. Ce serait plus simple de communiquer, certes. Or, tous ces mots étaient lourds, impossibles à prononcer. Ses phrases sonnaient faux dans son esprit, et beaucoup trop longues. Elle n’avait même pas l’énergie de les commencer. En concurrence contre le faint volume sonore bruissant dans salle, elle se sentait totalement dépassée. Elle devrait forcer sur sa voix pour se faire entendre, articuler. Les étapes se démultipliaient derrière son front, terminant totalement de la décourager. Elles rendaient une chose simple si compliquée. Elles rendaient une chose simple si éprouvante. Et au final…

Parler lui paraissait être une épreuve insurmontable.

- Je ne sais même pas par où commencer...>> S’accabla-t-elle en enfouissant de nouveau son visage dans ses bras, ses cheveux bruns glissant contre le bureau en mèches irrégulières décoiffées.

Cassiopée patienta, attentive. Après quelques minutes, elle attrapa l’un de ses crayons. Elle attendit que son amie rassemble ses idées en s’efforçant de le faire tenir en équilibre verticalement, le posant sur le bois dans un tap discret: engaillardie par son succès, elle entreprit de répéter la chose avec le reste de sa trousse.

<<- Qu'est-ce que…? Commença Claire, son attention attirée par son silence et l’armée colorée menaçante (pas vraiment) de papeterie ayant envahi son bureau.

Le coin de ses lèvres tiqua, alors qu’elle clignait des yeux répétitivement comme pour s’assurer qu’elle n’inventait rien.

- Chut.>>

La malgache la coupa sans la regarder, fascinée par son œuvre d'art, qu’elle admira fièrement.

<<- Heh. Je suis tombée dans un univers parallèle ?

La guitariste se tourna sur sa chaise pour dévisager le reste de la classe, s'attendant presque à trouver ses camarades changés en d'étranges créatures, ou quelque chose du genre.

Non, cependant. Ou rien de notable, du moins.

Ou alors, ils étaient déjà d’étranges créatures, et rien n’avait changé. Elle les dévisagea alors qu’ils quittaient la salle joyeusement, plus qu’ils ne l’étaient en tout cas en y entrant.

- La seule personne étrange ici, c'est toi. Répliqua posément sa voisine, utilisant ses dons surnaturels pour lire dans son esprit (comme elle le redoutait). On n'a même pas encore repris les cours depuis trois mois, que tu as déjà l’air sur le point de…

Elle leva un doigt et se concerta quelques secondes, avant d’appuyer sur un fluo pour le faire tomber en avant. Ce dernier bascula, entraînant d’autres crayons dans sa chute, qui en entraînèrent d’autres eux-mêmes. Effet domino: ses soldats fût décimés.

- T’écrouler.

Elle désigna sa camarade.

- Ce n'est pas comme si tu travaillais, pourtant.

- C'est vrai que je ne fais pas de mon mieux...>> Concéda l'interpellée faiblement, insondable.

Claire se mura dans le silence, fixant son bureau sans vraiment le voir. Non, elle ne faisait pas de son mieux. Ou alors, peut-être que si ? Peut-être que son mieux n’était queÇa. Les formes étaient floues, les couleurs diluées. La guitariste ferma les yeux.

Elle était juste fatiguée.

Cassiopée rapprocha son pupitre du sien dans un raclement sourd dissonant. Elle rapprocha ensuite sa chaise, dans un autre raclement plus léger.

<<- On sait toutes les deux que ce n’est pas ça le problème. Alors, dis-moi ce: qu'est-ce qui te tracasse tellement ?

- Aw, bae. Railla la brune, allongée au travers de son bureau, la tête maintenue par son bras. Tu t’inquiètes pour moi ?

- Réponds moi.

Cassiopée copia sa posture, plongeant ses prunelles profondes dans les siennes. Ses cheveux glissèrent contre ses épaules souplement, tombant en boucles délicates contre ses genoux, ou échouant contre sa mâchoire. Elles étaient à une feuille A4 l’une de l’autre, seulement séparées par un champ de bataille et ses soldats renversés.

- Je dois juste avoir un coup de mou.

- Est-ce que ce coup de mou s'appelle Chiara ?>> Assura plus qu’elle ne questionna son interlocutrice soupçonneusement.

Une ride de circonspection s’était creusée entre ses sourcils arqués. La guitariste pinça les lèvres et baissa le regard vers ses mains. Mhhh.

<<- Tu ne l’aime pas beaucoup.

- C’est un euphémisme.

- Chiara n’est pas une mauvaise personne.

- Tu es comme ça à cause d’elle ?

- Non. Claire secoua la tête presque imperceptiblement. Ce n’est la faute de personne, sinon de moi-même. Tu sais, je suis un peu défaillante, parfois. Ça me passera.

Ce qui n’était pas tout-à-fait vrai. Ça ne passait jamais, jamais. Le sentiment devenait juste plus effacé, comme un souvenir lointain auquel on ne pense plus sur le moment, mais qui n’est jamais oublié. Comme une marée basse. Il s’efface, mais il revient toujours. Parfois, il était si fort qu’il la submergeait. Parfois, il était juste là. Là, avec elle: ce sentiment pesant sur ses membres, l’empêchant de bouger le moindre muscle en dehors de ses paupières, parfois. Elle fixait son plafond, sentant inexorablement les secondes passer, couler sur elle comme de l’eau sur du tissus imperméable, et le monde, bouger, autour d’elle, la terre tourner, la vie, continuer. Elle n’en faisait pas partie. À chaque seconde, elle se sentait de plus en plus mal de ne rien faire; de ne pas travailler, dessiner, dormir, crier même, n’importe quoi. Elle ne pouvait pas. Elle était un cadavre dans un corps en vie. Elle fixait son plafond; sur son lit, ou par terre, souvent. Inexorablement, elle se sentait de plus en plus mal, de plus en plus coupable, de plus en plus inutile et de plus en plus morte. Parfois, elle n’était pas triste, lasse ou en colère. Elle était juste malade de ne pas être capable de manger, de ne pas être capable de prendre une douche. Chaque action à faire se détaillait avec une précision infinie, et elle était si dépassée et impuissante que même l’imaginer la vidait de ses forces. Alors avec beaucoup d’efforts, souvent, elle fermait juste les yeux.

Et elle attendait que la marée reflue.

- Tu n’es pas défaillante.

Claire esquissa un sourire.

- Non.>>

Elle détestait mentir.

La sonnerie résonna; elles étaient seules dans la classe. Personne ne restait, lorsqu’ils avaient cours d’SES, ou alors seulement les plus hardis et les plus pauvres (qui ne pouvaient se réfugier à la cafétéria). Le professeur en charge n’était venu que quelques fois; l’expérience ne lui avait visiblement pas plu, car il était depuis porté disparu. Elle ne savait pas exactement dans quelle catégorie Cassiopée et elles se plaçaient.

<<- On y va ?

Cette dernière s’était levée, son sac en bandoulière passée autour d’elle. Ce jour-là, c’était un sweatshirt My Chemical Romance froissé par le sèche-linge qui lui tombait sur les cuisses. Qu’est-ce qu’elle était belle, se dit une nouvelle fois la brune en l’examinant.

Son amie ne laissait jamais ses affaires seules. Contrairement à elle; son sac à dos était encore grand ouvert, laissé en plan au pied de son pupitre. Il n’était de toute manière rempli approximativement que de son carnet de liaison, et de sa carte de bus vide. Que ce soit pour l’un comme pour l’autre, leur vol l’arrangerait presque.

- Je suis prête.>>

 

Un attroupement de lycéens se pressant et se bousculant dans le couloir empêchait Claire et Cassiopée de sortir de leur salle. Cette dernière tira la brune en arrière pour la ramener sur le pas de la porte, afin d’éviter qu’elle ne se fasse emporter par la marée humaine; ce qui avait manqué de se produire à cause de son manque d’attention. La guitariste lâcha seulement un wow ténu en revenant sur Terre. Elle cligna des yeux.

<<- Heh ? Émit-elle. Le prof d’SES est revenu ?

- Tout ça pour lui ? Jamais de la vie. Réfuta la malgache en se hissant sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir quelque chose par-dessus les têtes de leurs camarades.

Son interlocutrice remarqua qu’il n’y avait, du moins de ce qu’elles pouvaient voir, que des lycéennes.

- C’est bizarre, il n’y a personne dans les couloirs pendant la pause, d’habitude.

- Allons voir ! S'exclama son amie, sa curiosité s’enflammant à cause de tous ces mystères.

- Cass…!>>

Claire n’eut pas le temps de répondre que Cassiopée se frayait déjà un passage dans la foule avec force coups de coudes et bousculades, motivée nul doute par le mystère englobant ce regroupement imprévu. Elle fût engloutie, dans un dernier ‘’poussez-vous, starfoullah’’.

<<-…Ie…Ah.>> Termina la musicienne en passant sa main derrière sa tête pour se gratter la nuque.

Elle se balança sur ses talons pour se donner une contenance. Elle se sentait bête, à attendre de

la sorte dans l’embrasure de la porte.

Enfin, ce n’était pas comme si quelqu’un lui prêtait vraiment attention, dans l’état de frénésie actuel du couloir.

La foule était comme une masse seule, un corps individuel. Elle était séparée de cette dernière par une sorte de voile invisible, chutant juste devant ses pieds; il n’existait que pour elle, bien sûr. Elle avait le sentiment que son amie ne parviendrait jamais à s’extirper de là. Dans quoi s’était-elle embarquée, encore ? Ah, Cassiopée

Est-ce qu’elle devrait aller la chercher ? Se questionna-t-elle, le coin de ses lèvres se relevant en un rictus crispé. La jeune fille émit un heh… maussade alors qu’elle scrutait l’amas d’épouvantails se bousculant sans pitié. En cas d’extrême recours

Une main tapota son épaule. Elle tressaillit violemment, sortie abruptement de ses pensées.

<<- Motherfuck…!- Jura-t-elle malgré elle entre ses dents par réflexe, d’une voix serrée vrillant ridiculement dans les aiguës.

- Salut !>>

Chiara lui adressa un signe de la main amical, son large sourire espiègle de signature ourlant ses lèvres. Claire la dévisagea avec de grands yeux arrondis, effarouchée. Elle s’était mise en mode combat inconsciemment, ses deux mains levées devant sa poitrine en position de karaté offensive (alors que, vraiment, elle n’avait jamais fait de karaté).

Chiara.

Elle inspira. Ah-ah, ah. Elle se décrispa, ses épaules s’affaissant imperceptiblement.

Bien sûr que c’était Chiara. AHHHHHHHH. Hurla-t-elle mentalement, en se mordant l’intérieur de la joue pour garder toutefois une expression plus ou moins interdite (moins, clairement) extérieurement. Claire exhala après avoir bloqué sa respiration une minute. Elle soupira ensuite en passant sa main dans ses cheveux, emmêlant ses doigts avec ses mèches sur lesquelles elle tira faiblement.

Chiara. Toujours elle.

<<- Tu as toujours des accueils merveilleux...

- Tu as failli me faire avoir une crise cardiaque. L’admonesta la brune, accusatrice.

La volleyeuse pouffa.

- Quoi ?~ Chantonna-t-elle mielleusement en calant ses cheveux derrière son oreille, son grand sourire se faisant enjôleur. Ton cœur s’emballe à ce point quand tu me voies ? Aw, Claire, vile charmeuse ! Susurra-t-elle encore en se laissant tomber sur elle.

- Ng.

Claire posa sa main sur sa joue pour la repousser, atterrée. Elle pesait son poids, quand même; son bras fléchit. Leurs épaules se heurtèrent.

Si son cœur s’emballait ? Oui, indéniablement. Il s’emballait lorsqu’elle apparaissait derrière elle sans un bruit, lorsqu’elle lui sautait dessus le soir, ou lorsqu’elle se jetait dans une rivière. Il s’emballait lorsqu’elle se rapprochait si près que leurs nez pourraient se toucher, qu’elle racontait des choses stupides, et qu’elle faisait le pitre. Il s’emballait parce qu’elle se sentait en danger: constamment avec elle, car elle était le danger.

- On peut dire ça, j’imagine. Abandonna-t-elle toutefois seulement, consternée. Bonjour, Chiara.

Cette dernière esquissa un sourire en coin victorieux. Elle sentait le soleil. Elle devait revenir de l’extérieur.

- C'est déjà mieux ! S'exclama-t-elle, satisfaite. Hey, tu sais ce qu’il se passe ici ?

Elle se redressa agilement, et recula d’un pas. La musicienne respira enfin.

Nope, décidément, elle ne pourrait aller dans cette foule.

- Aucune idée...Répondit-elle évasivement en enfonçant ses mains dans ses poches, avant d’hausser les épaules faiblement. Cassiopée est partie voir, mais ça m'étonnerait qu'elle arrive à vaincre cette foule.

Chiara se gratta la joue en esquissant une moue penaude.

- Cassiopée, hm ? Elle ne m'aime pas beaucoup...Souffla-t-elle, embarrassée.

Claire fronça les sourcils, intriguée.

- Comment tu le sais ?

- Ahah

Son interlocutrice enroula une mèche de cheveux autour de son doigt en détournant le regard, se cachant comme elle le pouvait derrière les réminiscences inégales de sa frange tombant contre l’arrête de son nez.

- Ehm…Comment dire…En fait, c’est moi qui ai commencé à la chercher…Ricana-t-elle nerveusement.

- Pardon !?>>

Claire s’exclama, ses yeux s’agrandissant de nouveau.

La volleyeuse émit un moui noyé dans le bruit alentour. La guitariste l’examina, stupéfaite, alors qu’elle croisait ses longues mèches devant son visage dans une sorte de tentative (?) pour se soustraire à son regard.

<<- Mais…Je…Pourq…? Non, comm…? Non, je…S’embrouilla-t-elle.

Elle ferma les yeux pour remettre de l’ordre dans son esprit, joignant ses mains devant son menton de telle sorte que seuls le bout de ses doigts se touchaient. Elle voulait demander le pourquoi, du comment, surtout. Il était tellement improbable de parvenir à irriter Cassiopée qu’elle se sentait complètement dépassée; mais apprendre qu’en plus, c’était souhaité ? Elle l’avait énervée sciemment ?

- Hein ? Asséna-t-elle finalement avec une grimace d’incompréhension totale, le coin de ses lèvres figé en un rictus de confusion crispé.

Alors qu'elle allait poser la question du comment (pour commencer et évaluer la gravité de la situation), une voix agacée appela Chiara du bout du couloir.

Claire tourna la tête en même temps que l’interpellée. Vers l’escalier menant au troisième étage, Taylor se tenait debout sur une chaise pour être visible malgré la densité de population inusuelle, qui décroissait toutefois depuis quelques minutes.

<<- Oups, je dois y aller ! S'excusa la jeune fille aux cheveux blancs avec un sourire désolé. À plus

tard, Claire !>>

Elle passa ses bras autour d’elle pour l’enlacer, et s'enfuit.

La brune était restée les bras ballants, un euh ?- perplexe coincé dans la gorge. Elle cligna des yeux, dubitative. Elle ne s’y attendait pas; la volleyeuse avait été si rapide qu’elle n’avait même pas eu le temps de comprendre ce qu’elle faisait avant qu’elle ne disparaisse.

Elle s’empourpra subitement.

<<- Qu'est-ce que…?!->> Commença-t-elle à s'écrier.

Elle s’arrêta néanmoins, sa phrase restant en suspens dans l’air. C’était inutile. Son interlocutrice n’était plus là. Elle passa ses mains sur son visage. Chiara. Ce fût le moment que Cassiopée choisit pour revenir, tirant quelqu'un par la manche.

<<- Claire, Claire. L'appela-t-elle en émergeant.

L'interpellée se retourna, et croisa le regard de son amie. Elle semblait très fière d'elle.

- Regarde ce que je te ramène. Continua-t-elle en désignant son accompagnateur de ses

mains triomphalement, faisant un grand pas sur le côté pour qu’elle puisse le voir.

Claire leva les yeux.

- Ah. Fit-elle d'un air déçu en reconnaissant Félix, sa capuche relevée sur sa tête.

- Après tout ce que j'ai enduré pour toi ! S'indigna le batteur dans un gasp vexé, la main sur le cœur.

La brune lui adressa un grand sourire suffisant.

- Quelle sale gosse...Grogna-t-il, avant de retrousser sa lèvre supérieure dans une grimace intimidante dévoilant ses canines.

La réponse de son interlocutrice fût immédiate, et se caractérisa par un coup de pied bien placé dans le tibia.

- Aïe ! Espèce de…!
Le jeune homme répliqua en coinçant la tête de la guitariste sous son bras pour la frotter

Vigoureusement.

- Ah, mais ta daronne…! Vitupéra cette dernière plus pour elle-même que pour être réellement entendue, tandis qu’elle se débattait pour se libérer. Lâche moi, tu pues la transpiration ! Ew !

- C’est pas de la transpiration, c’est Paco Rabanne. Je sors de sciences et j’ai envie de décéder, alors sois un peu plus…Félix resserra sa prise sur elle sadiquement, un rictus diabolique sur les lèvres. Gentille !

La guitariste éclata de rire. Un toussotement les arrêta toutefois; les deux adolescents s’immobilisèrent.

C'était Cassiopée, qui les contemplait d'un air désespéré. Dans ces moments-là plus que dans tous les autres, elle incarnait vraiment une mère consternée toujours obligée de reprendre ses enfants pour éviter qu’ils ne causent accidentellement la fin du monde. Parfois, la brune se demandait comment elle faisait pour ne jamais se lasser d’eux et les gérer alors qu’elle était sobre, et sans le réconfort potentiel d’une bonne bouteille de vin pour panser son exaspération. Le pouvoir de la philosophie, sans doute (?).

- Tu n'avais pas un truc à lui dire...? Intervint-elle, remémorant au gothique le but de sa visite.

- Certes, mais cette teigne a commencé à m'attaquer ! Se défendit-il avec un claquement dépréciateur de sa langue contre son palais, transférant son poids sur son autre jambe dans un cliquètement métallique des chaines accrochées à sa veste de cuir longue. Mais ouais, Claire, tu imagines bien que je ne suis pas venu pour le plaisir de voir ta sale tête. Il faut que je te parle. Viens, allons ailleurs.>>

Il prit le chemin de la cour dès sa phrase terminée, sans même attendre de voir si elle le suivait. Son manteau flottait derrière lui, frottant contre ses mollets. Cassiopée secoua la tête.

<<- Qu’est-ce que je vais faire de ces gens, moi…>>

Son soupir résonna presque trop fort dans le couloir, malgré son intonation basse. La guitariste remarqua alors qu’un certain silence s’était installé pendant leur discussion.

Tous ceux qui étaient restés avaient le regard posé sur eux. Autant de pantins les fixant, inquisiteurs, en murmurant entre eux. Claire se rappela brusquement qu’en effet, elle était au beau milieu du couloir, maintenant au centre même de cette attention collective que l’indiscrétion motivait.

Sois naturelle. Sois naturelle. La lycéenne se répéta, impassible, pour ne pas perdre ses moyens et ne pas se ridiculiser. Elle sua.

<<- J’ai…J’ai rien contre Paco Rabanne. Je suis sûre que c’est vraiment un chouette type…Et je…

La malgache se tapa la paume contre le front. Claire ricana nerveusement.

- Bye.>>

Eh. La musicienne se hâta de s’enfuir après un signe de main crispé pour Cassiopée, prenant Félix comme prétexte pour quitter cette atmosphère pesante.

 

<<- J’ai essayé d’être discret.

Félix était mi-assis mi-allongé sur deux des trois marches de pierre menant au réfectoire, l’une de ses jambes étendues devant lui, tandis que l’autre était repliée, et ramenée contre lui. Ses yeux cyans étaient rivés sur la brune assise en tailleur sur la dernière marche au-dessus de lui, laquelle le fixait de ses yeux émeraudes cernés, dépitée. Il semblait se sentir un peu coupable.

- Tu as échoué. Maugréa la jeune fille, la tête dans les mains.

- Il paraît, ouais.

Le batteur joua distraitement avec la chaîne reliant ses piercings aux oreilles au nouveau, qu’il arborait sur les lèvres. Sa capuche abaissée sur ses épaules, ses cheveux noirs et ses mèches bleues étaient ébouriffés et se dressaient sur sa tête. Son manteau de cuir était étendu sur les marches sous lui, dissimulant l’escalier. Les veines de ses mains ressortaient plus que d’habitude; elle savait que c’était car il était toujours crispé, lorsqu’il était en laboratoire. Lorsqu’il faisait de la batterie, il pouvait se défouler, et taper comme il le voulait. Avec les fioles et les lames de microscopes, la moindre pression trop soudaine ou appuyée pouvait être dramatique. Félix ne maîtrisait pas vraiment sa force, en réalité.

Les lunettes de protection qu’il avait dû porter pendant ses heures de cours avaient laissé une trace rouge sur l’arrête de son nez.

- ‘’Je n’ai rien contre Paco Rabanne’’. Tu as vraiment dit ça ?

-…

- Krkr…-

Le rire du lycéen venait du fond de la gorge. Il était grave et enroué, lorsqu’il était sincère; lorsqu’il se moquait d’elle, il était plus aiguë et impersonnel. Claire se renfrogna, et tira sur le col de sa veste, honteuse.

- Arrête de rire ! Se récria-t-elle, non sans lui décocher un regard contrarié qui ne fit que renforcer son hilarité. C’est ta faute ! Qu’est-ce que tu me veux, même ?!

- J'ai un truc à te montrer.

La guitariste plissa les yeux, suspicieuse. Quelque chose de trop important pour que ça ne puisse attendre la prochaine réunion du club de musique ?

-…J’ai vu ton nouveau piercing. Essaya-t-elle de deviner en reposant son menton contre ses bras.

- C’est un faux. Asséna son interlocuteur, alors qu’il sortait son téléphone de la poche de son pantalon. Raté.

- Je ne m’inscrirai pas avec toi aux journées portes ouvertes.

- Si, mais non, ce n’est pas ça non plus. Mon club, mon autoritarisme.

- Je ne ferai pas tes devoirs d’histoire non plus.

- Tu ne fais déjà pas les tiens.

-Toi-même.>>

La batteur l’ignora simplement, se concentrant sur son portable.

<<- Ah, voilà ! Fit-il finalement, satisfait, avant de tourner l’appareil vers elle pour lui montrer la page sur laquelle il s’était arrêté.

Claire se pencha pour mieux voir. L’écran fissuré ne lui renvoya qu’une image terne et fracassée d’elle-même. Le téléphone de son ami était tellement abimé qu’elle se demandait comment il faisait pour ne pas se couper les doigts avec.

- Il s'est éteint. L'informa-t-elle, une ombre de sourire moqueur sur le visage.

Son interlocuteur jura dans sa barbe (une phrase longue et sèche incluant des mamans, de ce qu’elle avait compris), sa chaîne bougeant en même temps que ses lèvres.

- Là. Annonça-t-il après l’avoir rallumé.

- C'est un site internet ? Questionna la jeune fille, intriguée.

- C'est Instagram...>> Souffla le gothique, circonspect.

Claire vit enfin le problème.

<<- Eh, mais c'est moi ! S'exclama-t-elle en pointant le téléphone du doigt.

Félix hocha la tête, puis soupira de soulagement, content de ne pas avoir à lui expliquer.

- Donc, tu n'étais vraiment pas au courant. Conclut-il, une expression impassible sur le visage.

La jeune fille secoua négativement la tête pour toute réponse, avant de prendre le portable. Sur l’écran défilait une vidéo de mauvaise résolution d’elle et Chiara aux fontaines, la veille. Le post comptait déjà une centaine de vues, si elle comprenait bien le sens de l’œil blanc en dessous du carré de vidéo.

- Je ne comprends pas.

- C’est pas très compliqué. Quelqu'un t'a filmée sans ton consentement et a posté la vidéo sur les réseaux. Expliqua le lycéen en se redressant, reposant ses bras contre ses cuisses presque flegmatiquement.

- Je ne sais pas si c'est bien ou mal.>> Précisa la guitariste.

Le batteur sembla désarçonné par sa question. Il prit le temps de réfléchir un instant, avant de reprendre la parole prudemment.

<<- Je veux dire...Commença-t-il, hésitant. À partir du moment où c’est fait sans qu’on te demande ton avis, théoriquement…

Il récupéra son téléphone et tapota dessus rapidement, avant de lui redonner de nouveau. Il scrolla à l’aveuglette, l’appareil reposant entre les mains de la brune. Des bulles de textes défilaient sur l’écran, trop rapidement pour qu’elle ne puisse saisir plus que des mots décousus et des couleurs floues. Mais de toute manière…

- Tu as pleins de commentaires. Et on a des personnes qui veulent rejoindre le club de musique, maintenant. Principalement des secondes.

…L’inclinaison du portable faisait que la lycéenne ne voyait strictement rien.

- Vraiment ? S'étonna-t-elle toutefois, ne retenant que la deuxième partie de la phrase.

- Oui. J’ai répondu que malheureusement, notre groupe était complet, mais qu'elles pouvaient toujours s’inscrire et créer le leur. Si ça se fait, elles auront la salle de dix à douze.

La brune esquissa un sourire.

- Tiens donc ? On est complet ? Railla-t-elle sournoisement. Depuis quand ?

Une partie d’elle-même était absolument désespérée. Bien sûr que non, les secondes ne s’inscrivaient pas à cause de sa performance. Elles s’inscrivaient à cause d’un certain gothique s’habillant comme un mannequin, et sur lequel toutes les adolescentes prépubères fantasmaient car elles se nourrissaient exclusivement de wattpad et de fanfiction de vampires.

- J’ai pensé à te sortir, mais je n’ai vraiment pas le temps d’organiser de nouvelles sélections et malheureusement on ne peut pas avoir la salle si on n’est pas minimum trois. Et puis, Émile n’est jamais d’accord pour participer aux événements musicaux, et pour ça il faut être minimum deux.

- Moi non plus, je ne suis pas d’accord ! S’irrita la brune, exaspérée. Et tu viens littéralement d’inventer cette règle, il n’y a pas de minimum, ou alors c’est toi qui le fixe car tu gères l’administration du club !

Félix esquissa un rictus en coin narquois, son piercing brillant brièvement.

- Peut-être. Admit-il en bon joueur. Mais je ne sais pas imiter la signature d’ Émile.

- Il existe une place spéciale en enfer pour les gens comme toi, Félix.

- Une place vip ? Naturellement, je le vaux bien. Quand je descendrai, la température grimpera d’au moins deux degrés. Enfin, bref.>>

Il arrêta leur échange de réparties avant qu’il ne commence réellement pour se reconcentrer sur le sujet principal.

<<- Je connais ce pseudo, c’est celui d’une des amies de ma copine. Enfin, je crois. Si c'est bien le cas, je peux la faire supprimer. Est-ce que tu veux que je m’en occupe ?

Claire resta silencieuse.

- Supprimer la vidéo. Pas la fille.

- Quoi ? Tu n’es vraiment pas un chef de la mafia italienne sous couverture ?

- Bien sûr, que si. Une mafia souterraine constituée uniquement de vampires et de gothiques, et on traque tous ceux qui osent casser des spaghettis pour les punir comme il se doit. MaMma MiA.

- Je fais ça.

- Tu ne sais pas faire de pâtes, Claire.

- Pourquoi je te parle, déjà, alors que je pourrais être en train de te taper dessus ?

- Allons. Tu frapperais quelqu’un avec des lunettes ? C’est petit, même pour toi.

- Tu n’as pas de lunettes.

Le lycéen fouilla dans l’une des grandes poches de son manteau, ses yeux océan rivés dans les siens. Il en extirpa un étui noir, qu’il ouvrit sans rompre le contact visuel; et avec tout le sérieux du monde, il dégaina ses lunettes de laboratoire transparentes, qu’il glissa sur son nez avec une lenteur trahissant sa jubilation sadique.

Claire lui retourna une expression désabusée.

- Satan.

Félix lui adressa un large sourire suffisant, si grand qu’il révéla ses canines. Et il essaie de faire croire qu’il n’est pas un vampire

- Depuis combien de temps tu attendais de les sortir ?

- Longtemps. Presque autant de temps que tu mets pour me répondre, d’ailleurs. Qu’est-ce qui te pose problème ? Questionna-t-il en remontant ses lunettes sur son nez pour les ajuster, de nouveau concentré et avec un air dorénavant beaucoup plus érudit. Oui ou non, c’est tout ce qu’il me faut.

La musicienne soupira.

- Je ne sais pas comment réagir, pour être honnête. Je n’aime pas ça, mais pour autant, est-ce que ça vaut le coup de faire des problèmes ? Réfléchit-elle doucement, renfermée. Il faudrait que tu en parles à Chiara. Je ne veux pas décider pour elle, elle est aussi concernée. En fait, elle devrait choisir quoi faire, et moi je serai ok avec le résultat final, quoiqu’il advienne de cette vidéo.

- Chiara ? C’est qui, ça ?

Le gothique se releva, son manteau chuintant en retombant contre le cuir de ses bottines. Il tendit la main à son amie, qui la saisit. Aussitôt, il tira sur son bras pour la remettre sur ses pieds.

- Tu la connais déjà. C’est...Heh. Chiara, c’est une amie. Tu l’as déjà rencontrée -malheureusement-, car elle est allée te voir pour emprunter un tambourin pour jouer…Avec…Moi. Expliqua-t-elle en s'époussetant, choisissant ses mots soigneusement. Elle est grande, avec de longs cheveux blancs et un joli visage ovale très pâle…Et des yeux…Comme le ciel…Un bleu différent du tien, plus clair.

- Oh.

Un sourire ouvertement railleur ourla ses lèvres alors qu’il plissait les yeux d’un air entendu. Uh oh. Songea la guitariste en constatant l’éclat d’intérêt diabolique brillant dans les iris du jeune homme, le même qu’il avait toujours lorsqu’il trouvait une nouvelle victime à tourmenter. Une sueur froide coula dans sa nuque. Pourquoi elle avait l’impression d’être cette victime ?

- Ta copine, donc ? Susurra-t-il.

La guitariste s’étrangla avec sa salive.

- Pas du tout ! S'écria-t-elle en lui assénant un violent coup dans l'épaule, les oreilles écarlates. Tais-toi, tais-toi !

Bien loin d'avoir mal, Félix ricana, trouvant visiblement le moment délectablement distrayant.

- J'ai touché une corde sensible ? Se réjouit-il avec son éternel sourire satisfait oh

combien agaçant en enfonçant ses mains dans ses poches, quelque chose que la guitariste avait d’ailleurs tiré de lui. Pourquoi tu es aussi rouge, heh ? Je ne disais que ‘’copine’’ dans le sens ‘’amie’’, pourtant, j’ai l’impression que tu as compris autre chose ?

La brune le fusilla du regard.

- Tu as compris mon jeu de mot ? Corde sensible, car tu es une guitariste. Tu avais compris, pas vrai ?

- Mais comment ta petite amie fait pour te supporter ?

- C’est car je suis irrésistible.>> Déclara le batteur avec un clin d'œil charmeur, assuré.

Claire le dévisagea de haut en bas, et leva un sourcil, une moue sincèrement perplexe tendant ses traits.

- Alors toi…->> Commença le jeune homme, irrité par son expression de doute intense.

Il fût cependant coupé par la sonnerie annonçant la reprise des cours.

<<- Première ou deuxième sonnerie ?

- Deuxième. Cette conversation a été plus longue que prévue.>>

Félix se frotta le menton, ses chaînes cliquetant dans un bruit métallique discret.

<<- Bon, d’accord. J'imagine que je vais devoir faire la chasse à cette Chiara, maintenant...

- Merci, Félix.>>

Ce dernier reporta son attention sur son interlocutrice, étonné. La jeune fille venait de s’exprimer avec une sincérité qu’elle n’utilisait en général que pour lui dire ses quatre vérités. Elle le fixait toujours, debout et immobile sur la dernière marche.

<<- Tu es encore là ? Allez, va-t’en ! S'impatienta-t-il pour toute réponse en la chassant avec sa main. Je ne veux plus jamais te voir !

- À mercredi.

- À mercredi.>>

Claire esquissa un sourire amusé, et sauta au bas de l’escalier.

 

Claire était assise sur le bitume devant son vélo, les jambes repliées contre elle. Elle jouait distraitement avec son antivol déverrouillé, le triturant entre ses mains alors qu’elle attendait.

Elle avait pris son temps, pourtant. Elle avait accompagné Cassiopée jusqu’au bas du lycée, devant les arrêts de ramassage scolaire. Elle l’avait même surveillée de loin, alors qu’elle montait dans son bus; un stalker que très peu qualitatif, puisque son amie s’était retournée pour lui adresser un regard avant de s’engouffrer par les portes. Les yeux de la malgache étaient toujours remplis de questions silencieuses, qu’elle lançait comme autant de bouteilles à la mer. Pourquoi restait-elle derrière ? Elle ne savait pas vraiment. Cassiopée le comprenait. Beaucoup de choses ne s’exprimaient pas avec des mots. La musicienne perdait sa voix quelques fois, les mots lui paraissant aussi lourds que des billes de fer sur sa langue; le goût métallique était obnubilant. Cassiopée la fixait, de ses yeux de chat allongés. Tu viens ? Semblaient-ils questionner. Leurs dialogues les plus sérieux étaient toujours muets. ‘’Non.’’ Claire fermait les siens. Pourquoi ? ‘’Je ne sais pas. J’attends.’’ D’accord. ‘’Rentre bien.’’ Oui.

Cela ne la dérangeait pas, d’attendre. Elle passait sa vie à attendre. La sonnerie du réveil après une insomnie, les yeux rivés au plafond. La fin d’une heure de cours. La fin de la journée. La fin de la nuit. Elle ignorait exactement quoi. La mort, lui répondait ses pensées. Le bonheur, tentait-elle de modérer en réponse lors de ses beaux jours. Lorsqu’elle se pensait capable de vaincre la présence en elle qui s’acharnait ainsi sur elle, et dépréciait tant la voir respirer. Si elle voulait la tuer, qu’elle le fasse elle-même; qu’elle contamine ses organes, qu’elle la fasse brûler de fièvre, plutôt que de lui murmurer milles idées vénéneuses à l’oreille dans l’espoir qu’elle l’écoute. Si seulement elle n’était pas toujours derrière elle. Si seulement elle lui faisait face…Et alors, quoi ? Elle pourrait lever ses mains vers son cou, pour serrer. Mensonge; elle détestait mentir. Et si elle n’était pas dans ses beaux jours ? Et si son cœur pesait sur sa cage thoracique, poisseux et délavé ? Et si son squelette s’injuriait sous son épiderme, tendant ses ligaments, endolorissant ses muscles, gonflant ses os ? Et si son raisonnement et sa clarté barbotaient dans le liquide dense remplissant sa boîte crânienne, l’empêchant de s’exprimer, noyant ses poumons et opprimant sa trachée lorsqu’elle tentait de parler ? Et alors quoi ? La vérité, c’était qu’il suffirait à son adversaire de lever les bras pour qu’elle chavire. La vérité, c’était que si elle voulait la tuer, elle la laisserait faire volontiers. La vérité, pure et dérangée, c’était qu’elle aurait été celle qui aurait demandé en premier lieu.

Au final, la mort était un concept aussi abstrait que le bonheur, et tout aussi égoïste.

Claire tournait le câble entre ses mains, le regard perdu dans le vague.

Ses clefs étaient délaissées sur le goudron à ses côtés. Enchaîné au cercle métallique du porte-clef, l’astronaute était figé dans l’espace gris sombre rugueux. Il paraissait plus petit, au milieu de cette étendue de gris dénuée d’étoiles. Un peu plus frêle. Un peu plus humain, quelque part. Elle se retrouvait d’avantage en lui lorsqu’il était laissé pour compte sur Terre. Un astronaute n’avait pas lieu d’être si il était coincé au sol; c’était cruel de sa part de l’y laisser. Pitoyable, pitoyable. Encore un peu, sois pitoyable. Un peu plus qu’elle.

Il faisait trop jour. Il faisait trop jour pour laisser son esprit s’égarer aussi loin.

Il faisait frais, ce jour-là, malgré l’absence de nuages et le soleil inondant les alentours d’une lumière froide. Le ciel était si clair qu’il était impossible de le contempler plus de quelques minutes sans se brûler la rétine. Claire s’était donc rabattue sur les gens, qu’elle suivait du regard pour s’occuper, faute de mieux. C’était étrange, de se dire que toutes ces personnes avaient quelque part où aller, que leur vie continuait, en dehors de ce bref instant pendant lequel ils se croisaient. Elle se demandait à quoi ils pouvaient bien penser, tous ces êtres inconnus. Il y en avait-il un qui partageait ses pensées ? Qui regardait le monde, comme l’on regarderait un film. Sauf que le film était sa vie, et qu’il continuait de tourner, sans elle.

C’était étrange de sentir le contrôle qu’on exerçait sur sa propre vie. Et si jamais elle se levait ? Et si jamais elle allait discuter avec cette fille rousse, là-bas ? Son destin changerait drastiquement, pour le meilleur comme pour le pire. Si les humains sentaient le poids qu’avaient leurs propres choix, ils ne feraient plus rien. Ils seraient trop effrayés. Peut-être était-ce aussi pour cela qu’ils avaient défini le ‘’destin’’; une manière de se laisser la liberté de vivre. Si tout était écrit, ils ne pouvaient qu’avoir raison, peu importe leurs actions. Right ? Et si jamais elle mourrait, tout de suite ? Elle se demandait ce qu’elle verrait.

Lasse de la texture caoutchouteuse de son antivol, la guitariste attrapa son sac pour le ranger. La fermeture se coinça lorsqu’elle tenta de le refermer, ne lui laissant qu’une marge de manœuvre limitée. Elle réajusta sa position afin de concentrer sa force dans son action. Elle était en train de remonter la fermeture éclair, lorsqu’une chevelure blanche entra dans son champ de vision; Claire releva la tête, ses cheveux coulant contre sa mâchoire.

La lumière aveuglante du ciel éclairait en contre-jour son amie, éblouissant dans son dos. La musicienne détourna le regard vers ses mains lorsque ses rétines commencèrent à la lancer de nouveau, se concentrant avec soulagement sur le tissus sombre usé de son cartable. Elle n’était simplement pas habituée à tant de luminosité; elle évoluait la plupart du temps dans l’obscurité de sa chambre, ou dans les éclairages artificiels d’une salle de classe. Construit sur une colline, le lycée grattait le ciel; lorsqu’on levait les bras, on pouvait espérer au fond de soi effleurer un nuage. D’ici, il était aussi difficile de ne pas voir le ciel que cela l’était de ne pas voir la mer en se tenant sur une plage, face à l’horizon. Pourtant, elle ne s’y faisait toujours pas.

<<- Tu as attendu longtemps ?

Chiara questionna en la rejoignant d’un pas rapide. Elle avait couru. Son souffle était saccadé, et ses joues rouges; elle était presque (elle, la capitaine de l’équipe de volley !) essoufflée. Cette constatation arracha une esquisse de sourire à sa camarade, qui se réinstalla contre son vélo, son sac sur les cuisses.

- Je suis habituée, ça va.

Son interlocutrice grimaça, son visage se décomposant en une expression de culpabilité déconfite. Elle soupira du bout des lèvres, penaude, avant de reprendre la parole.

-…Désolée. Entendit la guitariste.

Chiara ne s’excusait jamais, elle l’avait dit elle-même.

Claire grinça accidentellement des dents, prise de court. Wow.

Elle devait vraiment être exténuée. Elle entendait des choses, maintenant.

- Tu as dit quoi ?

Son amie lui retourna son regard, relevant la tête pour plonger ses yeux droits dans les siens. Ses cheveux plus blancs encore que le ciel avait coulé sur ses épaules, attirés vers le sol par la gravité terrestre; ils se balançaient nonchalamment contre sa poitrine. Elle inspira, reprenant son souffle.

- Désolée. J’ai dit: désolée. Répéta-t-elle alors d’une voix plus stable, bien qu’encore un peu effrénée. Tu as compris ? Pardon d’être toujours en retard, Claire. Merci de m’attendre à chaque fois.

La brune marqua un temps d’arrêt. Puis un deuxième, pour vérifier qu’elle n’avait pas rêvé; après tout, elle était partie loin dans ses pensées. Sa camarade l’observait toujours avec la même résolution. Elle dût finalement se rendre à l’évidence, aussi incongrue était-elle.

- Bordel de merde. Lâcha-t-elle dans un souffle alors qu’elle la dévisageait avec des yeux ronds, abasourdie.

- Langage ! La réprimanda Chiara, une flamme nouvelle brûlant dans le fond de ses iris en dépit de sa fatigue.

- Oh shit…-

- Claire !

- Sa…perlipopette ?! Se corrigea dans une exclamation de pur désarroi la guitariste, modifiant ses mots in extremis pour n’impliquer les mères de personne (elle ignorait si la volleyeuse tiquerait à l’entente d’un ‘’sa mère le wiko’’, mais dans le doute...). Pardon, pardon ! C’était juste…Quoi ?

La volleyeuse se détendit, un sourire furtif passant sur son visage. Saperlipopette. Dans sa bouche, c’était ridicule.

- Eh bien, quoi ? S’enquit-elle en posant ses mains sur ses hanches, se penchant vers sa camarade d’un air moqueur, un rictus railleur au coin des lèvres. Tu pensais que j’étais incapable de reconnaître mes erreurs ? ‘’Chiara est populaire, donc elle est hautaine’’, c’est ça ? Tu juges aux apparences, encore une fois !

Claire prit sur elle pour rester immobile et ne pas reculer, en dépit de l’invasion de son espace vital (étonnant, vraiment). Le visage levé vers elle indifféremment, elle se contenta de soutenir son regard avec le plus de placidité possible. Elle lui tapait sur les nerfs. Les yeux de la sportive pétillaient matoisement. Et elle le savait, et s’en délectait sadiquement.

Elle fronça les sourcils, un pli se creusant sur son front.

- Tu es injuste. Ce n’était pas toi l’autre jour qui disait que tu ne t’excusais jamais ? Maintenant, ça sonne vraiment bizarre quand tu le fais. C’est terriblement gênant. Et puis, je ne dirais jamais ça…

Idiote. Retint-elle, se mordant la langue pour s’empêcher de finir sa phrase.

Sa camarade se redressa.

- Tu m’écoutes quand je parle ? S’étonna-t-elle en en joignant les mains dans son dos, avant de pouffer en voyant le regard torve que lui retournait son amie. Pfuaha…!

- Sérieux ?

- Non, bien sûr, je plaisantais. Je savais déjà que tu n’étais un ours grincheux et aigri qu’en apparence. Chantonna-t-elle de sa voix cristalline en s’accroupissant souplement à côté d’elle, radieuse.

- Je pars.

La volleyeuse lâcha un gasp paniqué. Elle joignit prestement les mains devant son visage, agrandissant ses yeux pour lui adresser un regard de chien battu.

- Non ! Je rigolais, je rigolais ! Je ne dis plus rien, promis !>>

La brune leva un sourcil, un heh sarcastique lui échappant. Bien. Sûr. Ironisa-t-elle pour elle-même, malgré ses oreilles rougissantes. Qui croirait ça ? Personne: littéralement.

Pour autant, elle n’acheva pas de se relever. Pour autant, elle se laissa retomber sur place lourdement, et pour autant, elle capitula, et se contenta de tourner la tête dans un tch sifflant.

Comme. Toujours. Elle ferma les yeux, atterrée. Cette fille drainait son énergie aussi efficacement qu’un vampire. Sérieusement…Entre ça, ses cheveux blancs et son teint pâle, devrait-elle se poser des questions ? Elle était athée, mais si jamais son interlocutrice lui avouait un jour qu’elle avait des insomnies, elle sortait le crucifix et l’eau bénite. Entre elle et Félix

<<-…>>

Le silence n’était pas quelque chose qu’elle avait l’habitude d’entendre avec elle. Elle en profita pour faire taire ses sentiments, afin de regagner son air imperturbable de signature. Enfin, elle tourna la tête vers son interlocutrice.

<<- Mnf.>>

Chiara tenait l’anneau métallique de ses clefs entre ses doigts délicatement. Ses épaules tressautaient faiblement, alors qu’elle s’efforçait de contenir son hilarité pour ne pas irriter son taxi du soir d’avantage, au risque de se retrouver laissée derrière (ce que la jeune fille était bien sûr incapable de faire, mais ça l’arrangeait qu’elle le pense).

<<- Ne dis rien.>> Souffla la guitariste quand son accompagnatrice pointa le porte-clef cosmonaute, lui adressant un regard en coin facétieux de ‘’bah, je pensais que tu ne l’aimais pas ?’’.

La musicienne faucha le trousseau de clefs, qu’elle dissimula prestement en enfonçant ses mains dans ses poches. Elle n’avait jamais dit ça, rétorqua-t-elle mentalement, puisqu’elle ne pouvait aligner deux mots sans s’embrouiller. Extérieurement, elle fronça simplement le nez. Sa camarade gloussa.

<<- Quoi que tu penses, toi-même. Grommela-t-elle, ses clefs cliquetant sous ses doigts.

- Audacieux de ta part d’imaginer que je réfléchisse à autre chose que toi.

- Quoi ?

- Quoi ?>>

Claire cligna des yeux, perplexe. Chiara l’examinait d’un de ces airs mystérieux qu’elle affectionnait tant. Elle avait l’air d’avoir des choses à dire. Elle conserva cependant le silence, un rose pâle teintant ses pommettes alors que ses cils papillonnaient, et qu’elle détournait le regard.

La brune se retint de pousser un cri de frustration en comprenant qu’elle se moquait encore d’elle. Elle inspira seulement profondément, insondable. Sa réaction mature la rendit fière d’elle-même: oui, le meurtre n’était jamais la solution.

La guitariste soupira, et passa sa main derrière sa tête pour se masser la nuque, et tenter d’apaiser la tension raidissant ses épaules. Pourquoi lui parler était toujours aussi éprouvant ?

<<- Je devrais te ramener chez toi.

- Rien ne presse.

En effet, elle n’avait pas l’air particulièrement pressée. Chiara pianotait sur ses genoux avec ses doigts songeusement.

- Tu as une autre idée...Devina alors la musicienne, son expression changeant du tout au tout.

Elle non-plus, ne l’était pas. Elle n’aimait pas le silence presque palpable qui absorbait le moindre de ses pas lorsqu’elle rentrait chez elle. Elle n’aimait pas les fantômes qui lui tenaient compagnie, et surtout, elle n’aimait pas les monstres qui sortaient de sa tête. Chez elle. Est-ce que cela l’était vraiment, au final ?

Son interlocutrice s’esclaffa, son visage s’illuminant. Le cœur de la guitariste se réchauffa.

- Ne fais pas cette tête ! S'exclama-t-elle en lui tendant la main. Ce n'est pas un plan foireux !

Claire fixa sa main, aux doigts fins et anguleux. Puis Chiara.

Elle ne voulait pas rentrer. Elle décala finalement son sac de ses genoux en la saisissant, une vigueur nouvelle l’animant alors qu’elle se relevait. Son contact était chaleureux, sa paume moite électrique dans la sienne, auxquels ses doigts noueux et durcis de callosités à cause des cordes de sa guitare s’accrochaient.

- Vraiment ? Insista-t-elle, méfiante.

Son amie posa cérémonieusement une main contre son cœur.

- Fais-moi confiance !>> Acquiesça-t-elle avec un sourire chaleureux, comme si cela suffirait à la convaincre.

Elle avait raison.

La lycéenne soupira profondément. Elle avait l’intime conviction qu’elle allait le regretter. Le sourire de Chiara s’élargit, fendant tout son visage. Elle avait encore gagné.

C’était étrange, le contrôle qu’on avait sur la vie des autres. Une seule phrase, un seul mouvement pouvait tout bouleverser. Il suffisait d’un geste. Il suffisait d’une parole. C’était presque effrayant, de se dire que son destin dépendait autant de sa propre volonté que de celle des autres.

<<- Allons-y ! Jusqu’aux étoiles, et même plus loin ! Ensemble, rien ne nous arrêtera !>> Déclama la volleyeuse avec passion, ses yeux brillants de tout son enthousiasme.

Lorsqu’elle était avec elle, elle n’attendait plus. Elle se sentait ancrée dans le présent, vivante. Peut-être qu’au final, c’était elle qu’elle attendait.

La guitariste s’empourpra, le bas de son visage enfoui dans le col de sa veste.

Elles se tenaient toujours la main.

 

 

<<- Qu’est-ce que c’est que ça ? Murmura Claire en examinant la façade du bâtiment

devant laquelle les avait menées sa copilote.

Cette dernière enleva son casque avec un sourire satisfait, ses cheveux se dressant sur sa tête à cause de l’électricité statique.

- Tu n'es jamais allée dans un café ? Railla-t-elle.

Claire rigola nerveusement, le coin de ses lèvres se relevant en un rictus crispé distordant ses traits. Ahah, ah. Elle le savait. Elle savait que ce serait un plan foireux; pourquoi s’entêtait-elle à la suivre, déjà ? Une large vitre éventrait la façade du bâtiment, laissant apercevoir un coin de l’intérieur du café. Un comptoir en bois lustré tout ce qu’il y avait de plus normal, des tables, autour desquelles étaient disposées des bancs munies d’épais coussins, de fausses plantes courant contre les poutres du plafond. Si, elle était déjà allée dans un café. Quelques fois; pas souvent. Sauf que…

- C'est marqué café chats. Précisa-t-elle en lisant à haute voix l'enseigne en forme de patte de chat soudée à la devanture.

C’était assez explicite. De toute évidence, cet endroit n’était pas peuplé de ragondins ou d’alligators.

Quoiqu’elle aurait préféré.

- N'est-ce pas d'autant plus génial ?>> S'exclama Chiara avec un enthousiasme contagieux, ses yeux se remplissant d’étoiles.

Non. Asséna aussitôt la brune intérieurement sans pour autant le répondre, se mordant l’intérieur de la joue pour se retenir d’émettre le moindre commentaire négatif. Non, ce n’était pas génial. Elle détestait les chats, et elle détestait les cafés, et ce bâtiment avait l’air d’être l’archétype de tout ce qu’elle détestait. ‘’Ne juge pas aux apparences’’, la rabrouerait une certaine personne de sa connaissance. Un regard en coin vers cette dernière lui suffit pour comprendre que de toute évidence, elle n’y échapperait pas. Heh…Elle souffla faiblement.

Une fois le vélo attaché, la jeune fille aux cheveux blancs marcha d'un pas enjoué jusqu'à la porte,

son sac sur le dos, pour l'ouvrir à son amie en provoquant un bruit de cloches claironnant. Elle se pencha légèrement dans un semblant de révérence bancal du fait de l’embrasure moins large que prévue, l'incitant à entrer la première.

Ce n’était pas trop tard, songea la brune dans un éclair de raison. Elle imaginait déjà sa diversion. Oh, un chat !, s’exclamerait-elle en pointant vers l’intérieur du café. Wow, incroyable !, s’enthousiasmerait avec sa joie naïve son interlocutrice en suivant la direction qu’indiquait son doigt, lui permettant alors de réaliser le tour de magie de chaque père parti acheter du lait: disparition !

Mais déjà, elle avançait. Non, non, mauvais sens, noooon

<<- Quel gentleman. Ironisa Claire en la dépassant, avec plus de réserve.

C-h-o-u-e-t-t-e.

- Toujours.>> Répliqua-t-elle avec un sourire enjôleur.

Comme pour se faire punir de son sarcasme, la musicienne manqua de se prendre les pieds dans un chat affalé dans un rayon de soleil. Elle enjamba tant bien que mal (et surtout mal) la pauvre créature ayant eu le malheur de croiser son chemin. Cette dernière ne bougea même pas, mais releva la tête avec un miaulement irrité, ‘’mReOwWe’’, ou quelque chose du genre. La brune la fusilla du regard, sinistre involontairement. Sérieusement.

<<- Mreow toi-même, fucker.>> Siffla-t-elle entre ses dents, plus pour elle-même que pour être entendue.

Chiara gloussa dans sa barbe, sa main plaquée contre son sourire; avec sa discrétion légendaire, la guitariste se retourna vers elle pour la dévisager d’un air contrarié. Ce qui n'eut pour effet que de faire rire la jeune fille davantage, son pfuahaha— cristallin remplissant la salle, étonnamment vide.

Le cœur de la brune s’emballa. Cette dernière soupira.

La porte se referma derrière elles.

 

Claire scrutait Chiara tandis que son regard explorait la salle, se perdant dans chaque recoin invisible depuis l’extérieur. Elle avait l’air parfaitement sereine. Son énergie tranquille détonnait avec la sienne, perturbée et anxieuse. C’était presque affligeant. La guitariste était assise le dos parfaitement droit, les mains crispée sur ses genoux. La tension qu’elle ressentait se diffusait dans l’air comme un poison; même les chats semblaient la sentir. Ils étaient sur leurs gardes depuis qu’elles s’étaient installées.

Tant mieux. Elle espérait qu’ils se sentaient aussi menacés qu’elle l’était.

Les deux adolescentes étaient assises autour d’une table ronde dans un coin reculé de la pièce. Les grandes vitres laissaient choir la lumière du soleil contre le parquet, brillant sous la lumière. En voyant une boule de poil touffue se faire les griffes contre un fauteuil innocent (avant d’être chassé par un ‘’hurluberlu !’’ particulièrement désespéré de la serveuse, qui de toute évidence n’avait plus aucun espoir ni dans ce chat, ni dans la vie, ni dans le futur, ni dans quoi que ce soit d’autre que la tasse de café fumante sur le comptoir), la brune se félicita d’avoir attrapé un pantalon ce matin-là. D’accord, elle ne ressemblait pas à grand-chose avec son jean gris, son pull noir froissé et ses cheveux en pagaille, mais au moins n’allait-elle se faire déchirer les jambes.

Elle avait mis un coussin plat sur ses genoux, aussi. Sécurité en plus. (‘’Maurice !’’ s’offusqua de nouveau la serveuse. Un chat roux s’immobilisa, la tête au-dessus de la tasse, sa langue sortie effleurant presque le liquide. Entre s’enfuir ou finir son acte, il était partagé par un dilemme intérieur faisant frémir ses moustaches. ‘’N’essaye même pas. Maurice, ne fais pas ça, tu étais mon préféré.’’ Le dénommé Maurice n’esquissa pas le moindre mouvement pendant encore quelques secondes, qui parurent une heure tant la tension était forte entre les deux antagonistes. Finalement, il finit de plonger sa tête triangulaire dans la tasse, lapa sans rompre le contact visuel avec la serveuse dont le visage se décomposa, se brûla la langue, miaula. Il recula (s’envola) jusqu’au bout du comptoir dans un bond spectaculaire, sa patte glissa dans le vide, il glissa aussi, renversa la tasse en essayant de se rattraper, miaula de nouveau de manière encore plus dissonante, ‘’mrIaaWeU’’, chuta au sol dans un bruit sourd et détala tout aussi élégamment, les poils du dos hérissés et du café plein les coussinets.)

Le bruit que le félin venait d’émettre n’était même pas un miaulement. C’était une aberration de la nature, annonçant la fin du genre humain. C’était une prophétie, d’apocalypse.

La jeune fille porta un regard perplexe vers son accompagnatrice, qui avait elle-aussi son attention tournée vers la scène.

<<- Mn. Chiara lâcha seulement pensivement, avant de reporter son attention sur elle. Tu veux quoi ?

Donc, elles n’allaient vraiment pas parler de…? Non, c’était normal ? Heh. Claire ricana nerveusement en passant sa main dans ses cheveux, s’enfonçant dans les coussins du dossier.

Elle ne savait pas qu’un tel endroit existait si près de chez elle.
Elle songea à déménager.

- Euh…Un café…? J’imagine…

Avec de l’alcool pour oublier.

La volleyeuse esquissa une moue de dégout dramatique.

- J’ai dû mal entendre. J’ai cru que tu avais dit ‘’café’’.

- Comment tu peux prononcer ce mot avec autant de mépris ? S’amusa sa camarade en rigolant doucement, d’une voix essoufflée et grave. La caféine est la meilleure amie de l’étudiant.

Chiara s’empourpra, restant toutefois fermement campée sur ses positions.

- Premièrement, non. Deuxièmement, non, troisièmement, j’ai raison et tu as tort.

- J’ai peur de ne pas avoir suivi ton raisonnement. Peux-tu répéter tes arguments ? Je n’étais pas dans l’état d’esprit d’un enfant de trois ans.

- C’est amer et sans goût. Aussi savoureux que du jus de chaussettes !

- C’est…Pire

- Jamais de la vie je ne te prendrai ça ! Tonna la tête blanche, indignée dans le plus profond de son âme, en se levant vigoureusement. Tu commanderas quand tu feras des choix avisés !

- Est-ce qu’un vendeur de café t’as un jour fait du mal…- Hey !>> S’exclama la brune alors que son interlocutrice s’enfuyait en furie vers le comptoir, une lueur de détermination incendiant le bleu de ses iris.

La guitariste se leva pour la suivre, son coussin glissant de ses genoux—avant de se figer brutalement.

<<-…>>

Un chat noir était posté juste devant sa banquette, statique. Il la reluquait. Une minute passa, et il n’avait toujours pas cligné des yeux. Ses pupilles étaient si dilatées qu’elles faisaient presque disparaître le jaune sale de ses iris.

Claire déglutit, la bouche sèche. Elle oublia totalement Chiara; un interrupteur s’activa dans sa tête. Elle était passée du mode vie courante à survie.

La lycéenne se rassit doucement, évitant le moindre mouvement brusque. Elle avait déjà entendu des gens appeler des animaux en faisant des bruits de bouche de poulpe en fin de vie. C’était quoi le contraire de ‘’pshpshpshpsh’’ ?

<<-…Hsphsphsphsp…>> Tenta-t-elle pour le faire fuir.

Les oreilles du chat se dressèrent sur sa tête. Il remua sa queue derrière lui et se leva souplement de son séant. Une sueur froide coula dans le dos de la guitariste, dont le cœur manqua un battement.

<<- Hey, hey, non. Non, tu ne comprends pas ?! Je n’ai pas fait pshpshpsh, j’ai fait hsphsphsp, c’est l’inverse, ça ne veut pas dire que tu peux venir ! Hey, va-t’en ! Monsieur avec tout mon respect rentrez chez vous, HSPHSPHSPHSP…->>

L’animal sauta sur la banquette. Claire attrapa le coussin pour la plaquer contre ses cuisses, hurlant intérieurement. Elle resta encore tétanisée lorsque la bête la renifla. Il se laissa finalement aller contre elle, et frotta sa tête plate de chat galleux contre son bras.

<<- Super...Ugh…Râla la brune, avant de soupirer en entendant le ronronnement sonore de l’animal. C’est un chat ou une tondeuse, ce truc…?

Le truc, en tout cas, sembla se complaire avec elle car il sauta sur le coussin, la faisant sursauter, et s’y roula en boule promptement…

- Non…!>>

…Tout en bavant, une substance brillante et gluante coulant de sa gueule. Une expression dégoutée passa sur le visage de la jeune fille. EWW. Elle lança un regard affolé autour d’elle, cherchant de l’aide, mais personne n’avait l’air de réagir. Sa lèvre se retroussa. Ewwwwww…Continuait sa voix intérieure alors qu’elle passait son doigt entre les oreilles du chat pour tester ses réactions, tendue. Ce dernier ronronna deux fois plus fort et frotta sa tête contre le coussin, étalant sa bave contre le tissu.

<<- C’est vraiment répugnant. Sérieux, personne fait ça.

- Tu t’es fait un ami ?>>

La brune leva la tête vers Chiara qui était revenue, et s'asseyait en face d'elle. Une sorte de sourire entendu insupportable flottait sur ses lèvres, du style: je te l’avais dit.

<<- Débarrasse moi de ce truc.

Sa camarade se pencha au travers de la table pour mieux voir.

- Aw.~ Il est adorable ! Veinarde.

- Je te hais.

- Peut-être, mais tu ne peux plus partir maintenant. Chantonna son interlocutrice d’une voix mélodieuse et légère. Ehe.~

- Wow. Alors tu avais vraiment un côté sombre en toi. Quoi, je suis retenue otage ? Questionna sarcastiquement la principale intéressée, le coin de sa bouche se relevant en un semblant de rictus.

- Qui sait ?

Chiara barra ses lèvres de son doigt d’un air mystérieux.

- A. Ahah…Ah…?>>

Claire ricana nerveusement.

Ce fût le moment que la serveuse choisit pour arriver avec un plateau, et un sourire aimable dissimulant certainement bien plus de douleur que Claire ne pouvait deviner. Elle se demandait si elle avait pu avoir son café, au final.

<<- Ah, Satan vous a adoptée. S’étonna-t-elle lorsque son regard tomba sur la forme roulée en boule sur les cuisses de la lycéenne.

-…Satan ? Répéta la guitariste, un rire blanc lui échappant.

Chiara pouffa en face d’elle. Elle simula une quinte de toux pour ne pas paraître irrespectueuse, mais le rendu final était pire que son rire de base—on aurait pu croire au choix soit qu’elle s’étouffait, soit qu’elle reniflait et hoquetait en même temps. La serveuse lui lança un coup d’œil inquiet, avant de reporter son attention sur Claire et son expression dépitée. Elle faisait abstraction de sa camarade.
Chiara.

Elle choisit de l’imiter, et se reconcentra sur la discussion en entreprenant de décharger son plateau.

- Oui. En fait on l’a recueilli en refuge, et il était déjà nommé comme ça. J’imagine que c’est car au Moyen-Âge, les chats noirs étaient considérés comme les suppôts de Satan. Ou alors, il appartenait à l’un des membres d’une secte, qui l’a abandonné pour ne pas avoir à le sacrifier ? Divergea-t-elle en se redressant, les yeux perdus dans le vague. En tout cas, il est adorable. Il passe son temps à dormir, et il ne pose jamais de problèmes…Lui. Termina-t-elle, alors qu’un éclair de contrariété passait sur ses traits.

Visiblement, non, elle n’avait pas eu son café.

- Je…Vois. Hésita Claire, ne sachant quoi ajouter.

- Enfin, j'espère que vous apprécierez les boissons. Appelez-moi en cas de souci. Assura la jeune fille gaiement, son plateau sous le bras.

- Merci, vous auss…->> Commença la musicienne, avant de s’interrompre dans sa phrase aussi sec, ses syllabes mourant sur sa langue.

Heureusement, la serveuse avait déjà tourné les talons et ne l’avait pas entendue. Un nouveau pouffement (?) toussement (?) reniflement (?) étouffé s’éleva d’en face d’elle. Claire ferma les yeux. Fuck.

Chiara avait le visage enfoui dans ses mains, les oreilles écarlates. Ses cheveux paraissaient d’autant plus blancs à côté de la couleur qu’avait pris son visage, apercevable par brefs moments entre ses doigts lorsque ses épaules tressautaient sous un nouvel éclat de rire.

<<- Pfuahaha…- Ahah…!>> Persistait son amie malgré son souffle court.

La brune évita soigneusement de la regarder, le visage cramoisi.

Claire décida de ne plus jamais revenir dans cet établissement.

Un éclat de bleu attira son attention. Chiara était en train de pianoter d’une main sur son portable, essuyant de l’autre ses larmes de rire—ses larmes de rire, sérieux ? ne put s’empêcher de s’accabler la jeune fille, embarrassée au possible.

<<- Qu’est-ce que…Tu fais ? S’enquit-elle d’une voix mal assurée en frôlant l’oreille de Satan pour se redonner contenance.

Un miaulement plaintif résulta de son action. Aigüe et presque inaudible, comme si on lui avait coupé le son; elle le voyait clairement ouvrir la bouche en redressant la tête, mais le reste ne suivait pas. Satan frotta ses babines contre son doigt en ronronnant; lorsque la lycéenne retira sa main, elle brillait de salive.
EWW.

- Je réponds à Félix. Entendit-elle Chiara dire, alors qu’elle s’essuyait sur son pantalon, écœurée.

Lui, au sale, définitivement.

- Huh ? Interrogea la guitariste, sortant de ses pensées. Depuis quand tu as son numéro ?

- Depuis hier.

Son interlocutrice reposa son téléphone face contre la table. Elle lui adressa un large sourire innocent—l’un de ceux qu’elle faisait lorsqu’elles ne se connaissaient pas encore bien, et qu’elle pensait encore que la volleyeuse était un être de lumière dénué d’imperfections. Un sourire plus que suspicieux, donc, qui n’annonçait rien de bon; elle l’avait appris à ses dépens.

- Ah, c'est vrai.>> Se rappela la brune.

Elle avait requêté au batteur de la prévenir pour la vidéo, et de s’en occuper en fonction de ce qu’elle déciderait. Claire plissa les yeux. Pourquoi souriait-elle comme ça ? Qu’avait-elle fait, encore ? Quelque chose lui disait que son association avec Félix n’était définitivement pas une bonne idée…

Trop tard, n’est-ce pas ? La lycéenne lâcha un mh appréhensif.

<<- Et du coup, tu as décidé quoi pour la vidéo ? Reprit-elle gauchement pour changer de sujet, les coudes sur la table.

Chiara attrapa sa boisson, prenant le temps de goûter avant de répondre. La musicienne la trouva d’une couleur peu naturelle; un rose crémeux un peu comme du lait à la fraise, mais bien plus pastel, et avec des traînées de rouge et de violet effacées se dissipant dans le liquide alors qu’elle le remuait avec sa paille. Et…Elle fronça les sourcils, sceptique. Et, c’était des paillettes, ça…?

- Je lui ai dit de la supprimer.

Claire hocha la tête pour approuver. Cette réponse lui suffisait.

- D'accord.>> Acquiesça-t-elle en zieutant la deuxième boisson au centre de la table.

Contrairement à la première, elle était extraordinairement simple. Un verre à grenadine transparent, contenant un liquide limpide aux tons rougeâtres. La jeune fille aux cheveux blancs suivit son regard et le poussa vers elle.

<<- Pour toi. Informa-t-elle, tout en plantant une framboise du bout de sa paille pour la gober.

- Mn…C’est quoi ? Questionna la brune, méfiante.

- Pas du café.

De toute évidence. La guitariste esquissa un rictus sarcastique. Eh, souffla-t-elle.

- J’aurais…Pu le deviner. Rigola-t-elle nerveusement, examinant toujours le verre. Tu ne vas pas me le dire, pas vrai ? Compléta-t-elle, l’expression espiègle enjouée de son amie alors qu’elle mâchonnait suffisant pour qu’elle comprenne que non, de toute évidence (une nouvelle fois).

- Nope.~>> Corrobora suavement la volleyeuse, un demi-sourire matois détendant ses traits fins. Bois.>>

Elle prenait grand plaisir à la faire tourner en bourrique. Claire grinça des dents. Vraiment

<<- Peu importe.>> Capitula-t-elle, trop fatiguée de toute manière pour espérer gagner le moindre débat contre la pile électrique qu’elle était. Une première gorgée prudente lui apprit que le liquide énigmatique était du sirop; une deuxième lui permit d’identifier ce dernier comme du sirop de fraise. Voilà, mystère résolu. Applaudissements, s’il vous plaît.

<<-…>>

La guitariste soupira. Entre la pression des chats, de l’environnement nouveau et de la personnalité de la tête blanche, elle devenait acerbe. Comme toujours, lorsqu’elle perdait le contrôle d’une situation. La lycéenne sirota son verre d’un air sombre renfrogné, qui était en réalité son air préoccupé. Elle devait faire redescendre son stress. Une, deux…Elle inspira. Trois, quatre, cinq, six…Elle expira. Sept, huit, neuf, dix, onze. Elle resta en apnée. Encore une fois. Encore. Les battements de son cœur perturbé par sa respiration irrégulière s’accélérèrent. La tempête dans son esprit s’apaisa.

Elle souffla doucement.

Bien.

<<-…Merci. Je te rembourserai, dis-moi juste le prix.

- Non merci ! J’ai payé avec l’argent du concert. Refusa son interlocutrice en faisant le signe okay de ses doigts. Tu ne me dois rien !

La brune fronça les sourcils, perplexe.

-…Tu veux dire les cinq centimes de la grand-mère qui pensait qu’on faisait la manche…?-

- Ce n’était pas cinq centimes ! La corrigea Chiara avant même qu’elle ne termine sa phrase, la désignant de sa paille d’un air farouche. Arrête de rabaisser ton travail et tes efforts, Claire ! Arrête juste de te rabaisser !

L’interpellée grimaça.

- Euh…D’accord. Agréa-t-elle pour se débarrasser du regard flamboyant de sa camarade qui attendait une réponse. Juste abaisse ta paille, s’il te plaît…? J’ai l’impression que tu tiens une arme blanche…>>

Cette dernière lâcha un mnf ténu en se renfonçant dans son dossier. Claire la surveilla du coin de l’œil, une goutte de sueur roulant sur sa tempe. Elle était le danger, définitivement.

La lumière du jour à l’extérieur se colora de doré. Un bruit électrique grésillant accompagna l’apparition de petites lumières entortillées entre les guirlandes de faux lierre accrochées au plafond, et l’allumage des néons allongés au-dessus des tables. La guitariste rejeta la tête en arrière pour observer le phénomène, curieuse. Par la vitre, elle pouvait voir les devantures de magasin et les fenêtres s’illuminer au fur et à mesure que le jour baissait.

<<- Tu étais au courant qu’on a fait plus de trois cents vues sur la vidéo ?

- Ah. Vraiment ?

- Ça me permet de cocher une nouvelle case de ma liste.>>

‘’Liste’’. Les yeux smaragdins de la guitariste se reportèrent sur elle dès que le mot s’éleva dans l’air, cette dernière se reconcentrant aussitôt sur la conversation.

<<- Laquelle ?

Chiara esquissa un sourire, avant de lever le menton d’un air fier en rejetant ses cheveux en arrière, ces derniers brillant sous la lumière artificielle.

- Celle de devenir célèbre, bien sûr ! Déclama-t-elle d’un ton de diva dramatique.

- Tiens donc ? S’étonna son amie, peu convaincue.

La volleyeuse hocha la tête.

- Réfléchis-y. Je ne connais pas trois cents personnes. Mais trois cents personnes, des inconnus, me connaissent maintenant. Ça veut bien dire que je suis célèbre, non ?

Claire haussa les épaules, toujours pas convaincue.

- Peut-être...>> Murmura-t-elle donc évasivement en faisant tourner son verre entre ses mains.

Des remous d’un pourpre transparent échouaient contre les rebords du verre. La célébrité, heh…C’était assez relatif, au final. La plupart des gens veulent être reconnus pour ne jamais être oubliés. Est-ce que Chiara avait peur de cela, elle aussi ? Elle se demandait…Et si elle mourrait, elle, qui se rappellerait d’elle ? Elle n’était pas sûre de vouloir être remémorée. Enfin, dans tous les cas…

Cela faisait toujours une case en moins.

<<- En parlant de liste. Enchaîna-t-elle d’ailleurs. On en est où ?

Chiara ouvrit son sac, et sortit d'une pochette en carton la fameuse feuille.

- Voyons voir.>> Chantonna-t-elle en la glissant entre elles deux.

La brune se pencha en avant légèrement, gênée dans ses mouvements par le chat. Elle remarqua en effet qu'une des cases au beau milieu de la liste était dorénavant cochée, le carré remplit de noir minutieusement.

■ "Devenir célèbre".

Et celle la précédant…

■ "Aller au café chat".

Elle comprenait mieux.

<<- La suite logique de ta liste serait ‘’apprendre à faire du skateboard’’...Constata-t-elle dans un soupir déprimé.

Comment allait-elle se débrouiller pour lui apprendre ça ? Réfléchit-elle en faisant la moue, des ébauches de plan se construisant déjà dans son esprit. Et puis, ‘’skate’’ et ‘’Chiara’’…C’était encore un plan foireux, ça.

- En fait, cette case est déjà quasiment cochée. Intervint son interlocutrice. Taylor essaye de m'apprendre, depuis le début de l'année.

La musicienne marqua un temps d’arrêt.

-…

Elle releva le regard pour dévisager son interlocutrice, ses yeux plissés par la confusion. Puis, la phrase pris enfin tout son sens dans son esprit. Son souffle se coupa.

- Taylor ?>> Répéta-t-elle, abasourdie.

Sa voix s’était involontairement serrée, et avait vrillé sur la dernière consonne. Elle crissa des dents en l’entendant. Ridicule. Claire toussota dans son coude en détournant le regard, feignant une quinte de toux sèche. Satan redressa la tête sur ses cuisses, dérangés par ses soubresauts.

Un sentiment désagréable lui serra la gorge, rendant toute sa comédie inconfortable.

Elle avait bêtement pensé qu'elle était la seule au courant de cette liste, que c'était quelque

chose entre Chiara et elle.

<<- J'ai d'autres amis, tu sais ? Rigola celle-ci, retournant inconsciemment le couteau dans la plaie. Eeh, bois un peu, Claire. On dirait que tu as avalé un crapaud. Ajouta-t-elle en poussant son verre vers elle.

-…>>

La musicienne l’attrapa sans rien dire et s’exécuta. Au moins pour se donner le temps de se reprendre; elle ravala ses sentiments et ses questions idiotes en même temps que son sirop de fraise, amer sur sa langue. Elle s’efforça de faire le vide dans son esprit. Vide. Vide. Ses pensées bourdonnaient dans ses oreilles, leur noirceur se réveillant, oppressant son cœur qui s’alourdit, comme gonflé d’humidité, du liquide poisseux suintant de quelque chose enfoui au fond d’elle.

Bien sûr, qu’elle avait d’autres amis, c’était normal.

La guitariste se laissa retomber contre le dossier de sa banquette, scrutant la jeune fille, impassible. En fait, même après tous ces moments passés avec elle, elle n’avait connaissance que de ce qu’elle voulait bien lui dire. Elle savait tout ça, déjà. Elle le savait, mais le réaliser, en prendre pleine conscience était différent. Elle baissa la tête, concentrant toute son attention sur Satan.

La vérité, c’était que malgré toutes ses résolutions, elle s’était attachée. Et Chiara, elle, n’avait pas changée. Elle la traitait de la même manière dont elle traitait n’importe qui d’autre, avec jovialité et bonne humeur: elle présentait la même façade, encore et toujours. Pas une craquelure n’était apparue, de tout le temps passé ensemble. Dans ce cas-là, était-ce même de l’amitié ?

<<- Mais alors, ta case avec le bouquet...

La volleyeuse se crispa, et se gratta la joue nerveusement.

- Oh. Je vois.>> Souffla la brune platement.

Combien de choses fausses s’était-elle encore imaginé ? Claire s’empourpra de honte, la mâchoire serrée. Comment avait-elle pu se laisser croire que cette case avait été cochée avec elle ? Comment avait-elle pu être aussi bête ? Elle se sentait tellement stupide, elle brûlait d’humiliation. Elle, jolie ? Avec ses cernes, ses traits tirés par ses heures d’insomnie, et son air renfrogné constant ? Ses cheveux en nid d’oiseau, ses vêtements attrapés au petit bonheur la chance ? Elle ? Elle n'avait absolument rien de particulier, sinon son sarcasme et son acerbité. Elle n'avait rien, du tout, en fait. Elle n'était rien.

C’était tellement embarrassant.

Elle passa sa main dans ses cheveux en soupirant, continuant jusqu’à ce que sa paume repose dans sa nuque. Eh bien, au moins, voilà qui était fait. Ses mèches retombèrent devant ses yeux. Elle ne les dérangea pas, ne les remarquant même pas.

Elle ignorait pourquoi elle était aussi blessée par une révélation n’en étant même pas vraiment une. Fool.

En face d'elle, Chiara était murée dans un silence penaud.

<<- Eh bien, c'est génial ! S'exclama finalement Claire, car c’était vrai, au fond, c’était génial, pour elle, elle ne mentait pas. Ta liste sera vite cochée.

Plus c’était gros, plus ça passait. Chiara parut soulagée de son enthousiasme, et sourit en retour.

- Tu auras moins à me voir, en plus, comme ça !>> Plaisanta la jeune fille aux cheveux blancs en rigolant, amusée par sa propre blague.

Ces mots eurent l’effet d’une pique dans le cœur de son interlocutrice, qui se garda pourtant de commentaires pour ne faire que lever les yeux au ciel d’un air atterré de circonstance. Ses éclats de rire en furent autant de plus.

La liste était donc un compte à rebours.

Elle aurait aimé lui dire qu’elle adorait le temps qu’elles passaient toutes les deux, et qu’elle ne voulait pas que ça s’arrête après la dernière case de sa liste rayée. Elles pouvaient en compléter une autre, puis, une autre, encore une: autant qu’elle le souhaitait, elle aimait juste être avec elle. Que passer du temps avec elle n’était pas une corvée. Qu’elle le faisait de sa propre volonté. Sciemment.

Mais elle ne le fit pas. Car elle ne savait pas s’exprimer, que ses mots étaient des crapauds, qui roulaient sur sa langue et défiguraient ses paroles. Elle déglutit, la gorge serrée.

Était-ce à cause de son mauvais caractère, qu'elle avait commencé à recruter une autre personne pour l’aider ? Ou alors...Était-ce Claire, ‘’l’autre personne’’ ? La jeune fille ne sut quelle option était la pire.

Satan la scrutait de ses orbes jaunes.

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