Chapitre 5 : Mariam - Travaux

Mariam se leva sans se souvenir s'être endormie. Elle était tombée comme une masse.

- Vous pouvez ralentir le rythme, proposa le seigneur Kervey lorsqu'elle bailla ostensiblement tout en servant le petit déjeuner. Vous n'avez aucune obligation de rapidité. Seul le service est obligatoire.

- Et repousser les travaux ? s’exclama Lord Kerings qui voyait sa salle vidéo s'éloigner.

Mariam le sentit agacé.

- Tu peux te retrousser les manches et aider si tu veux que ça aille plus vite, proposa le seigneur Kervey amusé.

Dire que le regard de Lord Kerings envers son hôte fut mauvais serait mentir : il fut incendiaire. Le seigneur Kervey, insensible à la menace sous entendue, conserva son immense sourire.

Mariam n’aurait pas voulu être la cible de la rage de Lord Kerings. Elle fut heureuse que l’invité au château fulmine contre le propriétaire et non contre elle.

Mariam annonça à Sam sa volonté de ne plus réaliser les travaux que le matin pour se consacrer au ménage l’après-midi. Sam ne s’opposa ni ne se récria. En revanche, Mariam constata en soirée que Sam avait monté l’électroménager sans elle après le déjeuner. La cuisine était enfin entièrement équipée.

- Je peux maintenant faire des petits déjeuners, annonça Sam en préparant le dîner. Que voulez-vous manger ?

- Café et croissant, si ça n'est pas trop demander.

- Absolument pas. Confiture, compote, beurre ?

- Confiture aux fruits rouges, peu importe lesquels.

- Parfait. Vous aurez ça demain. Du coup, pensez à mettre votre réveil à six heures car il faut désormais servir le petit-déjeuner.

Mariam hocha la tête. Cela ne la dérangeait pas du tout.

- Maintenant que les réserves sont faites, quelle pièce fait-on ? interrogea Sam.

- Qu'avons-nous reçu ?

- Tout. L'ensemble est stocké dans les anciens appartements des serviteurs.

Mariam montra qu'elle ne comprenait pas.

- Les deux pièces dans l'aile est, disponibles seulement depuis l'extérieur.

Mariam ne se souvenait pas y être allée. Elle indiqua son ignorance.

- Je vais vous montrer, proposa Sam en se dirigeant vers la porte menant à la cour intérieure.

Mariam partit dans la direction opposée. Sam ne cacha pas sa surprise.

- Je vais prendre mon manteau. Il fait froid.

Mariam disparut dans l'entrée. Sam sortit bras nus mais il fronçait les sourcils, comme s’il était en proie à une intense réflexion difficile. Ils se dirigèrent vers une porte dans le mur de droite. Mariam se souvint l'avoir remarquée lors de sa première visite mais elle avait totalement oublié d'aller y faire un tour.

L'endroit était immense : l'ancien dortoir des serviteurs. Ils devaient sacrément avoir froid ici. Il n'y avait aucune cheminée. Des cartons remplissaient l'espace, séparés par un chemin central.

- Ça fait une sacrée quantité ! s'exclama Mariam.

- Nous avons placé ici les matériaux ne risquant pas le froid et l'humidité. Les autres sont dans l'ancienne chapelle.

Mariam hocha la tête. Ils retournèrent au chaud, dans la cuisine. Mariam alla poser son manteau. En revenant auprès de Sam, elle annonça :

- Nous commencerons par les toilettes, puis les chambres, annonça Mariam. C'est le plus urgent.

- Je doute que les patrons soient de votre avis, le contra Sam.

C'était la première fois qu'il rejetait ses plans pour les travaux. Jusque-là, il suivait sans broncher.

- Il n'y a ni lit, ni salle de bain, ni toilettes ! s'exclama Mariam.

- Je vous dis juste qu'ils risquent de ne pas être de votre avis.

- Je me doute que Lord Kerings voudrait sa salle vidéo !

- D'autant que nous aurons Internet demain au château. La parabole est au port.

Mariam sourit. Elle allait peut-être enfin arrêter de s’ennuyer et se reposer devant une série.

- J'aimerais pouvoir me laver, aller aux WC et dormir dans des endroits confortables.

- Nous pouvons faire votre chambre, votre salle de bain, les trois WC du château puis la salle vidéo.

- Faire ma chambre avant celles des patrons ? Ça n'est pas poli.

- Je suis certain qu'ils préféreront cette option.

Mariam grimaça. Elle en doutait carrément.

- Je vous sens réticente. Nous pouvons aller leur demander maintenant. Je parlerai, si vous voulez.

Les patrons, comme tous les soirs, étaient dans le bureau. Même position, même absence d’occupation. Tiens ! Lord Kerings avait changé de livre. Lisait-il vraiment ?

- Que pouvons-nous faire pour vous ? interrogea le seigneur Kervey.

- Nous avons des doutes sur l'ordre des travaux à effectuer, annonça Sam. Les toilettes sont une priorité, c'est évident. Pour le reste, devons-nous commencer par les chambres – les vôtres en premier, ou bien seulement la chambre de Mariam et en parallèle, la salle vidéo ?

- La salle vidéo, annonça Lord Kerings en levant le nez de son ouvrage.

Le seigneur Kervey approuva. Mariam fit la moue. Sam avait présenté les choses légèrement différemment : "en parallèle la salle vidéo". Elle soupira puis s'admit vaincue.

- Très bien, Sam, vous avez gagné.

- Ravi de constater que vous vous entendez bien, intervint le seigneur Kervey.

- À merveille, assura Sam. Merci d’avoir pris le temps de répondre à nos interrogations.

- Tricheur, souffla Mariam à Sam dès que les deux compères furent dans la salle à manger, la porte du bureau fermée.

- Je n'ai fait que présenter les options et ils ont été de mon avis. On commence par les toilettes. Vous semblez y tenir.

- Le premier étage est entièrement en parquet. Quitte à faire ma chambre et les toilettes, autant s'occuper du sol. Il faut entièrement vider les chambres pour pouvoir poncer le sol et le vernir.

Sam réfléchit un instant puis hocha la tête.

- Il y a un problème ? interrogea Mariam qui sentait Sam réticent. Ça ne nous empêchera pas de faire la salle vidéo. Je comptais m'occuper de nettoyer l'ancienne salle d'arme pendant que vous ponciez le haut. C'est davantage un travail d'homme d'utiliser la grosse machine.

Sam sourit.

- Non, non, aucun problème.

Le mensonge était évident mais Mariam choisit de ne pas insister. Elle emprunta le couloir après le bureau des patrons pour se retrouver au fond de l'aile ouest. La pièce avait été entièrement vidée mais elle restait sale. Mariam prit son courage à deux mains. Sam finit de poncer le haut en même temps que Mariam annonçait la salle propre. Ils vernirent le haut ensemble puis descendirent pour inspecter l'ancienne salle d'arme. Ils constatèrent des problèmes auparavant cachés et les rajoutèrent dans les choses à faire.

Le sol n'étant pas sec le soir, Mariam ne put rejoindre sa chambre, inaccessible. Elle saisit l’opportunité. Elle se rendit à la bibliothèque. À peine entrée, une forte odeur de poussière l’agressa. Elle l’ignora. Elle ne venait pas nettoyer mais se choisir un livre. Elle y voyait à peine. Elle se saisit d’un ouvrage au hasard. Elle le feuilleta une fois dehors pour se rendre compte qu’il n’était pas écrit en français. En soupirant, elle retourna dans la salle sombre, se saisit d’un deuxième livre. Pas en français non plus. Le neuvième fut enfin rédigé dans la langue de Molière.

Elle se rendit dans le bureau des patrons. Ils savaient que la chambre de la jeune femme était indisponible. Ils lui avaient proposé de dormir sur le canapé de cette pièce cette nuit. Ils l’accueillirent sans un mot, ni d’accueil, ni de rejet, ni de surprise, ni d’agacement. Juste rien. Elle ne risquait pas de déranger : ils ne faisaient rien de toute façon.

Mariam s’assit à côté de Lord Kerings, le seul endroit où il y avait une place de toute façon. Elle jeta un petit regard amusé à Lord Kerings qui ne lisait pas vraiment et commença son propre ouvrage.

- Pourquoi de telles froncements de sourcils ? demanda Lord Kerings au bout d’une bonne heure.

- Je ne comprends pas certains mots. Ce livre est beaucoup trop compliqué pour moi. En temps normal, j’aurais regardé sur Internet mais ce n’est pas une possibilité.

- Nous ne disposons pas de dictionnaire, lança le seigneur Kervey que cela semblait chagriner.

- Dracula ? s’exclama monsieur Lawzi d’un ton méprisant. Tu ne comprends pas Dracula ?

- Quel mot ne comprends-tu pas ? dit gentiment Lord Kerings.

- Gaillard, lut Mariam.

- C’est la partie surélevée d’un navire, juste au-dessus du pont supérieur, indiqua monsieur Quern très sérieusement.

Mariam relut la phrase. Ça ne collait pas du tout. Les trois messieurs de la salle explosèrent de rire. Le seigneur Kervey soupira. Lord Kerings annonça :

- Richard a raison mais un gaillard est surtout un homme plein de vigueur et d’entrain.

Mariam se replongea dans son roman. Là, ça avait du sens.

- Merci, Lord Kerings.

- De rien, Mariam. N’hésite pas à revenir vers moi si tu as d’autres difficultés.

Mariam sentit un fabuleux nectar parcourir ses veines. Du coin de l’œil, elle vit le seigneur Kervey frémir puis sourire. Les messieurs sur les fauteuils continuaient à rire de leur blague.

Ils quittèrent la pièce à l’heure où Mariam se couchait habituellement, surprenant la jeune femme. Comment savaient-ils à quel moment elle le faisait habituellement ? Elle repoussa ses questions et, harassée par cette longue journée, s’endormit comme une masse.

Le lendemain matin, elle bailla, s’étira puis alla déguster ses croissants et son café, Sam entra dans la salle à manger et s'assit à côté d'elle. D'habitude, il ne venait que pour la cuisine et les travaux, certainement pas pour discuter.

- Ça ne te trouble pas ? interrogea-t-il.

Mariam constata que lui-aussi avait décidé de la tutoyer.

- Quoi donc ?

- Ils n'ont plus de lit, murmura Sam comme s’il avait peur d’être entendu.

Mariam se demanda où se trouvaient ses patrons.

- Où dorment-ils ? poursuivit Sam en écho des pensées de la jeune femme.

- S'il n'y avait que ça, en rit Mariam.

- Que veux-tu dire ?

Elle haussa les sourcils avant d'annoncer :

- Les lits étaient inutilisables, fit remarquer Mariam. Je me suis assise sur l'un d'eux et il s'est écroulé, rongé par les termites et la moisissure. Qu'il y ait des lits ou non ne change rien. Et puis, il n'y a aucun vêtement, nulle part, et aucune salle de bain fonctionnelle. Pour autant que je sache, ils ne dorment pas, ne se lavent pas, ne se changent pas et avant ton arrivée, ne mangeaient pas.

Mariam avait un grand sourire en disant cela. Sam ne s’opposa pas à l’usage du tutoiement envers lui. Mariam en sautilla de joie sur sa chaise.

- Ça ne te gêne pas ?

- Ne sois pas stupide, dit Mariam. Ils le font simplement ailleurs. Ils vont travailler tous les jours. Je ne comprends pas pourquoi ils préfèrent se laver, se changer et dormir au travail plutôt que chez eux mais c'est leur choix. Ce n'est pas parce que tu ne les vois pas faire quelque chose qu'ils ne le font pas.

Sam baissa les yeux. Il semblait plonger dans ses pensées. Cela amusa Mariam.

- Tu pensais vraiment qu'ils ne dormaient ni ne mangeaient ?

- Je n'avais jamais songé à une explication aussi simple.

- À quoi avais-tu pensé ?

- J'ai trop d'imagination, admit Sam. Je te laisse petit-déjeuner en paix. Excuse-moi du dérangement.

- Tu ne me déranges pas, assura Mariam mais Sam disparut tout de même derrière l'escalier.

Les travaux continuèrent. Le sol vernis avait séché pendant la nuit. La chambre de Mariam put être commencée. L’ancien parquet craquant fut remplacé par un plus jeune dans les même tons. Le plafond et les murs furent repeints. Mariam passa de nouveau la soirée avec Lord Kerings qui lui expliqua volontiers les mots de vocabulaire non compris.

Quelques jours plus tard, le lit fut placé. Mariam avait choisi un king size à baldaquin. La chambre était grande et quitte à vivre dans un château, autant faire coller l'ameublement avec l'environnement. Le matelas d'excellente qualité reçu du linge de maison mauve, la couleur préférée de Mariam. Les oreillers moelleux furent protégés par des taies assorties.

- Je vais enfin bien dormir, sourit Mariam.

- On monte l'armoire, histoire que tu puisses ranger tes vêtements ? proposa Sam.

- Non, ce n'est pas urgent. On s'occupe des toilettes. Ça, c'est urgent ! Et après, ça sera ma salle de bain. S'ils veulent se laver à leur travail, c'est leur droit, mais moi, je ne peux le faire qu'ici et j'en ai assez de me laver dans une bassine. Je rêve d'un bon bain chaud.

Sam sourit.

- Les toilettes alors. C'est parti.

Ils posèrent le carrelage dans les toilettes, tant au sol que sur les murs. Le plafond reçut une couche de peinture blanche. Les premières toilettes furent installées. La nouvelle porte reçut un loquet et Mariam put enfin faire ses besoins dans le confort moderne.

- Ma salle de bain, pressa Mariam en sortant.

Sam sourit. L'enthousiasme de la jeune femme l'amusait.

- Demain, annonça Sam. Assez de travaux pour aujourd'hui.

- Tu es fatigué ? s'étonna Mariam qui n'avait jamais vu Sam montrer le moindre signe d'épuisement.

- Non. J'en ai juste marre, précisa le cuisinier.

- Très bien. Bonne fin de journée.

- Merci, dit Sam avant de s'éloigner.

Mariam le regarda partir. C'était la première fois qu'il énonçait un besoin personnel. Ça le rendit encore plus humain. Mariam se demanda ce qu'elle pourrait faire.

Elle aurait bien eu envie d’une discussion avec Lord Kerings mais ce dernier n’était pas au château. En journée, il se trouvait en ville pour ses affaires, réalisant les trajets quotidiens en hélicoptère. Cela devait coûter une fortune en carburant. Mariam appréciait les soirées lecture avec l’invité du château. Quand il se trouvait en sa compagnie, il semblait un peu moins morose. Mariam apprenait avec bonheur, appréciant de le voir sortir de sa léthargie grâce à elle.

En dehors de ces moments privilégiés, il restait lointain et supérieur, redevenant le Lord devant la servante. Mariam ne lui en voulait pas. Elle fut simplement triste de ne pas pouvoir discuter avec lui. Elle appréciait tant sa compagnie bienveillante, à l’opposée des regards moqueurs des messieurs du château.

Mariam soupira. Que faire pour occuper son temps ? Elle décida d'aller se promener. Elle mit son manteau et sortit du château par la porte principale, en fermant bien la porte derrière elle cette fois.

Il faisait froid mais cela la dérangeait moins qu'à son arrivée. Elle commençait à s'y faire. Elle marcha le long de l'allée principale. La neige la recouvrit peu à peu. L’air était empli d’une bonne odeur de forêt et de pluie fraîchement tombée. Le sifflement du vent dans les arbres ressemblait au grondement léger d’une cascade. Elle se laissa bercer par la nature autour d’elle. Le soleil, bien que peu présent, l’éblouissait à travers les nuages gris qui emplissaient le ciel jusqu’à l’horizon.

Des oiseaux chantaient dans les alentours. Aucun hurlement de loup. Mariam sourit. Y en avait-il seulement ? Elle en douta. Elle contourna le château, passa devant l'héliport puis continua dans la direction de l'aile ouest du château. Elle découvrit un petit chemin difficile à repérer qui la mena à une grande demeure sans étage au toit de chaume et aux murs en brique et bois en parfait état. La terrasse offrait une table en bois et des bancs rustiques. De la cheminée s'échappait une fumée sombre. Le tout dégageait un air de plénitude, de bien-être, de simplicité, de connexion avec la nature.

Pour Mariam, cela ne faisait aucun doute : Sam demeurait là. Vu son tempérament, elle comprenait qu'il préfère vivre ici qu'au château. Mariam imagina un intérieur chaleureux en bois et pierre, du parquet, des meubles en chêne, des animaux empaillés, le tout sur un fond de musique rock métal. Elle sourit. Derrière les rideaux, on ne voyait rien et Mariam ne comptait pas déranger Sam uniquement pour satisfaire sa curiosité. Elle n'irait pas vérifier si elle avait raison ou non. C'était le jardin secret de Sam et elle le respecta.

Elle suivit le chemin qui continuait à travers la forêt de l'autre côté du domaine de Sam. Des hennissements la prévinrent qu'elle arrivait au haras. Elle entra dans le bâtiment et se promena au milieu des box. Les chevaux ne bronchèrent pas à son passage. Mariam n'avait jamais eu d'animaux de compagnie. Elle s'approcha d'un cheval, terrorisée. Le cheval remua la tête et Mariam recula en criant.

- Il ne va pas te manger, annonça monsieur Lawzi dont Mariam n'avait pas remarqué la présence.

- Je sais, assura Mariam, agacée d’avoir été surprise par ce résident dans une bien piètre situation. Il m'a surprise, c'est tout.

- Tu voulais me parler ?

- Absolument pas. Je me promène.

- Le château est propre ? interrogea monsieur Lawzi.

- J'ai le droit à des pauses, répliqua sèchement Mariam.

Il montra sa désapprobation mais ne dit rien.

- Je n'ai jamais touché un animal de ma vie, avoua Mariam.

Le résident du château lâcha un gloussement.

- J'ai toujours vécu en ville et nous n'avions pas de chat ou de chien. Il n'y a rien d'étonnant à ça !

Le palefrenier resta muet mais son jugement critique transparaissait tout de même.

- J'ai toujours eu un peu peur des chevaux mais j'aimerais mieux les connaître.

- Peur ? Pourquoi ? s'étonna monsieur Lawzi.

Mariam sourit rapidement. Elle avait réussi. Ce résident était le seul à réellement montrer de l'animosité envers elle. Si elle arrivait à se le mettre dans la poche... Les chevaux étaient sans aucun doute le moyen d'y parvenir.

- Ils sont grands. Ils peuvent mordre, ruer. Ils sont forts.

- Ils sont aussi doux et compréhensifs. Si tu es gentille avec eux, ils te le rendront mille fois. Tiens, donne-lui ça.

Le résident tendit une carotte à Mariam qui s'en saisit.

- La main bien à plat, afin qu'il ne te morde pas par inadvertance, précisa le palefrenier.

Mariam obéit. Le cheval dégusta la friandise avec gourmandise. Mariam gloussa en sentant la langue du cheval caresser sa paume grande ouverte.

- Elle s'appelle Roby. C'est une jument de trois ans. Elle est caractérielle mais affectueuse.

Mariam écouta monsieur Lawzi parler. Il ne s'arrêta pas. Les chevaux étaient sans aucun doute sa passion. Il lui présenta chaque animal et Mariam l'écouta sans le couper.

- J'aimerais apprendre à monter. Ça m'occupera pendant mes temps libres. Vous voulez bien m'apprendre ?

- Bien sûr. Avec plaisir, répondit le palefrenier.

Gagné ! pensa Mariam.

- Je vais rentrer. Vos amis vont bientôt rentrer. Je dois préparer la table pour le dîner.

Au dîner, les résidents discutèrent de leurs affaires. Lord Kerings venait de réussir une grosse vente. Il était d'excellente humeur, ce qui était extrêmement rare. Le voir sourire relevait de l'exceptionnel.

Mariam n'avait jamais commis d'erreur lors du service mais ce soir-là, elle glissa. Elle ne se fit pas mal en tombant mais en se rattrapant sur la table, elle tira la nappe, faisant basculer un plat de sauce sur Lord Kerings, à l'autre bout de la table. Alors que le seigneur Kervey aidait Mariam à se relever, la jeune femme sentit une profonde terreur exploser en elle. Lord Kerings se leva d'un bond et se dirigea vers Mariam d'un pas assuré. Le visage fermé, il semblait prêt à la tuer.

Mariam n'avait qu'une envie : s'enfuir en courant. Pourtant, elle restait paralysée de terreur. D'où venait cette sensation ? On ne pouvait pas avoir autant peur de quelqu'un qui était simplement en colère parce qu'il avait reçu un peu de sauce sur le pantalon.

- Nicolas, elle ne l'a pas fait exprès, la défendit monsieur Lawzi.

- Depuis quand es-tu son meilleur ami ? ironisa Lord Kerings à présent très proche de Mariam.

- Nicolas, va t’asseoir, ordonna le seigneur Kervey.

- Ne me donne pas d'ordre ! s'exclama son ami en retour.

- Mariam est mon employé. Tu n'as pas ton mot à dire, gronda le seigneur Kervey.

- Elle a…

- glissé, finit Kervey à la place de son ami. Ça arrive à tout le monde.

Mariam sentit sa terreur diminuer. Elle se retrouva de nouveau capable d’activer ses neurones. La première chose qu'elle pensa fut que Lord Kerings ne semblait pas incommodé le moins du monde par la brûlure de la sauce, pourtant très chaude. Il était en colère mais définitivement pas en souffrance physique. Il se rassit mais ne sourit plus de tout le repas. Mariam retourna dans la cuisine en tremblant.

- Ça va ? interrogea Sam en la voyant, plus blanche que la neige.

Mariam hocha la tête en reprenant son souffle. Que ce serait-il passé si le seigneur Kervey n'était pas intervenu pour remettre son ami à sa place ? Mariam frissonna puis choisit de ne plus y penser. Elle reprit le service en silence tandis que les patrons discutaient en russe. Lord Kerings ne participait pas à la conversation.

Lorsque Mariam entra dans le bureau ce soir-là, elle n’y découvrit que l’absence de Lord Kerings.

- Il est dans la future salle vidéo, indiqua le seigneur Kervey.

Mariam choisit de ne pas le déranger. Il avait le droit de vouloir être un peu seul. La jeune femme rejoignit sa chambre et lut dans son lit, notant sur un calepin les mots incompris, espérant que Lord Kerings reviendrait vers elle une fois calmé.

 

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Il fallut deux semaines pour que Mariam puisse prendre son premier bain. Les trois toilettes du château étaient fonctionnelles. Un ordinateur dernière génération fut installé par Lord Kerings dans le bureau à la place de l'antiquité du seigneur Kervey. La salle à manger reçut des meubles afin de ranger de la vaisselle. Les chambres des maîtres commencèrent à se monter. Lord Kerings regarda son premier film sur l'écran géant installé dans l'ancienne salle d'armes. Mariam comprit qu’il ne lui expliquerait jamais la signification des mots écrits. Il s’était trouvé une autre occupation. Elle continua tout de même à les noter, le cœur serré d’avoir perdu son mentor.

Les journées se ressemblaient : travaux le matin, après-midi consacrés au ménage puis Mariam sortait rejoindre monsieur Lawzi. Il lui avait d'abord appris à s'occuper d'un cheval. Le palefrenier lui avait expliqué qu'elle ne commencerait à monter que quand elle saurait s'occuper de sa monture car cela créait un lien essentiel pour la suite. Mariam prenait grand soin de Rubis, la jument de deux ans qui lui avait été attribuée.

Un soir que Mariam tournait en rond, elle décida de se rendre dans la salle vidéo, son calepin à la main, bien décidée à confronter Lord Kerings. Lorsqu’elle ouvrit la porte, elle se figea. Nulle lumière ne venait de l’intérieur. L’écran brillait de noirceur.

Mariam soupira. Lord Kerings ne se trouvait pas là. S’il n’était pas au bureau, probablement se trouvait-il dans sa chambre et alors, pas question de le déranger. Quitte à se trouver là, autant en profiter pour regarder un film. Les patrons ne s’en rendraient pas compte, la salle étant parfaitement insonorisée.

Mariam appuya sur l’interrupteur et sursauta. Les ampoules brillantes venaient en effet de faire apparaître une forme humaine dans le fauteuil de cuir noir à gauche du canapé.

- Lord Kerings ? Vous m’avez fichu la trouille. Que faites-vous ici tout seul dans le noir ? Je dérange ?

- Non, assura Lord Kerings en retour.

- La salle vidéo ne vous donne pas satisfaction ? proposa Mariam.

- Elle fonctionne très bien. J’ai regardé quelques films. Je me suis ennuyé.

Mariam s’assit confortablement. Trouver des vidéos qui pourraient plaire à Lord Kerings, voilà un défi qu’elle comptait bien relever. Elle décida de commencer par des émissions pourries de télé-réalité où des décorateurs refont l’intérieur d’appartements et de maison, soit pour rendre service aux habitants, soit dans le but de vendre le bien. Lord Kerings s’insurgea, hurla sur l’écran, insulta les protagonistes, ronchonna devant leur incompétence, admit quelques bonnes idées en grondant, pesta des réactions extatiques des clients devant ce qu’il considérait comme des horreurs sans nom.

Mariam rit beaucoup. Elle fut heureuse de ces moments passés en compagnie de Lord Kerings. Elle parvint à dénicher des séries et des films qui plurent au résident taciturne. Lui redonner le sourire chaque soir la ravissait. Elle y parvint assez souvent, échoua parfois mais il ne lui en tint jamais rigueur. Ce ne fut qu’à la fin du mois qu’elle osa lui demander s’il voulait bien lui définir les termes non compris. Bien sûr, elle aurait pu le demander à Internet, ayant reçu sa tablette dernier cri. Elle préférait cependant largement les explications orales. Il les lui donna volontiers et cela devint un rituel entre eux.

Les chambres des seigneurs Kerings et Kervey étaient utilisables quand Mariam put monter la jument Rubis pour la première fois. Monsieur Lawzi s'avéra être un professeur patient, calme, protecteur et attentif. Mariam prit rapidement confiance. La chambre de Richard Quern, à côté de la sienne, fut terminée que Mariam put monter seule, sans l'aide du palefrenier.

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