Chapitre 4 : Mariam - D & Co

Mariam entra dans la cuisine, les couverts de son petit-déjeuner à la main. Elle allait pouvoir commencer à nettoyer, ayant acheté le nécessaire la veille dans la ville proche. Ne pas comprendre les habitants fut un problème, d'autant que les produits russes ne ressemblaient en rien aux siens mais Mariam avait fini par trouver son bonheur en baragouinant le peu d’anglais qu’elle possédait – soit presque rien. Les gestes furent son seul soutien.

La carte bleue fournie par le seigneur Kervey n’avait jamais refusé un seul achat et Mariam l’avait utilisée avec parcimonie, bien que n’ayant pas la moindre idée du montant de ses dépenses, n’ayant aucune idée de la valeur d’un rouble.

À son retour, comme promis, il faisait chaud. Désormais, Mariam allait devoir, tous les matins, retirer les cendres des cheminées et les remplacer par du charbon frais mais cela ne la dérangeait pas. Elle était payée pour ça et la chaleur était à ce prix.

Elle avait désormais tout ce dont elle avait besoin pour nettoyer la vaisselle. Elle retira des assiettes du plan de travail, le nettoya, l'essuya avec un torchon neuf, posa dessus l'égouttoir acheté la veille et commença à astiquer. Lorsque l'égouttoir fut plein, elle essuya les assiettes et les plaça sur une étagère dans la réserve, préalablement nettoyée.

Elle continua ainsi pendant toute la matinée. La quantité de vaisselle sale diminua à vue d'œil. Mariam ne fut interrompue que par l'arrivée de Sam. Il lui sourit chaleureusement avant de la saluer verbalement.

- Bonjour, répondit Mariam. Comment allez-vous ?

- Très bien. Il y a de la vaisselle propre, dit-il en lui faisant un clin d'œil. Où est-elle, d'ailleurs ?

- Dans la réserve, annonça Mariam.

- Tu dois mettre la table. Jusque-là, je le faisais mais c'est ton travail. Je me contente de faire la cuisine. Mettre le couvert et servir ne sont pas dans mes attributions.

- Je veux bien le faire sauf que je n'ai lavé que des assiettes, pas de couverts ou de verres.

- Les patrons n'arriveront pas avant une demi-heure. Tu as largement le temps de laver quatre verres et les couverts correspondants.

Mariam hocha la tête et obtempéra. Elle mit la table puis continua la vaisselle, l'odeur de la nourriture se mêlant au moisi et au produit nettoyant.

À midi, Mariam servit pour la première fois les quatre résidents du château. Elle apporta l'entrée, puis le plat, le fromage et enfin, le dessert. Les hommes ne lui accordèrent aucune attention. Ils parlaient en russe tout en mangeant, parfois riants, parfois graves. Ils sortirent sans lui avoir adressé la parole et toujours sans mettre ni veste, ni manteau, ni gant.

Mariam déjeuna puis continua la vaisselle. Le repas du soir fut identique au déjeuner, à ceci près qu'il y avait un convive de plus, Lord Kerings étant présent. Mariam servit et cette fois, les hommes discutèrent en français, échangeant sur leur journée, racontant des anecdotes de travail. Mariam découvrit des hommes passionnés et intéressés. Lorsqu'Anthony expliqua les joies et les peines de ses chevaux, ses camarades écoutèrent avec attention et rebondirent sur ses propos.

Le dîner terminé, Mariam put manger à son tour et continua à faire la vaisselle.

- Vous avez le droit de vous reposer, dit le seigneur Kervey en apparaissant à la porte de la cuisine.

- Me reposer dans ma chambre mitée et sale, vous voulez dire ? Me faire chier vu qu'il n'y a ici ni télévision, ni Internet, ni radio ?

- Il y a une bibliothèque.

- Il fait nuit, fit remarquer Mariam. La lumière est insuffisante pour lire. De plus, la bibliothèque nécessite d'être nettoyée avant d'être utilisée or ce n'est pas une urgence. Au fait, les commandes mettent en général combien de temps pour arriver ?

- De trois à huit semaines selon le fournisseur.

- Super… maugréa Mariam. Vous avez réfléchi à mon augmentation ?

- Je double ton salaire, si tu veux. Je m'en fiche. L'argent n'est pas un problème pour moi.

- Ok, j'accepte que vous doubliez mon salaire, accepta Mariam en se retenant de hurler de joie.

Le seigneur Kervey hocha distraitement la tête comme si l'échange qu'il venait d'avoir n'avait pas vraiment d'importance.

- On ne peut pas avoir la télévision, le téléphone ou Internet ici. Les câbles ne viennent pas jusque-là, annonça le seigneur Kervey.

- Il suffit de placer une parabole, fit remarquer Mariam.

- Une parabole ? répéta le seigneur Kervey.

- Le machin sphérique blanc qui communique avec les satellites, ironisa Mariam.

- Les satellites…

- Les machins dans l'espace, envoyés par des fusées.

- Je vais y réfléchir.

- Ça permettrait à Lord Kerings de ne pas avoir à se déplacer tous les jours.

- Comment ça ?

- Grâce à Internet, il peut communiquer avec n'importe qui sur Terre en vidéoconférence.

- Vidéoconférence ?

- Laissez tomber, Mariam, dit Lord Kerings en entrant dans la cuisine à son tour. Julian est totalement hermétique à la technologie. Vous parlez chinois pour lui… enfin c'est manière de parler puisqu'il comprend très bien le mandarin.

- Vous êtes opposé à la technologie ? interrogea Mariam en regardant le seigneur Kervey.

- Non, il y est juste hermétique, répondit Lord Kerings. Il ne voit pas l'intérêt, ce qui n'est pas mon cas. Ça m'intéresse, une parabole au château, Internet, le téléphone…

- On pourrait prévoir de vous installer un bureau dans l'une des pièces inoccupées, continua Mariam.

- Je ne suis qu'invité ici. Le but n'est pas que je m'installe, rappela Lord Kerings. Julian, Internet t'aiderait pour tes affaires, si tu voulais bien t'y plonger deux secondes. En plus, ça simplifierait aussi la vie de Sam car Mariam pourrait faire les commandes elle-même.

- Ça, c'est un argument convaincant, dit le seigneur Kervey.

Ainsi, il suffisait de faire entrer Sam dans la balance pour obtenir n'importe quoi. C'était un levier intéressant et facile.

- En parlant de Sam, j'ai un petit souci, annonça Mariam.

- Avec Sam ? s'étonna le seigneur Kervey.

- Plus ou moins. Il n'est jamais là le matin si bien que je n'ai jamais rien pour mon petit déjeuner et je suis obligée de me contenter des restes dans le frigo. Vous n'en prenez pas vous-mêmes ?

Les deux amis échangèrent un regard rapide.

- Je vais demander à Sam ses compétences en la matière. Il réalisera les commandes de nourriture en conséquence. Il y aura rapidement un petit déjeuner au château. En revanche, cela signifie que tu devras te lever tôt, avant nous, pour le mettre en place et nous le servir.

- Aucun problème. Désirez-vous le manger en bas ou bien sur un plateau, dans votre chambre ?

- Nous affectionnons particulièrement la vie en communauté. Nous le mangerons ensemble, dans la salle à manger, annonça le seigneur Kervey. Tu seras des nôtres, naturellement, Nicolas.

- Bien sûr, Julian, répondit Lord Kerings.

Mariam sentit qu'il se forçait mais n'en comprit absolument pas la raison. N'était-il pas libre de refuser ?

Le seigneur Kervey s'éloigna, satisfait. Lord Kerings resta.

- N'oubliez pas de préciser à Sam de commander une parabole, un abonnement intégrale télévision / téléphone / Internet, d'acheter un écran vidéo, un home cinéma, un canapé et tout le nécessaire. On va installer une salle vidéo dans le château.

- Je le ferai, promit Mariam, souriant de voir Lord Kerings afficher une aussi bonne humeur.

Lord Kerings sortit à son tour, laissant Mariam finir sa vaisselle. Après le dîner, Mariam se rendit dans le bureau des patrons. Comme d’habitude, le seigneur Kervey, messieurs, Quern, Sternam et Lawzi ne faisaient rien. Lord Kerings tenait un livre dans sa main. Il semblait perdue dans la contemplation de la page.

- Lord Kerings a demandé le rajout d’une salle vidéo au château, commença Mariam.

Le seigneur Kervey acquiesça.

- Avez-vous des préférences quant à l’agencement, au style, à la décoration ? demanda Mariam.

- Nicolas, veux-tu bien t’en charger s’il te plaît ? Après tout, c’est ta chambre et tu seras l’utilisateur principal de la salle vidéo, lança le seigneur Kervey à son ami.

Lord Kerings fit la moue, soupira bruyamment puis se lança dans une tirade d’une dizaine de minutes d’explications sur ce qu’il voulait, usant de termes techniques et précis que Mariam, pour la plupart, ne connaissaient pas.

- Vous semblez être un expert en travaux et décoration, souffla Mariam lorsque Lord Kerings se tut enfin.

Le peu que Mariam avait saisi lui permettait amplement d’imaginer le résultat final et il était magnifique. La salle vidéo resplendirait de modernisme et de sobriété. Lord Kerings venait de montrer des capacités extraordinaire en matière de décoration d’intérieur.

- C’est son travail, indiqua le seigneur Kervey.

Mariam faillit s’étouffer à cette réplique.

- Comment ça ? s’exclama-t-elle.

- Nicolas achète des demeures en piteux état, les restaure puis les revend à prix d’or. Il réalise les plans, les achats et les travaux lui-même. C’est son domaine d’expertise, continua le seigneur Kervey.

- Vous ne pouvez pas nous aider en ce cas ? demanda Mariam à Lord Kerings. Vos conseils nous seraient précieux et…

- Je ne suis qu’un invité ici, la coupa Lord Kerings.

Mariam sentit un lourd froid plomber l’ambiance. Elle comprit que le seigneur Kervey aurait aimé que son ami se considère dans son château comme chez lui. Le seigneur Kervey regarda le sol l'air contrit, comme s'il se reprochait quelque chose et avait beaucoup à se faire pardonner.

Mariam vit une formidable opportunité. Elle ne comptait pas laisser tomber. Elle comptait refaire ce château mais aussi monter en compétence. Après tout, elle ne souhaitait pas passer toute sa vie ici. Si elle apprenait des choses, elle pourrait améliorer son CV. Cela allait demander du tact et du doigté, mais rien qui fit peur à Mariam. Elle se tourna vers l'invité d'honneur.

- Je ne suis pas aussi calée que vous, je le crains. Par conséquence, il va falloir me répéter vos doléances si vous voulez qu'elles soient suivies.

Mariam s'empara d'un bloc note et d'un crayon. Lord Kerings prononça son discours plus lentement, avec une grande patience tintée d'une lassitude non feinte. Mariam écrivit sous la dictée, sentant un malaise grandir à chaque seconde. Il lui semblait en effet que Lord Kerings répétait mot pour mot ses demandes précédentes. Nul ne pouvait répéter une tirade aussi longue sans en changer un mot. C'était impossible ! Et pourtant, Mariam avait la sensation d'entendre le même discours, à la virgule près.

Mariam cacha sa surprise. Lorsque le silence revint, elle remercia Lord Kerings puis sortit de la pièce, pensant intensément. Elle se rendit dans sa chambre, récupéra des esquisses puis redescendit dans le bureau. Aucun des résidents n’avait changé de position. Lord Kerings observait toujours la même page de son livre. Mariam s’assit à ses côtés.

- C’est la future cuisine. Vous en pensez quoi ? demanda-t-elle en montrant le dessin à Lord Kerings.

Il lui envoya un regard las. Mariam ne lâcha pas l’affaire. Avec un soupire exagéré, il daigna poser ses yeux sur le bout de papier et il fronça les sourcils.

- C’est très laid, annonça-t-il.

- S’il vous plaît, corrigez ! supplia-t-elle en lui tendant un crayon à papier et une gomme.

Lord Kerings leva les yeux pour croiser le regard de chien battu de son ami. Il fit un bruit de bouche puis arracha le crayon de la main de Mariam. Alors qu’il commençait à raturer, Mariam murmura d’une voix humble :

- Expliquez-moi ce que vous faites et pourquoi. S’il vous plaît ! ajouta-t-elle alors qu’elle se prenait un regard noir. J’ai tellement envie d’apprendre ! Et puis comme ça, les autres chambres seront merveilleuses !

Lord Kerings ronchonna puis se plia à l’exercice de bonne grâce sous les regards amusés des autres résidents. Mariam se montra très attentive et à l’écoute. Pourtant, elle ne retint qu’une dixième des nombreuses règles énoncées par l’expert en décoration, tant il en existait. Mariam fut abasourdie.

Une fois la cuisine en accord avec les règles annoncées, Mariam partit se coucher. Le lendemain matin, elle transmit la commande à Sam qui promit de faire le nécessaire. Toute la matinée, elle réalisa le croquis de la future salle vidéo, de la salle à manger et de sa propre chambre. Le soir, Lord Kerings la corrigea avec bienveillance et patience, au plus grand ravissement de Mariam qui découvrit en cet homme taciturne un excellent professeur.

- Il me faudra vos préférences pour vos chambres, indiqua Mariam aux résidents avant de partir se coucher. Je suppose que vous ferez la vôtre vous-même, dit-elle à Lord Kerings.

- Ce n’est pas ma chambre mais la chambre d’ami. Je ne suis qu’invité ici, répondit-il.

« On le saura » pensa Mariam en souriant.

- Julian indiquera sa préférence pour la chambre d’ami, termina lord Kerings.

Le seigneur Kervey accepta d’une grimace. Le lendemain matin, Mariam trouvait les préférences écrites de chacun des résidents. Le seigneur Kervey avait demandé une suite « à l’ancienne, noble mais simple ». Monsieur Quern avait réclamé quelque chose de moderne qui ne détonne pas trop avec le reste de la décoration du château. Monsieur Sternam avait uniquement indiqué « Cowboy ». Quant à monsieur Lawzi, un superbe « Je m’en fous » ornait sa feuille. Pour la chambre d’ami, le seigneur Kervey avait écrit « Faites au mieux pour que Nicolas s’y sente bien ».

Mariam soupira puis se lança, tentant de prendre en compte toutes les connaissances transmises par Lord Kerings. Pendant plusieurs jours, Lord Kerings corrigea et Mariam ratura. Enfin, toute la décoration fut arrêtée. Ne restait plus qu’à attendre que les meubles et matériaux commandés arrivent.

 

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Le premier appareil électrique à arriver fut l'aspirateur. Mariam commença par retirer la saleté dans sa chambre. Après tout, quitte à nettoyer, autant se servir en premier. Vint ensuite l'escalier puis la salle principale du rez-de-chaussée. Elle sortit un balai serpillière, un seau et du produit et commença à nettoyer le sol du bas.

À sa grande surprise, le carrelage n'était pas bleu sombre. Il était rose pâle… du marbre rose. Mariam ne s'y connaissait pas très bien mais il semblait d'excellente qualité. C'était vraiment dommage de le voir gâché par tant de saleté. La crasse s'était incrustée profondément si bien que Mariam finit par se mettre à genoux et à frotter avec une brosse dure.

Il lui fallut toute la matinée pour nettoyer un mètre carré devant la porte d'entrée. Elle regarda l'immense pièce à vivre et en conclut que, définitivement, elle allait mériter son salaire.

Le marbre de la grande salle rayonnait de nouveau lorsque le nécessaire pour la cuisine arriva. Mariam avait fait la moue en apprenant que les toilettes auraient du retard. Elle aurait préféré s'occuper de ça avant la cuisine. Les fournisseurs avaient contrarié ses plans. Elle allait devoir continuer à tirer la chasse avec un seau.

Mariam s'occupa de la cuisine. Avec l'aide de Sam, elle démonta les meubles existants et ils furent emportés pour être jetés. Le carrelage au sol et mural fut retiré. Sam s'en occupa tout seul et il fut rapide. Il ne semblait jamais se fatiguer. Le carrelage, pourtant rebelle, disparut en moins d'une heure. C'est lui qui devrait nettoyer le sol, pensa Mariam. Le château serait déjà entièrement propre s'il s'y mettait.

Des prises électriques furent rajoutées. Les murs furent enduits puis poncés. Le plafond fut repeint en blanc. Le sol se para d'un carrelage en marbre bleu et les murs reçurent une teinte proche dans le même matériau. Un nouveau plan de travail offrit des perspectives intéressantes, tant pour cuisiner que nettoyer. Il fut percé pour recevoir le nouvel évier et la plaque à induction choisie par le cuisinier. Les meubles bas et haut trouvèrent leur place rapidement.

- Je suis étonné, dit Sam alors qu'ils venaient de poser un nouveau meuble.

Mariam leva un sourcil interrogateur.

- Positivement surpris, précisa Sam. Vous êtes douée en bricolage. J'avais peur de devoir tout faire moi-même mais ce n'est pas le cas.

- Je serais capable de faire tout ça toute seule, précisa-t-elle. Ça me prendrait juste énormément plus de temps. Et puis, c'est toujours plus sympa à deux.

Elle accompagna ces derniers mots d'un rapide clin d'œil. Sam sourit et les travaux reprirent.

- Comment en êtes-vous venu à venir travailler dans un coin aussi paumé ?

- Et vous ? répliqua Sam.

- J’étais sur le point de me faire expulser de mon appartement. Je n’arrivais pas à trouver un job malgré mes recherches. Je n’ai pas de diplôme.

- Pas de proche pour vous accueillir ?

Mariam secoua négativement la tête.

- Vous allez pouvoir renflouer vos comptes rapidement ici, termina Sam.

Mariam sourit. Une fois qu'elle aurait refait entièrement le château, aurait-elle seulement envie d'en partir ? Elle n'était pas du genre à aimer aller en boite. Elle n'avait jamais eu de vrai ami, juste des potes, de vagues connaissances. Personne ne lui manquait. Elle soupira avant de reprendre le travail.

Lorsque vint l'heure du dîner, la cuisine était installée. Sam fut heureux car depuis une semaine que duraient les travaux, il campait et cela lui déplaisait énormément. Mariam alla chercher les objets que Sam lui demandait dans la réserve, où ils avaient tout entreposé, mit la table puis commença à remplir les meubles.

Ce ne fut que lorsque le dîner commença et que Mariam dut servir les patrons qu'elle se rendit compte que Sam n'avait pas répondu à sa question. Il l'avait habilement amenée à parler d'elle. Était-ce volontaire ? Mariam sourit. Si c'était le cas, alors Sam ne savait pas à qui il avait affaire. La jeune femme ne comptait pas se laisser faire.

Le lendemain, Mariam continua de remplir les placards flambants neufs de la cuisine et Sam ne vint pas. Il ne l'aidait que pour les travaux.

- C'est magnifique, dit le seigneur Kervey juste avant de partir au travail.

- Lord Kerings est très doué, c’est certain.

- Vous avez réussi à l’amadouer, murmura le seigneur Kervey d’un ton admiratif. Sans vous, il n’aurait jamais accepté de participer. Merci beaucoup.

Il avança dans la cuisine, frôla au passage Mariam qui frémit. Le maître des lieux ne sembla pas s'en rendre compte. Il passa sa main sur la plaque à induction avec un air circonspect.

- C'est pour cuire les aliments. Ça remplace le feu.

Le seigneur Kervey sourit à cette explication. Venait-elle de l'insulter en lui disant une évidence ou bien le sourire était-il dû à une gêne face à son ignorance ? Mariam n'aurait su le dire.

- Sam doit être ravi.

- Quand tout sera en place, il le sera encore plus !

- Que manque-t-il ? interrogea le seigneur Kervey.

- Les réfrigérateurs, les congélateurs, les fours, le lave-vaisselle et l'ensemble des robots.

- Tout ça ne rentrera pas dans la cuisine, fit remarquer le seigneur Kervey.

- Ici, dit Mariam en désignant un endroit vide dans la cuisine, on mettra les fours et le lave-vaisselle. Là, on mettra un frigo. Les autres réfrigérateurs et congélateurs seront placés dans la seconde réserve.

- La seconde réserve ?

- La première pièce derrière la cuisine servira de stockage pour la nourriture et dans la seconde, en plus du charbon, il y aura la chaîne du froid, ainsi que les machines à laver, sèche-linge, fer à repasser…

- Ces pièces sont totalement à l'abandon. Vous avez encore beaucoup de travail.

- Nous avons remis à neuf une pièce sur l'ensemble du château et encore, tout n'est pas terminé.

- Vous méritez votre salaire, conclut le seigneur Kervey. Au fait, joli travail sur le sol de la pièce principale. Il me tarde de voir le château entier propre et brillant.

- Et moi donc, murmura Mariam.

Quand elle releva les yeux, le propriétaire était parti. Mariam reprit son rangement.

À midi, Sam vint préparer le déjeuner et fut heureux de trouver la cuisine rangée et prête à l'emploi. En revanche, il se plaignit de devoir stocker une partie de la nourriture dans son frigo personnel et d'avoir à tout transporter à chaque fois.

Mariam mit la table, servit les patrons, déjeuna, fit la vaisselle à la main, rangea le tout puis vida la première réserve, en plaçant tout son contenu dans la seconde. Une fois fait, elle passa l'aspirateur puis sortit le matériel pour les travaux. C'est là que l'aide de Sam devenait nécessaire. Mariam venait à peine de se dire qu'elle allait devoir aller prendre son manteau pour sortir dans le froid à la recherche des appartements de Sam lorsque ce dernier apparut. Avait-il un sixième sens pour savoir quand sa présence était requise ? En tout cas, cela y ressemblait beaucoup aux yeux de Mariam.

Les travaux commencèrent. Sam fut efficace, comme toujours. Il dirigeait et Mariam obéissait. Sam lui donnait de plus en plus de tâches difficiles et la jeune femme en était heureuse. Cela prouvait qu'il lui faisait davantage confiance. Alors qu'ils réalisaient une action peu bruyante et peu fatigante, Mariam sourit avant de demander :

- Comment en êtes-vous venu à venir travailler dans un coin aussi paumé ?

- Vous ne lâchez jamais, hein ? constata Sam.

- Je suis d'un naturel têtu. Alors ?

- Comme vous, l'école et moi avons toujours fait deux. Je suis un grand solitaire. Le groupe ne me convient pas.

- Contrairement aux patrons qui apprécient la vie en communauté.

- Exactement. J'ai toujours adoré la cuisine. Ma mère m'avait appris. J'ai postulé pour une école de cuisine mais mes résultats scolaires et mon comportement violent doublé d'un absentéisme chronique m'ont fermé toutes les portes. Ma mère est décédée à ce moment-là. Je n'avais plus rien. Je me suis résigné à travailler au noir dans des restaurants. J'ai commencé par nettoyer la vaisselle tout en regardant les chefs cuisiner. À force de patience et de fierté ravalée, j'ai réussi à devenir commis. Dans un grand restaurant, j'ai rencontré mon mentor. Il m'a tellement appris ! Il possédait le restaurant. Il a tout perdu à cause de moi. Une descente de police et mon statut de travailleur au noir lui ont valu une amende et la fermeture de son restaurant.

- Il a tout perdu à cause de lui. Il n'avait qu'à vous engager légalement !

- Je n'avais aucun diplôme, rappela Sam.

- Et alors ? Il engage bien qui il veut ! S'il croit en vous, c'est son droit de vous engager !

Sam soupira.

- J'ai eu plusieurs mois de petits boulots de merde même pas en rapport avec la cuisine puis j'ai vu cette annonce dans le journal. Ils demandaient un cuisinier pour bosser seul sans restriction de budget. Seul problème : c'était loin de tout. Moi qui déteste travailler en équipe, j'étais ravi. J'ai passé un entretien puis je suis venu à l'essai. Ils ont tout de suite été conquis par mes plats. Voilà.

- Vous travaillez ici depuis longtemps ? interrogea Mariam.

- Onze ans, compta rapidement Sam.

- Vous cuisinez dans ces conditions depuis onze ans ? Vous avez du mérite, sans aucun doute.

Sam sourit.

- Je remercie la providence de vous avoir amenée ici. Cuisiner est aujourd'hui beaucoup plus agréable et ça sera encore mieux lorsque les réserves seront terminées.

- Vous m'aiderez pour les autres pièces, même si elles vous intéressent moins ?

- Je vous aiderai, promit Sam d'un ton posé, pour toutes les pièces.

- Merci.

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