Comme prévu, le lendemain, les créatures aux oreilles pointues les désignèrent tous les deux puis sortirent. Narhem laissa son opposant se lever en premier et en profita pour placer dans sa main une grosse poignée de terre sombre. Le poing fermé, il imita son opposant qui retirait la laisse du poteau puis le suivit dehors. En restant derrière, il évitait que l’autre se rende compte du contenu de sa main fermée. Narhem ne pensa pas une seule seconde à refuser le combat. Il comptait bien tuer ce salopard.
Tandis qu’il marchait, les leçons de son oncle lui revinrent : frapper pour tuer, pas pour jouer. C’était lui qui lui avait appris la paume dans le nez. Il lui avait aussi indiqué la gorge et l’entrejambe comme zones sensibles, mais également les yeux. Narhem se concentra, contrôlant sa respiration. L’un des deux ne survivrait pas, mais lequel ?
Les deux hommes furent délestés de leur laisse et ils tournèrent longuement autour du cercle, diamétralement opposés, afin de laisser les parieurs les regarder, les jauger, choisir leur poulain.
Enfin, le sifflement retentit et l’autre n’attendit pas. Il se jeta sur Narhem qui lui jeta la terre au visage, s’écarta et du tranchant de la main, frappa la gorge. L’autre fut stoppé net. Un coup de pied dans l’entrejambe le mit à genoux. Un autre entre les omoplates et il fut au sol, sur le ventre. Narhem lui grimpa dessus, les jambes de part et d’autre, attrapa la tête et d’un coup sec, lui brisa la nuque. Il venait de gagner une seconde fois sans se prendre un seul coup et rapidement. Les spectateurs hurlèrent de plaisir et beaucoup d’argent fut échangé.
Le garde se planta devant lui, lui parla sans que Narhem ne comprenne un mot puis s’accroupit devant Narhem. Le vainqueur le vit attraper une cage d’acier de sa ceinture et commença à la lui passer. Narhem eut envie de se défendre, de lui envoyer son genou dans le visage, de lui exploser les dents mais il se retint. Ils étaient des dizaines autour de lui. S’il touchait celui-là, les autres le tueraient. Il rongea son frein, serrant les dents de rage.
La cage était parfaitement ajustée. Lorsque le garde se releva, il constata qu’une autre cage était accrochée à sa ceinture. Les entraves étaient réalisées sur mesure ! Narhem n’en revint pas. Il détesta immédiatement la sensation. Le travail de forge, parfait, lisse, rendait le port non douloureux mais cette prison le rendait impuissant, au premier sens du terme. Narhem se sentait humilié, diminué, faible. Il savait que c’était le but et trouvait que les créatures s’y prenaient à merveille pour le déstabiliser.
Ce fut sans surprise qu’il se retrouva en présence des autres hommes encagés apportant habituellement l’auge dans la hutte. Cependant, il ne s’attendait pas à arriver dans une cuisine. Les hommes taillaient des poissons, de la viande, des fruits, des légumes. Couteaux tranchants à disposition, ils composaient de magnifiques plateaux colorés. Narhem sentit son estomac gargouiller. Les odeurs sublimes flottant dans l’air rendirent le moment pénible. Le garde le laissa à l’entrée et s’éloigna. Narhem constata que la surveillance était étroite. Pas moins de quatre créatures observaient les humains travailler la nourriture.
Narhem resta planté dans l’entrée, incapable de comprendre ce qu’il devait faire. L’un des hommes – peau bronzée, yeux et cheveux bruns, glabre, quelques poils sur le torse et les jambes - le désigna de son couteau et lui fit signe de le rejoindre. Narhem obtempéra. L’homme lui dit trois mots… dans la langue des créatures, que Narhem ne comprenait pas.
- Je ne parle pas leur langue, indiqua-t-il en ruyem.
L’homme tendit la main vers un garde qui décrocha une tige en bois souple de sa ceinture pour la passer à l’humain près de lui. Narhem ne put éviter le coup qui lui taillada le torse. Il tomba à genoux, le souffle coupé net. Quatre coups de plus strièrent son dos : du feu à l’état pur. Il trembla. Son tortionnaire s’accroupit devant lui puis murmura quelques mots à son oreille, que Narhem ne comprit pas non plus.
L’autre lui attrapa l’oreille et le força à se lever. Il lui désigna un coin de la cuisine où un autre homme œuvrait. Il le rejoignit. Celui-là était petit et maigre, sans musculature apparente contrairement aux autres. Son corps à la peau mat s’harmonisait agréablement avec ses cheveux bruns bouclés et ses yeux marron. Lui aussi ne portait ni barbe, ni moustache. Comment se rasaient-ils ? Allait-il bientôt pouvoir faire de même ? Il lui tardait de se débarrasser de cette touffe qui l’horripilait.
L’homme chétif lui sourit, lui tendit un couteau puis lui montra, avec des gestes lents accompagnés d’un seul mot bien articulé, comment vider les poissons de leurs entrailles. Narhem imita son compagnon d’infortune et comprit la hiérarchie à l’œuvre ici. Cet homme et lui étaient les larbins. Ils réalisaient les basses besognes. Les cinq autres, supérieurs, manipulaient les mets délicats.
- Dolove, dit l’homme en se désignant lui-même.
- Narhem, répondit-il et l’homme lui sourit.
Narhem comprit alors. Ce n’était pas parler qui était interdit mais parler le ruyem, la langue des hommes. Ils avaient le droit de s’exprimer mais dans la langue de leurs hôtes. S’il voulait un jour pouvoir donner son avis et être entendu, il allait devoir apprendre à reconnaître ces sons, à les associer correctement, à former des mots puis des phrases. Tout en jetant les viscères puantes sur un tas de restes clairement faits pour devenir de l’engrais, il secoua la tête. Son esprit n’avait jamais été son point fort. Apprendre une nouvelle langue, aussi complexe, à son âge. Impossible…
Les plateaux recouverts de mets délicieux partaient les uns après les autres, portés par les créatures sombres elle-même. Les restes mangeables trouvaient le chemin d’un immense chaudron. Seules les viscères, les entrailles, les arêtes, les os partaient en engrais. Narhem dut nettoyer la cuisine avec Dolove tandis que les autres versaient le contenu du chaudron dans une auge que Narhem reconnut. Le ménage prit un moment, que les cinq hommes supérieurs passèrent à se reposer et à bavarder.
Enfin, la cuisine fut propre. Les cinq hommes supérieurs et Dolove portèrent l’auge pleine dehors avec douceur afin de ne rien renverser. Ils marchèrent longtemps jusqu’à s’arrêter devant un enclos en bois trop haut pour en voir l’intérieur. Narhem ouvrit la porte sur demande gestuelle d’une créature et ses six compagnons portèrent l’auge à l’intérieur. Narhem les suivit dans l’enclos et la porte fut refermée.
Il découvrit pour la première fois les animaux domestiques des créatures sombres. Sa première réaction fut un profond dégoût. Sous un toit en pente, une dizaine d’animaux se tenaient debout, un filet de bave coulait de leurs bouches monstrueuses jusqu’à former de petites flaques glissantes devant eux.
Bipèdes, leur corps était couvert de poils sombres, drus et longs. Des griffes terminaient leurs pieds et leurs mains. Leur tête était un mélange de cochon et de loup, un front plat, un museau pareil à celui d’un bulldog, la mâchoire inférieure visible parsemée de dents longues, grosses et pointues. Narhem les trouva répugnants.
Il imita ses compagnons qui reculaient jusqu’à se coller sur le mur du fond. Un sifflement que Narhem connaissait bien retentit et les animaux se jetèrent sur l’auge, trempant leurs mains sales dedans, plongeant leurs bouches baveuses, mâchant goulûment. Narhem en eut la nausée. Il avait raclé les anfractuosités de cette auge pour se nourrir dans la hutte. Cela lui donna envie de vomir.
Surtout, il comprit qu’aux yeux des créatures sombres, les humains valaient moins que leurs animaux domestiques. Narhem serra les dents et crispa les poings. Dolove s’approcha de lui et lui dit un mot : « orc » puis désigna les animaux. Narhem hocha la tête.
Après un long moment, les orcs s’éloignèrent de l’auge pour retourner se prélasser à l’ombre des palmiers. Le chef s’avança vers l’auge et mangea son contenu à pleine main, léchant ses doigts. Puis, il désigna ses compagnons, sauf Dolove et Narhem. Les quatre choisis purent se remplir l’estomac. Les deux derniers eurent enfin la permission de se restaurer. Narhem constata que l’auge contenait encore un peu de nourriture, bien plus qu’il n’en avait eu depuis des jours. Le goût était le même, aussi délicieux qu’avant mais sachant que les orcs étaient passés avant, il lui fut davantage difficile d’en profiter. Cependant, son corps lui envoya de merveilleux signaux de satisfaction. Arriver à satiété l’emplissait de bonheur.
Les hommes portèrent ensuite l’auge jusqu’à une hutte où Narhem compta dix hommes, eux aussi enlevés à leur patrie natale, supposa Narhem avec dégoût.
Narhem suivit les hommes qui retournèrent à l’enclos des orcs. Dolove lui tendit un seau et une raclette en bois et lui montra comment ramasser les déjections des orcs et les placer dans le fumier pour engrais. Narhem jeta un regard noir aux cinq humains, debout, qui ne les aidaient pas. Une chose cependant le surprit : les hommes ne discutaient pas entre eux. Ils regardaient dans l’enclos, scrutaient partout, suivaient les deux larbins dans leur tâche puante. Narhem ne s’expliquait pas cette attitude.
L’enclos propre, les hommes retournèrent à la hutte, emmenèrent l’auge puis retournèrent à la cuisine où Narhem et Dolove durent récurer le bois jusqu’à ce qu’il soit parfaitement propre.
Ce fut épuisé et sous une chaleur montante et étouffante que Narhem suivit ses compagnons jusqu’à une immense hutte en pierre au toit de chaume. Les murs de la pièce principale circulaire étaient recouverts d’armes en tout genre : piques, épées, couteaux, dagues, masses, gourdins, marteaux, lances… et bien d’autres dont Narhem ignoraient le nom. Narhem ne constata la présence d’aucun garde. Les hommes avaient un accès libre à l’armement. Le mur ouest portait des armes en métal. Les murs est et sud proposaient des répliques en bois du véritable armement. Narhem observa cela avec circonspection. Dans un coin, un tas de chiffons sales et puants ne donnait pas envie qu’on s’en approche.
Les hommes disparurent dans une pièce voisine, délaissant la salle d’armes. Dolove resta avec Narhem et lui fit signe de le suivre, tout en parlant lentement et en articulant bien chaque son. Les cinq supérieurs avaient emprunté une porte à droite. Dolove l’emmena à gauche et Narhem découvrit avec un bonheur immense une salle de bain : de l’eau et du savon.
Narhem nettoya ses mains crasseuses des déjections des orcs, lava son corps trempé de sueur, rafraîchit sa nuque brûlante aux côtés de Dolove qui faisait de même tout en nommant chaque objet un par un. Un rasoir effilé lui permit de retirer la barbe et la moustache qui le gênaient tant. Il fut uniquement gêné de ne pouvoir correctement nettoyer son sexe, toujours entravé d’acier.
Propre et frais, Narhem retrouva le sourire. Il voulait dire « merci » mais ne savait pas le faire. Dolove dut le comprendre car il prononça des sons que Narhem tenta de répéter. Dolove s’y reprit à trois fois puis laissa tomber. Narhem n’était clairement pas doué. Dolove voulut sortir de l’eau mais Narhem le retint. De ses mains, il montra l’extérieur puis caressa ses oreilles continuant au-delà, comme si elles se terminaient en pointe.
- Eldar, répondit Dolove.
- Eldar, répéta Narhem que le mot ne faisait guère avancer.
Les créatures sombres se nommaient Eldar. Cette information ne lui apportait rien. Dolove l’appela puis se mit le doigt devant la bouche avant de dire « Elfe » puis remettre son doigt sur sa bouche. Narhem hocha la tête avant de répéter « Eldar » une nouvelle fois et Dolove approuva. Des elfes, voilà qui étaient leurs tortionnaires.
Narhem n’était qu’un tonnelier au fond d’un village paumé. Il n’avait pas d’éducation, ni bourgeoise, encore moins noble. Des elfes, il ne connaissait que des contes pour enfants. Cependant, les elfes des légendes étaient blonds, aux yeux bleus et à la peau blanche. Ils étaient décrits comme des sauvages forestiers aux femmes à la beauté incomparable, sur lesquelles certains riches répandaient toute leur perversité.
Il décida de nommer intérieurement ces démons-là elfes noirs afin de les différencier de ses croyances enfantines. Narhem avait toujours mis les elfes, les fantômes, les sorcières et les dragons dans la même catégorie, celle des créatures imaginaires. Toutes ses certitudes venaient de voler en éclat. Si les elfes existaient réellement, est-ce que les autres aussi ? Il frémit.
Dolove lui sourit puis lui fit signe de le suivre. Ils sortirent de l’eau. Sous la chaleur écrasante de l’après-midi, se sécher était inutile. Ils avaient traversé la pièce centrale qu’ils étaient déjà secs. Dans la pièce voisine dormaient les cinq puissants, à même le sol. Narhem, épuisé, les imita et son sommeil fut excellent.
Il fut réveillé par Dolove qui le secouait. Il faisait un peu plus frais. La nuit était proche. Dolove lui fit signe de le suivre. Les hommes sortirent de la hutte et se rendirent, sans surveillance visible, jusqu’à un tas surélevé. De là, Narhem avait une vue imprenable sur un cercle de bois bien plus grand. Autour, des fauteuils permettaient d’accueillir les parieurs, clairement bien plus aisés financièrement. Sur les toits de huttes voisines se tenaient quelques elfes noirs, que Narhem comprit être des enfants, excités à l’idée du spectacle à venir.
La foule cria et Narhem se tourna vers l’arène. Deux hommes venaient d’entrer. Ils n’étaient pas nus. Ils portaient chemise, braies, culotte, mais surtout bras d’armure, casque et arme. Ils se toisèrent, se tournèrent autour, s’étudièrent, se jaugèrent tandis que les paris s’échangeaient autour d’eux.
Le sifflement résonna et la violence déferla. Narhem fut surpris. Habitué aux tournois, il s’imaginait un combat à l’épée comme un échange de coups, épée contre épée. Il comprit que tout cela n’était que du spectacle. Deux mouvements permirent à l’un d’eux de vaincre. Les deux épées ne s’étaient même pas frôlées. Le vainqueur avait observé son opposant, avait crée une fausse ouverture. L’autre était tombé dans le piège. Il gisait sur le sol. Narhem serra les dents. Il était incapable de faire cela. Il le savait très bien. À mains nues, il se défendait mais armé, il ne valait rien.
Ce fut morose qu’il suivit son groupe jusqu’à la hutte de vie. Il observa médusé ses nouveaux compagnons s’approcher du tas de chiffons puants et les passer, se retrouvant protégés au torse, aux bras, aux mains et à la tête par des vêtements épais. Un seul homme n’en mit pas, se mettant à part pour commencer à enchaîner des mouvements lents et beaux ressemblant à de la danse.
Dolove se mit dans le fond et ne participa pas à l’entraînement. Il huilait les armes, en prenait soin ou cousait. Un seau d’eau près de lui attendait qu’on ait besoin de lui. Dolove ne semblait pas vouloir participer à l’activité en cours.
Trois des hommes prirent un bâton et s’échauffèrent les poignets et les bras. Le dernier, clairement le chef du groupe, fit signe à Narhem de le rejoindre. L’ancien tonnelier dut passer un gambison, son nez indiquant sa désapprobation face à cette agression.
L’homme devenu son instructeur lui tendit une canne en bois lui arrivant à la hanche et un petit bouclier rond. Il attrapa les même instruments en miroir. L’instructeur prononça quelques mots que Narhem ne comprit pas. Le chef de brigade attendit un instant puis, sans prévenir, abattit son bâton sur les côtes de Narhem dans un grand geste circulaire.
Narhem, surpris, ne pensa même pas à éviter. Il vit venir le coup mais paralysé de stupeur, ne put que le recevoir, la main crispée sur son bouclier qu’il ne pensa même pas à utiliser. Le choc fut rude malgré le gambison et lui coupa le souffle. Narhem comprit l’importance de cette protection et se promit de toujours la mettre, quoi que son nez puisse en penser.
Narhem secoua la tête et lorsqu’il reprit ses esprits, son instructeur était de nouveau en position. Il l’interpela une nouvelle fois. Narhem supposa que son maître d’arme voulait qu’il l’attaque. Il abattit son bâton sur le bouclier de son adversaire qui sourit et émit une série de sons. Le ton indiqua à Narhem que son précepteur était satisfait.
Ils continuèrent ainsi pendant un long moment, attaquant et parant avec le bouclier. Narhem, concentré sur son duel avec le chef de brigade, ne se rendit pas compte de ce que les autres faisaient. Narhem termina la session épuisé, les poignets douloureux et les doigts en feu.
La nuit était bien avancée lorsque l’entraînement prit fin. Les hommes partirent se coucher et malgré le froid, Narhem s’endormit, harassé.
Au matin, après une toilette rapide, la brigade se rendit à la cuisine et la journée de la veille se répéta. Cuisine, auge, orcs, manger, porter l’auge aux combattants inférieurs, nettoyer l’enclos des orcs, récupérer l’auge et la récurer, se laver, dormir, regarder un homme mourir, s’entraîner, dormir.
Les jours passèrent. Narhem finit par apprendre le nom de ses compagnons.
Safry, le chef, était un homme fermé, sombre, distant, froid. Son corps robuste, fort, ses muscles proéminents lui permettaient de manier le marteau lourd à deux mains, redoutable pour broyer le crâne d’un adversaire. Il entraînait Narhem quotidiennement et le tonnelier l’en remerciait mentalement, n’ayant pas les mots pour les dire.
Bryam maniait l’épée comme personne. Il bougeait admirablement. Il n’était pas musclé mais jouait sur la souplesse, l’observation. Il évitait les coups, frappait au bon moment. Narhem le regardait, admiratif, danser.
Souleymane, le seul homme à la peau noire du groupe, utilisait des couteaux de lancer et une dague courte. Narhem le voyait bien assassin dans une vie antérieure. Il lui faisait peur.
Mynard se tenait droit, fier, le port hautain. Narhem reconnut là un ancien noble. Il combattait avec de nombreuses armes sans réellement montrer de préférence. Durant un entraînement, il pouvait changer cinq fois de lame sans montrer de gêne.
Olivier avait une tête de benêt. Narhem l’aurait croisé qu’il l’aurait désigné comme l’idiot du village. Ne parlant jamais, la tête basse, le dos courbé, Narhem se serait jeté sur lui sans rien en craindre. Olivier ne maniait pas d’arme. Son corps était une arme, ses mains des semeuses de mort. Narhem se souvint de ne pas se fier aux apparences. Quiconque se trouvait ici méritait sa place.
Au matin du cinquième jour, avant de partir pour la cuisine, un elfe noir entra dans la hutte des prisonniers et s’adressa à Safry, le chef de brigade. Ce dernier réfléchit un long moment dans un silence total avant de désigner Bryam. Ce dernier hocha la tête et la brigade partit en cuisine. La matinée fut identique en tout point à l’habitude.
Au moment d’aller se reposer pour la sieste, Narhem constata l’absence de Bryam. Au réveil, la brigade délestée d’un de ses membres se rendit à l’arène et Narhem reconnut Bryam dans le cercle de bois. Narhem comprit l’importance de Safry. Les elfes noirs ne choisissaient pas l’heureux élu : le chef de brigade avait cette responsabilité. Narhem frémit. Il avait intérêt à bien se faire voir de l’homme froid et taciturne qu’il était. Bryam gagna et la brigade félicita son champion avec force cris et sifflements.
Deux fois par lune environ, les elfes noirs venaient réclamer un combattant. La brigade ne perdit aucun de ses membres. Safry ne désigna jamais Narhem ou Dolove. Les autres tournaient, à peu près équitablement.
Enfin, Narhem fut désigné. Safry le considérait comme prêt. Il découvrit la salle de préparation, une salle fraîche où il put prendre un bain, se faire masser d’huiles essentielles par un adolescent elfe noir, choisir des vêtements, des armes. Narhem prit son temps. Safry l’avait probablement conseillé. Narhem n’en savait rien. Il ne comprenait rien. La langue de ces maudites créatures ne voulait pas rentrer. Merci, oui, non, manger, dormir et elfe étaient ses seuls mots disponibles. Même « bonjour » lui échappait. La tournure de salutation était terriblement longue. Narhem ne pouvait pas. C’était trop compliqué pour lui.
En revanche, combattre, ça, il pouvait. Il entra dans l’arène, armé d’une épée et d’un bouclier, le duo travaillé avec Safry depuis son arrivée. Il n’avait aucune idée de l’issue du combat. Allait-il gagner ? Allait-il perdre ? Seul réconfort : Safry l’avait désigné. Si le chef de brigade l’estimait prêt, c’était qu’il devait l’être, non ?
Il n’avait pas l’impression de l’être. Un regard sur son adversaire le rassura : sa terreur se sentait à plein nez. Narhem masqua la crainte qui lui tordait le ventre, sourit, fit croire qu’il était un vétéran, montra assurance et confiance en lui.
Lorsque le sifflement retentit, Narhem fonça sur sa proie qui leva faiblement sa rapière. L’épée s’abattit sur l’arme qui tomba au sol. Narhem leva sur arme pour la plonger d’estoc sur son adversaire qui l’évita d’un pas de côté. Narhem, pris par son élan, trébucha mais parvint à se redresser, juste à temps pour voir son adversaire à demi-baissé, le bras en direction de sa rapière au sol.
Narhem, de dos, n’hésita pas : il frappa, sa lame transperça les reins. Son adversaire hoqueta puis s’écroula. La foule ne fut guère enthousiaste. Une exécution dans le dos. Un combat rapide, presque sans contact. Deux combattants aussi peu doués l’un que l’autre. Voilà qui ne resterait pas dans les annales. Les spectateurs venaient de s’ennuyer.
Narhem n’en avait cure. Il était satisfait. Il venait de gagner, montant ainsi en valeur aux yeux de ses compagnons de brigade. L’adolescent elfe noir vint prendre son arme puis le ramena à la hutte de préparation où il put de nouveau prendre un bain avant de devoir retourner à la hutte de vie où il fut accueilli avec quelques sourires et mots qu’il ne saisit pas mais qu’il supposa être des félicitations. Narhem rayonnait de bonheur.
Les jours passèrent, ressemblants les uns aux autres : cuisiner, manger les restes des orcs, nettoyer la puanteur de ces bêtes immondes, se laver, dormir, regarder les combats, s’entraîner, dormir.
Narhem ne croyait pas voir un jour Safry défaillir et pourtant, la mort de Souleymane dans l’arène le rendit plus blanc que neige. Narhem ne comprit pas. Certes, la brigade venait de perdre un membre et alors ? Mieux valait lui que eux. Toute la brigade repartit la mine basse et Narhem sentit un froid peser, lourd. Nul ne parla. Narhem, incapable d’aligner deux mots, ne put demander d’explication.
Ce soir-là, Safry, pour la première fois, n’enseigna rien à Narhem. Il sortit de la hutte et disparut toute la nuit. La cuisine fut différente. Pas de chaudron. Tout partait à l’engrais. Narhem se vit obligé de jeter ce qui constituait habituellement leur repas et la frustration de ne pouvoir demander d’explication le rongea intérieurement. Dire que tous ses compagnons parlaient la même langue que lui mais qu’elle était juste interdite d’utilisation. Narhem enrageait.
Lorsque tous les plateaux garnis de mets succulents eurent disparu et que la cuisine fut propre, la brigade se rendit, l’air morose, à l’enclos des orcs. « À quoi bon ? » pensa Narhem. « Nous n’avons rien à leur donner à manger ». Devant la porte se trouvait le cadavre, entièrement nu, sans cage d’acier, de Souleymane. Narhem frémit. Que se passait-il ?
Safry s’accroupit près du mort, prit un instant pour se recueillir puis hocha la tête. Les autres membres de la brigade se saisirent du corps et le tirèrent à l’intérieur de l’enclos, le plaçant à l’emplacement habituel de l’auge, avant de vite rejoindre le mur du fond. Narhem, qui n’avait pas touché le cadavre, suivit le mouvement pour constater que les orcs tenaient difficilement. Ils grognaient, remuaient en tout sens, se bousculaient d’impatience.
Le sifflement retentit et les orcs se jetèrent sur le corps. Narhem ne put empêcher ses oreilles de percevoir les os qui craquent, les dents qui déchirent, ni ses narines de recevoir l’odeur des entrailles et du sang. Le mur seul lui permit de tenir debout. Les elfes noirs souriaient à sa détresse et Narhem les haït. À leurs yeux, ils n’étaient rien. « Coq au vin », ironisa une voix dans sa tête et Narhem eut envie de se taper le crâne contre l’enclos de bois pour la faire taire.
L’horrible repas terminé, Dolove tira Narhem par le bras. Ce dernier eut du mal à se déplacer et la nausée le prit lorsqu’il constata qu’à l’aide de son compagnon, il devait nettoyer l’enclos. Les mains dans les restes d’os, d’entrailles et de crâne humain, Narhem pleura. Il eut de nombreux vertiges, des nausées mais parvint à se retenir de vomir. Il voulait hurler, crier, frapper, tuer. La situation le révulsa. Pour la première fois, il voulut s’enfuir, s’en prendre aux elfes noirs, leur faire payer. En réponse au regard noir qu’il lança à l’un d’eux, il reçut un grand sourire qui signifiait clairement « Vas-y, fais. Donne-moi ce plaisir ».
La main de Dolove sur son bras lui fit lâcher le regard du garde et Dolove fit non de la tête. Bien sûr, son compagnon avait raison. Ils étaient piégés. Obéir ou mourir. Narhem continua son travail tandis que les orcs, excités par leur repas de chair humaine, s’approchaient beaucoup plus près que d’habitude.
Alors que Narhem était occupé à racler une merde tenace, Bryam surgit à ses côtés, s’interposant entre lui et un orc. L’animal, surpris, s’éloigna en ronchonnant et Narhem comprit : le reste de la brigade ne faisait pas rien. Ils surveillaient et protégeaient les deux de corvées. Sans eux, Narhem et Dolove se seraient depuis longtemps fait manger par la douzaine d’orcs de l’enclos.
- Merci, Bryam, dit Narhem en elfe noir et Bryam hocha la tête en retour.
Le nettoyage se termina dans le calme. Lorsque Narhem, propre, entra dans le dortoir pour la sieste, il constata l’absence de Safry. Aucun elfe noir n’était venu demander de combattant pourtant. Narhem, pour la première fois, ne parvint pas à trouver le sommeil. Son estomac réclamait de la nourriture. Ses pensées tournaient en boucle sur le repas des orcs.
L’heure du combat quotidien arriva. Sur la butte, Narhem vit Safry entrer en lice et Narhem n’eut pas besoin d’explication. La raison de l’extrême détresse de la brigade à la mort de Souleymane s’expliquait. Si l’un d’eux perdait, le chef devait alors combattre, sans avoir mangé depuis la veille. Narhem tenait à peine debout. Il ne s’imaginait pas se battre dans ces conditions.
Narhem prit peur. Si Safry perdait, que se passerait-il ? Il interpela Dolove et parvint, par gestes, à faire comprendre son interrogation. Dolove désigna Bryam, puis Mynard, puis Olivier, puis Narhem, puis lui-même avant de baisser les yeux. Narhem avala difficilement sa salive. Safry devait gagner. Sa défaite signifiait la mort de toute la brigade.
De retour à la hutte avec Safry, Narhem se permit enfin de respirer. La victoire du chef de brigade fut un soulagement pour tous et la vie reprit son rythme.
Narhem fut de nouveau désigné. Il profita de la salle de préparation, conscient que l’on offrait un dernier bain, un dernier repas, un dernier plaisir à un mort en sursis. Il choisit de nouveau la combinaison épée / bouclier, la seule qu’il connaissait.
Le moment arriva. Il entra dans l’arène et observa son adversaire. Son cœur rata un battement. Cet homme-là, il le connaissait. Il l’avait déjà vu se battre. Ce n’était pas un mauvais comme lors du combat précédent. Lui n’en était pas à son premier combat armé. Il portait une masse d’armes avec laquelle il broyait le crâne de ses adversaires ou explosait les côtes.
Narhem s’obligea à rester droit et fier mais son sang se glaçait. Autour de lui, les paris allaient bon train. Les elfes noirs les observaient et riaient, s’amusant à tenter de deviner qui vivrait et qui mourrait. Narhem eut des envies de meurtre. Ne pouvant les appliquer à ses tourmenteurs, il tourna sa rage vers son adversaire, cet homme qui, pourtant, n’était, comme lui, qu’un coq.
Au sifflement, Narhem attaqua le premier. Épée levée, il visa l’arme de son adversaire. L’autre se contenta de la baisser, laissant passer le coup. Immédiatement, Narhem leva son bouclier. D’habitude, Safry profitait de la perte d’équilibre et de la vitesse pour contre-attaquer. Au bout d’un moment, Narhem en avait eu marre de se faire exploser le visage. Il avait appris à lever son bras gauche.
Ce geste lui sauva la vie. Le bouclier explosa sous l’impact et Narhem eut l’impression que ses os du bras gauche se brisaient mais sa tête resta intouchée. Sous l’impact, il tomba à genoux. Il lui semblait que tout son bras s’était disloqué. Il leva les yeux vers son adversaire qui grimaçait.
- Lève-toi ! Je ne t’attaquerai pas alors que tu es au sol. Je ne suis pas un lâche qui attaque dans le dos, moi ! gronda l’homme en ruyem.
Narhem frémit. L’autre avait vu son combat précédent, rien de bien glorieux. Narhem ramassa son épée et se releva en tenant son bras gauche contre lui. La douleur lui cisaillait le cerveau. L’autre secoua la tête de dépit tandis que la foule huait ou soupirait. Bien piètre spectacle…
Un vertige le prit. Combien d’os de son bras étaient brisés ? Un seul avait-il survécu au choc ? Son adversaire attendit. Narhem se prit un petit caillou sur l’épaule, lancé par un spectateur, sans aucun doute.
Narhem regarda autour de lui, apeuré. Il était le coq que tout le monde méprisait, le mauvais, avec la crête à moitié tordue, une patte boiteuse. Un regard vers sa brigade confirma son impression. Safry secouait la tête, dépité. Les hommes échangeaient entre eux, soutenant Safry qui pensait déjà devoir se battre le lendemain.
Nourrir les orcs ? Jamais. Narhem croisa le regard de Dolove. Il y vit une peine immense et un soutien inébranlable. « Gagne », crut-il lire dans ses yeux.
Narhem releva son arme et attaqua, visant cette fois son adversaire et pas son arme. Des exclamations de joie accompagnèrent cette offensive que l’autre esquiva sans difficulté. Narhem était trop lent, trop prévisible. Il s’entraînait pourtant tous les jours et il ne lui semblait pas qu’il s’améliorait.
Il aurait tant voulu voler, feinter, danser dans l’arène. Il allait mourir devant cet adversaire meilleur que lui. Il se redressa et fit face. L’autre sourit, sûr de gagner. Narhem décida que ça ne servait à rien. Cette épée, il ne savait pas la manier. À quoi bon ?
L’autre arma son bras et frappa, visant la tête. Narhem para de son bras gauche déjà en morceaux. L’os se brisa une seconde fois mais le poing droit de Narhem trouva son chemin jusqu’à la mâchoire adverse et elle se brisa. Des dents et du sang s’éparpillèrent sur le sable. La foule hurla, certains riant, d’autres sifflant. Narhem s’acharna, massacrant le visage ennemi de son poing droit, le bras gauche pendant misérablement. L’adrénaline avait fait taire la douleur. Narhem voulait juste vivre, survivre.
Quelque chose toucha son épaule. L’esprit embrouillé, il arma son bras et une lame sous sa gorge répondit à ce mouvement. Il se rendit compte qu’un elfe noir se trouvait devant lui. De sa main libre, l’adolescent aux oreilles pointues écarta son bras droit.
Narhem se calma et la lame retourna à la ceinture, libérant sa gorge. Narhem se rendit compte que son adversaire était mort et que la foule s’éloignait, ravie.
Narhem se sentit mal. Il vomit sur le sol rougi de sang. L’adolescent elfe noir l’aida à retourner à la hutte de préparation. Il put prendre un bain et des soins furent apportés à son bras et sa main.
Lorsque Narhem retourna à la brigade, Safry lui lança quelques mots en souriant. Narhem ne comprit évidemment pas mais fut heureux de se voir apprécié.
Il reprit les entraînements dès que son bras et sa main le lui permirent et ce fut bien plus rapide qu’il ne l’aurait cru. Un elfe, venu deux fois par jour le soigner, lui permit de retrouver l’usage de ses membres en moins d’une lune.
Narhem tenait à ce que le prochain combat ne soit pas aussi minable. Il s’entraîna avec assiduité. Il observa les combats avec précision, cherchant à connaître ses adversaires. Il écoutait ses compagnons qui échangeaient durant les combats, discutant probablement des failles et des faiblesses de chacun, utiles à déterminer pour remporter une victoire contre l’un d’eux. Narhem ne comprenait rien. Il s’en voulait tellement. Ces sons, tellement différents des siens, lui échappaient totalement.
Deux lunes supplémentaires avaient passé et Narhem retrouva la salle de préparation, Safry l’ayant de nouveau désigné. L’ancien tonnelier reconnut son adversaire dans l’arène. Il l’avait déjà vu survivre à quatre reprises.
Narhem se sentait faible et misérable. Il allait mourir, il le savait. Il repensa à sa femme et à ses enfants. S’il était resté à la maison, les elfes noirs n’auraient pas pu lui mettre la main dessus. Il ne serait pas en plein soleil sous les regards des créatures sombres aux oreilles en pointe déterminant s’ils devaient ou non parier sur lui. Les mises s’échangeaient rapidement. L’arbitre suivait, attendant le moment propice pour déclencher la violence et le sang.
L’autre maniait les dagues. Il en avait quatre visibles mais Narhem savait qu’il y en avait toujours d’autres dans les bottes et les manches. Narhem se prit à regretter ses premiers combats, entièrement nus. Aucune possibilité de dissimuler quoi que ce soit au moins !
Narhem raffermit sa prise sur son épée et son petit bouclier rond. Le sifflement retentit et une dague se ficha dans sa cuisse droite. Narhem s’écroula. Son instinct lui dictait de retirer cette chose plantée au plus profond de ses chairs mais Safry lui avait indiqué de ne rien en faire. La retirer signifiait saigner et donc, mourir. Il fallait lutter contre ses envies et la laisser en place. Tant qu’elle était là, le saignement resterait faible et maîtrisé.
Narhem simula une douleur plus importante que ce qu’elle n’était en réalité. L’autre s’approcha, sûr de sa victoire. Il aurait pu lancer une dague dans son cœur mais voulait épater la galerie : un égorgement en bonne et due forme faisait toujours son petit effet auprès des spectateurs.
Narhem se laissa attraper par les cheveux mais récupéra au passage de son adversaire une dague dans sa botte. Dès que l’autre fut collé dans son dos, il la lui enfonça dans les reins. L’autre hoqueta puis s’écroula. Narhem respira bruyamment.
Première victoire : coup dans le dos. Deuxième fois : grossière, avec les poings, aveuglé par la fureur. Troisième survie : en traître avec l’arme de l’adversaire. Ni honneur, ni gloire. Les spectateurs ne cachaient pas leur agacement.
Narhem balaya les spectateurs lointains, ses futurs adversaires. Ils apprenaient à le connaître et savaient désormais à quoi s’en tenir : un lâche, voilà qui ils combattraient. Narhem sut qu’il n’aurait plus droit à la moindre pitié. Son prochain adversaire le démontrait sans remord aucun.
Narhem observa son bouclier et son épée dont il ne savait clairement pas se servir, malgré les heures d’entraînement. Son prochain combat serait le dernier, il en était certain. Il ne gagnerait plus jamais.
Des elfes noirs vinrent aider Narhem à retourner à la salle de préparation. La dague dans sa cuisse lui fut retirée d’un coup sec. Il ne sut comment il fut soigné car il perdit connaissance pour ne s’éveiller qu’aux côtés de sa brigade, la cuisse entourée d’un bandage.
Il perçut de nombreux échanges entre les membres de sa brigade. Il était clairement le centre de la discussion. Il se rendit près de Dolove et d’un geste, lui demanda des explications. L’autre prononça quelques mots, mais Narhem ne comprenait pas. Dolove s’excusa d’un geste. Il ne savait pas comment lui expliquer sans parler.
Safry augmenta le temps d’entraînement de Narhem, prolongeant souvent tardivement. Narhem le remerciait silencieusement mais il sentait bien que cela ne servait à rien. Il était mauvais et le resterait. Malgré les cours, il ne progressait pas. Cela ne servait à rien. Dès sa blessure guérie, Narhem fut renvoyé au combat.
Dans la salle de préparation, il observa les armes proposées, incapable de choisir. Le préparateur qui avait l’habitude de lui donner son épée et son bouclier, les lui tendit. Narhem haussa les épaules, indiquant par là son incertitude.
L’elfe noir lui amena des petits objets en métal dont Narhem n’avait pas la moindre idée de l’utilité. L’elfe noir enfila ses doigts dans les trous et mima un coup de poing avant de retirer l’objet et de le donner à Narhem. Il observa l’arme. Même les elfes noirs avaient compris qu’il n’était pas capable de tenir une lame. Ce truc ne l’aiderait en rien à vaincre. Qui que soit son adversaire, Narhem n’aurait pas l’opportunité de s’approcher assez près pour que son point le touche. Le lâche aurait été frappé bien avant.
Narhem rendit le poing en fer au préparateur qui, en retour, lui proposa d’autres armes, les lui présentant au besoin. Narhem l’observa et apprécia son aide, son amabilité, sa compassion. Il essayait réellement de combler son besoin mais pour gagner, Narhem avait besoin d’un miracle, pas d’acier.
Il voulait partir, disparaître, s’enfuir, retrouver ses vignes, les tavernes, les femmes, l’odeur du chevreuil cuit à la cheminée, la soupe de navets et les gâteaux au miel. Son pays lui manquait. Il aurait voulu le crier au monde. Il avait besoin de parler. Cela lui était interdit. Une larme dévala son visage.
Le préparateur ne changea en rien son comportement, continuant à proposer des armes. Il se fichait du ressenti du coq. Il devait juste l’apprêter pour le combat afin de satisfaire au mieux les clients impatients. La mélancolie de cet animal ne lui importait pas.
Narhem accepta la prochaine arme qui lui fut présentée. Celle-là ou une autre, peu importait. Il allait mourir de toute façon, offrant son corps aux orcs, obligeant Safry à combattre affamé et peut-être la brigade entière suivrait-elle.
Narhem avança sur le sol d’un pas lourd, le sabre courbe rainurant le sable chaud. Pourquoi combattre ? Pour qui ? Un cri attira son attention. Il se tourna pour voir Dolove, l’air grave, terrifié même. Il prononça des mots et articulant et Narhem lut sur ses lèvres : Ne refuse pas le combat. Puis, il passa sa main sur sa gorge avant de se désigner ainsi que tous les membres de la brigade. Narhem comprit.
S’il refusait de se battre, toute la brigade tomberait. Safry, Bryam, Mynard, Olivier, Dolove, tous innocents. Ils essayaient tous de l’aider, le soutenant de leur mieux. Étant le plus mauvais combattant, Narhem s’occupait des basses corvées mais cela lui sembla logique. Après tout, ça n’était que son quatrième combat. Les autres combattaient deux à trois fois plus souvent, risquant leur vie ou la perdant, comme Souleymane.
Au sifflement, Narhem, le visage couvert de larmes, le sabre toujours bas, vit le tranchant de la hache arriver sur son crâne par le haut. Au dernier moment, il esquiva et arma son bras. Relever son sabre prit trop de temps et son adversaire put se remettre en place. Les spectateurs hurlèrent de joie. Narhem ne voulait pas être le coq qu’on applaudit. Il ne voulait pas leur offrir un beau moment. Il ne rêvait que de ses vignes, se voyant marcher entre les rangées, vérifiant la pousse, goûtant, pressé à l’idée de boire la première gorgée.
La hache arriva horizontalement sur son torse. Narhem recula mais pas assez. Une grande entaille découpa sa peau sous ses seins et ses habits se teintèrent de rouge. Narhem hoqueta.
Mourir ici, sur le sable chaud de ces sauvages ? Non ! Il survivrait, retournerait chez lui et périrait dans ses champs. La hache déchira une partie de son bras gauche. Narhem sentait son énergie décliner aussi vite que sa motivation à survivre revenait. Son adversaire n’avait pour le moment reçu aucune blessure. Il se savait gagnant.
Narhem attendit sagement qu’il attaque mais il était prêt. Son sabre partit comme une fusée. Narhem n’avait pas visé. Il l’avait juste lancé, utilisation non prévue d’une telle arme. L’autre, trop surpris, n’esquiva pas et la lame le blessa au bras droit, l’amenant à lâcher sa hache.
Narhem se jeta sur lui et un combat à mains nues commença. Narhem visa les yeux et la gorge, cherchant la victoire la plus rapide et il l’obtint. Couvert de sang, il remporta ce combat. Cet homme sous ses mains, les yeux arrachés, rêvait peut-être lui aussi de retourner chez lui et de mourir dignement dans son village natal près de sa femme et de ses enfants.
Narhem fondit en sanglots. Les gardes ramassèrent les armes. Le préparateur le ramena à la salle, le lava, le soigna puis le renvoya à la brigade où plus personne ne lui adressa la parole.
Safry ne le désigna plus. Le risque qu’il refuse le combat était bien trop grand. Il fut relégué, avec Dolove, aux plus basses besognes et les hommes de la brigade ne montrèrent plus que dédain pour celui qui les obligeait à combattre plus souvent sans partager la tâche.
Narhem réussit par gestes à demander à Dolove pourquoi la brigade n’était pas aussi dure envers lui bien qu’il ne combatte jamais. Dolove répondit mais les mots, prononcés vite et à la perfection, furent totalement incompréhensibles pour Narhem et il comprit : Dolove maîtrisait parfaitement la langue de l’ennemi. Il communiquait. Il était le lien avec les tortionnaires, permettant de faire passer des demandes de la brigade. Besoin d’une nouvelle arme ? Dolove était envoyé et Narhem comprit : Dolove était utile au groupe. Narhem ne l’était pas.
Safry cessa même d’entraîner Narhem qui aidait Dolove à prendre soin du matériel. Ce fut dans cet état d’esprit négatif que Narhem assista à une chose rarissime : à la fin d’un combat, le vainqueur, prit d’un excès de confiance en lui, au lieu de rendre son arme au garde qui la lui demandait, décida de la lui enfoncer dans le ventre. Plus exactement, ce fut ce qu’il tenta. Narhem frémit. S’il avait été à la place de ce simple garde, il serait sur le sol, son sang se mêlant à la terre. Au lieu de cela, l’elfe noir évita aisément le coup pourtant parfait et imprévisible, prit l’arme à son assaillant et la lui enfonça en plein cœur avant de s’éloigner, nonchalamment. Narhem ancra ce souvenir dans sa mémoire : ne jamais s’en prendre aux elfes noirs.
Salut Nathalie !
Euh .... mais .... qui est son oncle ? Je sais pas toi mais je n'ai pas d'oncle ( alors que j'en ai quand même 4 ) qui m'ait appris à me battre. Son oncle se battait dans les tavernes
Son oncle se battait dans les tavernes ou dans l'armée ? Mais dans les tavernes on ne tue pas, donc qui est son oncle ?
Du coup Narhem était cuisinier en plus de combattre ? Donc les humains servaient à autre chose que distraire les elfes noirs lors de combats de coqs. Est-ce que certains sont autre chose que cuisiniers ?
"Leur tête était un mélange de cochon et de loups" => pas de s à loup.
Mais Narhem vit à Eoxit non ? Enfin vivait. Mais du coup comment il peut connaître l'existence des elfes si les eoxans détestent la magie et évitent tout contact avec elle ? Les elfes ne sont pas considérés comme magiques ? Ou alors il y avait une esclave elfe dans son village ?
"Une grande entaille découpa sa peau sous ses seins et ses habits se teintèrent de rouge. " => il me semble que Narhem est, aux dernières nouvelles, un homme.
Sinon, on comprend tellement le ressenti de Narhem ! Quand on suit Elian, on aime le détester mais on oublie qu'il a subi des choses atroces.
Voilà voilà, désolée pour ce commentaire un peu atypique à cause de la petite fenêtre, on se retrouve au chapitre suivant
Pas de souci pour un départ trop rapide, ça m’arrive aussi souvent. Pour éviter ça, j’écris dans un fichier de traitement de texte à part et je fais un copier coller une fois mon message terminé.
Je veux vraiment montrer que Narhem a une vie de merde. Il se croit au sommet en étant un riche tonnelier avec une femme, des enfants et des maîtresses, avec assez d’argent pour se permettre d’en claquer dans des combats de coqs. Il est fier de lui. Mais j’espère que le lecteur comprendra qu’en fait, c’est un bouseux vivant au fin fond d’une campagne rurale aux cerveaux bas de plafond. Son oncle, c’est le connard texan de base qui apprend à ses neveux et nièces de 6 et 7 ans à tirer au fusil dans sa ferme. J’ai déjà eu des élèves qui en frappaient d’autres de manière vraiment précises et douloureuses et qui nous ont dit « c’est mon oncle qui m’a appris à faire ça pendant les vacances ». Alors ouais, il a un oncle chelou, dans un village paumé au milieu de nulle part où la seule activité un peu sympa, ce sont des combats de coqs et des troubadours miteux venus chanter les elfes vivants ici des siècles auparavant, des histoires complètement modifiées depuis le temps, au point que les spectateurs les croient aussi réels que les dragons… Et bien sûr, ces troubadours racontent des histoires de magie noire et détestables parce que pour interdire un truc, il faut bien dire ce dont il s’agit et le décrire un minimum pour que les gens soient capables de le reconnaître et donc, de dénoncer son utilisateur.
Narhem n’est pas cuisinier. Il n’est pas capable de cuisiner d’ailleurs et il ne le fait jamais. Il est tonnelier. Il crée des tonneaux, c’est tout. Il se contente de vider des poissons auprès de Dolove qui lui montre les gestes mais c’est la première fois de sa vie qu’il fait ça.
"Une grande entaille découpa sa peau sous ses seins et ses habits se teintèrent de rouge. " => il me semble que Narhem est, aux dernières nouvelles, un homme.
→ Les hommes aussi ont des seins. Plats, certes, mais ils en ont quand même…
Je confirme que Narhem a vraiment une vie de merde. Cela ne justifie rien mais cela peut expliquer.
J’aime tes commentaires. Pas de souci. Continue. Je trouve ça intéressant :)
J'aime bien comment « se laver, dormir, regarder un homme mourir, s’entraîner, dormir » devient « se laver, dormir, regarder les combats, s’entraîner, dormir » quelques paragraphes plus loin.
Je ne comprends pas (encore) le rôle des orcs (à part manger les cadavres).
Et sinon je trouve cela bizarre qu'il puisse s'en sortir sans plus jamais être désigné pour combattre, ça a l'air trop facile.
Les orcs auront un rôle majeur plus tard. Rien n'est laissé au hasard :)
Encore merci pour tes commentaires qui me font super plaisir !
Bonne lecture.
le seul homme à la peau noir du groupe => noire
celle-là où une autre => ou
Sinon c'est très drôle de relire ce passage quand on connaît la suite ^^
Ravie que ce retour en arrière te plaise et qu'il te permettre de le remettre en perspective maintenant que tu connais la fin !
Bonne lecture !